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ARTICLE IN PRESS La Revue de médecine interne xxx (2019) xxx–xxx
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Carrefour des spécialités
L’hématopoïèse clonale : un concept émergent à la croisée des spécialités Clonal haematopoiesis: A concise review F.-X. Danlos a , M. Papo b , J.-B. Micol c,∗,d a
Inserm unité U1015, laboratoire de recherche translationnelle en immunothérapie, Gustave Roussy, Université Paris-Saclay, 94805 Villejuif, France Inserm U1163/CNRS ERL8254, laboratory of cellular and molecular mechanisms of hematological disorders and therapeutic implications, IMAGINE Institute, 75015 Paris, France c Département d’hématologie, Gustave Roussy, Université Paris-Saclay, 94805 Villejuif, France d Inserm UMR1170, hématopoïèse normale et pathologique, Gustave Roussy, Université Paris-Saclay, 94805 Villejuif, France b
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Hématopoïèse clonale Hémopathies malignes DNTMT3A TET2
r é s u m é Le terme « hématopoïèse clonale de signification indéterminée » ou « CHIP » décrit l’identification, chez des individus sans maladie hématologique, d’une ou plusieurs mutations somatiques dans les cellules hématopoïétiques. Ces mutations, détectées grâce aux techniques de séquenc¸age à haut débit (NextGeneration Sequencing ou NGS), affectent des gènes dont l’altération a d’abord été identifiée dans des hémopathies malignes, comme DNMT3A, TET2 et ASXL1. La présence d’une CHIP est associée à un risque accru de transformation en hémopathie maligne, aussi bien myéloïde que lymphoïde, évalué de 0,5 à 1 % par an. De manière plus inattendue, elle est également associée à une surmortalité globale d’origine cardiovasculaire attribuée à l’impact de ces mutations sur les fonctions pro-inflammatoires des cellules monocytaires et macrophagiques. La détection de CHIP par NGS relève actuellement du domaine de la recherche, mais des travaux cliniques de plus en plus nombreux suggèrent qu’elle pourrait avoir un intérêt clinique. ´ e´ Nationale Franc¸aise de Medecine ´ Interne (SNFMI). Publie´ par Elsevier Masson SAS. © 2019 Societ ´ ´ Tous droits reserv es.
a b s t r a c t Keywords: Clonal haematopoiesis of indeterminate potential Haematological cancer DNTMT3A TET2
Clonal hematopoiesis of undetermined significance or CHIP describes the identification, in individuals without hematologic disease, of one or more somatic mutations in hematopoietic cells. These mutations, detected by high-throughput genes sequencing (Next-Generation Sequencing or NGS), affect genes first identified in acute myeloid leukemia or myelodysplastic syndrome, such as DNMT3A, TET2 and ASXL1. CHIP is associated with an increased risk of malignant hemopathy, both myeloid and lymphoid, evaluated from 0.5 to 1% per year. CHIP is also associated with an increased risk of overall mortality and cardiovascular diseases. CHIP detection using NGS is currently limited to basic science field, but recent studies suggest that it may be of clinical interest. ´ e´ Nationale Franc¸aise de Medecine ´ Interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. © 2019 Societ All rights reserved.
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.-B. Micol). https://doi.org/10.1016/j.revmed.2019.05.005 ´ e´ Nationale Franc¸aise de Medecine ´ ´ ´ 0248-8663/© 2019 Societ Interne (SNFMI). Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits reserv es.
