La gnathostomose, une maladie exotique de plus en plus souvent importée dans les pays occidentaux

La gnathostomose, une maladie exotique de plus en plus souvent importée dans les pays occidentaux

Presse Med 2004; 33: 1527-32 M © 2004, Masson, Paris I S E A U P O I N T Parasitologie Marina C. Clément-Rigolet, Martin Danis, Eric Caumes Dé...

209KB Sizes 2 Downloads 113 Views

Presse Med 2004; 33: 1527-32

M

© 2004, Masson, Paris

I S E

A U

P O I N T

Parasitologie

Marina C. Clément-Rigolet, Martin Danis, Eric Caumes

Département des maladies infectieuses et tropicales et de parasitologie-mycologie, Groupe hospitalier PitiéSalpêtrière, Paris (75) Correspondance : Eric Caumes, Service des maladies infectieuses et tropicales, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, bd de l'Hôpital, 75651 Paris Cedex 13 Tél. : 01 42 16 01 14. Fax : 01 42 16 01 65. [email protected]

La gnathostomose, une maladie exotique de plus en plus souvent importée dans les pays occidentaux

Summary

Résumé

Gnathostomosis, an exotic disease increasingly imported into Western countries

Une helminthiase accidentelle chez l’homme La gnathostomose est une helminthiase animale due à un nématode du genre Gnathostoma. Ce genre comprend plusieurs espèces, dont la plus répandue est Gnathostoma spinigerum. L’homme est un hôte accidentel. La gnathostomose humaine est endémique dans certains pays d’Asie du Sud-Est et d’Amérique centrale. Elle est due à la consommation de viande ou de poisson cru ou insuffisamment cuit. Depuis le début des années 1980, on observe une augmentation du nombre de cas de gnathostomoses importées par les voyageurs dans les pays occidentaux. Dans la peau ou les viscères La gnathostomose est à l’origine d’un syndrome de larva migrans cutanée et/ou viscérale. Certaines localisations viscérales, notamment neurologiques, peuvent mettre en jeu le pronostic vital. Le diagnostic est parfois affirmé par la mise en évidence de la larve de gnathostome dans la peau ou les viscères. Mais, le plus souvent, le diagnostic repose sur un faisceau d’arguments épidémiologiques, cliniques et biologiques (hyperéosinophilie, sérodiagnostic positif). Albendazole et ivermectine Le traitement de référence est l’albendazole à la posologie de 400 mg une à deux fois par jour pendant 21 jours. L’efficacité de l’ivermectine demande à être évaluée plus précisément. Les rechutes sont possibles jusqu’à 24 mois après la guérison apparente.

An incidental helmithiasis in Man Gnathostomiasis is an helminthic disease of animals due to a nematode belonging to the gender Gnathostoma. This gender includes many species, the most frequent being Gnathostoma spinigerum. Man is an incidental host. Human gnathostomiasis is endemic in some countries of South-East Asia, and Latin America. It is due to the consumption of raw or insufficiently cooked meat or fish. Since the beginning of the eighties, there is an increasing number of cases of gnathostomiasis described in Western countries in travellers returning from endemic countries. In the skin or the viscera Gnathostomiasis is a cause of cutaneous and/or visceral larva migrans syndrome. Some visceral involvement, more particularly neurological forms, may lead to significant morbidity and mortality. The diagnosis is occasionally confirmed by the identification of the Gnathostoma larva in the skin or viscera. Most often the diagnosis relies on epidemiological, clinical and biological (hypereosinophilia, positive serologic test) grounds. Albendazole and ivermectine The first line treatment is albendazole, 400 mg once or twice a day during 21 days. The efficacy of ivermectin needs to be assessed more precisely. Relapses may occur up to 24 months after apparent cure. M. C. Clément-Rigolet, M. Danis, E. Caumes Presse Med 2004; 33: 1527-32 © 2004, Masson, Paris

L

a gnathostomose humaine est une helminthiase, endémique dans certains pays d’Asie du Sud-Est et d’Amérique latine,due à la consommation de viande ou de poisson cru ou insuffisamment cuit. L’homme est un hôte accidentel :les larves ingérées ne parviennent donc pas à maturation et entraînent un syndrome de larva migrans le plus souvent cutanée,parfois viscérale.La migration dans certains organes, en particulier le système nerveux central, peut causer la mort. La gnathostomose a été décrite en 1 Asie en 1889 . Elle ne peut pas être

4 décembre 2004 • tome 33 • n°21

considérée comme une maladie émergente, même si le nombre de cas importés dans les pays occidentaux augmente nettement depuis l’an 2000. Ces cas importés sont rares et le diagnostic est souvent fait tardivement.L’anamnèse et les signes cliniques caractéristiques de la gnathostomose doivent permettre d’évoquer la maladie à un stade précoce.

