La Grotte des Félins, site paléolithique du Pléistocène supérieur à Dar Bouazza (Maroc)

La Grotte des Félins, site paléolithique du Pléistocène supérieur à Dar Bouazza (Maroc)

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L’anthropologie 112 (2008) 182–200 http://france.elsevier.com/direct/ANTHRO/

Article original

La Grotte des Félins, site paléolithique du Pléistocène supérieur à Dar Bouazza (Maroc) Felids Cave, an Upper Pleistocene Palaeolithic site at Dar Bouazza (Morocco) Jean-Paul Raynal a,*, Fehti Amani b, Denis Geraads c, Mosshine El Graoui d, Lionel Magoga e, Jean-Pierre Texier a, Fatima-Zora Sbihi-Alaoui b a

Université de Bordeaux 1, UMR 5199 PACEA, IPGQ, avenue des Facultés, bâtiment B18, 33405 Talence cedex, France b Institut national des Sciences de l’archéologie et du patrimoine, Rabat, Maroc c UPR 2147 CNRS, 44, rue de l’Amiral-Mouchez, 75014 Paris, France d Centre national du patrimoine rupestre, ministère des Affaires culturelles, direction du patrimoine, Marrakech, Maroc e Résidence La Tour des Ailes, boulevard Franchet-d’Espérey, 03200 Vichy, France Disponible sur Internet le 21 mars 2008

Résumé Une très riche faune de mammifères du dernier cycle climatique a été découverte dans le remplissage continental d’une grotte recoupant des dépôts du Pléistocène moyen, associée à un outillage lithique sur blocs et galets peu abondant et atypique rapporté au Paléolithique moyen. Le niveau inférieur est original de par sa très grande richesse en restes de félins calcinés. Le gisement a été détruit par l’exploitation d’une carrière avant que des fouilles puissent y être effectuées. # 2008 Publié par Elsevier Masson SAS. Abstract In the continental sediments filling a cave that developed in Middle Pleistocene deposits near Casablanca, Morocco, a very rich mammal fauna from the last climatic cycle was discovered. It was associated with a Middle Palaeolithic poor and atypical lithic assemblage manufactured on blocks and

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-P. Raynal). 0003-5521/$ – see front matter # 2008 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.anthro.2008.02.006

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pebbles. The lower fossiliferous layer contained abundant carbonized remains of felids. Unfortunately, the site was destroyed by quarrying before adequate excavations could be carried out. # 2008 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Pléistocène supérieur ; Faune mammalienne ; Félin ; Trace de feu ; Industrie sur blocs et galets ; Grotte Keywords: Upper Pleistocene; Mammal fauna; Felid; Aridity; Fire; Pebble and core-tools assemblage; Cave

1. Introduction Sur la gauche de la route joignant Casablanca à Azemmour, au sud de la localité classique de Sidi Abderrahmane (Biberson, 1961), un relief allongé en morphologie de cordon parallèle au trait de côte actuel est bien marqué sur plusieurs kilomètres. Il est composé de dépôts marins littoraux et continentaux du Pléistocène inférieur et moyen ancien (Formation d’Oulad Hamida) (Texier et al., 2002), portés en altitude par la tectonique de blocs régionale (Fig. 1). À quelques kilomètres au sud-ouest des carrières Thomas 1 et Oulad Hamida 1 (Raynal et Texier, 1989 ; Raynal et al., 1993), sur le territoire de la commune de Dar Bou Azza, la carrière dite « Oulad Hamida 2 » avait été explorée en 1985–19861 : une stratigraphie sommaire en avait été établie et une première cavité avait été localisée et brièvement reconnue. En 1991, au cours d’opérations de surveillance routinière dans le cadre du programme mixte2 pluriannuel Casablanca,3 une seconde cavité, la « Grotte des Félins » a été découverte le 11 juin : un ramassage de matériel a été brièvement effectué en coupe et l’implantation d’une fouille fut alors envisagée pour l’année suivante. Le site a malheureusement été rapidement détruit par l’exploitation avant qu’une telle opération ne puisse être entreprise et la carrière a depuis été totalement comblée. 2. Contexte stratigraphique Les levés dressés en 1985 dans la partie nord de la carrière ont permis d’observer une disposition stratigraphique similaire à celle observée dans les carrières Oulad Hamida 1 et Thomas 1 ouvertes plus au nord-est dans le même relief à une altitude comparable, entre 30 et 40 m NGM. La succession établie est la suivante, de bas en haut (Fig. 2) :  M1 : biocalcarénite beige à stratifications planes parallèles inclinées vers le littoral, dépôt marin en zone intertidale ;  M2 : calcarénite grise à litage subhorizontal, contact avec M1 de type érosif, dépôt marin en zone intertidale ;  D2 : calcarénite grise dunaire à grands lits obliques, toit lapiazé ;  C1 : dépôt continental rose à hélicidés ;  D3 : calcarénite grise dunaire à litage oblique, contact avec C1 de type progressif ;  D4 : calcarénite dunaire reposant sur D3 par un contact franc et planaire, sommet lapiazé ;