Pour citer cet article : Danlos F-X, et al. L’hématopoïèse clonale : un concept émergent à la croisée des spécialités. Rev Med Interne (2019), https://doi.org/10.1016/j.revmed.2019.05.005
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1. Introduction Ces dernières années, les progrès en biologie moléculaire ont permis d’identifier de nombreuses mutations somatiques au sein de l’ADN des cellules hématopoïétiques de patients atteints d’hémopathie myéloïde aiguë et chronique, permettant une cartographie quasi-complète du profil mutationnel de ces maladies. Ces mutations impactent le fonctionnement de nombreuses protéines intervenant notamment dans l’épigénétique, l’épissage alternatif (« spliceosome »), l’apoptose et les voies de signalisation intracellulaire [1]. En 2014, la sensibilité accrue des techniques de séquenc¸age à haut débit (Next-Generation Sequencing ou NGS) a permis d’identifier certaines de ces mutations somatiques dans les cellules sanguines de sujets sans maladie hématologique ni cytopénie ou anomalie cytologique. La prévalence de ces mutations clonales peut dépasser 10 % des sujets sains de plus de 70 ans [2–5]. Cette découverte a défini le concept d’hématopoïèse clonale « de signification indéterminée » (Clonal Hematopoiesis of Indeterminate Potential ou CHIP parfois aussi appelée hématopoïèse clonale liée à l’âge [AgeRelated Clonal Hematopoiesis ou ARCH]) [6]. Ces premières études ont associé la présence d’une CHIP à un risque accru d’hémopathie maligne, non seulement myéloïde — syndrome myélodysplasique (SMD), néoplasme myéloprolifératif (NMP), leucémie aiguë myéloblastique (LAM) — mais aussi lymphoïde — lymphome malin et syndrome lymphoprolifératif [2,3,5,6]. De manière plus inattendue, ces premières études ont révélé que la présence d’une CHIP était aussi associée un risque accru de mortalité d’origine non hématologique, en particulier cardiovasculaire avec un risque plus élevé d’athérosclérose [7,8], suggérant que les effets des CHIP ne se limitent pas à la définition d’un état préleucémique potentiel. L’objectif de cette revue est de définir le concept de CHIP, de décrire ses facteurs favorisants, son évolution clinique et implication pronostique, ainsi que les maladies hématologiques et non hématologiques qui y sont associées.
2. Définition et facteurs favorisants 2.1. Définition L’hématopoïèse normale a une organisation hiérarchique pyramidale au sommet de laquelle se trouvent les cellules souches hématopoïétiques (CSH), capables d’autorenouvellement et de différenciation. L’apparition d’une mutation somatique dans une CSH génère un clone qui, en fonction du gain de compétitivité apporté par la mutation aux cellules de ce clone, occupe une place plus ou moins importante sans affecter l’équilibre du système, et donc sans induire de pathologie hématologique (Fig. 1). Les mutations détectées, souvent isolées, parfois multiples, sont des mutations récurrentes identifiées dans diverses hémopathies malignes (Fig. 2). Cette découverte marque un changement de dogme. Depuis les années 60, la mutation d’oncogènes ou de gènes suppresseurs de tumeur était associée à la notion de malignité. La découverte des CHIP indique que de telles mutations peuvent exister et générer des clones dans un tissu qui reste fonctionnellement normal. La même découverte a été faite dans la peau en 2015 et plus récemment dans la muqueuse œsophagienne [9,10]. La notion de seuil de détection de ces mutations, appelé fréquence allélique (Variant Allele Frequency ou VAF), est essentielle. Pour définir une CHIP, ce seuil a été fixé arbitrairement à 2 % des cellules hématopoïétiques. Si l’on descend ce seuil, la fréquence des clones détectés augmente et leur risque de transformation diminue : avec un seuil de détection de 0,01 %, on détecte des anomalies
