BIOCHIMIE
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La notion d ' 6 t a p e l i m i t a n t e : un c o n c e p t limit6 Introduction L'~tude de la r&gulation du m&tabolisme est domin&e par la notion d'&tape /imitante. Cette &tape, souvent suppos&e irr&versible, imposerait sa vitesse au flux de la voie m&tabolique ~ /'&tat stationnaire et les r&gulations s'exerceraient donc tout naturellement sur elle : c'est ainsi qu'il est couramment admis que ~ la vitesse de la glycolyse est essentiellement contr&l&e par le niveau d'activit& de la phosphofructokinase ~ [1], enzyme effectivement soumis ~ de nombreuses r&gulations (ATP, ADP, AMP, F-2,6-P2, citrate...). En fait, ces id&es reposent principalement sur I~tude in vitro de I'activit& de ces enzymes isol&s et de leur r&gulation. Ces &tudes in vitro ne peuvent pas prendre en compte le r&le que les diff&rentes &tapes et leurs r&gulations peuvent jouer sur le flux global d'un r&seau m&tabolique. L'un des premiers ~ proposer une analyse rigoureuse du rSle jou& par une &tape donn&e dans une vole m&tabolique fut Higgins en 1965 [2]. Son analyse fut d&velopp&e et approfondie par Kacser et Burns [3] et presque en m~me temps, de mani&re ind&pendante, en 1974 par Heinrich et Rapoport [4]. Leur approche peut &tre r&sum&e de la mani~re suivante : consid&rons pour simplifier une chaFne m&tabolique lin&aire ~ I ~ t a t stationnaire dont les produits initiaux et terminaux sont suppos&s maintenus en concentration constante :
Xo ~
"E, S~ ... S~_~ ~ S ~ . . . ~ X .
flux F
On comprend intuitivement qu'un changement en un point pourra retentir par I'interm#diaire des cencentrations des m#tabofites Si sur une #tape situ&e en un autre point. Aux,propri&t&s individuelles des enzymes s'ajoutent les liaisons entre &tapes, c'est-~-dire, des contrainte# impos&es parle r&seau m#tabolique. Deux questions illustrent ces deux types d'actions ~ I'&tat stationnaire : 1) Quelle est.l'influence d'un enzyme particulier sur un flux donn& ?. Cela conduira ~ la notion
de Coefficient de Contr61e et au Th6or~me de Sommation. 2) Quelle est l'influence d'un pool de m&tabolites sur un flux donn& ? On d&finira alors la notion de Coefficient d'Elasticit6 et on montrera le Th6or~me de Connexion.
Le concept de coefficient de contr61e Pour r&pondre ~ la premi&re question, il suffit de faire varier la vitesse v~ de I'&tape i d'une quantit& Avi et d'observer la variation AF du flux global F Iorsque /'on aura atteint un nouvel &tat stationnaire. La variation de vi peut &tre obtenue par de nombreux moyens : I'addition d'un inhibiteur, la variation de la concentration en enzyme, etc. Le param&tre faisant varier la vitesse vi est not~ Xi. On est alors naturellement conduit d&finir le coefficient de contrSle Cj de I~tape i sur le flux F par 3F /~v~
Ci = ~'~l
~-il(~tat statl. . . .
ire
Si la vitesse t~ est proportionnelle ~ la concentration en enzyme E,-, une d&finition &quivalente est donn&e par Kacser et Burns [3].
