Journal de Mycologie Médicale (2010) 20, 61—69
´NE ´RALE/GENERAL REVIEW REVUE GE
La maladie dermatophytique : revue de la littérature Dermatophytic disease: Literature review F. Cheikhrouhou, F. Makni, A. Ayadi * Laboratoire de parasitologie mycologie, CHU Habib Bourguiba, Sfax, Tunisie Rec¸u le 16 octobre 2009 ; accepte´ le 27 de´cembre 2009 Disponible sur Internet le 12 fe´vrier 2010
MOTS CLÉS Maladie dermatophytique ; Dermatophytes ; Immunité ; Traitement
KEYWORDS Dermatophytic disease; Dermatophyte; Immunity; Treatment
Résumé La maladie dermatophytique est une affection rare individualisée à la fin des années 1940 par Hadida et Schousboe. C’est une dermatophytose cutanéoviscérale chronique provoquée par des dermatophytes. À notre connaissance, 45 cas ont été rapportés. Elle est décrite surtout en Afrique du Nord (95,6 %). L’Algérie reste le pays où le maximum de cas a été observé (48,8 %). Elle évolue dans un contexte de forte consanguinité. Un terrain familial prédisposé génétiquement explique la chronicité et les nombreux échecs thérapeutiques. Cette affection atteint surtout le sujet de sexe masculin (83,3 %) et se déclare dans l’enfance (en moyenne, à l’âge de 11,26 ans), sous forme de teigne récidivante du cuir chevelu (51,7 %) ou par une atteinte de la peau glabre (41,38 %). Elle commence tôt dans la vie et évolue longtemps comme une dermatophytie extensive avant que le parasitisme n’envahisse le derme et l’hypoderme, les ganglions et les viscères. Sur le plan histologique, le granulome retrouvé dans pratiquement toutes les lésions profondes (tubercules, nodules, nodosités hypodermiques, ganglions, etc.) la distingue des dermatophyties extensives superficielles et chroniques. Sur le plan thérapeutique, il n’existe pas actuellement de schéma codifié. En effet, les différents traitements utilisés n’ont permis qu’un contrôle partiel de la maladie. La griséofulvine est l’antifongique le plus administré, prescrite à la dose de 1 g/j et souvent associée aux traitements locaux. La maladie dermatophytique reste toujours une affection grave, engageant le pronostic vital après des années malgré le progrès des antifongiques. # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Dermatophytic disease is a rare chronic infection that was first described by Hadida and Schousboe in 1940. It is caused by dermatophytes and is characterized by cutaneous and visceral invasion. It is mainly observed in North Africa (95.6%): 45 cases have been described, the majority (47.8%) in Algeria. The locally high rate of consanguineous marriages would suggest autosomal recessive inheritance of a genetic anomaly. Dermatophytic disease affects males more than females (83.3%) and begins at paediatric age (11.26 years) with recurrent tinea capitis (51.7%) or tinea corporis (41.38%). The lesions are polymorphous and develop progressively. The
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Ayadi). 1156-5233/$ — see front matter # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.mycmed.2010.01.003
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F. Cheikhrouhou et al. disease is associated with cellular immunodeficiency and is refractory to treatment. It begins early in life and evolves as long-term extensive dermatophyties before invading the dermis, lymph nodes and viscera. It remains a severe disease due to potentially life-threatening visceral involvement. The granuloma found in all deep lesions (skin nodes, lymph nodes, etc.) characterize and differentiate the disease from extensive and chronic dermatophyties. Different antifungal regimens have enabled partial control of the disease. Griseofulvin is administered at a dose of 1 g/day and is often associated with topical treatment. Dermatophytic disease remains life-threatening disease despite advances in antifungal therapy. # 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction La maladie dermatophytique est une affection rare individualisée à la fin des années 1940 par Hadida et Schousboe [23,24]. Dans la littérature, elle a été rapportée sous des appellations variées : la maladie dermatophytique [23,24], maladie de Hadida et Schousboe, trichophytie verruqueuse généralisée [34], dermatophytose chronique granulomateuse [8]. La maladie dermatophytique est une mycose généralisée, chronique, de la peau et des phanères avec des localisations secondaires dermohypodermiques, ganglionnaires, viscérales dues à des dermatophytes et survenant sur un terrain particulier [36]. Cette revue a été basée non seulement sur des données de la bibliographie indexée (PubMed) mais aussi d’autres sites ont été consultés et même des communications présentées dans des congrès et non publiées. Ces données bibliographiques sont le plus souvent fragmentaires, rapportant des cas isolés ou des séries limitées. Nous avons exclu de cette revue tous les cas de dermatophyties invasives survenant sur un terrain d’immunodépression.