clonale du gène TET2 chez 95 % des sujets de plus de 65 ans [11]. Inversement, plus la VAF de la CHIP est élevée, plus le risque de transformation est important [2–5]. La liste des mutations susceptibles d’identifier une CHIP n’est pas définitive. Les mutations initialement recherchées par NGS dans les cohortes de sujets sains ont été sélectionnées à partir d’une liste d’environ 800 mutations (retrouvées au sein de 162 gènes) décrites dans la littérature et dans les bases de données génomiques contrôles pour être associées à des hémopathies malignes [4]. Si aujourd’hui cette liste ne comporte que des mutations somatiques, elle pourrait s’allonger, par exemple, avec l’inclusion de la variation du nombre de copies d’un gène. L’absence de pathologie hématologique est un prérequis à la définition d’une CHIP. S’il existe une cytopénie isolée et associée, le terme de CHIP est exclu et celui de cytopénie idiopathique de signification indéterminée (ICUS) est retenu (Fig. 3). Cette situation indique en effet un risque plus élevé de transformation secondaire [12]. S’il existe une dysplasie modérée associée, touchant moins de 10 % des cellules médullaires, on parle de dysplasie idiopathique de signification indéterminée (au-delà de 10 %, on parle de syndrome myélodysplasique, généralement associé à une ou plusieurs cytopénies) [6]. 2.1.1. Les principales mutations observées dans les CHIP Chez plus de 90 % des sujets, la CHIP est définie par une mutation unique et isolée. Dans les autres cas, on détecte la mutation de 2, voire 3 gènes dont l’altération est par ailleurs observée de fac¸on récurrente dans les hémopathies malignes. Dans le contexte d’une CHIP, les gènes les plus souvent mutés sont DNMT3A (53 %) et TET2 (10 %) (Fig. 2) qui codent des protéines impliquées dans la régulation épigénétique de l’ADN par le biais de la méthylation des cytosines [3,4]. DNMT3A est une enzyme de la famille des ADN méthyltransférases (DNMT). Elle catalyse la méthylation des cytosines au niveau des ilôts CpG, générant des molécules de 5-méthylcytosine (5-mc). La méthylation des cytosines des ilôts CpG des régions promotrices des gènes diminue la transcription de ces gènes [13]. Des mutations perte de fonction de DNMT3A ont été décrites dans plus de 20 % des LAM à caryotype normal, leur conférant un pronostic péjoratif, 10 à 15 % des SMD et dans certains lymphomes T [14,15]. Ten-Eleven-Translocation-2 (TET2) modifie également la méthylation des cytosines de l’ADN. Les protéines de la famille TET sont des dioxygénases, dépendantes de l’␣-kétoglutarate, qui catalysent l’oxydation des nucléotides méthylés 5mc en 5-hydroxyméthylcytosine (5 hmc). Ces nucléotides 5hmc sont excisés et remplacés par des cytosines non méthylées par un mécanisme de réparation de l’ADN que l’on appelle « base excision repair » (BER). Le résultat est une déméthylation de l’ADN qui, lorsqu’elle affecte les ilôt CpG au niveau d’un promoteur, favorise la transcription d’un gène [16]. Les mutations de TET2 entraînent une hyperméthylation de l’ADN. Des délétions et des mutations perte de fonction de TET2 sont observées dans 10 % des LAM, 30 % des SMD et environ 50 % des leucémies myélomonocytaires chroniques et des mastocytoses systémiques [17,18]. Les mutations de DNMT3A ou de TET2 procurent un avantage compétitif aux cellules hématopoïétiques dans lesquelles elles apparaissent, permettant une expansion clonale des cellules porteuses de la mutation aux dépends des cellules non mutées [19,20]. La notion d’hématopoïèse clonale avait été identifiée quelques années avant la notion de CHIP en étudiant l’inactivation du chromosome X chez la femme, révélant l’expansion de clone chez 40 % des femmes après l’âge de 60 ans, probablement due à des mutations inactivatrices de TET2 et à un état hyperméthylé de l’ADN [2]. D’autres gènes comme ASXL1, régulateur de l’épigénétique, dont la protéine induit des modifications post-traductionnelles des histones, et SF3B1 et SRSF2, qui codent des protéines du spliceosome, un
Pour citer cet article : Danlos F-X, et al. L’hématopoïèse clonale : un concept émergent à la croisée des spécialités. Rev Med Interne (2019), https://doi.org/10.1016/j.revmed.2019.05.005
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Fig. 1. Critère de définition d’une CHIP. Figure adaptée du papier de Steensma et al. [6].
Fig. 2. Principales mutations identifiées chez les individus ayant une hématopoïèse clonale. A. Listes des mutations et proportions dans les séries publiées de CHIP [3–5]. B. Classification en famille de gènes selon les mécanismes d’action des protéines impactées par ces mutations.
