© Masson, Paris 2006
J. Traumatol. Sport 2006, 23, 85-88
Mémoire
Kyste synovial de l’hallux lié à la pratique de l’escalade V. DUBOIS-FERRIÈRE, M. ASSAL Département de chirurgie, Service de chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil moteur, Hôpitaux Universitaires de Genève, rue Micheli-du-Crest 24, 1211 Genève 4, Suisse.
RÉSUMÉ
SUMMARY
Nous rapportons 5 cas de kystes synoviaux au niveau de l’hallux chez 3 patients, liés à la pratique de l’escalade. Les kystes synoviaux, appelés ganglion cysts dans la littérature anglo-saxonne sont des lésions bénignes des tissus mous souvent rencontrées au niveau du pied. Ils se forment dans des régions soumises à des contraintes mécaniques répétées comme les articulations ou les tendons. Plusieurs théories ont été émises sur leur étiologie mais aucune n’a été formellement prouvée. L’apparition d’un kyste synovial au niveau du pied liée à la pratique de l’escalade n’a, à notre connaissance, jamais été décrite dans la littérature. La plupart des grimpeurs portent des chaussures spéciales qui sont souvent plus petites par rapport à leurs chaussures de ville. Celles-là verrouillent le pied rigidement et creusent artificiellement l’arche longitudinale interne afin d’optimiser la charge et l’appui sur l’hallux. Ceci a pour conséquence une augmentation de la pression au niveau du pied et pourrait favoriser le développement d’un kyste synovial. Cette hypothèse illustrerait la théorie actuellement admise par la plupart des auteurs selon laquelle les surcharges mécaniques jouent un rôle important dans la pathogenèse des kystes synoviaux.
Ganglion cyst on the hallux related to sport climbing
Mots-clès : kyste synovial, hallux, escalade.
Key words: ganglion cyst, hallux, climbing.
Introduction
pas la pratique de l’escalade. Chez 2 patients, l’atteinte est bilatérale. À l’examen clinique, l’hallux présente une tuméfaction en regard de la face dorsale de l’articulation interphalangienne (figure 1). Celle-ci est indolore et fluctuante. Aucun signe inflammatoire n’est présent hormis chez un patient qui présente une lésion légèrement inflammatoire et ulcérée (figure 2). Chez deux des patients, la lésion n’ayant pas de caractère évolutif et n’étant pas handicapante, aucun traitement particulier n’a été instauré. Le troisième se plaignant d’une augmentation du volume de la masse a d’abord subi un traitement conservateur par ponction aspiration. Au vu de la
Nous rapportons les cas de 3 patients âgés de 32, 37 et 53 ans qui présentent chacun une petite masse au niveau de l’hallux, en regard de l’articulation interphalangienne. Tous ces patients pratiquent régulièrement l’escalade à une fréquence de 3 fois par semaine depuis plusieurs années et aucun n’avait remarqué la présence de cette masse avant de débuter ce sport. En général, la lésion n’est ni douloureuse, ni gênante et n’empêche Tirés à part : M. ASSAL, voir adresse ci-dessus. e-mail :
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We report five ganglion cysts of the hallux in three patients related to the practice of sport climbing. Ganglion cysts are benign soft tissue lesions that are frequently found in the foot. They are located in areas under repetitive mechanical stress such as joint capsule or tendon. There are many theories on their etiology but none has been proven. To our knowledge, the development of a ganglion cyst in the foot related to sport climbing has never been reported in the literature. The majority of climbers wear climbing shoes that are several sizes smaller than their street shoes. The smaller shoe provides a rigid support to the foot and holds it artificially in a supinated position which maximizes the performances of the climber. Indeed, these climbing shoes increase the pressure on the feet and may play a role in the development of a ganglion cyst. This hypothesis might support a commonly accepted theory that trauma is a factor in the pathogenesis of ganglion cyst.
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récurrence de la masse, les ponctions furent répétées tous les 6 mois puis à des intervalles toujours plus resserrés, jusqu’à une fois par semaine. Chez ce patient une radiographie met en évidence une tuméfaction des parties molles au niveau de l’hallux. On constate également une érosion osseuse avec effraction en demi-lune juxta-articulaire de la phalange distale (figure 3). Au vu du caractère récidivant de la lésion et de la gêne qu’elle entraîne, l’indication d’une intervention chirurgicale pour son excision est retenue. Sous anesthésie loco-régionale, après l’excision d’un trajet fistuleux en communication avec la peau, on arrive sur un kyste contenant une grande quantité de liquide clair. Celui-ci semble provenir directement de l’articulation interphalangienne. Le kyste excisé, on atteint ensuite la phalange qui présente une vacuité également remplie de liquide
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synovial. Il n’y a pas de lésion suspecte de malignité. Le kyste et son contenu sont excisés et on procède à un curetage de l’os. À l’examen histopathologique, il n’y a pas de signe de malignité, ni d’infection. Les suites post-opératoires se sont déroulées sans complications et, jusqu’à présent, la lésion n’a pas récidivé. Le patient a pu reprendre la pratique de l’escalade.
Discussion Les kystes synoviaux, appelés ganglion cysts dans la littérature anglo-saxonne, sont des tumeurs bénignes dérivées du tissu conjonctif. Ce sont des masses kystiques, parfois multilobulaires, remplies d’un liquide similaire au liquide synovial et enveloppées d’une fine paroi. Ils ne sont pas considé-
1 3 2 FIG. 1. — Hallux gauche avec la présence d’une tuméfaction en regard de la face dorsale de l’articulation interphalangienne. FIG. 2. — Hallux avec la présence d’une tuméfaction légèrement inflammatoire et ulcérée en regard de l’articulation interphalangienne proximale. FIG. 3. — Radiographie de l’hallux mettant en évidence une érosion osseuse avec effraction en demi-lune de la phalange distale.
