La place du pian dans le dépistage sérologique des tréponématoses chez les donneurs de sang de la Martinique

La place du pian dans le dépistage sérologique des tréponématoses chez les donneurs de sang de la Martinique

Transfus Clin Biol 2001 ; 8 : 403-9 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1246782001001914/FLA ARTICLE ORIGI...

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Transfus Clin Biol 2001 ; 8 : 403-9 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1246782001001914/FLA

ARTICLE ORIGINAL

La place du pian dans le dépistage sérologique des tréponématoses chez les donneurs de sang de la Martinique H. Maier1*, R. Césaire1,2, O. Bera2, B. Kerob-Bauchet1, A.K. Ould Amar1, N. Desbois2, G. Follea3 1

Établissement français du sang, hôpital Pierre-Zobda Quitman, BP 666, 97261, Fort-de-France, Martinique ; CHU de Fort-de-France, Martinique ; 3 Établissement Français du Sang, 34, boulevard Jean-Monnet, 44000 Nantes, France 2

Résumé – Le remplacement en 1995 du Veneral Disease Research Laboratory (VDRL) par le Treponema Pallidum Hemagglutination Assay (TPHA) pour le dépistage de la syphilis sur les dons de sang à la Martinique a été suivi d’une forte augmentation du nombre de donneurs positifs. À côté de la syphilis, une autre tréponématose, le pian, a sévi dans l’île jusque dans les années 1975-1980. Les tests classiques ne permettent pas d’identifier le tréponème en cause. Pour comprendre l’évolution observée, nous avons étudié les caractéristiques sérologiques et épidémiologiques des donneurs TPHA positifs de janvier 1995 à mai 1999, et les avons comparées à des études antérieures. Les résultats montrent une fréquence des dons du sang positifs au dépistage de la syphilis par le TPHA de 1,04 %. Les donneurs sont porteurs de cicatrices sérologiques, avec de faibles taux d’anticorps liés parfois à un antécédent lointain de pian. Dans la génération des donneurs de 18 à 29 ans, la prévalence s’effondre et tend à se rapprocher de celle des donneurs de sang de la Métropole, ce qui annonce à terme la disparition de ce problème. Nous évoquons la possibilité de réintégrer certains de ces donneurs, si l’interrogatoire pré-don est conforme aux critères d’admission au don. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS Caraïbe / donneurs de sang / pian / prévalence / syphilis / tréponématose

Summary – Treponemic serological tracks related to yaws in blood donors in Martinique (French West Indies). Using TPHA instead of VDRL for syphilis blood-screening since 1995 showed an important increase of positive blood donors in Martinique. Yaws, another treponemic disease, has been present on the island untill 1975-1980. Usual tests are unable to identify which type - veneral or non veneral - of treponema is involved. Our study, carried out from January 1995 to May 1999, compares actual serological and epidemiological characteristics of TPHA reactive donors to former studies. In our results, the frequency of reactive TPHA is about 1.04% in blood donations. Donors are carrying serological tracks of a past treponemic disease with very low rate of antibodies, sometimes linked to yaws. Among donors aged 18 to 30, prevalence is low and is going to become similar to the rate observed in Continental France. This means that this problem will disappear in new donor generations. We suggest the possibility for them to continue blood donation, if their personal preliminary enquiry fits the admission criteria for blood giving. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS blood donors / Caribbean / prevalence / syphilis / treponemic disease / yaws

*Correspondance et tirés à part.

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H. Maier et al.

