La résilience : un concept inutile en psychotraumatologie

La résilience : un concept inutile en psychotraumatologie

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AMEPSY-1776; No. of Pages 5 Annales Me´dico-Psychologiques xxx (2014) xxx–xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Me´moire

La re´silience : un concept inutile en psychotraumatologie Resilience: An useless concept in psychotraumatology Franc¸ois Lebigot * Val-de-graˆce, 37, boulevard de Port-Royal, 75005 Paris, France

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Historique de l’article : Rec¸u le 29 juillet 2013 Accepte´ le 25 octobre 2013

La re´silience est initialement un terme utilise´ en sciences physiques pour de´signer la re´sistance aux chocs d’un mate´riau. Il est repris re´cemment en psychopathologie pour de´signer la capacite´ a` re´sister au stress ou a` rebondir dans la vie face a` l’adversite´. Par rapport a` la question du traumatisme psychique, elle est suppose´e, selon les auteurs, eˆtre inne´e ou eˆtre la conse´quence d’un lien pre´coce me`re-enfant de bonne qualite´. Dans cet article, nous avanc¸ons une autre hypothe`se, qui rend inutile le concept de re´silience. Face a` un e´ve´nement possiblement traumatoge`ne, le sujet est susceptible de de´velopper une ne´vrose traumatique. Celle-ci consiste a` l’inscription par effraction a` l’inte´rieur de l’appareil psychique de l’image traumatique. Elle se fera, si est pre´sente de´ja` au niveau des repre´sentations conscientes et inconscientes une trace des e´prouve´s originaires dans leur aspect de jouissance pleine (le « paradis perdu » de Freud). L’image traumatique vient a` cette place comme « objet perdu » et « retrouve´ », qui est source d’une jouissance inconsciente, mais porte aussi une angoisse de ne´antisation. Toute la question est de savoir si cet objet peut trouver place dans l’appareil psychique et si les liens d’attachement qu’il noue avec le psychisme vont eˆtre durables ou non. L’accueil mais aussi l’entretien de la vivacite´ de l’image traumatique et de ses effets de´pendent donc du rapport qu’entretient le sujet, pre´alablement a` l’e´ve´nement critique, avec la trace d’un « paradis perdu ». S’il est en attente d’un lieu de jouissance pleine, l’objet perdu/retrouve´ que constitue l’image traumatique trouvera naturellement sa place dans la trace laisse´e par le « paradis perdu ». S’il n’est pas ou peu dans cette attente, l’objet traumatique le laissera a` peu pre`s indiffe´rent, et soit, il ne sera pas re´ceptionne´ dans l’appareil psychique, soit, il en disparaıˆtra facilement et aise´ment. Ainsi, la ne´vrose traumatique ne´cessite-t-elle un fonctionnement ne´vrotique pre´alable caracte´rise´ (ne´vrotique est ici a` diffe´rencier de ne´vrotico-normal), qui alimentera la psychothe´rapie psychodynamique de ces patients. Celle-ci aura pour fonction de de´nouer les embarras ne´vrotiques qui rendent ne´cessaire l’existence d’un point de comple´tude. Le concept de re´silience ne dit rien de la nature du phe´nome`ne qu’il voudrait de´signer. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

Mots cle´s : E´tat de stress post-traumatique Ne´vrose traumatique Re´silience

Keywords: Post-traumatic stress disorder Resilience Traumatic neurosis

A B S T R A C T

Resilience is a term originally used in physical sciences to describe the shock-resistance of a material. Recently, it has been used in psychopathology to describe the ability to withstand stress or to bounce back into life, in the face of adversity. In relation to the issue of psychological trauma, it is assumed by the authors to be innate or to be the result of early good quality mother-infant bonding. In this article, we propose an alternative hypothesis that eliminates the concept of resilience. Faced with a potentially traumatogenic event, the subject is likely to develop a traumatic neurosis. This consists of registering the traumatic image by unknowingly adding it into the interior psychic system. It would be able to, if there is already present a recorded trace at the conscious and unconscious representations, in their original aspect of enjoyment (the ‘‘Paradise Lost’’, Freud). The traumatic image comes to this place as ‘‘an object lost and found’’ which is a source of unconscious enjoyment, but which also carries an anguish of annihilation. The whole question is to know whether this object could be accommodated in the psychic system and if the links of attachment which it forms with the psyche, will be sustainable or not. The reception and also the maintenance of the intensity of the traumatic image and its effects depend therefore on the connection which the subject preserves, prior to the critical event, with the trace of a ‘‘paradise lost’’. If he is waiting for a place for full