Fig. 3. Critères de définition des syndromes myélodysplasique, cytopénie clonale et idiopathique de signification indéterminée, en comparaison à ceux d’une CHIP. Figure adaptée du papier de Steensma et al. [6].
complexe protéique responsable de l’épissage des pré-ARN messagers sont mutés dans environ 9 et 6 % des CHIP respectivement. De plus, le gène suppresseur de tumeurs TP53, dont le produit est impliqué dans la réparation de l’ADN et la mort cellulaire, et le gène
PPM1D, dont le produit régule l’activité de la précédente, ainsi que des gènes codant des protéines kinases de la signalisation intracellulaire tels que JAK2, sont aussi fréquemment mutés dans les CHIP [3,4,21] (Fig. 2).
Pour citer cet article : Danlos F-X, et al. L’hématopoïèse clonale : un concept émergent à la croisée des spécialités. Rev Med Interne (2019), https://doi.org/10.1016/j.revmed.2019.05.005
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Fig. 4. Prévalence observée de l’hématopoïèse clonale en fonction de l’âge des individus dans les études descriptives [3–5].
2.2. Facteurs favorisants
3. Prédisposition aux hémopathies malignes
La présence d’une ou plusieurs populations de cellules hématopoïétiques mutées clonales serait détectable de fac¸on quasiment systématique à partir d’un certain âge en utilisant un seuil de détection inférieur à celui de 2 % définissant la CHIP [11]. Le principal facteur de risque des CHIP est l’âge des individus, d’où l’acronyme ARCH également utilisé pour les décrire. La prévalence des CHIP augmente avec l’âge : de 0,3 % avant 40 ans, à plus de 10 % après 70 ans (Fig. 4). La grande variabilité de l’expansion de ces clones, de ceux détectés uniquement par un séquenc¸age très profond à ceux définissant une CHIP (VAF ≥ 2 %) puis ceux induisant une hémopathie maligne (VAF pouvant attendre 50 %) suggère que la mutation n’est pas seule en cause dans cette expansion. La survenue de mutations supplémentaires, mais aussi le microenvironnement, notamment médullaire, et des facteurs extrinsèques, jouent vraisemblablement un rôle majeur dans l’expansion du clone [22]. Le vieillissement joue un rôle important dans l’accumulation d’événements cellulaires intrinsèques et extrinsèques entraînant l’émergence d’une population de progéniteurs hématopoïétiques mutés [23]. Au cours de la vie, le stress oxydatif notamment induit par exposition à divers toxiques, et la survenue de phénomènes infectieux et inflammatoires, aigus ou chroniques, participent à l’accumulation de remaniements médullaires [24,25]. Dans les CSH, des anomalies de réplication de l’ADN mal réparées conduisent à l’émergence de mutations [26]. Les anomalies associées au vieillissement sont le plus souvent des modifications de type C>T, caractéristiques d’un défaut de déamination des cytosines [26]. La plupart de ces anomalies surviennent dans des régions non codantes avec peu de conséquences, mais la survenue d’une mutation ponctuelle (Single Nucleotide Variant, SNV) dans une région codante (exon) au niveau d’une CSH survient à un rythme moyen de 0,13 par année de vie [27] et peut générer l’émergence d’un clone si elle affecte un des gènes mentionnés précédemment. Ces remaniements associés à l’âge induisent aussi des altérations du microenvironnement médullaire, support de l’hématopoïèse, incluant une immunosénescence qui entraîne un défaut d’immuno-surveillance de cellules hématopoïétiques mutées [28] (Fig. 5).