À l’Établissement français du sang de Martinique, le test du VDRL a été remplacé par le TPHA pour le dépistage de la syphilis sur les dons de sang au cours du troisième trimestre de l’année 1995, conformément aux Bonnes Pratiques [1]. Il en a résulté un accroissement important du nombre de donneurs porteurs de sérologies positives. En Europe, un test positif est le plus souvent synonyme de syphilis vénérienne due au spirochète Treponema pallidum subspecies pallidum [2]. En zone tropicale, des tréponématoses non vénériennes sont susceptibles d’être à l’origine de ces anomalies sérologiques [3]. L’une d’elles, le pian dû à Treponema pallidum subspecies pertenue a sévi sur l’île jusqu’à la fin des années 1970. Rencontré dans les zones forestières humides de la ceinture intertropicale du globe, le pian est une affection de l’enfant transmise par contact direct dont la lésion initiale est un chancre cutané de la face ou des membres, pouvant avoir une évolution végétante (pianome). À la phase secondaire existent des pianides sèches ; on lui connaît également une phase latente, asymptomatique. Il se complique tardivement de lésions osseuses très mutilantes [4]. Le pian ne donne jamais d’atteinte cardiovasculaire ou neurologique et il n’y a pas de transmission de la mère à l’enfant au cours de la grossesse. Il est sensible au traitement par la pénicilline. Les tests utilisés pour le dépistage de la syphilis sont communs à toutes les tréponématoses sans qu’il soit possible de les distinguer [3]. Dans le cas du pian, les tests sérologiques se positivent 15 à 18 jours après l’apparition du chancre [4, 5]. La négativation sérologique après traitement est lente ; le patient est susceptible de conserver des anticorps tout au long de la vie [5]. Le but de l’étude a été de tenter d’estimer la part du pian dans les résultats de sérologie des donneurs de sang de la Martinique. Ceci afin de déterminer une conduite à tenir face aux donneurs ayant eu ce type d’antécédent dans leur enfance et dont l’entretien médical est conforme aux critères d’admission au don. MATÉRIEL ET MÉTHODES Population étudiée L’étude s’est déroulée en deux temps : rétrospectif pour la période de 1995 à 1998 et prospectif de juin 1998 à mai 1999. Elle concerne tous les donneurs de sang total de la Martinique, de 18 à 65 ans, en collecte mobile ou en site fixe. Ils ont été recrutés dans tous les secteurs socioprofessionnels de l’île et indistinctement dans la

population noire, indienne, blanche ou métissée. Ils ont été admis au don après un entretien médical conforme aux exigences des bonnes pratiques de prélèvement [6]. Technique de dépistage de la syphilis Les dispositions réglementaires en matière de dépistage sérologique de la syphilis sur les dons de sang imposent l’utilisation d’une technique basée sur l’hémagglutination ou d’une technique de sensibilité au moins équivalente [1]. Le TPHA (Phasyl, Diagast, Loss, France) en technique semi-automatisée a été utilisé pour le dépistage initial. Devant un sérum « réactif répétable », les produits issus du don sont systématiquement détruits et le sérum du donneur est adressé pour confirmation au laboratoire de microbiologie du CHU de Fort-deFrance. Le panel de confirmation associe un TPHA (BioMérieux, Marcy l’Étoile, France), un VDRL Charbon (Biotrol Diagnostic, Chennevières, France) et un test FTA-abs IgG et IgM (BioMérieux). Analyse des résultats L’analyse a porté sur les donneurs ayant un dépistage positif reproductible confirmé par le laboratoire de microbiologie avec TPHA positif (quel que soit le résultat du titrage des anticorps) et FTA-abs positif (IgG), et ce, quel que soit le résultat du VDRL. Les donneurs concernés ont été informés et exclus de façon définitive. Nous avons analysé l’évolution de la fréquence des dons et des donneurs positifs en fonction du temps, de l’âge et du statut du donneur (premier don ou donneur connu) et comparé nos résultats avec une étude menée chez les donneurs de sang de la Martinique en 1978 par Mornex et al. [5]. L’origine géographique des donneurs positifs a été comparée à celle d’une étude de l’Inserm non publiée réalisée dans les départements d’Outre-mer en 1978 par Martin-Bouillet et al. Dans le cadre d’une enquête sur l’endémie parasitaire digestive, des tests sérologiques tréponémiques avaient été pratiqués sur des volontaires sains dans les dispensaires de l’île. Afin de déterminer l’origine pianique ou syphilitique de la sérologie, dans la phase rétrospective, une confrontation du fichier de donneurs positifs avec celui du dispensaire de Dermato-Vénérologie Vernes–Calmette, premier centre MST de l’île, a eu lieu. Dans la phase prospective, les donneurs ont été convoqués, pour une consultation orientée vers la recherche et l’identifica Transfus Clin Biol 2001 ; 8 : 403–9

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Figure 2. Incidence-don des sérologies syphilitiques positives de 1995 à 1999. * juin 1998 à mai 1999.