Un brin d’histoire C’est une affection qui paraît anciennement décrite, puisque le premier cas décrit par Sequeira [29] remonte à 1912. En 1959, Hadida et Schousboe ont rapporté le premier cas algérien et ont permis de définir les caractères de cette affection comme étant « des atteintes cutanées exubérantes associées à des localisations viscérales multiples » [23,24]. En 1964, Rollier a décrit pour la première fois, au Maroc, une teigne du cuir chevelu associée à des nodosités du tissu sous-cutané avec polyadénopathies et la présence de T. violaceum [25]. En 1978, Puissant et al. ont décrit le premier cas tunisien chez un homme âgé de 35 ans avec atteinte cutanéophanérienne et ganglionnaire due à T. violaceum et T. schoenleinii [34].
Épidémiologie Depuis la première description de la maladie dermatophytique par Hadida et Schousboe [23,24], 45 cas ont été rapportés. Elle est décrite surtout en Afrique du Nord (95,6 %). L’Algérie reste le pays où le maximum de cas a été observé (22/45 : 48,8 %) [4—13,22—24,29,31—33], suivi par le Maroc (22,2 %) [17,25] et la Tunisie (17,8 %)
[1,3,20,34—36]. L’endogamie est forte dans ces régions où le taux de consanguinité est élevé, atteignant 32 % en Algérie. L’atteinte de plusieurs membres dans une famille constitue un caractère marquant, rapportée dans 34,7 %. Cela évoque une prédisposition génétique à la maladie dermatophytique [29]. Quelques cas sporadiques ont été rapportés en Europe Centrale, au Japon et chez des aborigènes en Australie [15,19,26]. Des cas dans la fratrie ont été signalés par certains auteurs mais, ne disposant pas de renseignements cliniques, nous les avons exclus du nombre total des cas. Dans le Tableau 1, nous avons colligé tous les cas de maladie dermatophytique avec les renseignements disponibles. La maladie dermatophytique atteint surtout le sujet de sexe masculin (83,3 %). Elle a une prédilection pour l’adulte jeune (27,9 ans) mais elle débute souvent à un âge pédiatrique (93,7 %), en moyenne, à l’âge de 11,26 ans.
Clinique La maladie dermatophytique débute par une teigne du cuir chevelu récidivante (51,7 %) ou par une atteinte de la peau glabre (41,4 %) et rarement par des onyxis (6,8 %). Au cours de l’évolution de la maladie, les manifestations cliniques prennent plusieurs aspects lésionnels. Le cuir chevelu est le siège de lésions d’aspects différents, commençant d’abord par une desquamation, puis par une chute des cheveux. Il se forme ensuite des plaques cicatricielles squameuses, ichtyosiformes [32]. Des plaques alopéciques, comme une pelade, peuvent intéresser toutes les aires pilaires, même les cils et les sourcils [25,29]. Des lésions ulcérovégétantes respectant les cheveux ont été décrites [15]. Au niveau de la peau, les lésions sont érythématosquameuses qui vont se généraliser sous forme d’une dermatophytie extensive superficielle ou d’une érythrodermie [15]. Un prurit chronique intense est fréquemment observé et peut s’accompagner d’une lichénification [9,32]. Des formes avec érythrodermie ichtyosiforme généralisée avec lésions papulonodulaires au niveau du tronc (Fig. 1) ou de la face donnant un faciès léonin faisant suspecter une lèpre lépromateuse ont été décrites [25]. À un stade plus avancé, apparaissent des papulonodules tuberculoïdes, des nodosités dermohypodermiques (Fig. 2), des abcès sous-cutanés, des ulcérations, des végétations et des verrucosités (Fig. 3). Des lésions gommeuses ont même été signalées [15]. Une atteinte plantaire a été signalée dans quatre cas [3,7,9,29,31] sous forme de kératodermie [31] et sous forme d’un processus hyper-kératinisant exubérant formant des
Pays/ auteur, année, référence Maroc Rollier, 1964 [25] Catanzano et al., 1970 [17] Hassam et al., 1992 [25]
Alge ´rie Hadida et Schousboe, 1957 [23] Hadida et Schousboe, 1959 [24] Marton et Cherid, 1973 [32] Marill et al., 1975 [31] Mariat, 1978 [29] Liautaud et Marill, 1984 [29]
Sexe/ âge (ans)