3.1. La présence d’une CHIP est associée à un risque accru d’hémopathie maligne La découverte des CHIP suggérait, par analogie avec les gammapathies monoclonales de signification indéterminée (MGUS) et les lymphocytoses B monoclonales (MBL), un risque accru de développement d’une hémopathie maligne. Cette hypothèse a été rapidement confirmée. Une première analyse multivariée portant sur plus de 11 000 sujets suédois suivis pendant 2 à 7 ans a identifié un hazard ratio (HR) à 12,9 (IC 95 % 5,8–28,7) [5]. Une seconde étude portant sur plus de 3000 sujets avec un suivi médian de 8 ans a confirmé cette observation avec un HR à 11,1 (IC 95 % 3,9–32,6). Le risque était particulièrement élevé lorsque la VAF de la CHIP était supérieur à 10 % (HR à 49 [IC 95 % 21–120]) [4]. Sur la base de ces deux études, lorsqu’une hématopoïèse clonale est détectée, le risque de développer une hémopathie maligne est estimé à 0,5–1 % par an. Les mutations détectées dans le clone malin sont alors celle de la CHIP à laquelle s’associent le plus souvent de nouvelles mutations. Les hémopathies malignes développées par ces patients sont des hémopathies myéloïdes (SMD, NMP, LAM) et lymphoïdes (lymphome, leucémie lymphoïde chronique, myélome multiple). Contrairement aux MGUS et MBL, la CHIP ne semble pas préidentifier le type d’hémopathie vers laquelle elle peut évoluer, ce qui est en accord avec l’apparition de la mutation initiale dans une CSH non encore engagée dans une voie de différenciation lymphoïde ou myéloïde (Fig. 6). 3.2. De l’hématopoïèse clonale aux hémopathies myéloïdes Les SMD et les LAM sont des affections hématologiques génétiquement plus complexes que les CHIP. Il est habituel de détecter au moins 3 mutations somatiques récurrentes dans les CSH malades et la VAF de chaque mutation est le plus souvent supérieure à 10 % [27,29]. En étudiant l’architecture clonale de deux LAM apparues chez des sujets préalablement porteurs d’une CHIP, il a été montré que les cellules leucémiques dérivent du clone initialement asymptomatique [5]. Certaines LAM sont donc la conséquence de l’apparition séquentielle de mutations somatiques s’accumulant au
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Fig. 5. Facteurs suspectés favorisant le développement ou la sélection d’une hématopoïèse clonale.
Fig. 6. Complications hématologiques et inflammatoire de l’hématopoïèse clonale : l’exemple des mutations de TET2. Une hématopoïèse clonale entraîne un risque d’accumuler d’autres mutations au sein des précurseurs hématopoïétiques et le développement d’hémopathies malignes (flèches violettes). Les mutations de TET2 au sein des monocytes et lymphocytes entraînent une dérégulation de la transcription des gènes des cytokines pro-inflammatoires et de facteurs de transcription contrôlant la polarisation des lymphocytes T CD4 (flèches jaunes et oranges).
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sein d’une même CSH et générant une CHIP avant d’induire une LAM. Comme nous l’avons indiqué précédemment, les mutations initiales affectent des gènes codant des régulateurs épigénétiques comme DNMT3A, ASXL1 ou TET2, des protéines du spliceosome comme SF3B1 ou SRSF2 ou des facteurs de transcription dont le rôle dans l’hématopoïèse est bien établi comme RUNX1, CEBPA et GATA2 [30]. L’identification de ces mutations dans une LAM évoque donc fortement l’évolution d’une CHIP ou d’un SMD. Les mutations affectant des gènes codant des protéines de la signalisation intracellulaire peuvent aussi générer des clones isolées et asymptomatiques. C’est le cas de JAK2V617F dont l’apparition dans une CSH ne génère pas toujours un NMP. Dans le contexte des SMD et des LAM, les mutations activatrices ou « gain de fonction » des gènes JAK2, NRAS ou FLT3 sont des évènements oncogéniques secondaires qui favorisent la progression de la maladie [31,32]. Les mutations initiales, comme celles de DNMT3A ou TET2, semblent créer un contexte favorable à l’apparition de mutations affectant ces voies de signalisation. Par exemple, l’association de mutations de TET2 et de FLT3 a un effet synergique sur la transformation d’un SMD en LAM [33]. L’analyse de l’architecture clonale, reflet de l’ordre d’apparition des évènements oncogéniques, permet ainsi de mieux appréhender la physiopathologie des hémopathies myéloïdes [34]. C’est ainsi qu’il a été montré que l’ordre d’apparition des mutations au sein d’un clone leucémique peut influencer l’expression clinique et biologique de la maladie. Dans les polyglobulies de Vaquez, dans lesquelles on observe souvent l’association de la mutation gain de fonction JAK2V617F à une mutation perte de fonction de TET2, l’âge d’apparition et la sévérité de la polyglobulie diffèrent selon que la mutation de TET2 est apparue avant ou après JAK2V617F [35]. 