* Le Rosa-Baı¨a, 31, boulevard de la Libe´ration, 83600 Fre´jus, France. Adresse e-mail : [email protected]. 0003-4487/$ – see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.10.005

Pour citer cet article : Lebigot F. La re´silience : un concept inutile en psychotraumatologie. Ann Med Psychol (Paris) (2014), http:// dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.10.005

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enjoyment, the object lost/found, which constitutes the traumatic image, naturally will find its place by the trace left by the ‘‘Paradise Lost’’. If he is not waiting, or only slightly waiting for a place for full enjoyment, the traumatic object will leave him almost indifferent, and it will either not be received within the psychic system, or it will disappear comfortably and easily. Thus, the traumatic neurosis requires prior neurotic functioning characterized (Here, neurotic is to differentiate from ‘‘normal neurotic’’), which will nourish the psychodynamic psychotherapy of these patients. This will serve to resolve neurotic embarrassment, which requires the existence to a point of completion. The concept of resilience says nothing about the nature of the phenomenon that would designate. ß 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Le terme re´silience en psychopathologie 1.1. Re´silience initiale et dans l’e´volution Dans le champ de la psychotraumatologie, le concept de re´silience de´signe deux phe´nome`nes cliniques facilement observables. D’une part, la capacite´ d’un sujet a` traverser un e´ve´nement grave (qui pourrait, chez un autre, re´aliser une effraction traumatique), sans en eˆtre affecte´ ou avec de banales manifestations de « stress » adapte´es. C’est-a`-dire que le sujet dit re´silient ne pre´sentera pas, dans les suites de l’e´ve´nement, de syndrome de re´pe´tition traumatique. D’autre part, la capacite´ d’une victime pre´sentant une ne´vrose traumatique a` gue´rir rapidement, soit seule, soit avec l’aide ponctuelle et de tre`s courte dure´e d’un the´rapeute. 1.2. La re´silience comme disposition inne´e ou tre`s pre´cocement acquise Selon les auteurs qui ont transpose´ ce concept issu des sciences physiques dans le champ de la psychopathologie, la re´silience est conc¸ue comme une disposition inne´e, quoique parfois certains e´voquent des me´canismes de de´fense de type psychanalytique ou l’expe´rience pre´coce de liens d’attachement fiables. Selon Jacques Roisin [6] qui critique cette notion, la re´silience « vise indiffe´remment une capacite´ de re´sistance aux e´preuves de la vie, c’est-a`-dire une capacite´ a` ne pas eˆtre e´branle´, sorte de force psychologique face a` l’adversite´, ou une capacite´ a` effectuer un travail psychique suite a` un e´branlement conside´rable. Le recours au concept de re´silience entendu comme capacite´ a de´tourne´ l’inte´reˆt des cliniciens et des chercheurs de l’e´tude des processus intrapsychiques, y compris pre´conscients et inconscients, en œuvre dans tout travail psychique de re´silience. Cette mise a` l’e´cart a de´termine´ une utilisation essentiellement descriptive du concept. Elle a pu favoriser une de´rive moralisante et esthe´tisante de la re´silience et du traumatisme. Les personnes e´prouve´es par l’adversite´ peuvent, selon leur courbe de vie, eˆtre classe´es en ‘‘re´silients’’ et ‘‘ non re´silients ’’, les re´silients e´tant magnifie´s ». 1.3. Re´silience comme pre´disposition au transfert Ce dernier point est moins myste´rieux pour nous que la force « psychologique inne´e » e´voque´e pre´ce´demment, car il nous transpose en terrain connu : en d’autres termes, la re´silience serait, ici, la capacite´ du sujet a` nouer tre`s rapidement une relation transfe´rentielle psychothe´rapique, auquel cas le concept de re´silience deviendrait inutile et meˆme malvenu. Cette relation aboutirait a` une re´solution des symptoˆmes dans de brefs de´lais. 2. Re´silience et ne´vrose 2.1. Circonstances pour la re´silience 2.1.1. Occurrences cliniques : structure ne´vrotique/structure ne´vrotico-normale Dans notre pratique, nous avons observe´ que toutes les prises en charge psychothe´rapiques pour traumatisme, un tant soit peu