Généralités CYCLE PARASITAIRE La gnathostomose est une parasitose alimentaire due à un nématode du

genre Gnathostoma. Ce genre comprend plusieurs espèces,mais la plus répandue est Gnathostoma spinige2 rum .C’est aussi la première espèce du genre décrite par Owen en 1836 dans une tumeur stomacale,chez un tigre mort au Jardin zoologique de 3 Londres . Le cycle parasitaire est identique entre toutes les espèces de gnathostomes, avec seulement quelques variations dans les hôtes secondaires, paraténiques, et défini2 tifs . Les gnathostomes adultes vivent dans l’œsophage (Gnathostoma nipponicum), l’estomac (Gnathostoma La Presse Médicale - 1527

M

I S E

A U

P O I N T

Parasitologie spinigerum, Gnathostoma binucleatum), ou le foie (Gnathostoma miazakii) de mammifères, sauvages ou domestiques, canidés ou félidés, 2 hôtes définitifs . Les œufs déposés en milieu aquatique avec les fèces éclosent en 10 à 12 jours et donnent une larve L1. Celle-ci est alors ingérée par un crustacé d’eau douce du genre Cyclops, premier hôte intermédiaire, chez lequel elle se transforme en L2. Les Cyclops infectés sont à leur tour ingérés par un second hôte intermédiaire (poisson, amphibien, reptile, oiseau, mammi2 fère) , chez lequel la larve L2 se transforme en larve L3. Celle-ci s’enkyste dans la chair.Après ingestion par l’hôte définitif, les larves L3 maturent dans la paroi gastrique pendant 3 à 12 mois avant de se transformer en adultes qui vont larguer des œufs dans la lumière gas2 trique, ce qui clôt le cycle .

MODES DE CONTAMINATION L’homme est un hôte accidentel. Le principal mode de contamination est la consommation de chair crue ou insuffisamment cuite des seconds hôtes intermédiaires. La plupart des cas importés de gnathostomose sont associés à la consommation de poisson d’eau douce cru, en particulier le tilapia, préparé en plat traditionnel où le poisson marine à température ambiante pendant plusieurs jours dans du jus 4,5 de citron vert . La pénétration transcutanée des larves L3 a été prouvée expérimentalement chez le chat et la souris avec Gnathostoma spinigerum. Le temps moyen de pénétration est de 30 minutes, avec un minimum de 6 minutes. Le cycle s’effectue normalement jusqu’à la forme adulte, mais 6 il est plus court de cette manière . Chez l’homme,la migration larvaire, après pénétration cutanée, pourrait être semblable à celle trouvée chez l’hôte définitif et expliquer la maladie chez des patients qui nient avoir 1528 - La Presse Médicale

La gnathostomose, une maladie exotique de plus en plus souvent importée dans les pays occidentaux

mangé du poisson ou de la viande crue mais disent avoir préparé les 7 mets et les avoir manipulés crus . Enfin, il pourrait y avoir une transmission périnatale. Des infestations expérimentales avec Gnathostoma spinigerum ont été réalisées chez 22 souris en gestation ; sur 152 souriceaux, 2 hébergeaient chacun une larve de troisième stade enkystée, l’un dans le foie, l’autre dans les 8 muscles intercostaux .De plus,chez l’homme, une larve de troisième stade immature a été extraite d’une lésion thoracique serpigineuse chez un bébé de 3 jours, une autre au niveau péri-ombilical chez un bébé 8 de 1 mois nourri au sein .Radomyos et Daengsvang ont observé en 1987 une gnathostomose cutanée chez un bébé de 7 jours, dont la mère avait e contracté la maladie au 5 mois de 9 grossesse . Ces cas sont extrêmement rares et le mode de transmission n’a pas été décrit, même si une transmission prénatale semble la 9 plus probable .

RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE Jusqu’en 1970, la gnathostomose était essentiellement endémique en Asie du Sud-Est, et la plupart des cas étaient observés en Thaïlande et au

Japon, en raison des habitudes alimentaires de la population : sushi et sashimi au Japon, som fak en Thaï2 lande, à base de poisson cru . Dans certaines zones de Thaïlande, et en particulier à Bangkok, le taux d’infection de certains poissons d’eau 10 douce va de 53 à 100 % . À partir de 1970, des centaines de cas ont été décrits en Amérique latine et en particulier au Mexique (figure 1), où la maladie est en 2004 11 un problème de santé publique . L’importation de tilapias de Thaïlande en 1964, afin de peupler les lacs artificiels dans un but de production de masse, est probablement à l’origine de l’apparition de la maladie dans ces régions, qui produisent 700 à 900 tonnes de poisson par 12,13 . an À côté de ces principaux foyers actuels, quelques cas sporadiques autochtones ont été décrits en Inde, 2 Indonésie,Australie , Océanie, mais 14 aussi en Espagne . En 2003, alors que l’on pensait que le continent africain n’était pas concerné par la maladie, 2 cas ont été décrits en 15 Zambie .Trois cas avaient été observés en Tanzanie en 1994 mais non publiés. L’Afrique est une nouvelle zone à risque.

Zones endémiques Cas d’importation Cas sporadiques Échelle à l’Équateur : 0

2000 km

Figure 1 Répartition mondiale de la gnathostomose 4 décembre 2004 • tome 33 • n°21

M. C. Clément-Rigolet, M. Danis, E. Caumes

La gnathostomose fait partie des risques chez les voyageurs qui ne respectent pas les précautions alimentaires classiques en voyage.Ce mode de contamination rend compte de la fréquence croissante des cas importés dans les pays occidentaux.

Cas importés dans les pays occidentaux Depuis la fin des années 1990, un nombre croissant de cas de gnathostomose a été décrit chez les voyageurs et les immigrés dans les pays occidentaux (tableau 1).Au moins 40 cas de gnathostomoses importées ont été rapportés depuis 1981, dont 25 cas au cours de la seule année 2003, ce qui évoque l’émergence de cette maladie dans les pays 15,29-32 .En France,le preoccidentaux mier cas a été diagnostiqué chez une 21 immigrée laotienne en 1988 et, depuis l’an 2000, 7 cas ont été 27,28,31 . décrits chez des voyageurs Le retard au diagnostic est parfois considérable, allant de quelques mois à plusieurs années. Au Royaume-Uni, le délai moyen entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic est de 12 mois 32 en moyenne (3 semaines à 5 ans) . Ce retard s’explique à la fois par la méconnaissance de la maladie et le caractère intermittent des symptômes qui, lorsqu’ils disparaissent, peuvent faire croire à tort à une guérison.

Quand penser à une gnathostomose ? Si la gnathostomose est le plus souvent bénigne, elle peut avoir des conséquences dramatiques,en particulier lors de migrations larvaires oculaires ou neurologiques,et le diagnostic doit être fait rapidement. C’est dire l’importance de reconnaître la maladie devant certains signes cliniques d’autant plus que le patient a voyagé en zone d’endémie. 4 décembre 2004 • tome 33 • n°21

Tableau 1

Gnathostomoses importées dans les pays occidentaux par ordre chronologique de description depuis 1980 Auteur, année, pays

Pays d’acquisition

Nombre de cas

Forme clinique

Éosinophilie

Traitement

Thaïlande

1

cutanée

63 % (10 080/mm3)

extraction chirurgicale

Philippines

1

oculaire

4%

extraction chirurgicale

Népal

1

pulmonaire

50 % 3 (6 500/mm )

extraction chirurgicale + diéthylcarbamazine

Thaïlande

1

cutanée

11 % (540/mm3)

extrusion spontanée

Thaïlande

1

cutanée

14 % (850/mm3)

extraction chirurgicale

Thaïlande

1

cutanée

3 250/mm

diéthylcarbamazine

Bangladesh

1

pulmonaire

21 % 3 (1 570/ mm )

AINS

Thaïlande

1

cutanée

Thaïlande

1

cutanée

56 % 3 (12 712/mm )

albendazole

Vietnam

1

cutanée

58 % 3 (13 100/mm )

albendazole

Bangladesh

1

cutanée

26 % (2 510/mm3)

albendazole

Bangladesh

1

intra-oculaire

11 % 3 (1 111/ mm )

extraction chirurgicale + albendazole

Japon

1

méningée

N

albendazole

Pérou

1

cutanée

31 % (2 700/mm3)

albendazole puis ivermectine

Mexique

1

cutanée

21 % 3 (2 961/ mm )

albendazole

Thaïlande, Mexique

2

cutanée

N à 3 600/mm3

albendazole

Thaïlande

1

cérébrale

34 %

albendazole

Zambie

2

cutanée

25 et 55,5 % (3 975 et 11 083/mm3)

albendazole

Vietnam

1

cutanée

24 % (1 512/mm3)

albendazole

Cambodge, Vietnam, Thaïlande

5

cutanée

37 % 3 (3 245/mm )

albendazole (1 à 5 cures)

cutanée et viscérale

0 à 4 370/mm3

albendazole (1 à 2 cures)