Ci = a / n F/a In Ei 16tatstatl
....
ire
Que signifie cette d&finition ? 8v~/~ki mesure la variation de la vitesse v~ de/'&tape i (consid&r&e comme isol&e avec les m~mes concentrations de Si-1 et S~ et dans les m&mes conditions) en fonction du param&tre ki. Si /'&tape i contrSle enti&rement le flux, la variation de F doit lui &tre identique : on aura a/ors C~ = 1. Par contre, si /'&tape i n'exerce aucun contr&le sur le flux, DF/ ~ k~ est &gal ~ zdro quelle que soit la valeur de avi/~k~. La valeur de C~, g&n&ralement comprise entre 0 et 1 (clans les cas simpies), mesure donc effectivement le contr&le exerc& par I'dtape i sur le flux F. La valeur de C~peut &tre mesur&e exp&rimentalement en faisant varier v~ : par exemple, avec un inhibiteur spdcifique I e t en mesurant ~ la lois l'effet de I sur le flux global F et I'effet de ! sur /'&tape i isol&e dans les m~mes conditions que celles de la charne m&tabolique ~ I ~ t a t stationnaire.
XII
#t# v#rifi#es exp#rimentalement sur de nombreux exemples. C'est ainsi que Rapoport et al. [5] ont montr# que, en ce qui concerne la glycolyse dans les #rythrocytes humains, le contr#le n ~taitpas assur# seulementpar la phosphofructokinase {PFK) mais aussi surtout par I'hexokinase (HK) :
~
F
I Le rapport des pentes ~ I'origine [ I = O) des deux courbes donne la valeur de Cz.
Le th~or~me de sommation et ses cons6quences Un coefficient de contrSle peut #tre d#fini pour chaque #tape i et une consequence importante de la d#finition est la relation suivante connue sous le nom de th~or6me de sommation. CI+C2+...+C~=1 La somme des coefficients de contrSle d'une vole m#tabolique ~ I'#tat stationnaire est #gale 1. Ce r#sultat est g#n#ral et s'#tend ~ un syst#me m#tabolique complexe ~ I'#tat stationnaire. Les consequences de ce th#or#me sont extr#mement importantes : 1) La premiere consequence est, qu'en g#n#ral, dans une chaYne m#tabolique, le contr#le est partag# et la notion de I'existence d'une seule #tape limitante d#terminant seule le flux global est er~ g#n#ral fausse. 2) La deuxi#me cons#quence tout aussi importante est que I'on peut avoir une redistribution des coefficients de controle en chdngeant d ~ t a t stationnaire. Une #tape assurant un contr~le ~lev~ dans un #tat stationnaire donn~ pourra exercer un contr&le nul dans un autre #tat stationnaire. Depuis plus 4e 10 ans, ces consequences ont
CHK = 0,7 et CprK= 0,3. D#S leurs premiers travaux, Kacser et Burns [3, 6], jouant sur la possibilit# chez Neurospora de moduler la concentration de diff#rents enzymes dans des h#t#rocaryons convenables, #tudi#rent de cette mani#re le contr#le de certaines voles m#taboliques, dont celle de I'arginine, et montr#rent que la plupart des coefficients de contrSle sont tr&s faibles. Cela signifie qu'une variation parfois importante dans la concentration des enzymes correspondants n'a aucune influence sur le flux. Ce n'est qu'une cons#quence du th#or#me de sommation : dans une chafne m#tabolique, la plupart des coefficients de contrSle sont n#cessairement faibles et les enzymes correspondants apparaissent en exc#s. Cela va ~ I'encontre d'une autre id#e regue, celle de concentrations en enzymes exactement adapt#es ~ une valeur de flux donn#. Ces auteurs montrent que, de mani#re g#n#rale, cette cons#quence est ~ la base de la r#cessivit# pratiquement universelle des mutants dans les organismes diploi'des [7].