longues (plus que trois ou quatre entretiens), re´ve´laient chez le patient une pathologie pre´alable marque´e du sceau de la ne´vrose. Cette constatation nous mettait sur la piste d’une interpre´tation psychopathologique de la soi-disant re´silience, et nous incitait a` conserver le terme de ne´vrose traumatique au lieu de cette inade´quate appellation « e´tat de stress post-traumatique ». A contrario, ceux qui avaient « gue´ri » tre`s rapidement, ou qui meˆme spontane´ment s’e´taient de´barrasse´s de leur syndrome de re´pe´tition apre`s quelques manifestations, ne pre´sentaient aucun signe d’un fonctionnement ne´vrotique patent. Ils nous quittaient sans que l’on ait eu le temps de savoir grandchose d’eux, et, outre la disparition de la pathologie spe´cifique ou non spe´cifique, ils repartaient chez eux avec cette « insoutenable le´ge`rete´ de l’eˆtre », qui ne trompe pas sur le caracte`re « ne´vroticonormal » de leur structure de personnalite´. 2.1.2. Rencontres occasionnelles militaires Dans la pratique en milieu militaire, il y avait ces re´unions festives entre soldats pour marquer un anniversaire, une promotion, le de´part de l’un ou de l’autre vers le civil, etc. Nous rencontrions alors des militaires de´ja` anciens, qui profitaient de cette occasion pour aborder le « psy » et lui raconter une chose « e´trange » qui leur e´tait arrive´e. Il s’agissait le plus souvent de la rencontre avec la mort re´elle, suivie d’un syndrome de re´pe´tition, relativement supportable, c’est-a`-dire ne ne´cessitant pas l’interruption de leur service, puis de sa disparition spontane´e. La` aussi, il n’e´tait pas difficile de repe´rer chez ces militaires une personnalite´ « ne´vrotico-normale ». 3. La me´taphore freudienne de l’appareil psychique et le trauma 3.1. Sche´ma me´taphorique de l’effraction traumatique Pour comprendre notre point de vue sur cette question, nous proposons une vision me´taphorique de l’effraction traumatique, a` la manie`re de Freud. Reprenons l’image freudienne de la « ve´sicule vivante » comme figure de l’appareil psychique, soit une sphe`re contenue dans une membrane que Freud appelle le « pareexcitation » et qui est charge´e d’une forte e´nergie positive. Celle-ci a la taˆche de repousser a` l’exte´rieur les e´nergies trop intenses, qui, si elles pe´ne´traient dans la « ve´sicule vivante », perturberaient le fonctionnement du re´seau des repre´sentations, elles-meˆmes porteuses de faibles quantite´s d’e´nergie qui circulent le long des liens unissant les repre´sentations. C’est ce qui se produit quand l’image traumatique traverse le « pare-excitation » (fait effraction) et va s’incruster au milieu des repre´sentations, formant, dit Freud, « un corps e´tranger interne » fortement charge´ en e´nergie positive perturbatrice. Les repre´sentations lie´es entre elles forment le contenu du psychisme, c’est-a`dire des mots (des signifiants), des souvenirs, des pense´es, des affects, etc. Pour en revenir sur le sche´ma de la me´taphore freudienne, le « fond » de l’appareil psychique est se´pare´ du reste par une barrie`re autrement plus re´sistante que celle suppose´e de´limiter

Pour citer cet article : Lebigot F. La re´silience : un concept inutile en psychotraumatologie. Ann Med Psychol (Paris) (2014), http:// dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.10.005