16

Stowens et Simon 1981 - États-Unis 17

Tudor et Blair 1981 - États-Unis 18

Nagler et al. 1983 - Israël

19

Kagen et al. 1984 - États-Unis 20

Raturi et Burkhalter 1986 - États-Unis 21

Chabasse et al. 1988 - France 22

Dow et al. 1988 - Royaume-Uni 7

Rusnak et Lucey 1993 - États-Unis 23

Jelinek et al. 1994 - Allemagne 24

Crowley et al. 1995 - États-Unis 25

Grobusch et al. 2000 - Allemagne 26

Qahtani et al. 2000 - Canada

27

Chandenier et al. 2001 - France 5

Chappuis et al. 2001 - Suisse

28

Del Giudice et al. 2001 - France 4

Puente et al. 2002 - Espagne 29

Germann et al. 2003 - Allemagne 15

Hale et al. 2003 - États-Unis 30

Kunzle et al. 2003 - Suisse

Ménard et al.31 2003 - France 32

Moore et al. 2003 Royaume-Uni

Chine, Corée du Sud, 16 Asie du Sud-Est, Sous-continent indien, Amérique centrale et du Sud

CLINIQUE La phase d’invasion est mal connue car elle est de durée courte et a fait

3

15 % (1 800/mm3) praziquantel à 64 % (15 500/mm3) puis thiabendazole

l’objet de très peu de publications. Les symptômes apparaissent généralement 24 à 48 h après le repas La Presse Médicale - 1529

M

I S E

A U

P O I N T

La gnathostomose, une maladie exotique de plus en plus souvent importée dans les pays occidentaux

Parasitologie 15

infestant , mais peuvent survenir 33 après seulement quelques heures . L’infestation aiguë peut être associée à une fièvre, des nausées, des diarrhées, des maux de tête, un malaise général avec des signes respiratoires (maux de gorge, toux, difficultés à respirer, bronchite). Elle dure de 24 13 à 48 h . À la phase d’état, les larves L3 ingérées sont en impasse parasitaire chez l’homme. Elles ne peuvent poursuivre leur développement. Elles traversent la paroi gastrique et entraînent un syndrome de larva migrans cutanée ou viscérale. Dans la plupart des cas, cette larva migrans est cutanée. Deux principaux types de lésions cutanées sont décrits : œdème sous-cutané érythémateux à type de panniculite,migratoire, intermittent, et plus rarement cordon sous-cutané serpigineux, se déplaçant à la vitesse maximale de 1 24,31 . Les œdèmes migrateurs cm/h peuvent siéger n’importe où mais ils sont généralement localisés sur le tronc, le haut du corps et les 24 cuisses . Souvent associées à un prurit ou à une gêne locale, ces manifestations cutanées durent 7 à 7 10 jours . Elles débutent en général 3 à 5 semaines après l’absorption des larves, mais il est possible qu’elles apparaissent après seule34 ment une semaine . Dans certains cas, la maladie reste silencieuse pendant des mois, voire des années, ce qui complique le diagnostic lors de la survenue brutale des symptômes. La gnathostomose cutanée évolue sur un mode récurrent,avec des épisodes survenant en moyenne toutes les 2 à 4 semaines, l’intervalle séparant 2 poussées dépassant rarement 35 6 mois , mais pouvant aller jusqu’à 21 3 ans . Sans traitement, les symptômes peuvent durer plusieurs années, jusqu’à 12 ans, tant que les parasites sont vivants, les épisodes devenant moins fréquents et moins 2 intenses au fil du temps . La ré-infestation est bien sûr possible en pays 1530 - La Presse Médicale

d’endémie et il est alors délicat de faire la différence avec une récurrence. Exceptionnellement, la ou les larves peuvent sortir spontanément 19 de la peau . De façon beaucoup plus rare, les larves L3 peuvent migrer dans les organes profonds, entraînant des signes divers en fonction des localisations. Celles-ci peuvent être pul18,22 , gastro-intestinales36, monaires 37 26 génito-urinaires , oculaires , auri38 culaires , ou encore neurolo27,39-41 . Les localisations neugiques rologiques, rares, peuvent se manifester par une encéphalite, une atteinte des paires crâniennes, une myélite avec paraplégie ou quadriplégie, une radiculite ou encore par des hémorragies sous-arachnoï39 diennes . Le tableau est très souvent complété par une méningite à 39-41 . Si le patient est éosinophiles traité tardivement, les séquelles peuvent être irréversibles, en raison des lésions provoquées par la migration des larves dans le sys27,39 . Ces locatème nerveux central lisations viscérales peuvent survenir de novo, sans manifestations cutanées préalables. Chitanondh et Rosen ont observé le cas d'une Thaïlandaise friande de poisson cru, qui s'était plainte de douleurs abdominales pendant plusieurs mois, puis d'une hypoesthésie des membres aboutissant à une paraplégie. Le diagnostic fut posé en post-mortem, par la découverte de larves de Gnathostoma spinigerum au niveau du cer veau et de la moelle épinière. La patiente n'avait 41 jamais eu de symptômes cutanés .

