Endocardites de la maladie de Whipple : cinq observations et revue de la littérature

Endocardites de la maladie de Whipple : cinq observations et revue de la littérature

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Article original

Endocardites de la maladie de Whipple : cinq observations et revue de la littérature Whipple’s disease endocarditis: report of 5 cases and review of the literature H. Aïouaz a,*, M. Célard a, M. Puget b, F. Vandenesch a, A. Mercusot c, F. Fenollar d, F. Delahaye c, JF. Obadia e, J. Tebib f, H. Rousset b a Service de bactériologie, hôpital Louis-Pradel, 59, boulevard Pinel, 69500 Bron, France Service de médecine interne, centre hospitalier Lyon-Sud, 69495 Pierre-Bénite cedex, France c Service de cardiologie unité 60, hôpital Louis-Pradel, 59, boulevard Pinel, 69500 Bron, France d Unité des rickettsies, faculté de médecine, université de la méditerranée, Marseille, France e Service de chirurgie cardiaque C, hôpital Louis-Pradel, 59, boulevard Pinel, 69500 Bron, France f Service de rhumatologie, centre hospitalier Lyon-Sud, 69495 Pierre-Bénite cedex France b

Reçu le 24 février 2005 ; accepté le 21 juillet 2005 Disponible sur internet le 24 août 2005

Résumé Propos. – Les lésions endocarditiques de la maladie de Whipple (endocardite infectieuse) sont exceptionnelles. Nous rapportons cinq observations issues de l’hôpital cardiovasculaire et pneumologique Louis-Pradel de Lyon. Méthode. – Nous avons colligé les endocardites infectieuses à Tropheryma whipplei diagnostiquées à l’hôpital Louis-Pradel entre 1995 et 2004. Résultats. – Il s’agissait de cinq hommes, de 53 ans d’âge moyen au moment du diagnostic. La présentation clinique était essentiellement cardiologique : souffle cardiaque constant, embole dans trois cas et insuffisance cardiaque sur insuffisance valvulaire dans trois cas. L’atteinte valvulaire, double dans trois cas, était le plus souvent aortique. Les végétations étaient constantes et les lésions valvulaires parfois majeures. La fièvre, présente dans quatre cas, était modérée (< 38,2 °C) et associée à un amaigrissement dans deux cas. Le seul signe extracardiaque était représenté par des arthralgies ou arthrites, constantes, rapportées antérieurement chez trois patients à une polyarthrite rhumatoïde séronégative, une spondylarthrite ankylosante HLA B27+, et un rhumatisme psoriasique. Aucune autre manifestation clinique de la maladie de Whipple, en particulier digestive, ganglionnaire, oculaire ou neurologique n’était notée, et les biopsies duodénales réalisées secondairement dans quatre cas étaient négatives. Cela diffère des données de la littérature où une localisation extracardiaque est prouvée dans 11 cas sur 17. Le diagnostic était porté sur l’examen histologique et bactériologique par PCR ARN 16S, universelle ou spécifique, réalisé sur les valves, tous les patients ayant été opérés. L’évolution a été favorable sous antibiothérapie prolongée. Conclusions. – Ces observations permettent de confirmer l’existence de formes essentiellement endocarditiques de la maladie de Whipple, où le seul signe extracardiaque existant est le tableau rhumatologique, et de rappeler l’intérêt de l’examen histologique et de la PCR des valves cardiaques lors d’une chirurgie valvulaire. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Purpose. – Endocarditic lesions (infectious endocarditis) associated with Whipple’s disease are exceptional. We report five cases from the cardiovascular and pneumologic hospital Louis Pradel in Lyon. Method. – We have collected all cases of Tropheryma whipplei endocarditis diagnosed between 1995 and 2004. Results. – Five men with a mean age of 53 years at time of diagnosis. The symptoms were essentially cardiovascular: murmur, embolism in 3 cases, and heart failure secondary to valvular insufficiency in 2 cases. The valvular involvement, double in 3 cases, was more often aortic. Vegetations were present in all patients and valvular destruction sometimes very important. A low grade fever was present in 4 cases, associated with weight loss in 2 cases. The only extra-cardiac symptoms were arthralgias or arthritis in all cases, considered in 3 patients as * Auteur correspondant. Centre de Perharidy, maison Saint-Luc, 29684 Roscoff cedex, France. Adresse e-mail : [email protected] (H. Aïouaz).