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« conscient » et « inconscient » (le refoulement secondaire). Cette barrie`re, appele´e par Freud le refoulement primaire ou originaire, maintient dans l’insu le refoule´ originaire, c’est-a`-dire les premiers e´prouve´s du fœtus et du nourrisson. Il s’agit la` de l’infans, c’est-a`dire l’enfant avant qu’il n’acquie`re le langage. 3.2. Le refoulement originaire Le refoulement primaire, contrairement au refoulement secondaire, nous inte´resse ici au premier chef. En effet, il maintient de´finitivement hors de la conscience les contenus des premiers e´prouve´s de l’eˆtre. C’est-a`-dire essentiellement des angoisses de ne´antisation et des e´prouve´s de ple´nitude, de « jouissance » pleine, d’un e´tat ou` rien ne manque. 3.3. L’entre´e dans le langage et le manque Ces e´prouve´s originaires sont inaccessibles du fait du refoulement, mais ils sont aussi interdits d’acce`s. Interdits d’acce`s car y revenir serait effectuer un retour dans le ventre maternel, un analogon de l’inceste. Le petit infans est condamne´ a` poursuivre sa route vers le langage, qui ne lui assure plus ses e´tats de satisfaction totale de l’e´poque pre´ce´dente. Il va, de`s lors, eˆtre confronte´ au manque d’un objet de comple´tude, et va commencer une queˆte infinie d’objets substitutifs. C’est ce qui l’introduit aux alternances, bien e´tudie´es par Freud, du plaisir et du de´plaisir. L’effet du refoulement n’empeˆche pas qu’au niveau des repre´sentations il reste une sorte de trace des e´prouve´s originaires. C’est-a`-dire que, dans le psychisme humain, il y a un point de nostalgie concernant moins les angoisses de ne´antisation que les e´prouve´s de jouissance. Freud de´signait ce point comme la nostalgie du « paradis perdu ». Nous allons voir que, selon la force d’attraction que repre´sente ce point, le rapport a` l’objet traumatique sera diffe´rent. ˆ le de la structure ne´vrotique ante´rieure au traumatisme 4. Le ro 4.1. La jouissance chez Lacan, exemples usuels Lacan nomme jouissance (inconsciente) des e´tats ou` le sujet peut croire que rien ne manque, comme si le « paradis perdu » avait e´te´ retrouve´. Revenons a` notre traumatisme, et passons par le de´tour de l’horreur et de la mort. Il est de constatation habituelle de voir des eˆtres humains fascine´s par l’horreur et la mort. Donnons ici quelques exemples :  s’il y a un accident sur une file d’une autoroute, les bouchons seront de l’autre coˆte´, car chacun ralentit tant qu’il peut pour essayer de voir des morceaux de chair ou d’os, etc ;  si quelqu’un se jette par la feneˆtre, il y aura un attroupement autour de son cadavre ;  les enfants sont tre`s excite´s lorsque l’instituteur, dans sa lec¸on de sciences naturelles, ame`ne dans sa classe un squelette humain ;  voir aussi le succe`s des films ou des livres d’horreur, du grand Guignol, des e´missions chirurgicales a` la te´le´vision, des reportages sur des sce`nes de guerre ou de massacre, etc., en sachant que l’e´cran prote`ge d’une effraction traumatique ;  pour comple´ter cette liste, citons, plus grave encore, l’excitation des soldats qui partent en guerre (rappelons que les Grecs conside´raient que l’e´tat normal des socie´te´s e´tait la guerre et non la paix). Nous avons le souvenir d’avoir vu a` la te´le´vision de vieilles actualite´s montrant, gare de l’Est, les soldats joyeux et excite´s