BIOLOGIE La gnathostomose entraîne peu de modifications biologiques, à part une hyperéosinophilie, fréquente mais non obligatoire. Dans la série de cas importés au Royaume-Uni, seuls 7 patients sur 16 avaient une 32 hyperéosinophilie . C’est donc un argument de présomption mais son

absence ne doit pas faire exclure d’emblée la gnathostomose. Dans une étude réalisée au Mexique sur 300 cas de gnathostomose, seuls 70 % comportaient une hyperéosi13 nophilie . Lorsqu’elle est présente, l’hyperéosinophilie peut atteindre des taux très importants, souvent 3 supérieurs à 3 000/mm (tableau 1) et pouvant aller jusqu'à 3, 41 . Si elle ne peut 15 000/mm constituer un critère diagnostique, elle peut cependant être utilisée comme marqueur de la réponse au traitement. En effet, pour les 3 patients de la série de cas importés au Royaume-Uni, qui avaient eu une deuxième cure d’albendazole, la rechute a été précédée d’une ré32 augmentation des éosinophiles . Dans un cas de gnathostomose importée, l'hyperéosinophilie était passée de 63 à 6 %, seulement 4 jours après l'extraction chirurgicale 16 d'une larve . Dans les grandes hyperéosinophilies, les IgE sont augmentées jusqu’à plus de 20 fois la normale 13,18,25,30 . (N < 100 UI/mL) La vitesse de sédimentation est le plus souvent augmentée, mais peut 28,31 . aussi être normale

Comment confirmer le diagnostic ? DIAGNOSTIC PARASITOLOGIQUE Le diagnostic ne peut être certain que par la mise en évidence de la larve de gnathostome après extraction de la peau ou d’un viscère. Des critères microscopiques (taille et morphologie des cellules de la paroi de l’intestin de la larve de gnathostome) permettent de définir l’es34,42 . C'est la seule pèce responsable méthode permettant de poser le diagnostic d'espèce. Il est difficile d’isoler la larve dans la lésion cutanée, en particulier lorsque celle-ci se présente sous la forme d’une panniculite, car la larve L3 mesure moins de 1 cm (entre 4 décembre 2004 • tome 33 • n°21

M. C. Clément-Rigolet, M. Danis, E. Caumes

2200 et 3500 µm) et la taille des lésions cutanées est souvent importante.L’extraction est théoriquement plus aisée en cas de dermatite rampante, mais la migration rapide du parasite (1 cm/h) rend l’extraction 24 délicate . Au Mexique, la biopsie cutanée est positive chez 34,3 % des patients ayant une gnathostomose 13 cutanée . Au Japon, une larve de gnathostome était isolée chez 1 des 6 patients décrits dans une étude publiée en 1998 ; la larve avait été isolée dans seulement 5 des 30 autres cas qu’ils avaient observés au 43 cours des années précédentes . L’extraction cutanée de la larve peut être favorisée par le traitement médical,celui-ci pouvant entraîner l’issue du ver à la peau d’où il peut être extrait.Cet événement survient dans les 3 jours suivant le début du traitement et a été observé chez 5 % des patients traités par ivermectine et 6 % de ceux traités par albenda44 zole .

DIAGNOSTIC SÉROLOGIQUE La méthode de diagnostic la plus utilisée est fondée sur des tests sérologiques. L’Elisa (Enzyme Linked Immunosorbent Assay) semble être le meilleur test sérologique. L’université de Mahidol à Bangkok a étudié le complexe antigénique entraînant la synthèse d’anticorps anti Gnathostoma, par PAGE-SDS et western-blot. Ce complexe comprend plus de 20 bandes antigéniques, parmi lesquelles celle de 24 kd est spécifique de l’infection à Gnatho45 stoma sp. . La purification de cet antigène, issu de la larve L3 de Gnathostoma spinigerum obtenue à partir d’anguilles, permet d’obtenir une 46 sensibilité de 100 % . L’Elisa a l’intérêt de permettre le diagnostic d’une infection active à Gnathostoma, comme l’ont prouvé des cas de séro-réversion après retrait 47 4,35 des vers ou après traitement . La technique de western-blot, utilisant également l’antigène de 24 kd, 4 décembre 2004 • tome 33 • n°21

peut aussi être utilisée, avec les mêmes taux de sensibilité et de spé29 cificité . En 2004, la sérologie n’est pas disponible en France en raison des difficultés d’obtention des larves L3 de Gnathostoma spinigerum. Les sérologies peuvent cependant être envoyées au Département d’helminthologie de la faculté de médecine tropicale de l’Université Mahidol, à Bangkok.