0248-8663/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2005.07.012

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seronegative rheumatoid arthritis, B27+ spondylarthritis, and psoriasic arthritis. Their was no other clinical manifestations of Whipple’s disease, particularly digestive, ocular, neurologic or adenopathy, and duodenal biopsies secondarily performed in 4 cases were non contributive. This differs from literature as an extra-cardiac location was identified in 11 out of 17 cases. The diagnosis was obtained by histology and PCR on the cardiac valves, as all the patients underwent surgery. The evolution was favourable with a prolonged antibiotic therapy. Conclusions. – These report confirms the existence of endocarditic forms of the Whipple’s disease, in which the single extra-cardiac manifestation is rheumatologic, and reminds us the usefulness of histology and PCR on the cardiac valves at the time of valvular surgery. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Endocardite infectieuse ; Maladie de Whipple ; Arthralgies ; Tropheryma whipplei ; PCR Keywords: Infectious endocarditis; Whipple’s disease; Arthritis; Tropheryma whipplei; PCR

L’endocardite infectieuse (EI) de la maladie de Whipple a été plus fréquemment rapportée au cours de ces dernières années avec 43 cas détaillés décrits depuis 1907 [1–19] dont 19 cas depuis 1995. Les progrès techniques et une meilleure connaissance de la maladie expliquent cette apparente augmentation d’incidence. L’endocardite infectieuse de la maladie de Whipple est probablement sous-estimée au sein des endocardites à hémocultures négatives car son diagnostic microbiologique reste encore difficile en pratique courante : la culture de Tropheryma whipplei (T. whipplei) est extrêmement fastidieuse [20,21], non réalisable en routine ; le sérodiagnostic est non disponible à ce jour et les techniques de biologie moléculaire sont réservées à de rares centres spécialisés. Au cours de la maladie de Whipple, l’atteinte valvulaire est fréquente dans les séries autopsiques (10 cas sur 19 pour Mc Allister et al. [22]) mais rare dans les séries cliniques (3 cas sur 52 pour Vital Durand et al. [23]) et le tableau clinique associé à l’endocardite semble être peu multisystémique. L’objectif de ce travail est de rapporter les observations de cinq patients présentant une EI à T. whipplei et de les comparer aux données de la littérature. 1. Patients et méthodes Les endocardites à T. whipplei ont été colligées de manière rétrospective dans le service de bactériologie de l’hôpital Louis-Pradel à Lyon. Entre 1991 et 2004, 702 endocardites infectieuses ont été diagnostiquées dans cet hôpital, avec parmi elles 102 (15 %) endocardites à hémocultures négatives dont cinq endocardites à T. whipplei. Les diagnostics d’endocardite infectieuse étaient certains selon les critères de Dukes [24], fondés sur l’examen histologique du tissu valvulaire qui affirmait l’endocardite infectieuse. La responsabilité de T. whipplei était considérée comme certaine sur l’association de macrophages PAS positifs à l’examen histologique et de la mise en évidence par PCR d’ADN bactérien spécifique de T. whipplei [25]. Les patients avaient tous été opérés soit à l’hôpital Louis-Pradel (quatre cas) soit en clinique privée (un cas). Les observations de la littérature ont été colligées à partir d’une recherche sur MEDLINE à l’aide des mots clés : endocarditis, Whipple, T. whippelii et T. whipplei, blood culture negative and endocarditis. Nous avons retenu les cas d’endocardite infectieuse à T. whipplei considérés comme certains selon la classification de Duke [24], suffisamment détaillés et