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remplissant les trains en partance pour le front, et criant « A` Berlin, a` Berlin » et dans la gare de Berlin, exactement la meˆme sce`ne « Nach Paris, nach Paris. . . ». 4.2. Liens de jouissance entre l’image du trauma et le sujet Tout ceci pour amener l’ide´e, qui rencontre de fortes re´sistances, meˆme chez les professionnels, qu’entre l’image traumatique et le sujet existe un rapport de fascination et de jouissance. L’image traumatique, en effet, vient se loger dans les parages du point de nostalgie. Celle-ci comporte des e´prouve´s semblables aux e´prouve´s originaires : angoisse de ne´antisation et jouissance pleine. De ce fait, entre l’image traumatique et le sujet peut se cre´er un lien de fascination d’une tre`s grande force, qui se traduit dans la clinique par un lien d’attachement. Ce lien d’attachement mortife`re nous me`ne au-dela` du principe de plaisir. Apre`s un temps d’e´volution, la jouissance (toujours inconsciente) va eˆtre activement recherche´e, en de´pit de ce qu’elle traıˆne avec elle, d’angoisse de ne´antisation, d’e´pouvante, qui devient le prix a` payer pour cette satisfaction totale et totalement interdite. Dans une cassette vide´o, L’effroi des hommes [1], un ancien GI du Vietnam dit a` son me´decin interviewer : « J’ai commence´ a` aller mieux (il est en psychothe´rapie) quand j’ai compris que j’e´tais a` la fois le producteur, le metteur en sce`ne et l’acteur de mes cauchemars ». Ce qu’il avait compris, c’est que dans son syndrome de re´pe´tition, il avait une part active a` cette re´cupe´ration d’un objet de jouissance. 4.3. Le lien sujet, objet perdu Ce lien du sujet a` l’image traumatique qui est chez Freud un analogon de l’objet perdu (l’objet perdu est une autre fac¸on de de´signer le « paradis perdu ») est la principale raison de la re´sistance de ces patients au traitement. L’expe´rience clinique nous montre que des sujets mis au travail the´rapeutique rapidement apre`s l’e´ve´nement gue´rissent beaucoup plus vite : le lien d’attachement n’a pas eu le temps de se constituer pleinement. D’une manie`re ge´ne´rale, le ne´vrotique se sent exclu de cette aire du « paradis perdu » dont il a le pressentiment. Il ne sait pas ce qu’il veut car aucun objet n’est capable de lui apporter cette comple´tude apre`s laquelle il court. Lorsqu’il y a eu effraction du pare-excitation, c’est a` cette place de l’objet perdu que vient se loger l’image traumatique, graˆce a` ce qu’elle porte d’e´prouve´s originaires. D’une certaine fac¸on, l’objet traumatique est dans cette perspective bien plus avantageuse que n’importe quel objet substitutif ; meˆme s’il apporte de la souffrance, de l’angoisse, il apporte aussi et surtout de la jouissance, de la comple´tude. Il fait office d’objet perdu, objet retrouve´. Il est comme un morceau de refoule´ originaire, avec ses deux faces d’angoisse de ne´antisation et de jouissance. Ainsi le sujet a, a` sa disposition, un analogon du territoire originaire interdit et, cette fois-ci, possible d’acce`s. 4.4. Les deux destins de l’image traumatique Tout de´prendra de la structure ne´vrotique pre´existante, soit le sujet est reste´ pre´alablement tre`s attache´ a` l’illusion qu’il peut re´cupe´rer l’objet perdu, que le « paradis perdu » n’est pas vraiment perdu. Auquel cas, il sera ne´vrotiquement tre`s empeˆche´ dans sa recherche d’un objet de satisfaction, toujours de´cevant et meˆme peut-eˆtre dangereux dans ce qu’il traıˆne de ne´antisation. Soit le

Pour citer cet article : Lebigot F. La re´silience : un concept inutile en psychotraumatologie. Ann Med Psychol (Paris) (2014), http:// dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.10.005