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Travaux J.-P. Raynal et J.-P. Texier. Travaux franco-marocains engagés depuis 1978 dans le cadre de la Convention relative aux recherches archéologiques et anthropologiques du 19 janvier 1971 révisée en décembre 1979. 3 Direction J.-P. Raynal et F.Z. Sbihi-Alaoui. 2

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Fig. 1. Carte morpholithostratigraphique des unités du Plio-Pléistocène au sud-ouest de Casablanca et position de la Grotte des Félins (GDF) par rapport au complexe des carrières Thomas 1-Oulad Hamida (OH) et des principales coupes ayant servi de base à l’établissement de la séquence lithostratigraphique locale DBA (Dar Bouazza), RBA (Reddad Ben Ali), OAJ (Oulad Aj Jmel), BF (Bir Feglhoul), SAR (Sidi Abderrahmane), GBH (Gandour Ben Habib), DBC (Dar Bou Chaïb), SM (Sidi Messaoud). Les chiffres sont des altitudes. q1 = Pléistocène ancien, q2 = Pléistocène moyen, q3 4 = Pléistocène supérieur et Holocène (d’après Lefèvre, 2000). Fig. 1. Morpholithostratigraphic map of Plio-pleistocene units South-West of Casablanca and location of the Felids Cave (GDF) and the Thomas 1-Oulad Hamida complex (OH). DBA (Dar Bouazza), RBA (Reddad Ben Ali), OAJ (Oulad Aj Jmel), BF (Bir Feglhoul), SAR (Sidi Abderrahmane), GBH (Gandour Ben Habib), DBC (Dar Bou Chaïb), SM (Sidi Messaoud) are the main sections used to build the local lithostratigraphic sequence. Numbers refer to altitudes above sea level. q1 = Lower Pleistocene, q2 = Middle Pleistocene, q3–4 = Upper Pleistocene and Holocene (after Lefèvre, 2000).

 C2 : dépôt continental rose ;  C3 : remplissage continental de la grotte 1 formée dans un paléorivage comme l’attestent les perforations de lithodomes. Les dépôts étaient scellés par un spéléothème qui enrobait des ossements animaux. L’entrée de la grotte a été comblée par les exploitants après notre passage ;  D5 : calcarénite grise dunaire, à litage oblique, fossilisant le paléorivage et l’ensemble de la séquence antérieure ;  CC : croûte calcaire discontinue et localement recouverte de limons rouges. Le contenu en minéraux lourds a été étudié pour certains niveaux (Tableau 1). Les cortèges des unités M2 et D4 sont dominés par les apports du volcanisme du Moyen-Atlas et les valeurs sont similaires à celles rencontrées dans les membres 2 et 3 de la Formation d’Oulad Hamida (El Graoui, 1994) rapportés au Pléistocène moyen ancien antérieurement au stade isotopique 18 (Texier et al., 2002) ; cela confirme la continuité stratigraphique de la morphologie cartographiée (Fig. 1).

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Fig. 2. Stratigraphie de la partie nord de la carrière en 1986 (Levés J.-P. Raynal et J.-P. Texier). 86-34, 35, 36 et 37 : échantillons géologiques. Fig. 2. Stratigraphy of the northern part of the quarry in 1986 (established by Raynal J.P. and Texier J.P.). 86-34, 35, 36 and 37: geological samples.

