La référence à « l’intérêt de l’enfant ». Perspectives juridiques et épistémologiques

La référence à « l’intérêt de l’enfant ». Perspectives juridiques et épistémologiques

Annales Me´dico-Psychologiques 175 (2017) 793–796 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Communication La re´fe´rence a` « l’...

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Annales Me´dico-Psychologiques 175 (2017) 793–796

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Communication

La re´fe´rence a` « l’inte´reˆt de l’enfant ». Perspectives juridiques et e´piste´mologiques The reference to ‘‘the best interests of the child’’. Legal and epistemological perspectives Marc G. Schweitzer *, Nielle Puig-Verges Groupe d’e´piste´mologie clinique comparative (GRECC), 14, rue de Picpus, 75012 Paris, France

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Mots cle´s : E´piste´mologie Droit de l’enfant Inte´reˆt supe´rieur de l’enfant Protection judiciaire de la jeunesse

L’inte´reˆt de l’enfant est souvent invoque´ lorsqu’il s’agit de prendre une de´cision qui engage son avenir. Introduit par la Convention des Droits de l’enfant, il est devenu un re´fe´rentiel juridique obligeant les professionnels intervenant dans le champ de l’enfance a` s’y re´fe´rer avant de prendre toute de´cision le concernant. En paralle`le a` « L’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant », il est devenu une notion centrale dans les textes juridiques re´cents, mais aussi l’objet de critiques au profit d’une the´orie des droits de l’enfant. . .

C 2017 Publie ´ par Elsevier Masson SAS.

A B S T R A C T

Keywords: Best Interests of the child Childcare professionals Epistemology Rights of the Child

The interest of the child is often invoked when it is a decision to be taken for the child. Introduced by the International Convention on the Rights of the Child, it has become a legal reference. It obliges childcare professionals to refer to this notion before making a decision concerning it. This concept is the object of criticism for the benefit of the theory of children’s rights.

C 2017 Published by Elsevier Masson SAS.

1. Introduction « L’inte´reˆt de l’enfant » est devenu un e´le´ment de langage usuel dans les pratiques professionnelles concernant le champ de l’enfance. Cette notion apparaıˆt maintenant comme une re´fe´rence langagie`re que l’on retrouve dans des contextes les plus divers, mais elle fait aussi l’objet de critiques et de re´serves, tant sa de´finition resterait floue. Comme tout terme polyse´mique aux contours incertains [10], retrouve´ dans les pratiques sociales et professionnelles, cette terminologie alimente aussi la confusion entre les langues clinique et juridique, puisque la notion de « l’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant » occupe de´sormais une place centrale dans le droit international prive´ comme dans le droit interne [11].

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M.G. Schweitzer). http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2017.09.004 C 2017 Publie ´ par Elsevier Masson SAS. 0003-4487/

Or il n’est pas assure´ que dans l’usage commun, les notions d’inte´reˆt de l’enfant et d’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant se superposent. Il s’ensuit un questionnement qui, du fait des rapprochements ou distorsions de sens entre langage commun et langages spe´cialise´s, nous oblige a` conside´rer les articulations possibles entre ces notions et d’autres qui se re´fe`rent toutes aux droits et besoins de l’enfant. 2. Le terme Inte´reˆt et la ne´cessite´ d’introduire des qualificatifs L’inte´reˆt au sens ge´ne´ral de la langue commune, c’est « ce qui importe » – cela avant toute qualification, qu’elle soit d’ordre moral, e´conomique, contractuelle, individuelle ou groupale. Selon les champs disciplinaires, ce vocable va eˆtre accompagne´ de qualificatifs tre`s diversifie´s et souvent bien de´finis en Droit et en E´conomie. Si l’on se re´fe`re au Littre´, parmi les neuf sens retenus, les sens 3 et 7 renvoient aux de´veloppements que nous connaıˆtrons a` partir du XVIIIe sie`cle. Le sens 3 pre´cise « ce qui importe aux

