La recherche qualitative : une opportunité de repenser l’EBM

La recherche qualitative : une opportunité de repenser l’EBM

Presse Med. 2016; 45: 387–389 Éditorial en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com La recherche qualitative : un...

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Presse Med. 2016; 45: 387–389

Éditorial

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com

La recherche qualitative : une opportunité de repenser l'EBM Agnes Oude Engberink 1,2,3, Mélanie Badin 1,4, François Carbonnel 1,2,3, Bernard Clary 1, Philippe Serayet 1, Sylvain Pavageau 1, Gérard Bourrel 1,2,3

1. Université de Montpellier, département de médecine générale, UFR de médecine, 34000 Montpellier, France 2. Université de Montpellier, laboratoire Epsylon, EA4556, 34000 Montpellier, France 3. Université de Montpellier, Ceps Platform, Montpellier, France 4. Unité Inserm UMR S 707 EPAR, France

Correspondance : Agnes Oude Engberink, centre de médecine générale, 2, rue Ibn-Sinaï-dit-Avicenne, 66330 Cabestany, France. [email protected]

Qualitative research: An opportunity to think again about evidence-based medicine

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algré le réel développement des études qualitatives et de leur publication, il persiste encore des freins solides dans la communauté médicale liés à des représentations négatives et à une méconnaissance de leurs concepts et méthodes. Nous proposons dans cet éditorial une réflexion issue de ces constats sur sa justification épistémologique en perspective de la démarche EBM. Deux grands paradigmes cohabitent dans l'histoire des sciences : le premier sous la bannière du positivisme/objectivisme et le second sous celle du subjectivisme/constructivisme. À chacun correspond une recherche : qualifiée pour le premier « d'explicative », avec comme finalité la mesure objectivable de variables et de leurs effets, reproductible et généralisable ; et pour le second, une recherche dite « en compréhension » de phénomènes impliquant le sujet-acteur de la recherche. Leur légitimité et utilité communes ont été largement débattues par des auteurs de la deuxième moitié du XXe siècle. Aujourd'hui, on parle de complémentarité dans laquelle les deux paradigmes s'unissent pour produire une connaissance plus globale des phénomènes humains.

La perception des médecins comme un frein au développement de la recherche qualitative

tome 45 > n84 > avril 2016 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2016.04.001 © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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En 2015, une revue [1] sur les possibilités de publication de travaux de médecine générale montrent que sur 738 revues scientifiques identifiées représentant 47 disciplines, 590 acceptaient des travaux de type qualitatifs (dont 344 avec IF > 1). Toutefois notre expérience montre

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A.O. Engberink, M. Badin, F. Carbonnel, B. Clary, P. Serayet, S. Pavageau, et al.

que lorsqu'on soumet des articles concernant une recherche qualitative, les critiques des reviewers s'appuient souvent sur des critères relevant de travaux de recherches quantitatives. En outre, la publication récente d'une lettre ouverte aux éditeurs du BMJ [2] dans laquelle 76 universitaires de 11 pays (aucun français) les invitaient à reconsidérer leur politique de rejet des études qualitatives confirme que des freins persistent. La perception des méthodes qualitatives par 42 médecins évaluée par des entretiens semi-directifs [3] a été étudiée dans une revue de santé publique brésilienne : 18 avaient une expérience en recherche qualitative et 24 utilisaient des méthodes purement quantitatives. Sur les 18 chercheurs « qualitatifs » : 74 % avaient un âge supérieur à 50 ans (7 % entre 33–40 ans) ; les femmes étaient majoritaires ; les disciplines représentées étaient la santé publique, la psychiatrie et la médecine générale (vs les spécialités cliniques, chirurgicales et épidémiologiques pour le groupe « quantitatif »). Selon les auteurs, les chercheurs « quantitatifs » avaient une connaissance quasi nulle de la recherche qualitative, ne comprenaient pas ses concepts et méthodes et ne lui accordaient aucune valeur. Leurs critiques étaient celles habituellement adressées aux méthodes qualitatives : une démarche interprétative empreinte de subjectivité, la sensibilité théorique du chercheur intégrée aux résultats, un échantillonnage non représentatif, la non-généralisabilité et la non-reproductibilité des résultats, la lourdeur de la conduite de la recherche et la difficulté de publier. Une autre étude intitulée « Is it Science? » [4], menée auprès de 32 stagiaires et médecins généralistes, notait que les facteurs prédictifs de leur adhésion à la recherche qualitative étaient la connaissance qu'ils en avaient et leur représentation de la science. Si, dans la communauté médicale, l'adhésion aux approches qualitatives reste difficile, d'autres voix s'élèvent pour enrichir la réflexion. Dans « La complexité humaine », Morin a écrit que « la recherche de l'objectivité comporte non l'annulation, mais le plein emploi de la subjectivité » [5]. Bruno Falissard, biostatisticien, constatant que la recherche médicale est à maturité pour l'étude du corps malade, préconisait qu'elle élargisse son champ méthodologique au « sujet vivant et pensant » [6]. À côté de la connaissance de la maladie comme objet d'observation, il y a nécessité de comprendre le patient-sujet qui la vit pour décider.