publiés entre 1976 et 2004. En effet, Mc Allister et al. [22] et Lie et Davis [26] ont démontré en 1975 l’importance de la recherche des manifestations cliniques d’atteinte cardiaque notamment endocarditique au cours de la maladie de Whipple et ont apporté la preuve de la localisation bactérienne endocarditique en microscopie électronique. 2. Résultats Cinq observations ont été identifiées entre 1995 à 2003, et quatre d’entre elles ont fait l’objet d’une publication antérieure [25,27]. Nous rapportons ci-dessous l’observation 1, originale : il s’agissait d’un homme de 51 ans, suivi pour une polyarthrite rhumatoïde séronégative et présentant un tableau d’endocardite infectieuse à hémocultures et sérologies négatives, associant : une fièvre à 38 °C, un syndrome inflammatoire (CRP 121 mg/l), un souffle d’insuffisance aortique (2/6) et une végétation aortique à l’échographie cardiaque transthoracique. Quatre mois après une antibiothérapie probabiliste, l’évolution se compliquait d’une défaillance cardiaque conduisant au remplacement valvulaire et permettant le diagnostic grâce à la PCR spécifique ARN 16S et l’examen histopathologique après coloration par le PAS réalisée sur le tissu valvulaire. Le Tableau 1 résume les données cliniques, évolutives et diagnostiques des cinq observations. Il s’agissait de cinq hommes de 41 à 61 ans (âge moyen 53 ans). Le diagnostic d’endocardite infectieuse était évoqué sur l’échographie cardiaque alors qu’il était cliniquement probable dans un cas (souffle et fièvre, AVC fébrile) et possible dans trois cas (AVC dans un cas et insuffisance aortique symptomatique dans deux cas). Cliniquement un souffle cardiaque était constant au moment du diagnostic, comportant toujours une composante régurgitationnelle. Un épisode fébrile était noté dans quatre cas avec un maximum de 38,2 °C, et une altération de l’état général était décrite dans deux cas. Une complication était constante : emboles cérébraux dans deux cas et insuffisance cardiaque dans trois cas. L’échographie cardiaque était systématiquement réalisée par voie transthoracique et transœsophagienne, cette dernière permettant de corriger deux faux négatifs de la première. Des végétations étaient visibles dans quatre cas et possibles dans un cas, toujours multiples, parfois volumineuses, avec un maximum de 14 mm. Dans un cas un abcès était suspecté, dans deux cas une perforation valvulaire évoquée, et dans deux cas il existait un véritable délabrement valvulaire

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Tableau 1 Données cliniques, diagnostiques et évolutives concernant cinq observations d’endocardite au cours de la maladie de Whipple Patients ˆ ge/sexe A Antécédents

1 51/M PR

Point d’appel

ETT pour fièvre et souffle cardiaque Mars 2003 Septembre 2003 IA (+) < 38,2 °C + (orthopnée) Splénique 120 53 7 – Ao et T Végétations ETT + ETO + IA grade III (perforation)

Date de l’échographie Date du diagnostic Souffle (nouveau) Fièvre Insuffisance cardiaque Embolie CRP (mg/l) VS (mm/heure) Leucocytes (G/l) FR Valve atteinte Échographie

Histologie valvulaire EI active Granulations PAS+ PCR sur valve(s) PCR sur sang Antibiothérapie probabiliste

+

Antibiothérapie spécifique

HC + DC puis TMP–SMZ 03/2004 En cours Oui RV Ao et T Mécanique (Ao) biologique (T) Favorable après 03/2004

Durée Chirurgie Prothèse Évolution

Recul après début de l’antibiothérapie Symptômes extracardiaques de la maladie de Whipple Biopsies duodénales (durée antibiothérapie)

+ + – Amoxicilline gentamycine 18 jours

2 61/M Maladie mitroaortique rhumatismale ETO pour AVC Mars 2002 Avril 2002 IA et RM (–) < 38,2 °C – AVC 11

3 60/M Rhumatisme psoriasique Souffle ETO pour IA chirurgicale Octobre 2001 Janvier 2002 IA (–) – + (orthopnée) – 4