3.3. La détection d’une CHIP permet-elle de prédire le risque d’hémopathie ? La mise en évidence, chez les sujets porteurs d’une CHIP, d’un risque accru de développer une hémopathie maligne suggère que la recherche d’une CHIP pourrait être utilisée pour prédire ce risque. Deux études ancillaires de cohortes ont cherché, dans des prélèvements sanguins antérieurs au diagnostic de leur maladie, la présence d’une CHIP chez des patients atteints de LAM [36,37]. En comparant ces patients à un groupe témoin d’individus sains, ces études ont confirmé que, toutes mutations confondues, l’identification d’une CHIP chez des individus sains était associée à un risque statistiquement significatif de développer plus rapidement une LAM. Le risque est d’autant plus élevé qu’il existe une association de plusieurs mutations au sein d’un même gène et plusieurs mutations dans le clone asymptomatique. Le risque est aussi fonction de la nature des gènes mutés. Par exemple, dans la cohorte de la « Women Health Initiative », la présence d’un clone défini par une mutation de TP53, IDH1 ou IDH2 est associée à un risque très élevé de développer ultérieurement une LAM puisque ce risque est évalué à 13,9/100 000 par an (TP53) et 12,6/100 000 par an (IDH1/2) [37]. Le risque est bien moindre chez les sujets présentant une CHIP DNMT3A (4,6/100 000 par an) ou TET2 (5,5/100 000 par an) contre 2,7/100 000 par an en l’absence de CHIP, à tel point que le risque de transformation associée aux CHIP DNMT3A et TET2 est encore controversé [36]. En pratique, l’intégration de la notion de CHIP et de son identité moléculaire dans un modèle de prédiction individuel de LAM est limitée par la faible incidence de cette maladie qui prévient la validation du modèle [36]. 3.4. Le concept de sélection clonale dans les hémopathies malignes induites On sait depuis longtemps qu’une hémopathie maligne peut compliquer l’administration d’une chimiothérapie cytotoxique ou
d’une radiothérapie pour traiter une autre tumeur. Le mécanisme suspecté a longtemps été celui d’une génotoxicité directe du traitement. Celle-ci a d’ailleurs été démontrée à propos de certains médicaments comme la mitoxantrone [38]. Néanmoins, la génotoxicité des traitements antérieurs n’est pas le seul mécanisme à l’origine des hémopathies secondaires. L’administration d’un premier traitement anticancéreux pourrait en effet favoriser l’expansion d’un clone hématopoïétique asymptomatique préexistant. La présence d’une CHIP avant le début d’un traitement est associée à un risque plus élevé de SMD ou de LAM induits [39,40]. Des études cas-témoins conduites chez des sujets âgés atteints de cancer et traités par chimiothérapie ou radiothérapie ont montré que, en analysant un échantillon de sang collecté avant le début du traitement du cancer, on retrouvait une CHIP chez 62 % des patients développant une LAM et 71 % de ceux développant un SMD contre 30 % de ceux n’en développant pas. Le risque est particulièrement élevé lorsqu’il s’agit de CHIP défini par une mutation de TP53 ou de PPM1D (20 % des patients développant une LAM induite) [41]. L’analyse de l’architecture clonale indique clairement que la LAM est issue de l’évolution clonale de la CHIP initiale. Il est vraisemblable que le traitement du cancer initial favorise cette évolution clonale par un effet toxique direct ou par l’altération de l’environnement médullaire. Le clone acquiert un avantage compétitif supplémentaire par rapport aux cellules non mutées, résiste à la chimiothérapie et s’étend progressivement, ce que traduit l’augmentation de la VAF et l’acquisition de nouvelles mutations [39,42]. Bien sûr, cet effet d’induction/sélection d’un clone hématopoïétique et de son évolution vers une LAM n’est pas systématique : un quart des patients atteints de cancers sont porteurs de CHIP, mais l’incidence des hémopathies induites ne dépasse pas 1 % dans les études les plus récentes [43]. La majorité des mutations affectent les gènes DNMT3A ou TET2 qui ne semblent pas entraîner un risque accru de SMD ou de LAM, contrairement à celles affectant PPMID ou TP53 [44]. Le risque évolutif d’une CHIP est donc influencé par la nature de la ou des mutations qui la définisse.