Glossaire

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EBM COREQ ETP RCT MG ANR UFR

evidence-based medicine consolited criteria for reporting qualitative research éducation thérapeutique du patient randomized controlled trials médecine générale Agence nationale de la recherche Unité de formation et de recherche

Comment prendre en compte la « perspective du patient » dans l'EBM ? Cela soulève la question épistémologique de l'approche de la complexité en médecine : comment sa connaissance est-elle engendrée ? Quelle est sa valeur ? Que pourrait apporter les méthodes qualitatives à l'enrichissement de cette connaissance ? Une récente étude australienne [7] a abordé l'inadaptation du modèle EBM (et des RCT) comme seule source de connaissance valide, en particulier lorsqu'il s'agit de la perspective du patient, et ne prenant pas en compte « la connaissance experte professionnelle » du médecin. Ils concluaient que la recherche qualitative pourrait rééquilibrer ce manque de la connaissance scientifique. Dans le même sens, une revue systématique anglaise sur les barrières des généralistes à l'utilisation de l'EBM [8] montrait qu'ils ne se retrouvaient pas dans cette approche dans laquelle les perspectives du patient étaient négligées, contrairement aux données de la science et de la clinique. Pour comprendre un phénomène multidimensionnel comme la fatigue liée au cancer, Ahlberg [9] notait que les études apportaient peu d'éléments pour en appréhender les mécanismes et pointait les difficultés d'avoir des outils de mesure qui rendent compte de sa complexité. Ils déploraient le peu d'études qualitatives explorant la « perspective du patient ». L'écart entre les perspectives et attentes des patients, leurs proches et celles des médecins à propos de la perception de l'hypertension artérielle pulmonaire [10] a été mis en exergue dans une étude qualitative montrant l'intérêt de cette information pour adapter des stratégies en particulier en éducation thérapeutique (ETP). Une analyse des publications internationales [11] dans 11 disciplines a montré une progression de celles portant sur l'ETP de 50,7 % en 10 ans. Cependant, deux revues de la littérature sur l'ETP en diabétologie et rhumatologie [12] montraient une prédominance de travaux pour en démontrer l'efficacité et un déficit en approche qualitative pour comprendre les dynamiques du changement et leurs analyses. Dans cette même perspective, face à un phénomène socialement déterminé comme la remise en question de la vaccination, un travail personnel [13] a montré que l'exploration de l'expérience vécue des parents français à propos de la vaccination de leurs enfants permettait d'élaborer des stratégies pratiques transférables dans d'autres pays. À la lumière de ces études, les travaux de recherche qualitative, par leur approche compréhensive, permettent l'accès à une information sur la perspective des acteurs, leur expérience, leurs interactions, leurs comportements afin d'améliorer les stratégies de prise en charge.

Évaluer les nouveaux courants avec des approches qualitatives À l'heure du développement de maladies chroniques pour lesquelles les prises en charges médicamenteuses seules ont

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montré leurs limites, et où l'implication des patients dans la gestion de leur santé est un élément important de l'observance, de nouveaux courants ont vu le jour. Ainsi, la médecine « personnalisée » (dite P4) prônant « le bon médicament, pour le bon patient, au bon moment » [14] en fondant sa démarche sur la carte génétique et sur la portée économique, n'explore pas toutes les composantes de la personne. En 2015, l'ANR [15] a lancé, avec douze pays européens dont la France, un appel à projet interdisciplinaire « sur la médecine systémique » intégrant les approches des sciences de la vie et celles de l'information dans le but de développer des stratégies de prévention personnalisée. Un rapport du groupe de travail de l'Académie de médecine sur les thérapies complémentaires montrait que, si elles avaient leur place dans les ressources de soins, leur évaluation était essentiellement le fait d'essais randomisés de qualité inégale [16]. L'évaluation de ces courants gagnerait à s'ouvrir aux méthodes qualitatives.

Des suggestions pour faire évoluer nos perceptions de la RQ Le rapport Lecourt [17] sur l'enseignement de la Philosophie des sciences n'a pas été suivi d'effet. Or, il est difficile de maîtriser des méthodes sans en connaître les bases épistémologiques. À côté des chercheurs socio-anthropologues de la santé, un corps

de chercheurs-médecins devrait pouvoir développer une double culture : en recherche qualitative, l'ancrage du chercheur dans le terrain est fondamentale pour la pertinence des résultats. Faire preuve de créativité en proposant des études complémentaires à celles statistiques et en développant des « méthodologies mixtes » pourrait améliorer la connaissance et l'adhésion à ces approches. S'appuyer sur des unités de recherche labellisées est essentiel pour publier les travaux en respectant les critères de qualité (ex. COREQ [18]). Il serait bénéfique : qu'un plus grand nombre de revues accepte de publier des études qualitatives et se dotent de reviewers qui maîtrisent leurs méthodologies ; et de convaincre les financeurs de la capacité de la recherche qualitative à produire des hypothèses innovantes avec une efficience à évaluer. Enfin, pour améliorer leur légitimité dans la communauté médicale et augmenter le nombre d'universitaires familiarisés ou experts, les recherches qualitatives devraient être prises en compte par le Conseil national des universités. Il nous paraît de la responsabilité des UFR d'impulser le changement en mettant en place un dispositif de formation et de recherche.

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Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.

Références

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