Articles scientifiques Cas clinique
Ann Dermatol Venereol 2005;132:983-5
La gnathostomose, une parasitose émergente ? P. DEL GIUDICE (1, 2), E. CUA (2), Y. LE FICHOUX (3), P. MARTY (3), E. CAUMES (4), P. DELLAMONICA (2)
Résumé
Summary
Introduction. La gnathostomose humaine est une parasitose due à l’ingestion d’aliments parasités par les larves de différentes espèces du genre Gnathostoma. Cette zoonose est actuellement endémique en Asie et en Amérique centrale.
Introduction. Human gnathostomiasis is a parasitic disease caused by the ingestion of foods contaminated with the larvae of various species of Gnathostoma. This zoonosis is currently endemic in Asia and Central America.
Observation. Une femme de 46 ans, française expatriée au Vietnam avait des épisodes d’œdème, récidivants, prurigineux, de la main évoluant depuis 1 an associé à une hyperéosinophilie sanguine. L’anamnèse et la sérologie confirmaient le diagnostic de gnathostomose. L’évolution était favorable après traitement par albendazole.
Case report. A 46-year-old French woman resident in Vietnam presented with intermittent pruritic swelling of the hand, present for one year, coupled with eosinophilia. The patient’s history and serological testing confirmed the suspected diagnosis of gnathostomiasis. A favorable outcome was attained on treatment with albendazole.
Discussion. Cette observation avec plusieurs autres récemment rapportées en France et en Europe souligne la nécessité d’informer les voyageurs et les migrants dans les régions endémiques des risques encourus par la consommation de poissons crus ou marinés.
Discussion. This case, together with several others recently reported in France and Europe, underlines the need to inform travelers and migrants to endemic regions of the risks associated with eating raw or marinated fish.
Gnathostomiasis: an emerging parasitic disease? P. DEL GIUDICE, E. CUA, Y. LE FICHOUX, P. MARTY, E. CAUMES, P. DELLAMONICA Ann Dermatol Venereol 2005;132:983-5
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a gnathostomose humaine est une parasitose due à l’ingestion d’aliments parasités par les larves de différentes espèces du genre Gnathostoma [1]. Cette zoonose est actuellement endémique en Asie et en Amérique centrale [1-4]. Un nombre croissant d’observations sont rapportées dans la littérature provenant des deux foyers principaux, le Mexique et certains pays d’Asie du Sud-Est, touchant des sujets autochtones comme des touristes. Nous rapportons un nouveau cas chez une Française expatriée au Vietnam.
montant sur l’avant-bras s’accompagnant de prurit, depuis 1 an (fig. 1). La formule sanguine montrait 7 400 leucocytes avec 10 p. 100 de polynucléaires éosinophiles. La recherche répétée de microfilaires sanguicoles ainsi que la sérologie des filarioses étaient négatives. La malade avait reçu plusieurs traitements d’épreuve antihelminthiques tels que 2 cures de thiabendazole (Mintezol®), une prise de praziquantel (Biltricide®). L’œdème avait régressé pendant 4 mois
Observation Une femme âgée de 46 ans, française expatriée, vivant à Saigon au Vietnam depuis 6 ans, consultait dans le service d’Infectiologie (Centre Hospitalier Universitaire de Nice) pour un œdème d’apparition intermittente de la main re-
(1) Unité de Maladies Infectieuses et Dermatologie, Hôpital Bonnet, Fréjus. (2) Service des Maladies Infectieuses et Tropicales, Hôpital l’Archet 1, CHU Nice. (3) Laboratoire de Parasitologie-Mycologie, Hôpital l’Archet 2, CHU Nice. (4) Service des Maladies Infectieuses et tropicales, Hôpital Pitié Salpétrière, Paris. Tirés à part : P. DEL GIUDICE, Unité de Maladies Infectieuses et Dermatologie, Hôpital Bonnet, Avenue André Léotard, 83700 Fréjus. E-mail :
[email protected]
Fig. 1. Œdème d’apparition intermittente du dos de la main.
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puis était réapparu au même endroit sur le dos de la main, prurigineux, intermittent. Elle avait alors reçu un traitement par ivermectine (Stromectol®) 12 mg sans efficacité. Du fait de la négativité des examens parasitologiques répétés, de la présence d’une hyperéosinophilie sanguine et surtout de son lieu de résidence, la possibilité d’une gnathostomose avait été suggérée. L’interrogatoire n’avait pas clairement établi de conduite à risque exposant à la gnathostomose telle que consommation de poisson cru, mais celle-ci ne pouvait être exclue totalement. Un traitement par albendazole (Zentel®) (traitement habituellement proposé dans cette parasitose) était prescrit dans l’attente du résultat de la sérologie. Ce traitement avait pour résultat une amélioration et une disparition des poussées d’œdème. La sérologie réalisée par la technique du Western blot était positive (Pr Dekumyoy, Université de Mahidol, Bangkok, Thailande).