4 55/M

3 – Ao et M Végétations ETT–ETO + RM serré IM grade I-II et IA grade II +

– Ao et M Végétations ETT–ETO + IA grade IV (délabrement) IM grade II +

5 – M Végétations ETT + ETO + IM grade III-IV (perforation) +

5 41/M SA Souffle ETO pour douleur thoracique et IA Mai 1995 1998 IA (–) < 38,2 °C + (arrêt circulatoire) – 40 7 11 + Ao Végétation ou aortite rhumatismale ETT + ETO + IA grade IV Possible

AVC fébrile Septembre 1998 Novembre 1998 IM (+) < 38° C – AVC 14

+ + + Amoxicilline gentamycine 15 jours puis amoxicilline quatre semaines HC + DC

+ + – Vancomycine doxycycline ofloxacine > 19 jours

+ + Non réalisée Ceftriaxone ofloxacine fluconazole sept semaines

+ (post mortem) + (post mortem) Non réalisée Doxycycline ofloxacine six semaines

HC + DC

TMP–SMZ



18 mois Oui RV Ao et M Mécanique

18 mois Oui RV Ao et plastie M Mécanique

12 mois Oui Plastie M

Favorable

Favorable

Favorable

Dix mois

18 mois

30 mois

Cinq ans et demi

Arthrites : polyarthrite rhumatoïde

Arthralgies

Arthrites : rhumatisme psoriasique

Arthralgies

Oui RV Ao Mécanique RVA et RVM six mois plus tard, pour désinsertion, décès en postopératoire –

Arthrites : SPA B27 puis polyarthrite rhumatoïde FR+ Négatives en histologie Négatives en histologie Négatives en histologie Négatives en histologie Non réalisées et PCR et PCR et PCR et PCR (à un mois) (à deux mois) (à deux mois) (à trois mois)

M, masculin ; PR, polyarthrite rhumatoïde ; SA, spondylarthrite ankylosante ; ETT, échographie transthoracique ; ETO, échographie transœsophagienne ; AVC, accident vasculaire cérébral ; IA, insuffisance aortique ; RM, rétrécissement mitral ; IM, insuffisance mitrale ; Ao, aortique ; T, tricuspide ; M, mitrale ; j, jour(s) ; HC + DC, Hydroxychloroquine + doxycycline ; TMP–SMZ, triméthoprime–sulfaméthoxazole ; EI, endocardite infectieuse ; RV, remplacement valvulaire

aortique. L’atteinte valvulaire était double dans trois cas, localisée à la valve aortique dans quatre cas, la valve mitrale dans trois cas et la valve tricuspide dans un cas. Les valvulopathies secondaires consistaient toujours en une fuite, aortique ou mitrale. Un syndrome inflammatoire était absent dans un cas, modéré dans trois cas. Une discrète polynucléose était notée

dans un cas et une lymphopénie dans deux cas. Les hémocultures conventionnelles étaient toutes stériles. L’examen histologique des valves était toujours compatible avec le diagnostic d’endocardite infectieuse active [24]. Le tissu valvulaire présentait des zones d’inflammation, plus ou moins vascularisées, avec une prédominance de cellules mononucléées et des zones de fibrose, avec des dépôts fibrinocruori-