Les observations complémentaires réalisées en 1991 dans la partie sud-ouest de la carrière ont révélé l’existence d’une seconde cavité, dite Grotte des Félins. Cette poche karstique recoupait l’ensemble des dépôts du Pléistocène moyen et communiquait vers l’extérieur par un aven (Fig. 3). L’instabilité du front de taille et les contraintes dues à l’exploitation ne nous ont pas Tableau 1 Cortèges minéralogiques de quelques unités lithologiques Table 1 Mineralogic assemblages of some lithologic units Unités

M1

M2

D2

D4

Pourcentage Mx/échantillon Andalousite Staurotide Pumpellyite Grenat Tourmaline Zircon Sphène Hornblende Augite Epidote Mx du métamorphisme Mx volcaniques Pourcentage de minéraux lourd dans la fraction sableuse 100–160 mm Pourcentage CaCo3

86-36 4,76 3,81 17,14 2,86 6,67 4,76 4,76 2,88 35,24 17,14 64,76 35,24 7,50 71,00

86-37 1,26 2,94 2,10 7,14 2,10 2,62 1,68 7,98 61,77 8,40 38,23 61,77 5,00 96,00

86-34 7,91 4,32 12,23 2,88 0,72 0,72 1,44 13,67 44,60 11,51 55,39 44,60 3,60 97,00

86-35 2,34 3,51 10,53 5,85 0,00 0,58 0,00 1,17 68,42 17,14 31,68 68,42 2,20 95,00

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Fig. 3. La Grotte des Félins le jour de sa découverte (cliché J.-P. Raynal). Fig. 3. The Felids Cave on its discovery day.

permis d’examiner dans le détail l’ensemble du remplissage. À mi-hauteur de la cavité, des éléments de faune et d’industrie ont été prélevés dans deux unités. L’unité inférieure montrait la superposition de dépôts fins lités évoquant une accumulation de guanos, puis de dépôts sableux alternativement riches en cendres et partiellement rubéfiés qui ont livré des ossements fossiles pour la plupart brûlés (Fig. 4). L’unité supérieure était composée de sables fins à moyens de couleur brune à rouge, avec des lits plus riches en cailloux et blocs de calcarénite, qui renfermaient de la faune fossile et quelques éléments d’outillage lithique. Le contenu fossilifère de ces deux unités, très partiellement collecté avant la destruction du site, est détaillé infra. 3. L’outillage lithique Peu de matériel lithique (25 objets) accompagnait la faune et ce uniquement dans le niveau supérieur : trois galets entiers, sept galets de quartzites cassés dont deux portant des traces de percussion, un fragment de galet, 13 objets taillés sur galets et blocs de quartzite conservant des surfaces naturelles et quatre éclats (deux en quartzite, un en silex et un en quartz). Parmi ce macro-outillage, on note la présence de nucléus discoïdes et de choppers unifaciaux et bifaciaux (Fig. 5).

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Fig. 4. Vue rapprochée des niveaux inférieurs lités de la Grotte des Félins le lendemain de sa découverte (cliché J.-P. Raynal). Fig. 4. Close view of lower bedded layers at Felids Cave the day after it’s discovery.

Cette industrie appartient au Paléolithique moyen régional sensu lato. Elle évoque bien sûr la composante lourde de l’Atérien de la région de Rabat, bien illustrée par exemple dans les grottes de Dar Es Soltane II et El Harhoura I (Debénath et al., 1986) et dans les sites de plein air du Chaperon Rouge I et II (Texier et al., 1982 ; Texier, 1985–1986). Ces outillages atériens furent par le passé confondus à tort dans certains sites de plein air avec de la pebble-culture ancienne (Raynal et al., sous presse a, b). Si dans les grottes du littoral de Rabat-Témara leur âge apparaît plus ancien (Debénath et al., 1986 ; Occhietti et al., 1993), en plein air en revanche ils sont contenus dans la base de la Formation des Sables Beiges datée de 28 ka BP (Texier et al., 1988 ; Texier et Raynal, 1989 ; Rhodes, 1990 ; Smith et al., 1990 ; Raynal et al., 1992). D’autres assemblages atériens plus septentrionaux ont été récemment datés jusqu’à 60 ka BP (Wrinn et Rink, 2003), soit le début du stade isotopique 3. 4. La faune 4.1. Inventaire 4.1.1. Chiroptères Une chauve-souris, encore indéterminée, est présente dans les deux niveaux.