Le concept de coefficient d'~lasticit6 Les Si sont le lien entre les diff~rentes ~tapes. Un changement dans I'~tape i v a entraTner une variation ASI de Si. On peut alors poser la question : quelle va ~tre I'influence de cette variation sur I'~tap.e suivante i -I- 1 ou plus g#n#ralement sur toute autre ~tape de la chaTne ?. Cela a m i n e ~ d~finir le Coefficient d'Elasticit6 c/ = din Vi/dln S~ de I~tape j par rapport au m~tabofite S~. II traduit une propri~t~ locale : la mani~re dont I ~ t a p e j d#pend de S~. A titre d'exemple, pour un enzyme michaelien, I'~lasticit# sera ~gale ~ ! pour des concentrations tr&s inf~rieures au Km et ~gale ~ 0 pour des concentrations tr~s sup#rieures au Kin. Bien que les coefficients d'#lasticit# traduisent des propri#t#s locales, ils sont reli#s aux coefficients de contr61e par I'interm#diaire du
th6or~rne de connexion [3] : i
XIII
On peut montrer que dans des cas simples, les coefficients de contr&le Ci peuvent ~tre exprim&s en fonction des coefficients d'&lasticit~ ~/ (Kacser, communication personnelle). Sch&matiquement, les coefficients d'&lasticit& connectent les diff&rentes &tapes d'un r&seau m&tabolique et permettent de pr~dire comment les changements en un point peuvent se transmettre ~ tout le r&seau. Applications
Le plus grand succ&s de cette th~orie - - en ce sens qu'elle permet d'apporter une explication simple ~ un ensemble de r&sultats en apparence c o n t r a d i c t o i r e s - fut obtenu par Groen et al. [8, 9] qui ont ~tudi& le contr61e de la respiration dans les mitochondries de foie de rat. Depuis Iongtemps, diff~rents auteurs s'affrontaient sur le probl&me de savoir quelle &tape - - suppos&e unique - - contr61ait la respiration mitochondriale et donc la synth&se d'ATP. Selon les conditions, I'~tape catalys&e par le transporteur des nucl&otides ad&nyliques ou par la cytochrome oxydase, apparaissait comme limitante. L ~tude quantitative et syst&matique de Groen et al. a permis de montrer que, selon la th&orie de Kacser et Burns et Heinrich et Rapoport, le contr61e &tait partag& par plusieurs ~tapes de la chaTne et que, de plus, toujours en accord avec la th&orie, la distribution du contrSle variait avec la vitesse de respiration. Cette &tude magistrale a ouvert la voie ~ de nouvelles recherches en mati&re de bio&nerg&tique mitochondriale [10 & 15] qui, parce que quantitatives et s'appuyant sur une th&orie g&n&rale, permettent de mieux comprendre la r&ponse et I'adaptation du m&tabolisme mitochondrial ~ la demande en ATP de la cellule. Parall~lement, I~tude th~orique se poursuit
[15, 17, 18]. Pour terminer, il faut souligner les consequences de cette th&orie en pathologie. En effet, on peut pr&voir qu'une maladie du m&tabolisme se traduira par une redistribution des coefficients de contr61e. Une d&termination precise de ces coefficients permettra de savoir "sur quelles ~tapes (il peut en effet y e n avoir plusiEurs) faire porter pr~f~rentiellement un traitement (cf. travail de M. Rigoulet sur I'oed&me c~r~bral [12] ), Conclusion
:
Un ensemble de voies m&taboliques poss&de d'autres propri~t~s qu.e celles des enzymes iso-
16s. Ces propri&t&s syst~miques sont le r~sultat non seulement des caract&ristiques des enzymes isol~s, mais aussi de I'organisation du schema m&tabolique lui-m~me (chaTnes lin&aires, chaTnes branch&es...), c'est-~-dire des relations existant par I'interm&diaire des ~ pools ~ de,m~tabolites entre les diff&rentes &tapes. L'analyse th&orique propos&e par Kacser et Burns d'une part et Heinrich et Rapoport d'autre part fournit un support rigoureux ~ une &tude exp&rimentale quantitative du m~tabolisme cellulaire, de sa r&gulation ou de son d&r&glement. A la lumi&re de cette th&orie, la notion d~tape limitante unique apparait clairement comme trop restreinte et en g6n~ral fausse. J e a n - P i e r r e M a z a t et Eric J e a n - B a r t I n s t i t u t d e B i o c h i m i e Cellulaire et N e u r o c h i m i e du CNRS. 1, Rue C a m i l l e - S a i n t - S a e n s 33077 B o r d e a u x - C e d e x
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