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« paradis perdu » n’est la` qu’en filigrane, en lointain soutien de la recherche de l’objet de satisfaction : le principe de plaisir pourra alors librement de´ployer ces alternances et donner a` la vie son caracte`re heureux et excitant. Dans le premier cas, l’image traumatique qui a fait effraction, le « corps e´tranger interne », viendra prendre la place du fantasmatique « objet perdu » et he´ritera des liens d’attachement qu’avait celui-ci avec l’ensemble de l’appareil psychique. Dans le deuxie`me cas, l’image traumatique ne trouvera pas de lieu ou` se fixer et ne prendra pas la place d’un objet d’attachement. Elle constituera simplement un souvenir, c’est-a`-dire un ensemble de signifiants qui s’inte`grera aux repre´sentations de l’appareil psychique. C’est dans ce cas que Boris Cyrulnik (entre autres) parle de re´silience. 4.5. Expe´riences hors du commun Il faut ne´anmoins faire une remarque a` propos de traumatismes qui ont lieu dans un contexte de souffrances particulie`rement terribles, voire atroces, et prolonge´es (camps de concentration, otages durement traite´s, camps de tortures, etc.). Ces expe´riences hors du commun font alors partie de l’histoire du sujet et modifient sa personnalite´. Il n’est plus question alors de les aider a` se de´barrasser de ce rapport a` l’horreur qui s’est inscrit dans leur eˆtre : comme nous disait un ancien otage qui avait re´cupe´re´ dans la psychothe´rapie une vie satisfaisante (sociale, professionnelle et affective), malgre´ des cauchemars de re´pe´tition et qui e´tait sollicite´ de poursuivre son travail sur le traumatisme : « Non, c¸a, je ne peux pas, c¸a fait partie de moi maintenant. »

5.3. E´volution du trauma sous transfert Le transfert mobilisera les repre´sentations du sujet, qui fera un travail moins sur l’image traumatique que sur la structure ne´vrotique pre´existante. C’est en « gue´rissant » de sa ne´vrose que le traumatise´ abandonnera l’objet perdu. Toutes les psychothe´rapies mene´es chez ces patients mettent en e´vidence le travail effectue´ sur le re´seau des repre´sentations avec la re´solution des sce´narios les plus ne´vrotiques, ge´ne´ralement marque´s par la culpabilite´, c’est-a`-dire que la culpabilite´ lie´e au franchissement du refoulement originaire, franchissement qui fait l’objet d’un strict interdit, se transforme en culpabilite´ ne´vrotique ge´ne´re´e par les diverses fautes (œdipiennes, conscientes ou inconscientes) qui sont le lot des sujets ne´vrotiques au cours de leur existence. Nous avons publie´ plusieurs observations [4,5] d’e´volution de la ne´vrose traumatique sous transfert aboutissant a` la « gue´rison ». Si l’on devait conserver le terme de re´silience, il faudrait dire qu’il est un signifie´ complexe qui emprunte a` la structure ne´vrotique, dans la mesure ou` celle-ci a pre´pare´ l’accueil de l’objet perdu. On le voit, le terme n’ajoute pas grand-chose a` la question. En revanche, cette mise au point sur la dynamique ne´vrotique en rapport avec une vision me´tapsychologique de l’appareil psychique a deux conse´quences :  l’une, qui est de valider la pertinence de l’appellation de « ne´vrose traumatique » ;  l’autre, plus importante, qui est de conduire vers des chemins ˆ rs quant a` une entreprise the´rapeutique. su

