La lutte des chirurgiens-dentistes français pour conserver le droit aux injections de produits de comblement sur la face

La lutte des chirurgiens-dentistes français pour conserver le droit aux injections de produits de comblement sur la face

Annales de chirurgie plastique esthétique (2012) 57, 192—193 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ` LA RE ´DACTION LETTRES A La lutte des ...

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Annales de chirurgie plastique esthétique (2012) 57, 192—193

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

` LA RE ´DACTION LETTRES A La lutte des chirurgiens-dentistes franc ¸ais pour conserver le droit aux injections de produits de comblement sur la face French dental surgeons are struggling to keep the right to use filler on the face KEYWORDS Dental surgeons; Injections; Reshaping; Face

MOTS CLÉS Chirurgiens dentistes ; Injections ; Comblement ; Face

Au sein des 80 produits de comblement disponibles sur le marché, les gels d’acide hyaluronique sont les plus utilisés [1]. L’acide hyaluronique s’impose comme la star des antirides. Actuellement, nous assistons à un accroissement considérable des actes esthétiques, qui séduisent par leur rapidité d’exécution, et leur caractère considéré à tort comme peu invasif. Depuis quelques années, certains chirurgiens-dentistes qui ont interprété à leur avantage l’article L4141-1 du Code de la santé publique, pratiquent ces injections dans le cadre très lucratif du rajeunissement du sourire. Cet article stipule que « la pratique de l’art dentaire comporte la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies congénitales ou acquises, réelles ou supposées, de la bouche, des dents, des maxillaires et des tissus attenants ». L’expression « tissus attenants » a été rajoutée en 2004 pour mettre en conformité le Code de la santé publique avec les directives européennes. C’est à partir de cette ambiguïté de langage que s’est développée la revendication des dentistes, exprimant la volonté de réaliser des actes extrabuccaux. Les laboratoires également, désirant conquérir toujours plus de parts de marché, jouent aussi un rôle en entretenant ce point obscur de la législation.

Il est d’autant plus surprenant de voir des chirurgiensdentistes omnipraticiens s’auto-attribuer une compétence extrabuccale que le référentiel métier attaché au DES de chirurgie orale, récemment créé, limite explicitement le champ d’activité de ces spécialistes à la sphère endobuccale. Comment peut-on justifier qu’un chirurgien dentiste omnipraticien soit plus compétent qu’un interne ayant accompli quatre ans d’internat dont la moitié dans des services médicaux ? Dès juillet 2010, la Société française de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SoFCPRE) et l’Ordre des médecins avaient saisi le ministère de la santé quant à la réalisation par les dentistes d’injection de produits de comblement à visée esthétique dans le visage [2]. Les publicités dans les revues dentaires pour la formation et la mise à disposition des produits de comblement pour le rajeunissement du visage sont devenues monnaie courante et de nombreux patients nous ont rapporté la présence d’affiches vantant les mérites de l’acide hyaluronique dans les salles d’attente de leurs dentistes. Également, on trouve déjà sur internet de nombreux sites de dentiste proposant le comblement des sillons nasogéniens, l’expansion des joues creuses ou l’atténuation des cicatrices faciales. . . En quoi ces pratiques dépendent-elles des compétences d’un chirurgiendentiste ? Les complications des injections sont rares mais doivent être connues. On retrouve principalement des granulomes sous-cutanés, des inflammations chroniques parfois très douloureuses et des infections [3]. Certains acides hyaluroniques très réticulés comme le Restylane1 ont une résorption très lente de 12 à 18 mois qui peut les faire considérer comme de vrais corps étrangers. Ils sont parfois à l’origine d’encapsulation chronique qu’il faut retirer de façon chirurgicale. Des dépigmentations définitives sont également décrites. Dans les complications plus graves sont rapportées des nécroses par injection intra-artérielle ou des fasciites nécrosantes désastreuses [4]. Les injections à proximité des ailes narinaires sont particulièrement à risques de souffrance pour celles-ci, avec de véritables risques de nécrose alaire [5]. La vraie question est de savoir comment les dentistes pourraient prendre en charge le cortège des complications, développé aux dépens des tissus mous de la face. Que feront les chirurgiens dentistes lorsqu’ils auront à gérer les complications ? Nous les adresseront-ils ? La ministre Nora Berra s’est exprimée en date du 13 février 2012, et selon elle, les chirurgiens-dentistes

