PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE
jumeaux, jumelles : i m a g e de sol et regard de I'autre P. ANDRI~, D. CZAJKA
Les jumeaux, avant d'int~resser les scientifiques, ont alimenter les contes et les Idgendes. R. Zazzo a constat~, de Iongue date, que rimaginaire commun ~ toute la mythologie concernant la g~mellite rejoignait la recherche scientifique et son discours. La gemellite, si elle est insolite, est aussi heuristique. On parle de jumeaux vrais a propos d'individus monozygotes ayant pour origine commune un seul ovule feconde par un seul spermatozo'ide, I'oeuf se scindant en deux oeufs identiques, cette segmentation produit alors deux embryons biologiquement semblables et a terme deux enfants ayant le m6me patrimoine g6ndtique. Ces vrais jumeaux seraient-ils d6tenteurs de la verite pour la science, comme pour la mythologie par opposition aux faux jumeaux hdtdrozygotes qui ne seraient que falsification ?
Communication faite aux X I I e journ~es annuelles de th~rapie psychomqtrice, juin 1993, Juan-les-Pins. P. ANDRE, psychiatre, D. CZAJKA, psychomotricienne. Journal de PI~DIATRIEet de pUI~RICULTUREn~6-1993
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ANS les mythes comme pour les scientifiques, les jumeaux servent de t~moins pour la r~solution d'un probl~me gdn&al qui coriceme l'&re singulier : quelle est la part de l'inn~ et de l'acquis dans le d6veloppement d'un individu ? Le destin d'un sujet est-il li~ S son h&6dit~ ? Les d6s seraient-ils jet,s d~s la naissance, voire d~s la conception ? L'avenir est-il inscrit dans les g~nes, l'oracle fixant la destin~e une fois pour toute ? Le projet scientifique, dans une tentative de r~ponse ?~ ces questions, rejoint l'interrogation du mythe. La g~mellit~ est suggestive, elle entre en r~sonance avec cette qu~te permanente du sujet dans la recherche d'un double qui lui permettra d'exister. On cherche ~t se conna~tre ~t travers l'image de soi que nous renvoie le regard de l'autre, la m~re quand on est enfant, l'alter ego, l'autre soi-m~me ~t l'adolescence et puis plus tard dans la recherche de sa moitid, cette qu&e amoureuse qui nous compl6tera dans une relation de couple. Ces &apes fondamentales, moments cl4s dans la vie de l'homme, le jumeau les connaltra tr}s t6t dans cette relation g~mellaire toute particuli~re. Nous nous sommes int6ress$s aux jumeaux, non pas pour mieux comprendre le d6veloppement de l'enfant singulier, mais pour tenter d'appr6hender la particularit4 de la maturation des enfants jumeaux monozygotes. Pour cela, nous avons observ6 des couples gdmellaires avec leur m~re, mais aussi r6a347
PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE lis6 de nombreuses interviews d'adolescents et de jeunes aduhes jumeaux monozygotes.
jumeaux entre eux venait palier le d~ficit du maternage, la limitation des contacts avec la m~re ; soit la m~re va tr~s t6t individualiser la relation avec chacun des enfants, avec un accordage affectif sp~cifique, respectant le rythme propre de chaque enfant ; on constate alors que les contacts et les interactions entre les jumeaux seront moindres. -
comment vont se differencier les j u m e a u x . comment se fait leur individuation
?
A la naissance, il n'est pas rare que l ' u n des enfants soit plus petit que l'autre. I1 existe une diff& rence de poids de 200 g en moyenne, chacun des jumeaux en fonction de sa place dans l'ut6rus se d~veloppera d'une fagon ou d'une autre. Retenons donc qu'il existe ddj~ une in6galit6 au niveau des conditions de vie in utero. Chacun partagera l'espace d'un uterus gravide, y cherchera sa place, son confort, son territoire par rapport ~ l'autre et c'est probablement d6jfi s'individualiser. Communaut~ de milieu n'est pas 6galit6 de milieu, chacun a sa place. Les jumeaux ont-ils une vie commune in utero ? S'ils partagent certaines sensations et perceptions, leur fagon de r6agir est diff6rente. Aux dires des m}res en fin de grossesses qui i d e n t i f i e n t ddj~i chaque enfant, mais aussi ~i Paide des premieres analyses en 6chographie, la motricit~ des jumeaux in utero, ainsi que les rythmes veille/sommeil, sont diff~rents pour l'un et Pautre. I1 est plus facile d'analyser les interactions pr& coces m~re/jumeaux ainsi que les interactions sp~cifiques des nourrissons j u m e a u x entre eux. Cette r e l a t i o n m ~ r e / e n f a n t a b i e n ~t6 & u d i ~ e p a r M. Robin et D. Josse. Nos observations rejoignent les leurs. Deux cas de figures s'opposent sch~matiquement : - soit la m~re va ~