Traitement Jusqu'en 1993, le traitement était quasi exclusivement chirurgical (tableau 1).À partir de 1994,l'albendazole a été le traitement de choix de la gnathostomose. Dans une étude comparative, le taux de guérison était de 94 % avec l’albendazole (400 mg 1 ou 2 fois/jour) pendant 35 21 jours . Mais, dans les études de cas importés, avec une durée d’observation prolongée, des rechutes, qui ne pouvaient pas être mises sur le compte d’une ré-infestation, ont été observées. Dans de tels cas, une deuxième cure, voire davantage, a été nécessaire pour obtenir la guéri31,32 . Une durée d’observation son prolongée est toujours nécessaire. Dans une série de 5 cas de gnathostomose cutanée importés en France,3 patients ont rechuté de 1 à 3 fois, les dernières rechutes survenant 14, 15 et 20 mois après la gué31 rison apparente . L'ivermectine a été expérimentée avec succès chez des lapins infectés avec des larves L3 de Gnathostoma 48 spinigerum . Un essai comparatif réalisé en Thaïlande en 2000 chez 70 patients a montré que l’ivermectine à la dose de 200 µg/kg/j en une prise à jeun était aussi efficace que l’albendazole (95,2 % d'efficacité pour l'ivermectine versus 93,8 % 44 pour l'albendazole) . L’ivermectine pourrait remplacer l'albendazole dans le traitement de la gnathostomose en raison de sa bonne tolé-

rance et de la rapidité du traitement, ce qui améliore la compliance du 5 patient . En 2004, elle est administrée soit en première intention, soit en cas de récidive après une cure d'albendazole. Mais des récidives et des échecs ont été décrits avec 31 l'ivermectine .

Prévention La prévention concerne les voyageurs, immigrants de retour au pays et touristes, qui partent en zones d’endémie. La principale recommandation est d’éviter de manger du poisson cru, même s’il est mariné dans le citron vert. En effet, la marinade a une efficacité très limitée.Les larves résistent dans le vinaigre pendant 5 heures, la sauce au soja pendant 12 heures, et le jus de citron pendant 5 jours à température 49 ambiante et 30 jours à +4°C . Le fait de manger des sushis ou autres préparations à base de poissons crus en dehors des zones d’endémie ne présente pas les mêmes risques de contamination à l’égard de la gnathostomose, même si les poissons sont importés. En effet, ces poissons arrivent congelés, et les larves de gnathostomes sont tuées par la congélation à –20°C pendant 50 3 à 5 jours .

Conclusion Depuis près de 20 ans, des cas de gnathostomose sont diagnostiqués dans les pays occidentaux. Mais on ne peut pas pour autant parler de maladie émergente pour cette pathologie endémique depuis longtemps en Asie et depuis peu en Amérique latine.La présence de cas dans les pays occidentaux est due à la conjonction de plusieurs facteurs : immigration,voyages de plus en plus fréquents dans les zones endémiques, méconnaissance du risque chez les voyageurs, amélioration du diagnostic. ■

Intervention recueillie dans le cadre de la journée organisée pour la Semaine Médicale des Hôpitaux de Paris, 4e trimestre 2003

La Presse Médicale - 1531

M

I S E

A U

P O I N T

La gnathostomose, une maladie exotique de plus en plus souvent importée dans les pays occidentaux