5. Le travail de la psychothe´rapie

6. Re´silience et ne´vrose. Conclusion

5.1. Le de´ni

La re´silience doit eˆtre pense´e a` la lumie`re de ce sche´ma de la ne´vrose [5]. Dans le cas ou` la trace de l’originaire sera faible, il n’y a aucune place pour que s’inscrive dans le re´seau des repre´sentations l’image traumatique. Face a` un spectacle qui pourrait eˆtre traumatoge`ne, le sujet ne fera pas de ne´vrose traumatique, pas de syndrome de re´pe´tition. Le stress e´ventuel qui peut eˆtre intense, selon la nature de l’e´ve´nement, n’est pas concerne´ par cette proble´matique. De meˆme, si malgre´ tout, le « corps e´tranger interne » est parvenu a` s’installer, le peu de force qu’a le lien entre le sujet et la trace de l’objet perdu fera que ce lien pourra disparaıˆtre assez facilement et que le sujet abandonnera sans de´lai le retour de cette jouissance indue pour re´cupe´rer pleinement les jeux du plaisir et du de´plaisir. En revanche, si le sujet est en attente d’une jouissance totale, il accueillera comme une divine surprise le retour de l’objet perdu et, spontane´ment, ne sera pas preˆt a` s’en de´barrasser. Il acceptera de payer d’angoisse de ne´antisation le prix de ces retrouvailles. C’est le de´sir qui fera les frais de son nouveau fonctionnement et c’est ce que montre la clinique de la ne´vrose traumatique : une aphanisis du de´sir, dont les sujets se plaignent en disant qu’ils n’ont plus envie de rien. Peut-eˆtre faudrait-il reconside´rer toute la clinique de la ne´vrose traumatique a` partir de ce point central de la disparition du de´sir. Sans doute faut-il envisager le traitement psychothe´rapique de la ne´vrose traumatique non comme une pre´tention a` agir directement sur l’image traumatique, mais comme un travail qui prend pour cible la structure ne´vrotique, d’ou` s’origine l’attachement morbide a` l’e´ve´nement ve´cu.

Souvent, entre en jeu un me´canisme de de´fense qui est : le de´ni (c’est lui qui est a` l’origine de la phase de latence). Le de´ni porte sur l’image traumatique et est a` l’origine de fausse gue´rison. Le syndrome de re´pe´tition va disparaıˆtre, plus ou moins longtemps, parfois des anne´es, mais le sujet ne re´cupe´rera pas sa joyeuse insouciance ante´rieure vis-a`-vis de la mort, et son de´sir restera entrave´. Les circonstances de la vie peuvent a` tout moment rendre le de´ni inope´rant et l’image traumatique se pre´sentera a` nouveau, dans toute sa fraıˆcheur, a` l’esprit du sujet. Reste enfin l’hypothe`se que se noue une relation the´rapeutique. 5.2. Le(s) tuteur(s) de re´silience Pour Boris Cyrulnik, l’introducteur de la « re´silience » en France, le de´ni comme la haine bloque toutes possibilite´s de re´solution du traumatisme. Celle-ci ne pourra avoir lieu que si le sujet rencontre un « tuteur de re´silience » ou parfois plusieurs s’il s’agit d’un groupe familial, social ou the´rapeutique [3]. Il cite dans son livre plusieurs types de situation que peuvent vivre ses patients, qui ame`nent la production d’une parole re´solutive. Ce concept de « tuteur de re´silience » est largement repris par des psychiatres de pays comme le Rwanda, qui ont eu a` faire face a` des crises graves ayant affecte´ toute une nation. Ceci ne nous apprend rien sur ce que c’est la « re´silience », mais indique une fois de plus que c’est la parole qui est le reme`de a` l’image (traumatique). Et c’est aussi la parole adresse´e a` un autre, ou a` des autres, qui est le reme`de a` cet effet du traumatisme que Claude Barrois de´signe comme la « rupture communautaire » [2].

ˆ ts De´claration d’inte´re L’auteur de´clare ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.

Pour citer cet article : Lebigot F. La re´silience : un concept inutile en psychotraumatologie. Ann Med Psychol (Paris) (2014), http:// dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.10.005

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Re´fe´rences [1] Andro JB. L’effroi des hommes, vide´ocassette. Tome Code Production; 1990. [2] Barrois C. Les ne´vroses traumatiques. Paris: Dunod; 1998. [3] Cyrulnik B. Sauve-toi : la vie t’appelle. Paris: Odile Jacob; 2012.

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[4] Lebigot F. E´volution du trauma sous transfert. Rev Fr Stress Trauma 2006;6:71–7. [5] Lebigot F. Traiter le traumatisme psychique. Clinique et prise en charge. Paris: Dunod; 2011. [6] Roisin J. Re´silience. In: Damiani C, Lebigot F, editors. Les mots du trauma – Vocabulaire de psychotraumatologie. Paris: E´ditions Philippe Duval; 2011.

Pour citer cet article : Lebigot F. La re´silience : un concept inutile en psychotraumatologie. Ann Med Psychol (Paris) (2014), http:// dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.10.005