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ques d’importance variable, et dans deux cas des calcifications. L’examen direct après coloration de Gram montrait dans un cas des amas bactériens intra- et extracellulaires. La culture conventionnelle des valves était stérile. Le diagnostic d’endocardite infectieuse à T. whipplei a été retenu sur l’association des données histologiques après coloration par le PAS et les résultats de la recherche d’ADN bactérien par PCR sur les valves cardiaques. La coloration par le PAS montrait de nombreux macrophages spumeux contenant des granulations intracytoplasmiques. La PCR universelle 16S réalisée sur la valve pour tous les patients, était positive pour T. whipplei avec une homologie significative de 99 % pour le gène de l’ARNr 16S de T. whipplei (Genebank accession no X99636). Une PCR spécifique pour T. whipplei [28] contrôlée par hybridation a été réalisée également chez les patients 1, 2 et 3 et a permis de détecter un fragment intragénique spécifique de T. whipplei. Secondairement, la culture spécifique sur milieu cellulaire a permis d’isoler T. whipplei dans deux cas. La PCR spécifique pour T. whipplei, réalisée sur le sang périphérique chez trois patients, était positive dans un cas. Les seuls symptômes extracardiaques de la maladie de Whipple, constamment présents, étaient les signes articulaires. Pour trois patients ces arthralgies étaient rebelles et un diagnostic de rhumatisme inflammatoire avait été posé : polyarthrite rhumatoïde séronégative pour le cas 1, rhumatisme psoriasique pour le cas 2, et forme intermédiaire entre spondylarthrite ankylosante HLA B27 positive et une polyarthrite rhumatoïde pour le cas 5. Pour les deux patients restant les arthralgies étaient très modérées. La diarrhée et les autres symptômes digestifs étaient remarquablement absents dans tous les cas, et il n’y avait pas d’autres manifestations, notamment neurologiques. Dans quatre cas la recherche d’une localisation digestive de la maladie de Whipple était réalisée (un à trois mois après le début d’une antibiothérapie) et négative tant en PCR qu’à l’examen histologique. Tous les patients ont bénéficié d’un traitement antibiotique initial probabiliste par voie intraveineuse, suivi d’un traitement au long cours par voie orale dans quatre cas (le patient non traité était décédé trois ans avant le diagnostic rétrospectif) : dans un cas triméthoprime–sulfaméthoxazole 160/ 800 mg × 2 par jour pendant un an, dans trois cas hydroxychloroquine 200 mg × 3 par jour et doxycycline 100 mg × 2 par jour pour une durée prévue de 12 à 18 mois remplacé dans un cas (observation no 1) par triméthoprime–sulfaméthoxazole du fait d’une mauvaise efficacité sur les signes articulaires. Tous les patients ont bénéficié d’une chirurgie valvulaire, dans deux cas du fait d’un risque embolique, et dans trois cas du fait d’une insuffisance cardiaque compliquant une insuffisance aortique sévère. L’aspect peropératoire était toujours évocateur d’une endocardite, montrant des végétations dans quatre cas, prenant parfois une couleur jaune ocre, des lésions valvulaires parfois majeures, avec dans trois cas un aspect de destruction partielle ou complète des cusps aortiques, dans un cas un volumineux abcès de l’anneau, associé à des abcès sur les sigmoïdes aortiques. Une désinsertion de prothèse aor-

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tique était présente lors de la seconde chirurgie du patient 5. Au total, huit remplacements valvulaires (dont six valves mécaniques) et deux réparations mitrales ont été réalisés. En dehors du patient 5, décédé avant le diagnostic, tous les patients ont évolué favorablement, avec un recul de dix mois à cinq ans et demi à partir du diagnostic. Les symptômes articulaires se sont amendés (après modification de l’antibiothérapie pour le patient no 1 en raison d’une arthrite sévère de la cheville droite et de la hanche gauche, avec une PCR négative sur le liquide de ponction articulaire). 3. Discussion Le Tableau 2 résume les données de nos observations et les compare aux données de la littérature. L’endocardite de la maladie de Whipple touche des hommes d’âge moyen. Elle survient essentiellement sur valves natives, et rarement sur une lésion prédisposante [1]. Plusieurs auteurs ont évoqué un déficit immunitaire cellulaire constitutif sur la base d’études immunohistochimiques [29,30] ou l’existence d’une réponse immunitaire particulière, en partie d’origine génétique, du fait de l’existence de réactions granulomateuses [31]. Dans deux de nos cinq cas, une immunodépression acquise a pu favoriser la dissémination de T. whipplei (traitement immunosuppresseur et corticothérapie introduits pour des signes articulaires qui pouvaient constituer les premiers symptômes de la maladie). La porte d’entrée, indéterminée, est supposée digestive par la plupart des auteurs. T. whipplei, dont la position phylogénétique est proche de bactéries telluriques [32], pourrait être une bactérie commensale, ubiquitaire, habituellement non pathogène [33]. La fièvre est inconstante, souvent transitoire et peu élevée, et le souffle cardiaque est presque constant. L’endocardite se complique fréquemment de signes d’insuffisance cardiaque, d’embolies systémiques en règle cérébrales, parfois répétées. L’atteinte valvulaire habituellement unique est préférentiellement aortique. L’échographie cardiaque permet souvent d’évoquer l’endocardite infectieuse, en visualisant des végétations, souvent multiples et volumineuses, rarement une perforation valvulaire et un abcès de l’anneau. Un syndrome inflammatoire biologique est fréquent mais souvent modéré, l’hyperleucocytose absente ou discrète, l’éosinophilie étonnamment fréquente (40 %) [1], et la lymphocytose parfois modérément abaissée. La culture de T. whipplei est réservée aux laboratoires spécialisés [20,34] et les tests sérologiques sont en cours de développement [35]. Ainsi le diagnostic de certitude d’endocardite à T. whipplei repose actuellement sur l’association de l’examen histologique et de la PCR réalisés sur le tissu valvulaire [36], ou sur un échantillon de sang chez les patients non opérés (la sensibilité de la méthode sur ce type d’échantillon n’est pas connue mais la spécificité est excellente). L’histopathologie du tissu valvulaire en coloration standard montre des signes d’endocardite infectieuse avec une association variable de fibrose et d’infiltration leucocytaire focale surtout mononucléée (macrophages spumeux et lymphocy-

