Gynécologie obstétrique & fertilité 37 (2009) 24-25
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La psychologue face aux grossesses multiples D’après la communication de C. Dudkiewicz-Sibony Hôpital Tenon, Paris, France
« J’ai déjà 35 ans, si je pouvais avoir des jumeaux ! Il paraît que c’est possible avec la stimulation. Deux d’un coup : ce serait tout de suite une vraie famille ». « Des jumeaux… C’est deux tendresses à la fois et une famille d’un seul coup, ça vaut bien la fatigue que ça coûte ». « Avec la FIV, on risque d’avoir des jumeaux ! Ce serait terrible. On ne veut pas en avoir plusieurs en même temps. On ne saurait pas comment être, comment les aimer ensemble ». « Et s’il y en avait trois, ou plus… » Dans un service d’Assistance Médicale à la Procréation (AMP), lorsqu’on écoute les couples, c’est entre ces deux réactions qu’ils oscillent. Et il importe d’y être sensible : la grossesse ne se déroulera pas de la même façon suivant qu’elle est désirée ou redoutée. Cela dit, il est difficile de cheminer sans réserve vers la grossesse monofœtale en AMP. Les couples qui peinent à avoir un enfant croient être prêts à en avoir plusieurs en même temps. Or, nous pouvons tous témoigner de la douleur que provoque une réduction embryonnaire. Même si certaines femmes trouvent de belles formules pour la supporter (« il faut tailler un rosier pour qu’il donne de belles roses »), d’autres sont tiraillées entre la peur de poursuivre la grossesse et la culpabilité de l’interrompre partiellement. Sans parler du risque de fausse-couche… Pourtant, aujourd’hui, les équipes réussissent à éviter les triplés. En 1985, j’en avais vu 6 à l’hôpital Tenon. Il n’y en a plus aujourd’hui. Par contre, il y a beaucoup de grossesses gémellaires : en 2006, sur une série de 264 grossesses « AMP », 50 sont gémellaires. Qu’avons-nous constaté jusqu’ici ?
1. Les jumeaux ne veulent pas avoir de jumeaux Un des derniers couples que Jacques Salat-Baroux m’avait adressé était un couple qui attendait des jumeaux. Il a été stupéfait d’entendre l’homme demander une réduction embryonnaire. J’ai reçu le couple et j’ai vu que cet homme était lui-même jumeau et avait une telle relation de haine avec son frère que l’idée de reproduire la chose et d’avoir des jumeaux lui était intolérable. Or, ce n’est pas si surprenant : dans la mythologie grecque et dans la Bible, les exemples foisonnent de rivalités fratricides (Rémus et Romulus, Jacob et Esau), qui peuvent aller jusqu’au meurtre. Dans le couple, la femme, par contre, avait très peur de tout perdre en subissant l’intervention… Correspondance. Adresse e-mail :
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En 2006, sur les 50 grossesses gémellaires obtenues par AMP à Tenon, il y a eu 46 accouchements : 35 ont donné naissance à 2 enfants, 11 à un seul enfant, et il y a eu 3 fausses couches spontanées. Ces données ne semblent peut-être pas catastrophiques. Mais il faut savoir que derrière chaque mort ou interruption de grossesse, il y a un deuil qui aura un retentissement sur toute la famille et sur le jumeau survivant. Aucune jumelle adulte que j’ai pu recevoir ne souhaitait avoir des jumeaux « Si c’est naturel, je ferai avec, mais s’il y a AMP, je souhaite qu’on prenne toutes les précautions. Pourquoi ? … Parce que c’est difficile à gérer pour l’éducation, car ce fut parfois très douloureux. Je me cachais derrière ma sœur. Elle était très dominante ». La « dominante », qui ne veut pas non plus avoir des jumeaux, déclare : « c’est très fort d’être deux et de ne faire qu’un par la complémentarité ». Ces jumelles arrivent après trois frères et sœurs. Et quand on leur demandait combien ils étaient, la « dominante » disait : « trois frères et sœurs plus moi… » (Ma jumelle fait partie de moi).
2. Deux, c’est formidable, mais un seul, ça soulage ! Une femme de 42 ans a eu une première grossesse triple par stimulation. L’un des embryons a arrêté de se développer. Elle a eu un garçon et une fille. Elle en était très fière, car elle n’y croyait plus. Les débuts furent délicats : un mois de couveuse pour eux, un mois d’hôpital pour elle, qui a failli mourir de septicémie. « Mais les retrouvailles se sont bien passées même si les cinq premiers mois n’ont pas été faciles : c’était un peu l’usine ». « Voir grandir ensemble des enfants de même âge et de sexes différents, c’est formidable ». « On ne s’ennuie jamais. Ils se soutiennent mutuellement. Grande complicité ». Quelques années plus tard, nouvelle grossesse : des jumeaux. Mais l’un d’eux a cessé son développement. Elle a accouché d’un garçon, sans problème. « Ca nous avait rassurés d’attendre un seul enfant ». Ainsi malgré l’enthousiasme exprimé d’en avoir élevé deux de même âge, elle dit qu’elle a été rassurée lors de la deuxième grossesse de n’en attendre qu’un. Que signifie cette apparente contradiction ? Une fois les enfants nés, elle les aime et les soutient et accueille l’événement qu’ils sont, dans leur rapport de couple difficile mais passionnant. Mais lors de la seconde grossesse, son soulagement exprime la satisfaction d’éviter ce qu’elle a déjà vécu et supporté la première fois.
D’après la communication de C. Dudkiewicz-Sibony / Gynécologie obstétrique & fertilité 37 (2009) 24-25
3. Chercher à savoir si les parents pourront assumer une grossesse gémellaire En fait, ce que les parents attendent, c’est toujours un enfant ; lorsque soudain ils le voient se dédoubler, cela devient une épreuve jamais anodine, souvent indécidable. En tout cas aucun montage technique ne saurait la surmonter au nom de l’efficacité, ou de la rentabilité. On ne sort jamais indemne d’une grossesse difficile, d’une fausse-couche, de la perte d’un jumeau au stade fœtal ou après la
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naissance, d’une séparation à la naissance pour prématurité ou handicap. Alors la plus grande prudence est requise. Ces situations nous rappellent une évidence : nous avons à entendre la demande des patients, mais nous devons les informer des risques auxquels ils ne pensent peut-être pas, pris comme ils sont dans l’angoisse d’avoir non point deux enfants en même temps, mais zéro. Le piège serait comme toujours de s’identifier et donc de ne pas les aider à interroger leur désir, pour s’assurer que si une grossesse gémellaire se présente, ils pourront l’assumer.