H/15 H/11 H/23 H/27 H H/20 F/30 F/25 H H/11 H/13 H/18 H/26 F/22 H/35 H/ 11
H/21 H/4 H/41 H/25
Début
Frère
Teigne
Atteinte de la peau
+
+
+ +
+ + +
Onyxis
ADP
Atteinte viscérale
+
+ +
TV TV TV TT TV TV TV TV TV
+
+ Cousin Cousin
+ + +
+ + + +
+ + + +
+
Dermatophyte
+ +
T. faviforme
+ +
T. ver. T. ver. TS T. ver.
Consanguinité Frère Frère 2 frères (dcd) Cousin Consanguinité
Frère du 1 er Frère Frère Consanguinité Frère
+
+ + +
+ +
6
+
+
+
11
+
+
15
+ + +
+
+
+
6
+
+
+
+
16 26
Cécité : masse Cérébrale
TV
T. ver. var. album T. ver. var. album TV TR
Cérébrale H/53
Cousin
6
+
+
+
+
TV glabrum TV
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Boudghène Stambouli et al., 1988 [4] Boudghène Stambouli et Mérad Boudia, 1989 [5] Boukerche et al., 1989 [12] Boudghène Stambouli et Mérad Boudia, 1990 [6] Boudghène Stambouli et Mérad Boudia, 1991 [7]
Consanguinité/ cas familiaux
La maladie dermatophytique : revue de la littérature
Tableau 1 Tableau récapitulatif des observations publiées. Report of published cases.
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Tableau 1 (Suite)
Pays/ auteur, année, référence Pruszkowski et al., 1995 [33] Boudghène Stambouli et Mérad Boudia, 1996 [8] Boudghène Stambouli et Mérad Boudia, 1998 [9] Briki et al., 2008 [15]
Sexe/ âge (ans)
Consanguinité/ cas familiaux
H/32 42
3 frères Frère
H/29
Consanguinité
H/38 H
2 frères
Début
Teigne
Atteinte de la peau
Onyxis
ADP
8 4
+ +
+ +
+ +
+
TV
2
+
+
+
+
TV
18
+
+ + + +
+ + +
TS TV
16
+ + +
+ + + + +
6
+ +
+ +
+ +
+ +
+ + + +
+ + + +
+
+
+ +
+
+
+
+
+
Abcès rétropharyngé
+
+
Atteinte vertébrale et cérébrale
Dib-Lachach et al., 2009 [22] Bouncer et al., sous presse [13] Tunisie Puissant et al. 1978 [34] Ben salem et al., 1987 [3] Riahi et al., 2002 [35] Souissi et al., 2005 [36]
Aounallah et al., sous presse [1,21] Notre observation, sous presse [20] Japon Hironaga et al., 1983 [26]
H/52
H/35 H/42
Non
8 H/19 H/17 H/50
1 7 5
F/27
3
H/43
Non
Atteinte viscérale
Dermatophyte
Atteinte corticotronculaire TV + TS TV + TR MC puis TV MC+ TV MC + TV TV + TR TV
TM var. inter.
F. Cheikhrouhou et al.
TV : T. violaceum ; TS : T. schoenleinii ; TR : T. rubrum ; T. ver. : T. verrucosum ; MC : M. canis ; TM : T. mentagrophytes ; TM var. inter. : T. mentagrophytes var. interdigitale ; TT : T. tonsurans.
