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Communication brève
Kyste du défilé spinoglénoïdien. À propos d’un cas et revue de la littérature Ganglion cyst at the spinoglenoid notch. A case report and literature review K. Bouzaïdi *, C. Ravard-Marsot, F. Debroucker, S. Zguem, C. Caudron, D. Tiah, M. Levesque Service de radiologie, hôpital Louis-Mourier, 178, rue des Renouillers, 92700 Colombes, France Reçu le 17 juin 2004 ; accepté le 7 décembre 2004 Disponible sur internet le 19 janvier 2005
Résumé Introduction. – La compression du nerf suprascapulaire par un kyste du défilé spinoglénoïdien est une entité pathologique rare, de symptomatologie souvent non spécifique posant un problème de diagnostic pour le clinicien. Exégèse. – Nous rapportons l’observation d’un patient âgé de 35 ans, présentant un kyste du défilé spinoglénoïdien, diagnostiqué à l’imagerie par résonance magnétique devant des douleurs mal systématisées de l’épaule et confirmé chirurgicalement. Conclusion. – La compression du nerf suprascapulaire par un kyste du défilé spinoglénoïdien doit être évoquée précocement parmi les diagnostics différentiels d’une douleur non spécifique de l’épaule, et faire pratiquer une imagerie par résonance magnétique et un électromyogramme, qui permettent un diagnostic positif, étiologique et topographique précis. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – Entrapment of the suprascapular nerve at the spinoglenoid notch due to a ganglion cyst is an uncommon event and remains a challenge for clinicians. Exegesis. – We describe the findings in a 35-year-old patient with nonspecific pain in the shoulder and in whom MR revealed a ganglion cyst in the spinoglenoid notch, confirmed surgically. Conclusion. – Entrapment of the suprascapular nerve at the spinoglenoid notch due to a ganglion cyst must be considered in the differential diagnosis of nonspecific shoulder pain. MR imaging and electromyography can reach a positive, topographic, and etiologic diagnosis of suprascapular neuropathy. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Épaule ; Kyste synovial ; Nerf suprascapulaire ; Imagerie par résonance magnétique Keywords: Shoulder; Ganglion cyst; Suprascapular nerve; MR imaging
1. Introduction La compression du nerf suprascapulaire par un kyste synovial siègeant au niveau de l’incisure scapulaire (échancrure coracoïdienne) ou dans le défilé spinoglénoïdien est une entité * Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (K. Bouzaïdi). 0248-8663/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2004.12.006
pathologique rare, décrite pour la première fois par Kopell et al. en 1959 [1]. Sa symptomatologie clinique est souvent non spécifique et peut poser un problème de diagnostic différentiel avec une rupture de la coiffe des rotateurs, une myélopathie cervicale, des radiculopathies ou une bursite sousacromiodeltoïdienne [2–4]. L’échographie et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) permettent souvent de redresser le diagnostic et de réaliser un bilan lésionnel précis.
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2. Observation Un homme, âgé de 35 ans, travailleur manuel, gaucher, sans antécédent pathologique particulier, consultait pour des douleurs diffuses et mal systématisées de l’épaule gauche, survenues brutalement à la suite d’un effort de soulèvement et évoluant depuis six mois. Ces douleurs étaient progressives, diurnes, plus importantes en fin de journée et occasionnaient une légère gêne fonctionnelle sans véritable retentissement sur l’activité professionnelle. L’examen physique mettait en évidence une discrète limitation de la rotation externe sans atrophie musculaire ni trouble sensitif. Les explorations biologiques ne montraient pas d’anomalie. Les radiographies conventionnelles de l’épaule et de la colonne cervicale étaient normales. Une IRM était alors réalisée devant le caractère mal systématisée de la douleur et sa résistance au traitement antalgique. Elle objectivait une formation kystique multiloculée en hyposignal homogène en séquence pondérée T1 et en hypersignal franc sur les coupes en pondération T2* et T2 (Fig. 1a,b). Cette formation siégeait au niveau du défilé spinoglénoïdien, venant au contact du nerf suprascapulaire, et s’étendait dans la fosse infraépineuse (Fig. 2). Les muscles, les tendons de la coiffe des rotateurs ainsi que les ligaments étaient de taille et de signal normaux. Le bourrelet glénoïdien était intègre. L’électromyogramme (EMG) montrait une paralysie incomplète et isolée du muscle infraépineux. Le diagnostic de compression du nerf suprascapulaire par un kyste du défilé spinoglénoïdien était alors retenu et confirmé chirurgicalement. L’évolution était favorable avec disparition de la douleur et reprise progressive de l’activité professionnelle.