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Tableau 2 Données cliniques, diagnostiques et évolutives comparées des cinq observations et 23 cas de la littérature ˆ ge (ans) A 53 (41–61) 57 (43–78) Sexe Prédisposition Immunodépression Souffle cardiaque Fièvre Insuffisance cardiaque AVC CRP (mg/l) Leucocytes (G/l) Atteinte valvulaire Végétations à l’échographie Diagnostic histopathologique d’endocardite infectieuse sur valve(s) Granulations PAS + à l’examen histologique des valves PCR positive sur valve(s) Antibiothérapie probabiliste intraveineuse • Fréquence • Molécules

5H/0F 1/5 (maladie mitroaortique rhumatismale) 2/5 (corticothérapie et immunosupresseurs) 5/5 4/5 (< 38,2 °C) 3/5 2/5 38 (4–121) 6,5 (5–11) Double 3/5, unique 2/5 4 Ao, 3 M, 1 T 5/5 4–5/5

19H/4F 4/23 (deux bicuspidies Ao et deux bioprothèses) 1/23 (diabète non insulinodépendant) 13/14 5/17 (< 40 °C) 15/21 5/21 52 (14–124) 8,6 (3,9–11) Double 3/23, unique 20/23 18 Ao, 7 M, 1T 9/17 19/19

5/5

14/14

5/5

12/12

5/5 cf. Tableau 1 5 (2,5–7)

10/20 Variée (pénicilline, gentamycine, vancomycine, minocycline) 4 (2–6)

4/5 TMP–SMZ 2/4 17 (12–18)

16/19 TMP–SMZ 14/16 14 (11–24)

• Durée (semaines) Antibiothérapie spécifique • Fréquence • Molécules • Durée (mois) Chirurgie • Fréquence • Geste réalisé Évolution Recul depuis le début de l’antibiothérapie Symptômes extracardiaques de la maladie de Whipple • articulaires • autres

5/5 Quatre RV Ao, un RV M, un RV T, deux plasties M 1 décès/5 33 mois (10–66)

17/23 14 RV Ao, quatre RV M, un plastie T 4 décès/20 18 mois (5–36)

5/5 0/5

14/22 (64 %) 13/23 (56 %) [diarrhée : neuf, douleurs abdominales : quatre, adénopathies superficielles : quatre, hyperpigmentation : trois, troubles neurologiques : deux, atteinte pleuropulmonaire : deux, myosite périorbitaire : un]

Atteinte extracardiaque de la maladie de Whipple prouvée en PCR et/ou histologie • duodénale • autre

0/4 non recherchée

13/20 (65 %) 11/17 (64 %) [ganglionnaire : six, ostéomédullaire : trois, atteintes disséminées à l’autopsie]