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Figure 1 Placards érythématosquameux avec bordures nettes, polycycliques par endroits avec papulonodules. Areas with rashes and scales, polycyclical in places with papules and nodes. Figure extraite de www.atlas-dermato.org/atlas/mdemfin.htm [21].
cornes géantes handicapant la marche [9]. La peau altérée peut être la porte d’entrée d’infections bactériennes et même fongiques [7,29]. L’onyxis est fréquemment retrouvé (77,7 %), précoce et, en général, touchant tous les ongles des doigts et des orteils (Fig. 4). Les ongles sont parfois déformés et épaissis par des
Figure 2 Aspect nodulaire des seins. Nodular aspect of breasts.
verrucosités cornées [32] ou pachyonychie de tous les ongles avec onychogryphose [2,9]. En revanche, les muqueuses ne sont jamais atteintes [32]. Les adénopathies sont retrouvées dans 58,3 % des cas. Toutes les aires ganglionnaires peuvent être touchées : axillaires, inguinales (Fig. 5), cervicales (Fig. 6 et 7),
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Figure 3 Tumeurs ulcérovégétantes étendues au niveau du tronc. Ulcerous and vegetative tumours at the trunk level. ´ e de Cheikhrouhou et al. [20]. Figure tire
sous-maxillaires. L’atteinte des aires profondes est rarement signalée et tardive. Leur volume est variable, pouvant se présenter sous forme de microadénopathies ou atteignant la taille d’une mandarine [3,7]. Elles peuvent subir des poussées inflammatoires et fistuliser, donnant lieu à des ulcérations, rappelant par leur aspect les adénites tuberculeuses [32]. Des lymphœdèmes touchant les membres et les organes génitaux ont été rapportés [3]. À un stade plus tardif, les lésions peuvent se propager en profondeur et gagner les organes profonds (os, cerveau, par exemple) [13,24,26]. L’atteinte cérébrale est rapportée dans quatre cas, dont trois en Algérie : le premier cas, signalé par Hadida et Schousboe, l’envahissement cérébral a été confirmé à l’autopsie [24] ; le deuxième cas, en 1977, par Liautaud et Marill [29] ; le troisième cas est particulier, associant une atteinte tronculocorticale [13]. Le quatrième cas, qui consiste en une atteinte disséminée cérébrale et vertébrale due à T. mentagrophytes, a été décrit au Japon [26]. Un retard staturopondéral a été également rapporté [25,32], voire des troubles hormonaux [32].
Figure 4 Onyxis des ongles des orteils et des mains. Onyxis of toenails and fingernails.
F. Cheikhrouhou et al.
Figure 5 Adénopathie inguinale. Inguinal adenopathy. ´ e de Boudghe ` ne Stambouli et al. [5]. Figure tire
Diagnostic différentiel La maladie dermatophytique est une entité clinique et immunologique qui reste très peu définie. D’autres d’entités cliniques doivent être différenciées. Les dermatophyties superficielles extensives [19] se présentent sous forme de dermatophytie généralisée et chronique mais sans envahissement dermohypodermique survenant chez des malades négligeant ou après corticothérapie. Dans le granulome de Majocchi [39], la lésion se constitue à partir d’un follicule pilaire contaminé se rompant dans le derme et se présente sous forme de nodule sous-cutané centré par un poil parasité entouré par un granulome. Il peut laisser des cicatrices atrophiques. L’immunodépression et la corticothérapie locale sont des facteurs favorisants, mais cette affection peut se rencontrer en dehors de tout contexte pathologique. Une des localisations électives est la jambe et les plis inguinaux, chez les femmes [37,39]. L’aspect clinique est celui de lésions papuleuses, ou papulonodulaires, rosées ou violines, fermes ou fluctuantes, par-
La maladie dermatophytique : revue de la littérature
Figure 6 Adénopathie cervicale. Cervical adenopathy. ´ e de Cheikhrouhou et al. [20]. Figure tire
67 particuliers : atopie, diabète, maladies auto-immunes, greffes, néoplasies, infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). . . [18]. Les traitements immunosuppresseurs, les chimiothérapies et la radiothérapie sont aussi des circonstances d’apparition de telles lésions. Les patients avec un déficit de l’immunité cellulaire sembleraient plus particulièrement à risque. Les lésions cliniques sont des nodules, des placards inflammatoires, œdémateux, de couleur violine, souvent plus étendues et d’apparition plus rapide que les granulomes de Majocchi ; parfois, ce sont des abcès pouvant s’ulcérer avec écoulement purulent. La taille des lésions peut aller de 1 à 10 cm, et le nombre des lésions d’une à plusieurs dizaines. Les localisations préférentielles sont les extrémités, mais le tronc, le visage, le cuir chevelu peuvent être concernés. En cas d’infection superficielle dermatophytique antérieure, la lésion profonde se localise plus volontiers à proximité de celle-ci. Des adénopathies de voisinage sont possibles. Ces aspects cliniques étant peu spécifiques, ce sont souvent la biopsie et l’examen anatomopathologique qui permettent de poser le diagnostic. Trichophyton rubrum est le principal responsable de ces atteintes profondes. Mais certains dermatophytes, non anthropophiles, comme Microsporum gypseum, deviennent parfois pathogènes sur ces terrains immunodéprimés. Dans les cas les plus sévères, des atteintes systémiques sont possibles (osseuses, hépatiques, spléniques, pulmonaires, neurologiques) et l’évolution peut être fatale [39].