Les i n t e r a c t i o n s pr~coces, ces r e l a t i o n s r & i proques des jumeaux entre eux facilement observ a b l e s d~s la n a i s s a n c e , s o n t m a n i f e s t e s . Les jumeaux, de fagon intermittente, sont r~ellement interactifs dans le contact oeil ~i oeil, mais aussi par la voix et le toucher. Ceci est surprenant, voire spectaculaire et concoure ~i la fascination de l'observateur qui se sent exclu de cet ~change. Rapidement avec le ddveloppement moteur, quand les enfants se trouvent en face ~i face, de v&itables dialogues vont s'6tablir par le biais de vocalises. Avec le d~veloppement de la prdhension, chacun des jumeaux explore le corps de l'autre avec ~ 10-12 mois des manifestations de tendresse tout ~ fair probantes. Au cours de la 2 e ann&, les conflits apparaissent avec, fi c6t6 des 61ans de grande affection, des disputes et une rivalit6 tr~s forte p o u r l ' o b t e n t i o n d ' u n j o u e t par exemple. I1 appara~t alors que l'attitude des parents est f o n d a m e n t a l e p o u r l'avenir. Vont-ils laisser ~merger le conflit jusque dans une opposition parlois difficile ~i s u p p o r t e r mais fi l ' o r i g i n e d ' u n e ndgocation des jumeaux entre eux ? Ou prendrontils une position ~galitaire, ~vitant route dispute, tout rapport de force ? I1 est aussi surprenant de constater le fonctionnement g~mellaire dans les diff~rentes acquisitions : l'un des jumeaux observe, l'autre e x p & i m e n t e et ceci ahernativement, l'un semble r~fl~chir, l'autre est dans l'agir, chacun profitant des experimentations ou de la mentalisation ~i l'autre. Avec l'acc~s ~t la marche et les premiers interdits pos~s par les parents, les instances psychiques nais-
Camille et Constance, 4 mois, se parlent. 348
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Constance et Camille, j0uent. santes semblent s'dchanger d'un partenaire fi l'autre, alternativement, l'un respectant la r~gle, l'autre la transgressant... On voit bien comment l'autre sert d'&ayage dans une relation g6mellaire de type anaclitique. A 8 mois, l'appr~hension r~guli~rement 6prouv~e en l'absence de la m~re chez un enfant singulier lorsqu'il est confront~ ~i un personnage qu'il ne connah pas, cette <
au miroir
C o n t r a i r e m e n t ~ l'enfant singulier, le j u m e a u monozygote pergoit en permanence sa propre image travers le regard qu'il porte sur son fr~re. On peut penser qu'il risque l~i d'y avoir une confusion entre l'image de sol et celle de l'autre. Journal de pI~DIATRIE et de pUI~RICULTURE n~ 6-1993
Dans le jeu de la bobine, le <
PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE Ce stade du miroir d6crit par H. Wallon et repris par J. Lacan au cours duquel l'enfant effectue la conqu&e de l'image de son propre corps et qui va promouvoir la structuration du sujet, du ~ JE ~ de lqdentit~, est-il particulier chez le jumeau dans la mesure off l'image du semblable qui joue ce r61e de miroir est lfi en permanente, et apporte donc une information int~gratrice comme on a pu le remarquer tout au long du d~veloppement psychomoteur des jumeaux monozygotes ? On salt aussi que le regard des parents, et en particulier celui de la m~re, a cette fonction de miroir. Par regard parental, il faut entendre la fa~on dont le p~re et la m~re vont regarder chacun des jumeaux et alors de quels fantasmes parentaux chaque enfant va-t-il &re porteur. Sices fantasmes sont bien distincts, marquis tout particuli~rement par le choix des pr6noms qui sont de grands v~hicules de fantasmes, si la m~re n'est pas dans la fusion g6mellaire, si elle ne ~ g~mellarise ~ pas trop et donc si la confusion des jumeaux est absente, si la m~re mais aussi le p~re rapidement se font une idle, un sentiment, une repr6sentation diff6rente, une image diff~rente de chacun des jumeaux, alors cette &ape sera d~terminante pour la diff~renciation, l'individuation des deux enfants.
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Cette d i s t i n c t i o n est favoris6e tr~s t6t par les jumeaux eux-m~mes qui, en rivalit~, en conflit, en comp&ition, vont susciter la presence dtun parent pour constater leur difference. Si la m~re est dans la confusion des deux enfants consid~rant qu'il s~agit d'un &re double plut6t que deux enfants distincts, n'attribuant des qualit~s, des fantasmes, des sentiments que de fa~on globale au couple g6mellaire, on peut alors l~gitimement penser que ceci aura des consequences sur lqndividuation de chacun des jumeaux.
Bibliographie 1. LEPAGE F. font, 1980.
Les Jumeaux : Enqu~te.
2. ROBIN M., JOSSE D. -
Paris, Laf-
Quelques aspects de
la
relation mere-enfant a la suite d'une naissance gemellaire. Neuropsychiatrie de I'enfance, 1987,
35 (8-9), 369-377. 3. ZAZZO R. - Les Jumeaux. Puf Quadrige, 1960. 4. ZAZZO R. - Le paradoxe des Jumeaux. Stock, 1985.
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