H, homme ; F, femme ; PR, polyarthrite rhumatoïde ; SA, spondylarthrite ankylosante ; ETT, échographie transthoracique ; ETO, échographie transœsophagienne ; AVC, accident vasculaire cérébral ; IA, insuffisance aortique ; RM, rétrécissement mitral ; IM, insuffisance mitrale ; Ao, aortique ; T, tricuspide ; M, mitrale ; TMP–SMZ, triméthoprime–sulfaméthoxazole ; EI, endocardite infectieuse ; RV, remplacement valvulaire.

tes), des calcifications peu fréquentes [27]. L’aspect caractéristique est celui de macrophages spumeux contenant des granulations intracytoplasmiques colorées en rouge vif par le PAS et diastase-résistantes. Cet aspect peut être absent et n’est pas complètement spécifique de la maladie de Whipple, des faux positifs ayant été décrits lors d’une infection par Mycobacterium avium ou intracellulare et chez des patients sains [1]. Des bacilles extracellulaires sont parfois visibles (31 % des cas), bien colorés par l’argent, et de manière variable par le Gram. La microscopie électronique, non réalisable en routine, peut permettre de confirmer le diagnostic par un aspect

typique de bacille en bâtonnet avec une membrane trilamellaire [7,18]. Enfin, dans les cas douteux, l’immunohistochimie, de développement récent, qui semble très sensible et spécifique, peut être une aide au diagnostic, de même que la mise en culture du tissu valvulaire même si elle reste fastidieuse et du domaine de laboratoires spécialisés [27,29]. La PCR ARN 16S universelle ou spécifique, effectuée sur le tissu valvulaire, permet de confirmer la présence d’ADN bactérien spécifique de T. whipplei. En l’absence de lésion histologique, la positivité d’une PCR doit conduire à une relecture systématique des lames histologiques, après coloration par le PAS.

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Néanmoins, une PCR positive sans confirmation histologique ne permet pas de conclure de manière formelle en raison de l’existence de faux positifs que certaines techniques s’attachent à réduire : utilisation de deux amorces différentes, séquençage, PCR temps réel [27,29]. La PCR réalisée sur le sang périphérique n’est pour l’instant pas une technique reproductible [37,38] mais sera probablement prometteuse [39]. De nombreux symptômes extracardiaques peuvent être associés dans le cadre de la maladie de Whipple. Nos cinq patients et 64 % de ceux rapportés dans la littérature, présentent des arthrites ou des arthralgies migratrices, survenant par accès, non destructrices, parfois rebelles au traitement. Aucun autre symptôme de la maladie de Whipple n’est noté parmi nos cas, alors qu’ils sont courants dans la littérature (56 %) : diarrhée (39 %), adénopathies superficielles (17 %), hyperpigmentation (13 %), et signes neurologiques (9 %). Une localisation extracardiaque de la maladie de Whipple est prouvée par l’histopathologie ou la PCR dans 65 % des cas (depuis 1976) : duodénale (64 %) et/ou ganglionnaire (30 %), et/ou ostéomédullaire (15 %), et lorsque la constatation est autopsique, l’atteinte est disséminée dans l’organisme. Chez nos patients les biopsies duodénales sont négatives en PCR mais également en histologie seulement deux mois en moyenne après l’introduction du premier traitement antibiotique alors que la disparition des signes histologiques est beaucoup plus lente que la négativation de la PCR [40]. Des observations de maladie de Whipple ne présentant pas d’autre localisation que l’endocarde ont été rapportées dans la littérature [13]. Plusieurs génotypes de T. whipplei sont décrits [17,29], sans que nous sachions si leurs expressions phénotypiques sont différentes. L’antibiothérapie actuellement recommandée dans la maladie de Whipple est la ceftriaxone 2 g × 2 par jour ou une association benzylpénicilline (1,2 million UI par jour) et streptomycine (1 g par jour) par voie veineuse pendant 15 jours, suivi d’un traitement par voie orale pendant au moins un an par cotrimoxazole (160 mg/800 mg × 2 par jour) ou tétracycline ou minocycline en cas d’intolérance [29,41]. Ces recommandations se fondent, en l’absence d’étude contrôlée, sur l’analyse des cas de la littérature, de données moléculaires [42] et sur une étude de la sensibilité in vitro de T. whipplei aux antibiotiques [43]. Des cas de rechutes et de résistance acquise au cotrimoxazole [29,44] inciteraient pour certains à rechercher un traitement bactéricide. Le premier essai thérapeutique européen est actuellement en cours pour évaluer le meilleur traitement initial (Study for the Initial Traitement of Morbus Whipple : SIMW). Un essai portant sur le traitement au long cours devrait suivre (Study for the Recurrent traitement of Morbus Whipple : SRMW ; des informations sont disponibles sur le site www.whipplesdisease.info). Parmi les 18 patients traités, publiés depuis 1976, 78 % ont reçu un traitement par triméthoprime–sulfaméthoxazole pendant au moins 12 mois, précédé dans 57 % des cas par un traitement intraveineux par diverses molécules (pénicilline, céphalosporine, aminoside, vancomycine, minocycline), pendant quatre à six semaines. Tous ces patients ont évolué favo-