Histologie
Figure 7 Multiples coulées ganglionnaires cervicales (TDM). Multiple cervical swollen ganglions. ´ e de Cheikhrouhou et al. [20]. Figure tire
fois ulcérées. La disposition annulaire est possible. La biopsie est souvent nécessaire au diagnostic. Les agents étiologiques habituels sont T. rubrum et T. tonsurans [19,39]. Les mycétomes à dermatophytes [39] sont des affections très rares dans lesquelles le dermatophyte a aussi franchi la barrière cutanée mais il forme des grains dans le derme. Ils sont dus essentiellement à T. rubrum, Microsporum canis et M. audouinii. Ils surviennent chez des patients sous corticothérapie prolongée qui présentent une teigne du cuir chevelu ou une épidermophytie circinée. Les lésions se présentent sous forme de nodules hypodermiques érythémateux, douloureux, centrés par un cheveu ou un poil. Le diagnostic différentiel se pose avec la maladie dermatophytique à son début. Le diagnostic repose sur le prélèvement de surface et sur une biopsie cutanée, qui montre des filaments mycéliens agglomérés en grains, entourés de matériel éosinophile [39]. D’autres dermatophyties profondes, sans atteinte folliculaire de départ, sont rapportées sur des terrains
Sur le plan histologique, les lésions peuvent réaliser au niveau épidermique une hyperplasie, hyperacanthose, une parakératose avec des foyers de spongiose et même une nécrose kératinocytaire [7,29]. Mais l’élément le plus évocateur est le granulome retrouvé dans pratiquement toutes les lésions profondes (tubercules, nodules, nodosités hypodermiques, ganglions, etc.). La présence de granulome la distingue des dermatophyties extensives superficielles et chroniques [8,35,36]. Il est constitué de nombreuses cellules géantes contenant parfois du mycélium, des monocytes et des cellules épithéloïdes. D’autres populations cellulaires peuvent êtres trouvées : lymphocytes, polynucléaires neutrophiles et éosinophiles. Une organisation folliculaire très tuberculoïde peut être constituée, centrée alors par des foyers de nécroses riches en filaments mycéliens, mais parfois le granulome peut être moins bien organisé [7]. Des formations levuriformes et même des grains de mycétome peuvent être présents. Sur certaines coupes histologiques, on peut observer le parasitisme des poils et des conduits sudorifères [7]. Au niveau des ganglions, l’architecture du parenchyme ganglionnaire est totalement remaniée par la présence de larges plages de nécrose tissulaire, une importante hyperplasie réticulaire au sein de laquelle on observe des cellules géantes de type langhans entourées de lymphocytes, de plasmocytes et d’histiocytes [7,32].
Mycologie L’examen direct est souvent positif aussi bien au niveau des prélèvements superficiels que profonds (pus de fistules,
68 ponctions ganglionnaires, biopsies. . .) confirmant le diagnostic d’une dermatophytie disséminée. Les dermatophytes en cause sont d’origine anthropophile dans 84 % et zoophile dans 16 % des cas. L’espèce prédominante est T. violaceum (59,4 %), soit isolée (72,7 %), soit en association à d’autres espèces de dermatophytes (27,3 %) (T. schoenleinii, T. rubrum et M. canis). Cette espèce demeure le dermatophyte majeur des teignes dans les pays du Maghreb [30]. Bien que T. schoenleinii soit quasiment disparu de la flore dermatophytique de certains pays du Maghreb comme la Tunisie, il demeure néanmoins toujours signalé comme agent de maladie dermatophytique dans 13,5 % des cas. D’autres espèces sont plus rarement en cause, telles que : T. rubrum (8 %), M. canis (8 %), T. verrucosum (5,4 %), T. tonsurans (2,7 %) et T. mentagrophytes variété interdigitale (2,7 %).