Figure 1. Répartition des titres du TPHA (sur 350 sérologies positives).

tion de la tréponématose en cause, et ont subi un contrôle de leur sérologie. Les tests statistiques ont été effectués à l’aide du test du Chi2. Les différences ont été considérées comme significatives pour des valeurs de p< 0,05. RÉSULTATS Profil des sérologies Pour 81 % des donneurs ayant un TPHA positif, le titre du TPHA était compris entre 80 et 320 (figure 1). Le VDRL était dans tous les cas négatif, ou d’un titre inférieur à deux. Le test FTA-IgM a été négatif dans tous les cas, et le test FTA-abs IgG toujours positif (+ + ou + + +). Incidence-don L’incidence-don des sérologies TPHA positives (figure 2), pour la période de 1995 à 1999, est en moyenne de 1,04 %. Le pic observé en 1996 fait suite au changement de technique au troisème trimestre 1995. En 1978, l’incidence-don était de 2,8 %. Profil et statut des donneurs Pour la période étudiée, les donneurs TPHA positifs représentent 1.7 % de la population des donneurs de sang de la Martinique (350/17423) avec 62 % d’hommes et Transfus Clin Biol 2001 ; 8 : 403–9

38 % de femmes. Leur âge moyen est de 49 ans, alors que l’âge moyen de l’ensemble des donneurs est de 35 ans. De 1995 à 1997, dans la phase rétrospective de l’étude, 44 % des sérologies proviennent de donneurs d’un premier don et 56 % de donneurs connus, réguliers ou occasionnels. Par contre, dans l’étude prospective, tous les donneurs trouvés porteurs de sérologies tréponémiques positives étaient des nouveaux donneurs. Prévalence selon l’âge Le tableau I indique la prévalence des donneurs TPHA positifs dans chaque classe d’âge. Les classes d’âge qui ont été retenues sont celles établies par l’Agence française du sang pour les statistiques annuelles pendant cette période. La comparaison des effectifs entre chaque classe d’âge, montre des différences de prévalence statistiquement significatives : entre les donneurs de la classe d’âge 18–29 ans et ceux de 30–49 ans (Chi2, p < 0.0001) et entre les donneurs de la classe 30–49 ans contre celle des 50–65 ans (Chi2, p < 0,0001). Dans une même tranche d’âge, d’une année à l’autre, 1997 contre 1996, et 1998 contre 1997, les populations montrent une grande homogénéité, sauf dans la classe 30–49 ans, entre 1996 et 1997 avec un pic de fréquence en 1996. La figure 3 compare les prévalences des sérologies positives selon l’âge entre 1978 (Mornex et al.) et la partie prospective de notre étude en 1998. Pour les donneurs âgés de 18 à 39 ans en 1998, la prévalence devient très faible : 0,04 %, marquée par une cassure franche de la courbe. Les donneurs âgés de 18 à 29 ans en 1978 se retrouvent globalement dans la tranche des 40 à 49 ans en 1998 ; les positifs représentent les mêmes

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H. Maier et al.

Tableau I. Prévalence des sérologies tréponémiques chez les donneurs de sang de la Martinique selon les classes d’âge. Donneurs testés Année

(nb)

1995 1996 1997 1998 1999*

2162 2363 2502 2412 2129

18–29 ans Donneurs TPHA positif (nb) (%) 1 2 2 3 1

Donneurs testés

0,04 0,08 0,07 0,12 0,04

(nb) 2870 3033 3086 2793 2663

30–49 ans Donneurs TPHA positifs (nb) (%) 31 55 36 35 34

1,08 1,81 1,16 1,25 1,27

Donneurs testés (nb) 1010 1008 826 642 718

50–65 ans Donneurs TPHA positifs (nb) (%) 38 65 36 24 25

4 6 4 4 3

* juin 1998 à mai 1999.

proportions (environ 2 %). Pour les donneurs âgés de 30 à 39 ans en 1978, et qui ont entre 50 et 59 ans en 1998, la prévalence a baissé de près de 1 % entre les deux études. En 1998, dans les trois classes des donneurs les plus âgés, la prévalence à été divisée par deux par rapport à 1978, mais la pente des deux courbes est identique. La comparaison du recrutement géographique des donneurs TPHA positifs avec le recrutement général des donneurs, sur la base des données de l’année 1998 montre que les donneurs TPHA positifs sont en majorité issus du Nord-Atlantique, du Centre et du Sud de l’île. Comparaison avec la population générale Dans l’étude Inserm de 1978, la prévalence des sérologies tréponémiques positives dans la population générale était de 5 %, avec 0,5 % pour les moins de cinq ans, 0,93 % pour les cinq à neuf ans et 2,07 % pour les dix à 14 ans. Elle augmentait à 4,10 % de 15 à 19 ans,