Vol. 23, n° 2, 2006
KYSTE SYNOVIAL DE L’HALLUX LIÉ À LA PRATIQUE DE L’ESCALADE
rés comme de vrais kystes car ils ne possèdent pas de revêtement épithélial. Les kystes synoviaux se développent principalement au niveau de la face dorsale du poignet et au niveau de la main [1, 2]. Dans les membres inférieurs, ils sont surtout localisés au niveau de la cheville et du pied [1, 2] où ils sont les tumeurs bénignes des tissus mous les plus fréquentes [2, 3]. Radiologiquement, la région du kyste est normale mais on peut parfois constater une érosion de l’os sous-jacent [1]. Plusieurs hypothèses ont été émises au sujet de leur pathogenèse et la plus acceptée actuellement voudrait que les kystes synoviaux résultent de la dégénérescence mucoïde du tissu conjonctif paraarticulaire et paratendineux [4-6]. Les kystes synoviaux sont situés dans des régions soumises à des contraintes mécaniques répétées, telles que les articulations ou les tendons. La répétition de ces contraintes entraîne une dégénérescence mucoïde du tissu conjonctif et la formation d’une substance gélatineuse et amorphe [1, 6]. Dans les cas rapportés, les patients présentent une masse fluctuante au niveau de l’articulation interphalangienne proximale de l’hallux. Le diagnostic différentiel comprend, entre autres, un lipome, un fibrome, un abcès et une tumeur maligne. Chez le patient que nous avons opéré, tant le liquide exprimé par le kyste que l’évolution naturelle de la lésion et l’absence de signes de malignité à l’examen histopathologique évoquent fortement le diagnostic de kyste synovial. La localisation d’un kyste synovial au niveau de l’orteil n’est pas fréquente [7]. L’anamnèse de chaque patient révèle que l’apparition du kyste est liée à la pratique de l’escalade. Ce sport est associé à des blessures de surcharge principalement au niveau du membre supérieur. On décrit également des lésions des tissus mous au niveau des pieds telles que points de pression, hématomes sous-unguéaux, ongles dystrophiques et infections [8, 9] mais à notre connaissance, l’apparition d’un kyste synovial suite à la pratique de l’escalade n’a jamais été rapportée. Le développement du kyste concomitant avec le début de l’escalade pourrait bien être fortuit. Pourtant, ce sport nécessite le port de chaussures spéciales. La plupart des grimpeurs les portent plusieurs tailles en dessous de la taille de leurs chaussures de ville, allant de 1 à 2,5 tailles plus petites [8, 9]. Ceci permet de diminuer l’espace entre le pied et la chaussure ainsi que le glissement du pied à l’intérieur de celle-ci. Elles apportent également plus de puissance et de stabilité au grimpeur, et améliorent la proprioception [8, 9]. Ces chaussures sont confectionnées de sorte que le pied est forcé à se
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conformer à la chaussure plutôt que le contraire. Le pied est ainsi contraint à se raccourcir en se mettant en supination et en contraction des orteils. La position du pied et la diminution de volume provoquent des points de surpression au niveau des tissus mous en regard des articulations interphalangiennes de l’hallux et des autres orteils, du dos du pied et de l’insertion du tendon d’Achille [9]. Lorsque le grimpeur prend appui sur la paroi en positionnant le pied perpendiculairement à celleci (technique appelée « front-pointing » qu’il utilise, par exemple, pour s’appuyer sur des petits angles), l’hallux porte une grande partie du poids corporel créant une pression importante entre la chaussure et la face dorsale de l’hallux [9]. Nos patients portent tous ce type de chaussures et au vu des contraintes qu’elles font subir au pied et en fonction de l’hypothèse selon laquelle les kystes synoviaux résultent d’une répétition de contraintes mécaniques au niveau des tissus mous, nous pouvons penser que le port de chaussure de taille inférieure et la pratique de l’escalade prédisposent à ce type de lésions. De plus, l’apparition d’une lésion identique et de même localisation au niveau du pied controlatéral soumis à des contraintes similaires par le port de chaussures d’escalade semble conforter cette hypothèse (figure 4).
FIG. 4. — Photographie de l’hallux controlatéral de celui de la figure 2 présentant une tuméfaction à la même localisation.
Conclusion Nous rapportons l’apparition de kystes synoviaux de l’hallux concomitant avec le port de chaussures spécialisées d’escalade. À notre connaissance, cette association n’a jamais été décrite dans la littérature médicale et nous émettons l’hypothèse
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que cette pathologie peut être rencontrée chez le grimpeur. Elle serait peu diagnostiquée car les kystes synoviaux sont peu symptomatiques [1]. RÉFÉRENCES [1] MCEVEDY BV. Simple Ganglia, B J Bone Joint Surg 1962 ; 49 : 585-594. [2] KIRBY EJ, SHEREFF MJ, LEWIS MM. Soft-Tissue Tumors and Tumor-Like Lesions of the Foot. J Bone Joint Surg 1962; 49: 585-594. [3] ROZBRUCH SR, CHANG V, BOHNE WHO, DELAND JT. Ganglion Cysts of the Lower Extremity. Orthopedics 1998; 21: 141-148.
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