Parasitologie Références

1 Levinsen GMR. Om en ny Rundom hos mennesket Cheiracanthus siamensis n. sp. Vidensk. meddel. fra naturk. Foren i Kjbenhaven f 1889; 323-6. 2 Daengsveng S. Gnathostomiasis in Southeast Asia. Southeast Asian J Trop Med Public Health 1981; 12: 319-32. 3 Owen R. Anatomical descriptions of two species of Entozoa from the stomach of a tiger (Felis tigris Linn.), one of which forms a new genus of Nematoidea, Gnathostoma. Proc Zool Soc Lond 1836; 47: 123-6. 4 Puente S, Garate T, Grobusch MP et al. Two cases of imported gnathostomiasis in Spanish women. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 2002; 21: 617-20. 5 Chappuis F, Farinelli T, Loutan L. Ivermectin treatment of a traveler who returned from Peru with cutaneous gnathostomiasis. Clin Infect Dis 2001; 33: e17-19. 6 Daengsvang S, Sermswatsri B. Penetration of the skin by Gnathostoma spinigerum larvae. Ann Trop Med Parasitol 1970; 64: 399-402. 7 Rusnak JM, Lucey DR. Clinical gnathostomiasis: case report and review of the English-language literature. Clin Infect Dis 1993; 16: 33-50. 8 Daengsvang S. Further observations on the experimental transmission of Gnathostoma spinigerum. Ann Trop Med Parasitol 1968; 62: 88-94. 9 Radomyos P, Daengsvang S. A brief report on Gnathostoma spinigerum specimens obtained from human cases. Southeast Asian J Trop Med Public Health 1987; 18: 215-17. 10 Setasuban P, Nuamtanong S, Rojanakittikoon V et al. Gnathostomiasis in Thailand: a survey on intermediate hosts of Gnathostoma spp. with special reference to a new type of larvae found in Fluta alba. Southeast Asian J Trop Med Public Health 1991; 22 Suppl: 220-4. 11 Rojas-Molina N, Pedraza-Sanchez S, Torres-Bibiano B, Meza-Martinez H, Escobar-Gutierrez A. Gnathostomosis, an emerging foodborne zoonotic disease in Acapulco, Mexico. Emerg Infect Dis 1999; 5: 264-6. 12 Martinez-Cruz JK, Bravo-Zniudo R, Aranda-Patraca A. La gnathostomiasis in Mexico. Salud Publica Mex 1989; 31: 541-9. 13 Diaz-Camacho SP, Ramos MZ, Ponce Torrecillas E et al. Clinical manifestations and immunodiagnosis of gnathostomiasis in Culiacan, Mexico. Am J Trop Med Hyg 1998; 59: 908-15. 14 Montero E, Montero J, Rosales MJ, Mascaro C. Human gnathostomosis in Spain: first report in humans. Acta Trop 2001; 78: 59-62. 15 Hale DC, Blumberg L, Frean J. Case report: gnathostomiasis in two travelers to Zambia. Am J Trop Med Hyg 2003; 68: 707-9. 16 Stowens D, Simon G. Gnathostomiasis in Oneida County. N Y State J Med 1981; 81: 409-10. 17 Tudor RC, Blair E. Gnathostoma spinigerum: an unusual

1532 - La Presse Médicale

18

19

20 21

22 23 24 25

26

27

28

29

30

31

32

33

34

cause of ocular nematodiasis in the western hemisphere. Am J Ophthalmol 1971; 72: 185-90. Nagler A, Pollack S, Hassoun G, Kerner H, Barzilai D, Lengy J. Human pleuropulmonary gnathostomiasis: a case report from Israel. Isr J Med Sci 1983; 19: 834-7. Kagen CN, Vance JC, Simpson M. Gnathostomiasis. Infestation in an Asian immigrant. Arch Dermatol 1984; 120: 508-10. Raturi U, Burkhalter W. Gnathostomiasis externa: a case report. J Hand Surg [Am] 1986; 11: 751-3. Chabasse D, Cauchy AC, de Gentile L, Bouchara JP. Gnathostomose humaine révélée par un syndrome de larva migrans cutané. A propos d’un cas. Bull Soc Pathol Exot 1988; 81: 326-31. Dow C, Chiodini PL, Haines AJ, Michelson SMC. Human gnathostomiasis. J Infect 1988; 17: 147-9. Jelinek T, Ziegler M, Loscher T. Gnathostomiasis after a stay in Thailand. Dtsch Med Wochenschr. 1994; 119: 1618-22. Crowley JJ, Kim YH. Cutaneous gnathostomiasis. J Am Acad Dermatol 1995; 33: 825-8. Grobusch MP, Bergmann F, Teichmann D, Klein E. Cutaneous gnathostomiasis in a woman from Bangladesh. Int J Infect Dis 2000; 4: 51-4. Qahtani F, Deschenes J, Ali-Khan Z et al. Intraocular gnathostomiasis: a rare Canadian case. Can J Ophthalmol 2000; 35: 35-9. Chandenier J, Husson J, Canaple S et al. Medullary gnathostomiasis in a white patient: use of immunodiagnosis and magnetic resonance imaging. Clin Infect Dis 2001; 32: e154-7. del Giudice P, Dellamonica P, Durant J et al. A case of gnathostomiasis in a European traveller returning from Mexico. Br J Dermatol 2001; 145: 487-9. Germann R, Schächtele M, Nessler G, Seitz U, Kniehl E. Cerebral gnathostomiasis as a cause of an extended intracranial bleeding. Klin Pädiatr 2003; 215: 223-5. Kunzle N, Laffitte E, De Heller HK, Landry P, Panizzon RG. Intermittent cutaneous tumefaction after a trip to Vietnam. Ann Dermatol Venereol 2003; 130: 463-4. Ménard A, Dos Santos G, Dekumyoy P et al. Imported cutaneous gnathostomiasis : report of five cases. Trans R Soc Trop Med Hyg 2003 ; 97: 200-2. Moore DA, McCroddan J, Dekumyoy P, Chiodini PL. Gnathostomiasis: an emerging imported disease. Emerg Infect Dis 2003; 9: 647-50. Migasena S, Pitisuttithum P, Desakorn V. Gnathostoma larva migrans among guests of a New Year party. Southeast Asian J Trop Med Public Health 1991; 22 Suppl: 225-7. Akahane H, Sano M, Kobayashi M. Three cases of human gnathostomiasis caused by Gnathostoma hispidum with particular reference to the identification of parasitic larvae. Southeast Asian J