passait à 5,93 % entre 20 et 29 ans pour devenir supérieure à 10 % après 45 ans. Recherche de la tréponématose en cause La partie rétrospective de notre étude concernait 266 donneurs positifs. Trente-quatre (12,8 %) dossiers ont été communs avec le dispensaire MST Vernes-Calmette. Dans la phase prospective, sur 60 donneurs positifs, 29 donneurs ont été revus (soit 48 %) à la consultation de contrôle. Au total, dans 25 dossiers, nous avons retrouvé un événement en rapport avec une tréponématose : pian ou syphilis clinique. Pour 38 dossiers (60,3 % des cas), la conclusion quant à l’étiologie n’a pas été possible, la découverte de la sérologie avait motivé la consultation ou le traitement sans signe d’appel clinique. Le tableau II donne les résultats des recherches des étiologies. DISCUSSION En 20 ans, la fréquence des dons TPHA positifs chez les donneurs de sang de la Martinique a été réduite de plus de moitié, passant de 2,8 % à 1,04 %. La publication des statistiques nationales des résultats des dépistages effectués sur les dons de sang montre, pour le test de la syphilis, un taux oscillant entre 1,55 et 2,46 dons Tableau II. Étiologies des sérologies tréponémiques positives. Syphilis

Figure 3. Comparaison des prévalences selon l’âge dans l’étude de Mornex et al. (1978/1979) et notre étude (1998/1999).

Pian

Années 1995 6 4 à 1997 Juin 1998 à 6 9 mai 1999 Total 12 (19%) 13 (20,7%)

Pas de conclusion possible

Total

24

34

14

29

38 (60,3%)

63 (100%)

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positifs pour 10 000 dons pour la période 1996–1998 [7]. Le taux des dons de sang TPHA positifs observé en Martinique est donc de l’ordre de 40 à 70 fois plus élevé qu’en Métropole. Notre étude montre qu’en 1999, la fréquence des sérologies tréponémiques positives s’effondre dans la jeune génération des donneurs, née après l’extinction du pian et cible privilégiée des campagnes de prévention des MST, après l’émergence du sida. Chez les donneurs les plus âgés, la fréquence observée est le reflet combiné de l’intensité de l’endémie pianique antérieure ainsi que de la syphilis, présente également dans le département. Pour les donneurs d’âge moyen, de 40 à 49 ans, le taux de 2 % de sérologies tréponémiques positives est similaire à celui d’il y a 20 ans chez les donneurs les plus jeunes (18–29 ans), et cette relative stabilité suggère que, si cette génération a été atteinte du pian dans l’enfance, elle a été moins exposée à la syphilis que la précédente. Pour les donneurs âgés de 30 à 39 ans en 1978, et qui correspondent aujourd’hui à la fourchette des 50 à 59 ans, le pourcentage des positifs a baissé de près de 1 %. Ceci peut s’expliquer par l’introduction en 1988 du dépistage de l’anticorps anti-HBc qui a en son temps éliminé de très nombreux donneurs. La Martinique est en effet une zone de moyenne endémie pour l’hépatite B [8]. Pour les donneurs âgés de 40 à 49 ans, en 1978, et qui correspondent aux plus de 60 ans en 1998, la baisse est encore plus marquée, mais la tranche d’âge est plus petite (60 à 65 ans), les donneurs ne pouvant plus effectuer de premier don après 60 ans. Tous les donneurs concernés ont un profil de « cicatrice sérologique » ; l’admission au don de sang s’effectuant selon des critères d’absence d’exposition aux MST, nous n’avons jamais observé de résultat correspondant à une syphilis récente ou évolutive. Si la négativation de la sérologie après un traitement de la syphilis précoce et bien conduit est habituelle, tous les auteurs s’accordent à dire que la persistance des anticorps après un pian est très longue [5,9,10]. L’association d’un TPHA positif de faible titre, d’un VDRL négatif, et d’un FTA-ABS faiblement positif serait un argument en faveur d’un résidu pianique, pour Fischmann et Mundt, alors que pour la syphilis plus tardivement traitée, le VDRL serait positif avec un titre plus élevé [9]. Malgré les progrès des techniques, il n’existe aucun moyen d’identifier l’origine pianique ou syphilitique d’une sérologie tréponémique positive. La détection par PCR, hautement spécifique des tréponèmes pathogènes, est utilisable dans le cadre de lésions évolutives, Transfus Clin Biol 2001 ; 8 : 403–9