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Fig. 5. Outillage lithique. Nucleus discoïdes (1, 9), choppers unifaciaux sur galets (2, 4, 10), chopper bifacial sur bloc (6) nucléus divers (5, 7, 8), nucléus débité sur enclume (3) (dessins L. Magoga). Fig. 5. Lithic assemblage. Discoid cores (1, 9), choppers (2, 4, 10), bifacial chopper on block (6), diverse cores (5, 7, 8), anvil flaked core (3).

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4.1.2. Insectivores 4.1.2.1. Crocidura cf. russula. Quelques mandibules de musaraignes proviennent du niveau supérieur. 4.1.2.2. Erinaceus sp. Une mandibule édentée de hérisson provient du niveau supérieur. 4.1.3. Lagomorphes 4.1.3.1. Lepus cf. capensis. Quelques fragments de mandibules (Fig. 6) et ossements postcrâniens attestent la présence d’une forme voisine du lièvre du Cap dans les deux niveaux. 4.1.4. Rongeurs 4.1.4.1. Hystrix cristata. Le porc-épic n’est présent que dans le niveau supérieur. 4.1.4.2. Jaculus sp. Quelques dents isolées du niveau supérieur appartiennent à une gerboise, genre actuellement limité aux régions désertiques. Au Maroc, Jaeger (1970) l’avait mentionnée au Djebel Irhoud et à Sidi Abdallah, mais elle n’avait jamais encore été signalée sur le littoral. 4.1.4.3. Meriones shawi. La mérione est le rongeur le plus commun. D’après les m1, dents les plus abondantes, la forme du niveau supérieur est significativement plus grande que celle du niveau inférieur (longueur moyenne dans le niveau inférieur = 2,67, n = 7 ; dans le niveau supérieur = 2,89, n = 37 ; t = 3,80). 4.1.4.4. Gerbillus cf. campestris. Deux mandibules et quelques dents de gerbilles proviennent toutes du niveau supérieur. 4.1.4.5. Mus spretus. Dans les deux niveaux, une souris se distingue bien de M. musculus par sa taille un peu supérieure et la forme du prélobe de sa m1. 4.1.5. Carnivores 4.1.5.1. Panthera leo. Le lion est plus abondant dans le niveau inférieur. Les os des membres comprennent surtout des métapodes et phalanges, d’une taille assez variable, mais qui peut être exceptionnellement forte : un Mc V (Fig. 7), long de 107 mm, avec une DT diaphysaire de 16,5 mm, est nettement plus gros que les formes actuelles, ou que d’autres formes de la fin du Quaternaire marocain, et correspond mieux à P. leo spelaea d’Europe, mais nous préférons nous

Fig. 6. Mandibule de Lepus sp. Niveau supérieur (cliché D. Geraads). Fig. 6. Lepus sp. mandible from upper unit.

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Fig. 7. Cinquième métacarpien de Panthera leo en vue dorsale. Niveau inférieur (cliché D. Geraads). Fig. 7. Panthera leo fifth metacarpal from lower unit, front view.

en tenir à la détermination spécifique. Cette espèce n’est attestée au Maroc qu’à partir du Pléistocène moyen de la Grotte des Rhinocéros (Bernoussi, 1997) ; elle en a disparu au XXe siècle. 4.1.5.2. Panthera pardus. Une canine supérieure provenant du niveau supérieur atteint des dimensions (16  12,3) voisines des maxima relevés dans cette espèce, mais elle semble trop petite pour un lion. Les nombreux autres restes viennent du niveau inférieur. Comme pour le lion, en dehors d’un fémur complet (Fig. 8), il s’agit surtout d’éléments de l’autopode, dont les dimensions correspondent bien à la moyenne des formes actuelles comme à celle de Zafarraya sur l’autre rive du détroit de Gibraltar (Geraads, 1995). La panthère était déjà présente dans le Pliocène de Ahl al Oughlam, avec une forme peu différente de l’actuelle (Geraads, 1997), et il se peut qu’elle survive encore au Maroc de nos jours.