3.5. CHIP et hémopathie lymphoïde Un tiers des hémopathies développées par les sujets porteurs d’une CHIP sont des hémopathies lymphoïdes B, qu’il s’agisse de lymphome de Hodgkin, de lymphome malin non hodgkinien, de leucémie lymphoïde chronique ou de myélome multiple [5]. Cette évolution est en accord avec les observations faites chez la souris. La délétion du gène Tet2 chez la souris induit des perturbations précoces de l’hématopoïèse touchant les compartiments myéloïde et lymphoïde [20]. L’inactivation spécifique de Tet2 au sein des lymphocytes B génère un syndrome lymphoprolifératif chronique caractérisé par une accumulation clonale de lymphocytes B atypiques CD19+ B220low CD5+ IgM+ évoquant ceux de la leucémie lymphoïde chronique humaine [45]. Le séquenc¸age de l’exome des cellules tumorales dans un lymphome B développé chez ces souris suggère que l’hyperméthylation du promoteur du gène AID (Activation Induced cytidine Deaminase) favorise la survenue d’anomalies lors de la commutation de classe isotypique et de mutations somatiques excessives conduisant à l’accumulation de mutations oncogéniques [45,46]. De la même fac¸on, la délétion du gène Dnmt3a chez la souris induit des anomalies de la méthylation du promoteur de gènes suppresseurs de tumeurs, conduisant au développement de lymphomes B et de lymphomes T CD8+ périphériques [47].
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4. Les risques de mortalité et de comorbidités non hématologiques associés aux CHIP 4.1. Le risque d’athérosclérose Les sujets chez lesquels une CHIP est détectée ont un risque accru de mortalité, toutes causes confondues (HR 1,4 [IC 95 %, 1,1–1,8], p = 0,02) et notamment de cardiopathie athéromateuse (HR 1,9 [IC 95 %, 1,4–2,7], p < 0,001) et d’infarctus du myocarde précoce (OR 4 [IC 95 %, 2,4–6,7], p < 0,001) [4,7]. Ces données semblent se confirmer dans des études plus récentes [48]. Une limitation de ces études était l’absence de données cliniques et biologiques exhaustives alors que la VAF de certaines CHIP JAK2V617F était proche de 50 %, suggérant que le diagnostic de NMP, elle-même induisant un risque accru de maladie cardiovasculaire, avait été ignoré [49]. Cependant, des modèles animaux semblent corroborer le lien entre CHIP et plaque d’athérome. La plaque athéromateuse est infiltrée de monocytes et de macrophages spumeux, responsables de la sténose artérielle progressive et de l’ischémie des tissus perfusés. En croisant un modèle invalidé pour le gène Tet2 et un modèle de prédisposition à l’athérosclérose (Ldlr-/− ), il a été montré que la perte de Tet2 favorisait le développement de l’athérome [7,8]. Les macrophages Tet2-/− qui infiltrent les plaques d’athérome ont un profil pro-inflammatoire du fait de l’activation de NLRP3 conduisant à une production accrue d’interleukine 1 bêta (IL-1) (Fig. 6).