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lorsque l’interprétation de la sérologie se révèle difficile ou lorsque le prélèvement est peu riche en tréponèmes (liquide amniotique, ou liquide céphalorachidien). Si les travaux de Noordhoek et al., en 1990, ont identifié une substitution nucléotidique sur une seule base du gène tpf1 entre le tréponème pallidum et le tréponème pertenue, cette différence n’est pas suffisante pour les distinguer formellement [3, 11, 12]. Les études qui ont été menées en 1978 par Mornex et al. [5] et l’Inserm, nous permettent, a posteriori, de dégager une donnée épidémiologique importante : la similitude entre le pourcentage des sérologies tréponémiques positives observé en 1978, à la fois chez les donneurs de sang les plus jeunes (2,2 %) et à la même époque, chez les enfants de 10–14 ans, à l’âge où ils étaient le plus exposés au pian (2,07 %) et avant l’âge de la maturité sexuelle où ils auraient pu être atteints de syphilis. Vingt ans après cette étude, une fréquence de 2,15 % de sérologies tréponémiques positives est retrouvée chez les donneurs de sang de 40 à 49 ans. Il est donc probable que ce taux d’environ 2 % de sérologies tréponémiques positives soit le reflet du taux d’endémie pianique de la Martinique à cette époque. Il est à noter que les syphilis congénitales ont été rares dans les Antilles Françaises car la pratique du dépistage de la syphilis au cours de la grossesse a été et continue à être très courante. Par ailleurs, il existe une concordance quant à l’origine géographique des porteurs de ces sérologies de notre étude avec celles de 1978, coïncidant avec les données épidémiologiques de la littérature sur la progression du pian dans l’île au cours du siècle [13]. Dans notre étude prospective, les neuf donneurs ayant eu des antécédents de pian n’ont pas eu de syphilis au cours de leur vie. Au total, pour les 63 dossiers des deux temps de notre étude, nous avons pu identifier 12 cas de syphilis, 13 cas de pian et 38 tréponématoses traitées à la suite d’une découverte sérologique lors d’un examen systématique (grossesse, nuptialité). Ces effectifs modestes ne permettent pas une analyse statistique significative, mais néanmoins dans 60 % des cas aucune conclusion n’est possible a posteriori quant à l’étiologie pianique ou syphilitique de la sérologie. À l’instar de Mornex et al. [5], nous avons constaté, dans les dossiers comme dans les entretiens, que le plus souvent, les patients étaient traités pour le seul motif sérologique, car l’examen était totalement négatif, et l’absence de contexte de MST était précisée dans le dossier. Ces cas correspondaient à des tréponématoses latentes. Notre étude pose la question de l’attitude à adopter alors face à ces donneurs porteurs de cicatrices sérolo

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giques du fait d’une affection survenue parfois plusieurs dizaines d’années auparavant, s’ils ne présentent aucune autre anomalie. Ces donneurs ne sont plus contagieux. Alors que le VDRL était utilisé pour le dépistage de la syphilis depuis 1956, la fréquence des dons positifs observée en 1994 était de 0,04 % (3/7220). En 1995, 56 % des donneurs dépistés par le TPHA étaient des donneurs connus VDRL négatif. Tous leurs dons antérieurs au changement de technique ont été utilisés pendant des années pour la préparation de produits sanguins labiles. Aucune donnée n’indique de transmission transfusionnelle de syphilis, ni de résurgence du pian. L’absence de transmission maternofœtale de la syphilis, lorsque la mère a des antécédents de syphilis guérie et traitée, peut constituer un autre argument de l’absence de contagiosité des porteurs de cicatrices sérologiques de tréponématose. Dans le pian, il n’y a jamais d’atteinte systémique cardiovasculaire ou neurologique, ni de transmission maternofœtale. La guérison après traitement est totale, la cicatrice sérologique est stable et le demeure. Une nouvelle contamination pianique ou syphilitique ferait apparaître une nouvelle élévation du taux des anticorps (avec présence d’IgM au FTA-Abs). La question d’une éventuelle réintégration des donneurs ayant des antécédents de pian peut être évoquée. Cette démarche doit nécessairement s’inscrire dans les dispositions réglementaires. Les Bonnes pratiques de qualification du don écartent aujourd’hui cette possibilité de réintégration [1, 6, 14]. Le déclin de la syphilis au cours des dernières décennies rend très anecdotique la découverte d’une syphilis primaire lors d’un don du sang. Si le risque de contamination par la syphilis au cours d’une transfusion globulaire est infime du fait de la fragilité du tréponème pâle, le risque peut être réel dans la transfusion plaquettaire du fait de leur conservation à 22 °C [15]. Concernant les Bonnes pratiques de qualification [1], après la réalisation du dépistage : « La décision quant à la conformité des produits sanguins labiles en fonction de leur destination est une étape ultérieure qui consiste à déclarer chaque produit conforme ou non conforme en fonction des résultats de qualification biologique du don et de tous les paramètres à respecter en vue d’assurer leur qualité et leur sécurité. » « Les recommandations ne doivent pas se substituer à l’appréciation et l’expérience du responsable du laboratoire qui, pour des cas particuliers, reste seul juge de la conduite à tenir. » La décision de déclarer un produit « conforme » appartient donc en dernier ressort au biologiste, avec le souci prioritaire de la sécurité pour le receveur. Une éventuelle réintégration