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rablement, mais le recul est limité à 14 mois en moyenne (5 à 36 mois), avec un recul après l’arrêt du traitement dans seulement trois cas (de 20, 12 et 5 mois). Un de nos patients a également été traité par triméthoprime–sulfaméthoxazole pendant un an, avec un recul de quatre ans et demi après l’arrêt du traitement sans signe de rechute. Ces données plaident donc pour instaurer les mêmes recommandations que dans la maladie de Whipple générale, avec une période parentérale plus prolongée, de quatre à six semaines. Deux de nos patients ont été traités par doxycycline et hydroxychloroquine avec une évolution favorable mais le recul est insuffisant (24 mois 18–30). Cette association, préconisée par l’équipe du centre national de référence des rickettsies à Marseille et dont l’efficacité a été démontrée dans l’endocardite de la fièvre Q, a montré une activité bactéricide in vitro sur T. whipplei, la doxycycline seule n’étant pas bactéricide [43]. Les auteurs estiment que l’activité alcalinisante de l’hydroxychloroquine améliore la bactéricidie de la doxycycline, puisque T. whipplei, comme Coxiella burnetti, se multiplie dans des lysosomes. Tous les patients porteurs d’une endocardite certaine à T. whipplei, décrits dans la littérature, sont soit opérés, soit décédés, probablement du fait de la nécessité d’avoir un matériel valvulaire analysable pour poser le diagnostic de certitude. En effet, trois cas publiés d’endocardite infectieuse probable, définie selon les critères de Duke [24], avec une localisation extracardiaque de T. whipplei prouvée [39,45], évoluent favorablement sous antibiothérapie seule. La fréquence de la chirurgie au cours des endocardites à T. whipplei pourrait donc être liée au caractère tardif du diagnostic. L’aspect peropératoire est toujours évocateur d’endocardite infectieuse. Le geste réalisé consiste généralement en un remplacement valvulaire, par prothèse mécanique du fait de deux cas d’endocardites décrits sur prothèse biologique [7,17], mais il existe une rechute sur prothèse mécanique parmi nos cas. Le suivi clinique et échographique doit être prolongé pendant plusieurs années en raison des rechutes décrites plus de dix ans après une antibiothérapie [4,7]. Lorsqu’une localisation duodénale est prouvée, un suivi annuel des biopsies duodénales est recommandé [29], la disparition des anomalies à la coloration par le PAS semblant être un prérequis à l’arrêt de l’antibiothérapie [29]. Dans les formes avec atteinte cérébrale, le suivi inclut une analyse semestrielle du liquide céphalorachidien jusqu’à ce que la bactérie ne soit plus détectable [29]. 4. Conclusion Ce travail permet d’insister sur la nécessité, lors d’endocardites infectieuses à hémocultures et sérologies négatives, d’évoquer la possibilité d’une infection à T. whipplei, surtout si une atteinte articulaire antécédente est retrouvée par l’anamnèse, même s’il n’y a pas d’autres manifestations systémiques notamment digestives. Les essais thérapeutiques prospectifs actuellement en cours devraient permettre de préciser au mieux l’antibiothérapie de toute façon prolongée.

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H. Aïouaz et al. / La revue de médecine interne 26 (2005) 784–790

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