3. Discussion Le nerf suprascapulaire est un nerf mixte. Il naît le plus souvent du tronc supérieur du plexus brachial qui résulte de l’anastomose des branches antérieures de C5 et C6. Il longe latéralement les muscles trapèze et omohyoïdien puis passe dans la fosse supraépineuse à travers l’incisure scapulaire qui est fermée à sa partie supérieure par le ligament coracoïdien. À ce niveau, il donne des branches motrices destinées au muscle supraépineux. Il suit ensuite un trajet oblique en bas et en dehors avant de franchir le défilé spinoglénoïdien, formé par la face postérieure du col de l’omoplate, le bord externe de l’épine et le ligament spinoglénoïdien. Il se termine enfin dans la fosse infraépineuse en s’arborisant dans le muscle infraépineux. Le nerf suprascapulaire assure également l’innervation sensitive de la bourse sous-acromiale, l’articulation acromioclaviculaire et la capsule articulaire glénohumérale [5,6]. Ainsi, le long de son trajet anatomique, le nerf suprascapulaire peut être atteint en cas de fracture de l’omoplate, de luxation antérieure de l’épaule, de plaie pénétrante, de tumeur osseuse de l’omoplate [5–8]. Il est particulièrement vulnérable au niveau de deux points critiques : l’incisure scapulaire et le défilé spinoglénoïdien où il peut être sujet soit d’un conflit
Fig. 1. (1a et 1b) : Coupes coronales (a) et sagittale (b) en SE T2 objectivant un kyste multiloculé (flèche) dans le défilé spinoglénoïdien.
direct par un kyste compressif ou une hypertrophie du ligament spinoglénoïdien, soit d’un étirement lié à des microtraumatismes répétés lors de certaines activités professionnelles ou sportives tel le volley-ball [2,3,5,9]. Le kyste compressif du défilé spinoglénoïdien est rare. Son diagnostic préopératoire est de plus en plus établi ces dernières années grâce au développement et l’utilisation plus fréquente des techniques d’imagerie en coupes, en particulier de l’IRM. Il touche plus souvent l’homme que la femme et survient généralement chez le sportif, dans la troisième ou la quatrième décade de la vie [3,10]. Son origine demeure toutefois discutée. Une fissuration du fibrocartilage de la glène avec passage du liquide articulaire et absence de retour par phénomène de clapet expliquerait la genèse de ces kystes et leur fréquente association aux lésions du bourrelet glénoï-
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de l’articulation glénohumérale [2,3,5]. L’EMG apprécie enfin le degré de gravité de l’atteinte en mettant en évidence une éventuelle dénervation musculaire.
Fig. 2. Coupe axiale en densité de proton montrant l’extension du kyste dans la fosse infraépineuse (flèche).