de ces donneurs impliquerait obligatoirement une procédure à définir, qui pourrait concerner les donneurs présentant un TPHA inférieur ou égal à 320 et un VDRL négatif ou inférieur ou égal à 2. Après vérification de la stabilité de la cicatrice sérologique, et une consultation orientée vers la recherche d’antécédent pianique, la poursuite des dons pourrait être autorisée. Lors de chaque don, et après confrontation à l’antériorité, les produits de ces dons pourraient être jugés conformes. Compte tenu du faible taux de réponses aux convocations de contrôle (moins de 50 % des donneurs concernés) dans notre étude, la proportion de donneurs concernés ne serait probablement pas très importante, même si la majorité des donneurs positifs a un TPHA inférieur ou égal à 320 et un VDRL inférieur ou égal à 2. Mais c’est surtout la baisse de la prévalence de la sérologie TPHA positive dans la génération des jeunes donneurs qui laisse présager de la disparition de ces sérologies à long terme, avec le départ progressif des donneurs les plus âgés. CONCLUSION En Martinique, la fréquence de résultats positifs dans le dépistage de la syphilis lors du don du sang par le TPHA est importante : 1,04 %. Comme tous les tests tréponémiques, le TPHA donne des réactions croisées entre syphilis et autres tréponématoses non vénériennes. L’une d’elle, le pian, surtout observé chez l’enfant, a sévi dans cette île des Tropiques jusque dans les années 1975–1980. Les patients qui en ont été atteints sont susceptibles de garder des séquelles sérologiques toute leur vie. L’analyse des caractéristiques séro-épidémiologiques des donneurs TPHA positifs, comparée à des études antérieures nous laisse penser que l’origine de cette anomalie est essentiellement pianique. Les sérologies observées ont été, dans tous les cas, de type cicatriciel, et le plus souvent avec un taux très faible d’anticorps (TPHA ≤ 320 et VDRL ≤ 2). Les épisodes infectieux qui en ont été responsables sont très lointains et guéris. Les donneurs concernés sont sains. Ils ne présentent aucune contre-indication lors de l’entretien médical préalable au don, en particulier au regard des maladies infectieuses transmissibles. La question d’une éventuelle réintégration de certains de ces donneurs selon une procédure spécifique peut être évoquée. L’évolution vers la disparition de ces sérologies pianiques dans la prochaine génération, et les Transfus Clin Biol 2001 ; 8 : 403–9

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impératifs de sécurité actuelle rendent cependant hautement improbable une telle prise de décision. RE´FE´RENCES 1 Arrêté du 4 janvier 1995 portant homologation du règlement de l’Agence française du sang relatif aux bonnes pratiques de qualification biologique du don et pris en application de l’article L. 668-3 du Code de la santé publique. JO du 31 janvier 1995. 2 Guntz P, North ML. Sérodiagnostic de la Syphilis. Rev Fr Lab 1997 ; 294 : 51-8. 3 Bianchi A, Sednaoui P, Poitevin M, Alonso JM. Diagnostic biologique de la syphilis et des tréponématoses endémiques, une nécessaire actualisation des connaissances. Med Mal Infect 1995 ; 25 : 1107-14. 4 Gentilini M, Duflo B. Tréponématoses non vénériennes. In : Gentilini M, Duflo B, Eds. Médecine Tropicale. Paris : Flammarion, Médecine-Sciences ; 1986. p. 318-23. 5 Mornex JF. Problèmes posés par la fréquence des sérologies tréponémiques positives chez les donneurs de sang en Martinique [Thèse]. Université Claude-Bernard, Lyon I, 1982. p. 77. 6 Arrêté du 22 septembre 1993 portant homologation du règlement de l’Agence française du sang relatif aux bonnes pratiques de prélèvement et pris en application de l’article L668-3 du

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