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Fig. 8. Fémur de Panthera pardus en vue dorsale. Niveau inférieur (cliché D. Geraads). Fig. 8. Panthera pardus femur from lower unit, front view.

4.1.5.3. Felis silvestris. Une dizaine d’os des membres, surtout des métapodes, proviennent du niveau inférieur. Ici encore, une forme très voisine était déjà connue à Ahl al Oughlam. 4.1.5.4. Hyaena hyaena. L’hyène est absente du niveau inférieur, mais représentée par plusieurs spécimens dans le niveau supérieur. Aucun reste n’atteste la présence de l’hyène tachetée. 4.1.5.5. Canis aureus. Le chacal est présent dans les deux niveaux, mais plus commun dans le niveau supérieur. C’est le carnivore le plus fréquemment rencontré au Maroc au Pléistocène supérieur. 4.1.5.6. Vulpes sp. Les dimensions d’un maxillaire du niveau supérieur rentrent dans la faible zone de recouvrement entre celles de V. vulpes atlantica, forme nord-africaine du renard commun, et de V. rueppelli, le renard famélique. Une mandibule édentée provient du niveau inférieur.

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Fig. 9. Troisième métatarsien droit de Stephanorhinus hemitoechus. Niveau supérieur (cliché D. Geraads). Fig. 9. Stephanorhinus hemitoechus right metatarsus from upper unit.

4.1.6. Périssodactyles 4.1.6.1. Stephanorhinus hemitoechus. Une dent et un troisième métatarsien (Fig. 9) du niveau supérieur, bien distincts de ceux de Ceratotherium, peuvent être rapportés à cette forme périméditerranéenne. Sur le Mt III, la forme de la section diaphysaire et de la surface antérieure pour le Mt IV sont bien caractéristiques (Guérin, 1980). 4.1.6.2. Equus sp. Dans le niveau supérieur (Fig. 10), deux formes sont représentées. La plus petite est une forme sans doute asinienne, un peu plus trapue que les ânes sauvages, mais plus petite que E. melkiensis Bagtache et al., 1984 (Bagtache et al., 1984). Elle coexiste avec une forme de grande taille, probablement présente aussi dans le niveau inférieur, de la taille de E. caballus, mais la double boucle n’est pas de type caballin (Fig. 11) et il s’agit sans doute plutôt d’un zèbre. 4.1.7. Artiodactyles 4.1.7.1. Phacochoerus africanus. Plusieurs molaires (Fig. 12) des deux niveaux ne se distinguent pas de celles du phacochère commun, seule espèce connue au Maghreb. Aucun reste ne peut être attribué au genre Sus.

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Fig. 10. Troisième métatarsien de Equus sp. I et première phalange de Equus sp. II. Niveau supérieur (cliché D. Geraads). Fig. 10. Equus sp. I third metatarsus and Equus sp. II first phalanx from upper unit.

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Fig. 11. Dents inférieures de Equus sp. II : p4 ( ?) et m2–m3. Niveau inférieur (cliché D. Geraads). Fig. 11. Equus sp. II lower teeth: p4 (?) and m2–m3. Lower unit.

4.1.7.2. Bovini indet. Quelques dents et os des membres du niveau supérieur appartiennent à un grand Bovini. Malheureusement, en l’absence de restes osseux crâniens, il ne semble pas possible de choisir entre Bos primigenius et Bathyleptodon (= Pelorovis) antiquus (Bathyleptodon Lönnberg, 1933, est le nom utilisable pour l’espèce antiquus, en attendant la clarification de sa position phylétique), tous deux susceptibles d’avoir été présents dans le gisement. Les dimensions des astragales (H int. = 81 et 82 ; DT dist. = 57 et 62) et d’un métatarse (L = 280, DT mil. = 41,5), par exemple, s’accordent aussi bien avec l’un qu’avec l’autre (Pomel, 1893 ; Brugal, 1985). Le buffle antique, apparu au Pléistocène inférieur, a survécu jusqu’à une date très récente (Gautier et Muzzolini, 1991).