Trop Med Public Health 1998; 29: 611- 14. 35 Kraivichian P, Kulkumthorn M, Yingyourd P, Akarabovorn P, Paireepai CC. Albendazole for the treatment of human gnathostomiasis. Trans R Soc Trop Med Hyg 1992; 86: 418-21. 36 Ratanarapee S, Jesadapatarakul S. A case of gnathostomiasis simulating acute appendicitis. J Med Assoc Thai 1982; 65: 443-7. 37 Horohoe JJ, Ritterson AL, Chessin LN. Urinary gnathostomiasis. J Am Med Assoc 1984; 251: 255-6. 38 Cutchavaree A, Supiyaphun P, Sitthichareonchai P, Suphanakorn S. A case of aural gnathostomiasis. Auris Nasus Larynx 1985; 12: 163-7. 39 Boongird P, Phuapradit P, Siridej N, Chirachariyavej T, Chuahirun S, Vejjajiva A. Neurological manifestations of gnathostomiasis. J Neurol Sci 1977; 31: 279-91. 40 Bunnag T, Comer DS, Punyagupta S. Eosinophilic myeloencephalitis caused by Gnathostoma spinigerum. Neuropathology of nine cases. J Neurol Sci 1970; 10: 419-34. 41 Chitanondh H, Rosen L. Fatal eosinophilic encephalomyelitis caused by the nematode Gnathostoma spinigerum. Am J Trop Med Hyg 1967; 16: 638-45. 42 Taniguchi Y, Ando K, Isoda K, Shimizu M, Sonobe K. Human gnathostomiasis: successful removal of Gnathostoma hispidum. Int J Dermatol 1998; 31: 175-7. 43 Kurokawa M, Ogata K, Sagawa MS, Miyaoka Y, Noda S, Nawa Y. Cutaneous and visceral larva migrans due to Gnathostoma doloresi infection via an unusual route. Arch Dermatol 1998; 134: 638-9. 44 Nontasut P, Bussaratid V, Chullawichit S, Charoensook N, Visetsuk K. Comparison of ivermectin and albendazole treatment for gnathostomiasis. Southeast Asian J Trop Med Public Health 2000; 31: 374-7. 45 Tapchaisri P, Nopparatana C, Chaicumpa W, Setasuban P. Specific antigen of Gnathostoma spinigerum for immunodiagnosis of human gnathostomiasis. Int J Parasitol 1991; 21: 315-19. 46 Nopparatana C, Setasuban P, Chaicumpa W, Tapchaisri P. Purification of Gnathostoma spinigerum specific antigen and immunodiagnosis of human gnathostomiasis. Int J Parasitol. 1991 ; 21: 677-87. 47 Morakote N, Umponawarat K, Boornes C. A case of gnathostomiasis with seroconversion to negativity after worm removal. Southeast Asian J Trop Med Public Health. 1991; 22: 141-2. 48 Anantaphruti MT, Nuamtanong S, Waikagul J. Effect of ivermectin on experimental gnathostomiasis in rabbits. Trop Med Parasitol 1992; 43: 65-7. 49 Daengsvang S. Human gnathostomiasis in Siam with reference to the method of prevention. J Parasitol 1949; 35: 116-21. 50 Chesney TM. Sushi and the skin. J Cutan Pathol 1991; 18: 65-6.

4 décembre 2004 • tome 33 • n°21