4.2. Inflammation systémique et auto-immunité Une expansion clonale de lymphocytes T CD8+ effecteurs mémoires, porteurs de mutations somatiques de gènes associés au développement de réaction auto-immune (SLAMF6, IRF1), est détectée chez certains patients atteints de polyarthrite rhumatoïde [50]. Par ailleurs, une CHIP, essentiellement DNMT3A et TET2, est détectée chez une fraction des patients atteints de cette maladie [51]. Les mutations inactivatrices de TET2 et DNMT3A pourraient participer à la physiopathologie des maladies auto-immunes en favorisant un état pro-inflammatoire des cellules monocytaires et macrophagiques [8,52] et/ou en modifiant l’activité des lymphocytes T CD8+ et la polarisation des lymphocytes T CD4+ . TET2 régule notamment la méthylation du promoteur du gène FOXP3 [53] qui code le facteur de transcription majeur des lymphocytes T CD4 régulateurs dont la fonction est de prévenir les phénomènes d’auto-immunité. Parallèlement, TET2 participe à la régulation des profils de production de cytokines par les lymphocytes CD4 en modulant la méthylation des régions promotrices des facteurs de transcription responsables de la polarisation des lymphocytes (TBET, GATA3, RORT) ou de leurs gènes cibles. Ainsi, TET2 régule in vitro l’expression de cytokines de type Th1 et Th17 et des mutations de ce gène pourraient participer aux anomalies de production de cytokines au cours des maladies auto-immunes [54]. Ces constatations suggèrent un élément supplémentaire pour expliquer le développement de maladies auto-immunes ou inflammatoires chez des sujets âgés, où la survenue d’une CHIP pourrait favoriser l’émergence d’une maladie symptomatique. Cette idée est suggérée par l’exploration des dermatoses neutrophiliques et des vascularites associées aux SMD [55,56]. L’efficacité de la 5-azacytidine, un analogue de la cytidine qui inhibe les ADN méthyltransférases et induit une hypométhylation de l’ADN, renforce cette idée [57]. Les mutations de TET2 chez des individus atteints de SMD sont associées à un risque plus élevé de développer des manifestations auto-immunes [58]. Enfin, l’efficacité de la 5-azacytidine dans le traitement d’un syndrome de Sweet chez un individu porteur d’une CHIP suggère que la recherche de CHIP pourrait avoir un intérêt clinique dans certaines situations [59].
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5. Conclusion Les progrès de la génomique ont permis de détecter, dans le sang de sujets asymptomatiques, des clones de cellules mutées au niveau de gènes par ailleurs considérés comme des gènes importants de la physiopathologie des hémopathies. Ces CHIP permettent d’améliorer notre compréhension des étapes de la leucémogénèse et de l’évolution clonale, mais aussi de l’athérosclérose et des maladies auto-immunes. La détection des CHIP n’est pas encore d’usage clinique. Cependant, les études identifiant un risque accru d’hémopathie après traitement d’un premier cancer chez les individus avec CHIP suggère que cette recherche permettrait d’anticiper une évolution péjorative [60,61]. L’identification d’une CHIP TP53, IDH1, IDH2, SF3B1 ou SRSF2 avec une VAF élevée serait prédictive du développement d’une LAM quelques années plus tard [36,37]. Ces résultats posent de multiples questions et notamment celle de la prédiction du risque d’hémopathie liée à l’âge et à certains traitements. 6. Lexique CHIP : Clonal Hematopoiesis of Indeterminate Potential, hématopoïèse clonale de signification indéterminée. ARCH : Age-Related Clonal Hematopoiesis, hématopoïèse clonale liée à l’âge. Epigénétique : mécanismes modifiant de manière réversible l’expression des gènes sans en changer la séquence nucléotidique (ADN). Exemples : agent méthylant/déméthylant l’ADN. Epissage : processus par lequel les ARNm peuvent subir des étapes de coupure et ligature qui conduisent à l’élimination de certaines régions dans l’ARNm final. Voies de signalisation intracellulaire : transduction cytoplasmique et nucléaire d’un signal induit par la fixation d’un ligand à un récepteur cellulaire, aboutissant à l’activation de facteurs de transcription spécifique. Exemple de voies : JAK-STAT, MAPkinase, Pi3k-AKT-mTOR. NGS : Next-Generation Sequencing : techniques de séquenc¸age haut débit de l’ADN apparues à partir de 2005, produisant très rapidement des millions de séquence à faible coût. VAF : Variant Allele Frequency, fréquence d’allèle muté : fréquence à laquelle se retrouve un variant allélique dans une population cellulaire. Contribution des auteurs Jean baptiste Micol : • conception du projet ; • relecture/révisions du manuscrit. Francois-Xavier Danlos : • conception du projet ; • rédaction du manuscrit initial. Matthias Papo : • conception du projet ; • rédaction du manuscrit initial. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Pour citer cet article : Danlos F-X, et al. L’hématopoïèse clonale : un concept émergent à la croisée des spécialités. Rev Med Interne (2019), https://doi.org/10.1016/j.revmed.2019.05.005
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Remerciements Les auteurs remercient le Professeur Eric Solary pour sa relecture et ses conseils avisés.
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