Immunité La fréquence de la consanguinité et la notion des cas familiaux laissent supposer l’existence d’un déficit immunitaire de transmission récessive, à l’origine d’un état de tolérance vis-à-vis des dermatophytes [22]. À notre connaissance, les mécanismes immunitaires pouvant expliquer aussi bien l’extension des lésions que l’envahissement profond du dermatophyte n’ont pas fait l’objet d’études poussées, et les rares études rapportées concernent plutôt des cas de dermatophyties extensives ou disséminées chez des patients immunodéprimés [27,28,33,36]. Les dermatophytes ne dépassent pas normalement le stratum corneum et ne peuvent pas pénétrer l’épiderme à cause des mécanismes de défense non spécifique chez le sujet immunocompétent. La réponse immune envers les dermatophytes est une réaction inflammatoire intense. Elle est de type humorale et cellulaire par migration de lymphocytes, macrophages et neutrophiles dans le derme [16,27,28]. Dans le cas de la maladie dermatophytique, si l’immunité humorale ne semble pas être altérée comme en témoignent l’élévation des IgE totales et spécifiques et la présence d’anticorps antitrichophytine, la présence d’un déficit de l’immunité cellulaire a été confirmée [14,36]. En effet, selon Wagner et Sohnle [38], et Kaaman et al. [27], les patients ayant des infections chroniques à T. rubum ont une IDR à la trichophytine négative alors que sa réponse à la transformation in vitro des lymphocytes est positive. Dans de rares cas où l’exploration immunologique a été effectuée, elle a montré la présence d’une anomalie fonctionnelle de l’immunité cellulaire avec une lymphocytose CD4 et CD8 normale avec conservation de la fonction des polynucléaires et élévation de la production d’IL-1 et de TNF [22,36]. Plus récemment, les lymphocytes CD8 de type TC2 suppresseurs sécrétant de l’IL-4 et de l’IL-5 seraient supposés être à l’origine du déficit immunitaire [22].
Évolution L’évolution de la maladie dermatophytique est plus ou moins longue [10]. Elle a pu être précisée chez 16 patients. Elle varie de cinq à 47 ans (moyenne : 20,25 ans). L’évolution était fatale
F. Cheikhrouhou et al. dans 43,7 %. L’amélioration transitoire a été observée dans 31,2 % des cas. L’évolution de la MD est certainement conditionnée par l’état immunitaire des patients [7]. L’amélioration du statut immunitaire associée au traitement antifongique pourrait être la meilleure thérapeutique. Malgré quelques légères améliorations fugaces, les antifongiques apparaissent très souvent inefficaces dans le traitement de la maladie dermatophytique. Les onyxis ne répondent généralement pas aux traitements [3]. Trois guérisons ont été décrites ; l’agent responsable étant T. verrucosum [32]. La maladie dermatophytique reste toujours une affection grave, engageant le pronostic vital après des années d’évolution.
Traitement Sur le plan thérapeutique, il n’existe pas actuellement de schéma codifié. En effet, les différents traitements utilisés n’ont permis qu’un contrôle partiel de la maladie. Ils sembleraient toutefois empêcher ou retarder la dissémination viscérale de l’infection. La griséofulvine est l’antifongique le plus administré, prescrite à la dose de 1 g/j et souvent associée aux traitements locaux. Les azolés ont été indiqués comme traitement de seconde intention après échec de la griséofulvine ; les plus utilisés étaient : le fluconazole (200 à 800 mg/j) [13,15], kétoconazole (200 mg à 800 mg/j) [3,24,36], itraconazole (200 mg/j) [7,8]. L’amphotéricine B administrée chez deux patients, malheureusement donné trop brièvement, a eu une action remarquable [26,32]. Ces traitements antifongiques ont été administrés pendant plusieurs mois, voire des années. D’autres traitements ont été essayés, tels que la terbinafine [38] et les immunostimulants (facteur de transfert, interféron) [22,27]. Les échecs thérapeutiques sont nombreux. L’administration de griséofulvine, d’itraconazole, de kétoconazole et de terbinafine n’a pas empêché l’évolution inexorable vers le décès dans le cadre d’une atteinte cérébrale [6]. Une excision chirurgicale a été indiquée dans les cas d’atteinte cérébrale, de tuméfactions et d’adénopathies de grande taille [13,29,36].
Conflit d’intérêt Les auteurs n’ont pas transmis de conflit d’intérêt.
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