Fig. 12. Troisièmes molaires inférieures (à gauche) et supérieure (à droite) de Phacochoerus africanus. Niveau supérieur (cliché D. Geraads). Fig. 12. Phacochoerus africanus third lower molars (left) and upper (right) from upper unit.

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4.1.7.3. Connochaetes taurinus. Trois métacarpiens entiers (Fig. 13) et quelques autres éléments moins caractéristiques, tous du niveau supérieur, indiquent la présence du gnou, espèce déjà présente à Tighenif et connue jusqu’à l’Holocène au Maroc (Aulagnier, 1992). 4.1.7.4. Alcelaphini indet. Du niveau supérieur également, quelques éléments plus petits montrent la présence d’un autre alcélaphiné, qui pourrait être Alcelaphus. 4.1.7.5. Gazella dorcas. Quelques éléments de mâchoires de petite taille (Fig. 14) ainsi que des fragments de chevilles osseuses de corne, à la forme lyrée caractéristique, tous du niveau inférieur, sont à rapporter à cette espèce.

Fig. 13. Troisième métacarpien de Connochaetes taurinus. Niveau supérieur (cliché D. Geraads). Fig. 13. Connochaetes taurinus third metacarpal from upper unit.

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Fig. 14. Maxillaire supérieur de Gazella dorcas. Niveau supérieur (cliché D. Geraads). Fig. 14. Gazella dorcas upper jawbone from upper unit.

4.1.7.6. Gazella cf. atlantica. Divers éléments attestent la présence d’au moins une autre espèce de gazelle d’assez grande taille (Fig. 15). Nous la rapportons à l’espèce la plus fréquemment citée dans ces niveaux. 4.1.7.7. Oiseaux. Des passériformes indéterminés proviennent des deux niveaux. Le niveau inférieur a de plus livré un hirundinidé et un columbiforme (déterminations C. Mourer-Chauviré). 4.1.7.8. Amphibiens. Un anoure indet. provient du niveau supérieur. 4.1.7.9. Reptiles. Une couleuvre, un lézard et probablement une vipère proviennent du niveau supérieur (déterminations J.-C. Rage). 4.2. Différences entre les deux niveaux Le Tableau 2 montre clairement que le niveau supérieur est plus riche en espèces que le niveau inférieur, mais le niveau inférieur n’est pas seulement une version appauvrie du niveau supérieur, car les félidés y sont plus abondants. Peut-on pour autant y voir un repaire de félins ? Plusieurs raisons s’y opposent. D’abord, l’absence de traces de dents de carnivores sur les restes osseux d’ongulés, ensuite le fait que plusieurs des proies potentielles de ces animaux (alcélaphinés, bovini) soient absentes de ce niveau inférieur, enfin le fait que la presque totalité des os soient

Fig. 15. Mandibule de Gazella atlantica. Niveau supérieur (cliché D. Geraads). Fig. 15. Gazella atlantica mandible from upper unit.

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Tableau 2 Liste faunique des mammifères par niveau de la Grotte des Félins Table 2 Mammals fauna components in layers of Felids Cave Niveau inférieur Chiroptera indet. Crocidura cf. russula Erinaceus sp. Lepus cf. capensis Hystrix cristata Jaculus sp. Meriones shawi Gerbillus cf. campestris Mus spretus Panthera leo Panthera pardus Felis silvestris Hyaena hyaena Canis aureus Vulpes sp. Stephanorhinus hemitoechus Equus sp. I (petit) Equus sp. II (grand) Phacochoerus africanus Bovini indet. Connochaetes taurinus Alcelaphini indet. Gazella dorcas Gazella cf. atlantica