Discussion La certitude diagnostique de gnathostomose repose sur l’isolement et l’identification du parasite [1]. Dans quelques cas la biopsie cutanée a permis cet isolement. Chez la malade présentée cet isolement n’était pas réalisable aisément. À défaut de cet examen, les éléments anamnestiques, cliniques et biologiques permettent un diagnostic de forte présomption : contexte épidémiologique compatible (sujet vivant ou ayant voyagé en pays d’endémie et ayant consommé des mets contenant du poisson cru ou mariné), présentation clinique évocatrice (œdèmes récurrents, ou sillon serpigineux), hyperéosinophilie sanguine et sérologie Gnathostoma positive [3, 4]. Chez cette malade tous ces éléments étaient réunis pour porter le diagnostic de gnathostomose. La symptomatologie de la gnathostomose humaine est due à la migration des larves de nématodes du genre Gnathostoma. Chez l’homme la larve est en impasse parasitaire. Le site de migration le plus fréquent est la peau, mais la larve peut migrer vers les organes profonds avec des complications potentielles graves [1]. Le genre Gnathostoma comprend 12 espèces dont la plus importante en pathologie humaine est G. spinigerum. Le cycle des Gnathostoma spp, quasi identique pour toutes les espèces de Gnathostoma est complexe et fait intervenir 2 hôtes intermédiaires : un petit crustacé, le cyclops ingéré par un second hôte intermédiaire. Ces seconds hôtes sont très divers incluant poissons, grenouilles, reptiles, oiseaux et autres petits animaux [1-4]. Les hôtes définitifs sont représentés par les chats, les chiens et les autres carnivores. Dans ce cycle l’homme est un hôte accidentel et représente donc une impasse parasitaire. Il se contamine par l’ingestion de la chair crue de l’hôte intermédiaire intervenant dans le cycle du parasite (iconographie du parasite disponible sur : www.dpd.cdc.gov/dpdx/HTML/ImageLibrary/Gnathostomiasis_il.htm). Les larves migrent habituellement depuis l’estomac vers la peau et parfois les organes profonds [1]. Chez l’homme, les larves sont responsables d’un syndrome de larva migrans viscérale et cutanée. Les larves peuvent avoir une migration vis984
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cérale qui fait la gravité de l’affection. Mais les migrations qui sont les plus redoutables sont celles qui touchent le système nerveux central à l’origine de complications telles que myélites, encéphalites, hémorragies sous-arachnoïdiennes [1]. La migration larvaire cutanée est responsable chez l’homme de deux principales manifestations cutanées. Il s’agit soit d’un ou de plusieurs œdèmes migrateurs, intermittents, très discrètement inflammatoires, soit plus rarement d’un cordon serpigineux migrateur [1]. Les 2 types de manifestations peuvent être présents chez un même malade à des moments différents. Ces lésions ont pour caractéristique d’être prurigineuses et de récidiver pendant des mois et des années. Le principal diagnostic différentiel devant des œdèmes migrateurs et récidivants associés à une hyperéosinophilie sanguine au retour d’une zone tropicale est la loase (« œdème de Calabar »). Mais cette affection n’est localisée qu’en Afrique centrale. Le diagnostic différentiel est l’urticaire chronique à type d’angio-oedèmes. Les autres diagnostics à discuter sont les autres causes habituelles de syndrome de larva migrans cutanée : la larva migrans ankylostomienne et la larva currens de l’anguillulose. La cellulite de Wells ainsi que d’exceptionnelles parasitoses ectopiques (fascioliase, sparganose, paragonimose) et panniculites à éosinophiles n’ont pas de caractère intermittent ni migrateur [6-8]. L’extraction de la larve permet la guérison définitive, mais celle-ci est difficilement possible. Le traitement antiparasitaire le mieux étudié est l’albendazole (Zentel®). La posologie recommandée d’albendazole est de 400 à 800 mg par jour pendant 21 jours [9-11]. La gnathostomose est endémique dans la plupart des pays d’Asie du Sud [1], tels que Chine, Taiwan, Thaïlande, Cambodge, Myanmar, Laos, Vietnam, Inde, Pakistan, Bangladesh, Sri Lanka, Indonésie, Malaisie, Philippines et Japon. L’autre zone d’endémie est l’Amérique Centrale et du Sud avec en particulier le Mexique et l’Equateur. L’infection est en particulier liée à la consommation du très populaire « ceviche », qui est du poisson cru mariné dans le jus de citron. La gnathostomose est une parasitose d’importation rare en Europe. Quelques cas ont été rapportés ces dernières années [12-18]. En France, durant ces 3 dernières années plusieurs articles ont rapporté un total de 9 observations [19-23]. Cette parasitose touche aussi les touristes. En effet alors que dans le passé la majorité des cas importés touchaient des personnes vivant en région d’endémie, les publications récentes décrivent des gnathostomoses contractées par des touristes sur de courtes périodes de séjours allant de quelques semaines à 3 mois. Saksirisampant et al. [24] ont analysé le foie de 2 738 anguilles de marais et vendues sur un des principaux marchés de Bangkok en Thaïlande, et ont trouvé des formes infestantes (L3) de larves de Gnathostoma spinigerum chez 19,1 p. 100 d’entre elles. La prévalence de l’infestation variait suivant la saison pouvant atteindre 38 p. 100 en septembre. D’où l’importance de bien informer les personnes qui vont séjourner en pays d’endémie sur les risques de manger des mets crus ou marinés, en particulier du poisson cru.
La gnathostomose, une parasitose émergente ?
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