dien secondaires à l’instabilité glénohumérale qui a été rapportée par Tirman et al. [11,12]. Pour Ogino et al. ainsi que Goss et al., ces kystes prennent naissance à partir de la capsule postérieure de l’articulation glénohumérale [13,14]. Des remaniements dégénératifs myxoïdes du tissu conjonctif formant les plans de glissement de l’épaule ont été également rapportés par certains auteurs [15]. Sur le plan clinique, la douleur est souvent révélatrice bien qu’elle soit inconstante et non spécifique [3,9]. Elle est en général diffuse, profonde et mal définie. Plus rarement, elle est postérolatérale et peut être reproduite par la pression en regard du tiers externe de l’épine de l’omoplate [11,15]. Une sensation de faiblesse musculaire est parfois associée, notamment lors de la rotation externe qui est tributaire du muscle infraépineux [4,9,16]. L’examen physique doit rechercher attentivement une atrophie de ce muscle. Il ne met pas en évidence de trouble sensitif [10]. L’adduction croisée et forcée n’est pas douloureuse comme dans les atteintes proximales car elle dépend du muscle supraépineux [16]. Une injection d’anesthésique local peut être utilisée comme test thérapeutique pour confirmer le diagnostic [15,17]. L’EMG est essentiel pour affirmer l’étiologie nerveuse de l’amyotrophie en objectivant une augmentation des latences distales motrices mais sans déterminer la nature de la lésion en cause [6,13]. Il permet également de préciser sa topographie [11,18]. En effet, l’atteinte proximale du nerf dans l’incisure scapulaire entraîne une paralysie des deux muscles supraet infraépineux. En revanche, l’atteinte distale dans le défilé spinoglénoïdien est responsable d’une atteinte motrice isolée du muscle infraépineux et sensitive de la partie postérieure
L’échographie objective le kyste sous la forme d’une image liquidienne anéchogène. L’arthroscanner montre une formation effaçant la graisse du défilé spinoglénoïdien. Elle est généralement isodense aux muscles adjacents, souvent difficilement individualisable sur les images en fenêtre adaptée aux parties molles car artefactées par le produit de contraste. Cette formation est rarement opacifiée du fait de son exclusion ou de son contenu très gélatineux [11]. L’IRM, grâce à son excellente résolution spatiale et en contraste, constitue un examen de choix. Elle permet de confirmer le diagnostic en montrant une masse de signal liquidien, homogène, en hyposignal T1, hypersignal T2 et se rehaussant faiblement en périphérie après injection de gadolinium [9,13]. Elle analyse mieux sa topographie et ses rapports anatomiques, apprécie l’œdème, l’atrophie et la dégénérescence graisseuse du muscle infraépineux et recherche une lésion du bourrelet postérieur qui est souvent associée [2,5,10,19]. Cependant, la communication avec l’articulation glénohumérale à travers cette fissure labrale est rarement objectivée en arthro-IRM (20 % dans la série de Tung et al.) [13,19]. Enfin, l’IRM permet d’exclure une bursite ou une rupture de la coiffe des rotateurs [9,10]. Toutefois, la découverte à l’IRM d’un kyste spinoglénoïdien doit être corrélée aux données de l’EMG car certaines études ont montré la possibilité de survenue de kyste non compressif chez des sujets témoins, asymptomatiques sur le plan clinique et électrophysiologique. Le traitement chirurgical vise à la libération du nerf. Il aboutit généralement à la sédation rapide des douleurs, mais n’améliore pas toujours la motricité [16]. La ponction– aspiration suivie d’une infiltration sous contrôle échographique ou tomodensitométrique pourrait constituer actuellement une alternative non invasive au traitement chirurgical [10,20]. Toutefois, elle ne permet pas la réparation des lésions du labrum souvent associées et le faible nombre de cas connus n’autorise pas, à cet égard, de conclusion définitive.
4. Conclusion La compression du nerf suprascapulaire par un kyste du défilé spinoglénoïdien doit être évoquée précocement devant une douleur non spécifique de l’épaule avant même l’apparition d’une amyotrophie et/ou d’une faiblesse musculaire. L’EMG permet de confirmer l’origine nerveuse et l’IRM permet un diagnostic étiologique et topographique précis. La ponction–aspiration couplée à une infiltration sous contrôle échographique ou tomodensitométrique pourrait constituer une alternative efficace et non invasive au traitement chirurgical.
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