0294-1260/$ — see front matter # 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2012.04.009

La lutte des chirurgiens-dentistes français pour conserver le droit aux injections de produits de comblement sur la face 1ont fait une interprétation fallacieuse de la loi [6]. Elle a confirmé le message envoyé par la direction générale de la santé (DGS) qui estime maintenant que l’utilisation des produits de comblements au niveau de la face ne relève pas de la compétence des chirurgiens-dentistes. Un décret interdisant ces pratiques est donc en cours de finalisation et serait publié le mois prochain affirme-t-elle. Cette décision fait suite à une saisine du ministère de la Santé par l’Ordre des médecins, consécutivement aux revendications de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, qui entendait faire reconnaître au profit de ses praticiens une expertise suffisante pour procéder à des injections de comblement sur leurs patientes [2]. Selon l’Ordre des dentistes, ce décret serait contraire à la législation européenne. Face à la levée de bouclier du corps médical, le président du conseil de l’Ordre Christian Couzinou est entré en campagne auprès du ministère de la Santé. La secrétaire d’état, Nora Berra aurait le 16 février, selon M. Couzinou, fait machine arrière dans un courrier adressé au conseil de l’Ordre. Toutefois, les chirurgiens-dentistes ont fait savoir qu’ils sont prêts à porter l’affaire devant la justice si nécessaire et l’Ordre national des dentistes pourrait intenter un recours devant la Cour européenne de justice pour obtenir à nouveau l’autorisation de pratiquer des injections dans les lèvres ou en péribuccal. Un autre argument avancé par l’Ordre des dentistes est l’absence de complication rapportée par ses praticiens pratiquant déjà les injections. Cela peut s’expliquer non seulement par le fait que ceux-ci ne déclarent pas leurs effets indésirables aux autorités sanitaires car ils n’en n’ont pas l’obligation mais également par le caractère peu universitaire des dentistes de ville qui sont très peu enclins à publier leurs complications. Par ailleurs, il apparaît peu probable que les dentistes disposent d’une formation médicale suffisante pour déceler les pathologies inflammatoires ou vasculaires qui contre-indiqueraient les injections. En conclusion, nous restons définitivement opposés à une pratique des injections de produits de comblement par les dentistes car elles ne rentrent pas dans leur domaine de compétence. Ce désir d’extension de leur champ d’activité s’inscrit principalement dans une logique financière. La formation universitaire des dentistes dans le domaine médicochirurgical est limitée à la cavité buccale.

Tant que ce sera le cas, leur reconnaître une compétence dépassant leur niveau de formation constituerait une information mensongère, dont la population pourrait faire les frais. Il est impératif que les pouvoirs publics s’expriment de façon claire et précise sur ce point.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Compte rendu de la Commission nationale de sécurité sanitaire des dispositifs médicaux, Afssaps, séance du 7 octobre 2009. [2] Communiqué de presse de la Société française de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique/Paris, le 14 février 2012 « Comblement des rides : une décision forte, saluée par les chirurgiens ». [3] Chaput B, De Bonnecaze G, Tristant H, Garrido I, Grolleau JL, Chavoin JP. Macrolane1, a too premature indication in breast augmentation. Focusing on current knowledge of the product. Ann Chir Plast Esthet 2011;56:171—9. [4] Kassir R, Kolluru A, Kassir M. Extensive necrosis after injection of hyaluronic acid filler: case report and review of the literature. J Cosmet Dermatol 2011;10:224—31. [5] Park TH, Seo SW, Kim JK, Chang CH. Clinical experience with hyaluronic acid-filler complications. J Plast Reconstr Aesthet Surg 2011;64:892—6. [6] « Antirides : Nora Berra ravit les chirurgiens esthétiques ». France Soir. 13 février 2012.

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B. Chaputa,*,b, F. Boutaultb, I. Garridoa, R. Lopezb Service de chirurgie plastique, reconstructrice et des brulés, CHU Toulouse-Rangueil, avenue Jean-Poulhès, 31059 Toulouse, France b Service de chirurgie maxillofaciale et plastie de la face, CHU Toulouse-Purpan, place Baylac, 31059 Toulouse, France *Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Chaput) Rec¸u le 30 mars 2012 Accepte´ le 23 avril 2012