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+ + + + + + +

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Niveau supérieur + + + + + + + + + + ? + + + + + + + + + + + +

brûlés, impliquant une intervention humaine. L’absence de bovidé autre que les gazelles dans le niveau inférieur reste à expliquer. En revanche, seul le niveau supérieur a livré des restes d’hyène. La disjonction entre les distributions de l’hyène et des félidés est donc presque totale. Un autre point notable est l’accroissement de taille de Meriones entre les deux niveaux. Comme un biais de collecte ou d’origine taphonomique est sans doute à exclure, ce changement est sans doute de nature évolutive et suggère un écart de temps non négligeable entre les deux niveaux. 4.3. Écologie La prédominance des gerbillidés, et la découverte inattendue d’une gerboise, genre de milieux désertiques, plaide en faveur d’un milieu très aride. Les bovidés, chez qui la prédominance des Alcelaphini et des Antilopini est écrasante, corroborent cette impression d’aridité. Même la panthère, qui préfère les milieux plus fermés, peut parfois s’aventurer aux confins du désert. La faune de la grotte d’Oulad Hamida 2 atteste la phase la plus aride que nous connaissions au Maroc, par ailleurs bien établie par les études géologiques (Texier et Raynal, 1989). 4.4. Biochronologie Chez les rongeurs, il faut noter l’absence de l’arvicolidé Ellobius, fréquent au Pléistocène moyen, et surtout du grand Paraethomys, qui dominait les faunes de rongeurs de cette région depuis le Miocène terminal, jusqu’au Djebel Irhoud inclus.

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L’ours, présent dès le Pliocène (Geraads, 1997), élément fréquent des faunes du Pléistocène supérieur, très récemment disparu du Maghreb, est totalement absent. Chez les ongulés, il faut noter l’absence de Sus, qui parlerait en faveur d’un âge plutôt ancien. La plupart de ces absences, malheureusement, pourraient bien avoir des causes écologiques plutôt que chronologiques, et le principal repère biochronologique, d’autant plus fiable qu’il résulte d’une immigration, pourrait donc être fourni par S. hemitoechus. L’apparition de cette espèce remonte sans doute au début du Pléistocène supérieur, car ce rhinocéros est attesté au Djebel Irhoud (Amani, 1991). La date de son extinction est plus incertaine, mais il ne semble pas qu’il ait jamais été trouvé associé à des industries lithiques plus récentes que l’Atérien. Un lot d’esquilles a été soumis pour datage par le radiocarbone mais l’insuffisance de collagène n’a pas permis l’obtention d’un résultat. 5. Conclusion La culture matérielle des occupants de cette cavité appartient au Paléolithique moyen régional sensu lato. Le remplissage s’est édifié dans un contexte d’extrême aridité attesté par la composition des faunes. L’âge de cette phase aride reste à établir. De telles conditions climatiques ont déjà été signalées sur le littoral marocain, à la fin du stade isotopique 3, en particulier lors de la mise en place de la Formation des Sables Beiges (cf. supra), mais d’autres sont connues en Afrique de l’Ouest antérieurement, vers 41–46 ka BP et bien entendu pendant le stade isotopique 4, entre 95 et 115 ka BP (Stokes et al., 1997). Du point de vue palethnographique, insistons sur la présence de traces de feu dans la partie reconnue du remplissage de la cavité et sur l’abondance des ossements de félins calcinés dans le niveau inférieur, situation tout à fait originale qui plaide en faveur d’une activité de chasse sélective ; la nature des vestiges et leur disposition (pour autant que nous ayons pu en juger rapidement in situ) évoquent un lieu de boucherie plutôt qu’un lieu de charognage ; les Hominidés fréquentaient sans doute le gisement en alternance avec de nombreux Carnivores comme l’atteste l’abondance des restes de hyènes dans le niveau supérieur. Il convient de souligner le caractère exceptionnel de ce site pour la connaissance du patrimoine préhistorique récent de Casablanca. Hélas recoupé par une carrière, il était voué à une disparition rapide et n’a pas eu le sauvetage qu’il méritait4. Remerciements Les auteurs expriment leur vifs remerciements à Mme Naïma Khatib-Boujibar, à l’époque déléguée du ministre de la Culture à Casablanca, à Mme Danièle Penot, alors chargée de mission au Service culturel, scientifique et de coopération de l’ambassade de France, à J.-C. Rage pour les déterminations des Reptiles et à C. Mourer-Chauviré pour celles des Oiseaux. Références Amani, F., 1991. La faune du gisement à Hominidés du Jebel Irhoud. Contribution à l’étude de la chronologie et de l’environnement du Quaternaire marocain. Thèse de l’Université de Rabat.

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Autorisation de publier no 6 du 17 mai 2006 accordée par l’Insap (Rabat, Maroc).

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