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personnes en quelque manie`re que ce soit », et le sens 5 « ce qui importe aux choses, ce qui leur est avantageux » ; le sens 7 mentionne « sentiment oppose´ a` l’inte´reˆt e´goı¨ste et qui nous inspire souci d’une personne ou d’une chose ». L’e´volution des ide´es et des structures sociales qui marque les e e ` cles renvoie plus pre´cise´ment a` l’usage qui est fait du XIX et XX sie terme inte´reˆt, selon les disciplines conside´re´es, et a` l’importance que la situation de l’enfant occupe dans ces secteurs par rapport a` la famille, au groupe et a` la socie´te´. De`s que l’on touche a` l’individuel, donc a` une recherche de spe´cificite´ dans la qualification du vocable inte´reˆt, le choix du qualificatif est plus e´tendu, mais aussi plus marque´ par la subjectivite´ ou les choix sociaux et politiques. Ainsi, G. Cornu [3], partant d’un point de vue juridique, de´finissait l’inte´reˆt comme « ce qui est bon, ce qui est opportun, avantageux, be´ne´fique » et ajoutait « qu’il se distinguait d’un droit ». Il distinguait aussi l’inte´reˆt de la famille « ce qui est bien pour la famille » et « l’inte´reˆt de l’enfant », ce que « re´clame le bien de l’enfant ». Pour la Philosophie morale, la notion d’inte´reˆt est de´cline´e selon ce qui est utile a` l’individu (inte´reˆt personnel) ; cette approche sous-tendra divers mouvements philosophiques aussi oppose´s que l’anarchisme individualiste de Max Stirner ou l’utilitarisme de J. Bentham ou J.S. Mill. De la fin du XIXe sie`cle au milieu du XXe sie`cle en Philosophie morale comme dans la Psychologie en cours de structuration, la notion d’inte´reˆt individuel sera articule´e avec celle de besoins. E. Clapare`de [2] insistait, pour sa part, sur le fait que l’inte´reˆt e´tait « ce qui importe a` l’individu a` un moment donne´ », mais il insistait aussi sur l’e´le´ment dynamisant qu’il repre´sentait pour l’activite´ psychique : « L’individu, bien que le besoin soit en effet le ressort qui le meut, poursuit toujours un objet, vise une fin objective et non la disparition d’un besoin. » La notion aura encore une autre extension avec les mouvements pe´dagogiques des centres d’inte´reˆt, ce qui s’articulera alors avec la motivation. En psychanalyse, le terme inte´reˆt est utilise´ dans un sens usuel, mais recouvre parfois les investissements e´manant des pulsions d’auto-conservation (pulsions du Moi), ce qui peut avoir un sens dans l’approche de la position de l’enfant par rapport a` son propre inte´reˆt [12]. 2.1. « L’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant » : la construction d’une re´fe´rence langagie`re L’examen des e´volutions des repre´sentations collectives concernant l’enfant nous conduit a` relever un double mouvement : alors que nous sommes passe´s de « l’enfant-roi » (anne´es 1970) a` l’enfant « une personne en soi », un mouvement d’ide´es tendant a` valoriser l’autonomie de l’enfant s’est de´veloppe´ simultane´ment, conduisant ainsi a` ce qui deviendra la reconnaissance « des Droits de l’enfant ». Auparavant, tout ce qui touchait a` l’enfant avait e´te´ laisse´ pendant des sie`cles au bon vouloir des adultes porteurs de l’autorite´ (pre´lats, seigneurs, e´ventuellement parents). Entre le XVIIe sie`cle et le XVIIIe sie`cle, l’appre´ciation des besoins et de l’inte´reˆt de l’enfant a peu a` peu e´te´ laisse´e a` la discre´tion de son milieu familial (puissance paternelle, devenue en 1970 l’autorite´ parentale). Les E´tats occidentaux n’ont commence´ a` s’inte´resser a` l’enfant comme sujet de droit qu’a` partir du XIXe sie`cle. Sans s’attarder sur les grandes e´tapes de cette e´volution, rappelons la loi de 1841 limitant le travail des enfants, celle de 1882 sur l’instruction publique obligatoire et la loi du 1er juillet 1889 avec la possibilite´ de prononcer une de´che´ance de la puissance paternelle. Il faudra attendre le XXIe sie`cle pour que l’autorite´ parentale devienne « un ensemble de droits et devoirs ayant pour finalite´ l’inte´reˆt de

l’enfant » (loi du 4 mars 20021 remaniant l’article 371-1 du Code civil). Au XXe sie`cle, ce mouvement s’est de´veloppe´ avec l’e´mergence d’instances juridiques internationales, la promulgation de la De´claration de Gene`ve2,3 (1924), la De´claration des Droits de l’enfant (1959) et la Convention Internationale des Droits de l’Enfant de 1989 (CIDE). Adopte´e par l’Assemble´e ge´ne´rale des Nations Unies4, la CIDE a e´te´ signe´e par la plupart des E´tats du monde ; elle rend solennelle l’accession de l’enfant au statut juridique de sujet de droit et consacre juridiquement la notion d’« inte´reˆt supe´rieur de l’enfant » ; cette notion apparaıˆt a` sept reprises dans six articles successifs5. L’article 3 de la Convention affirme que « l’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant doit eˆtre une conside´ration primordiale » et c’est l’un des principes fondamentaux sur lesquels ce traite´ s’appuie [14]. En France, le Conseil d’E´tat a admis dans un premier Arreˆt en 19976, confirme´ depuis, que cette disposition e´tait d’application directe en Droit interne. Il a fallu attendre les deux Arreˆts de la Cour de Cassation7 (Arreˆt du 18 mai 2005) pour que soit reconnue l’applicabilite´ directe de l’article 3-1 relatif a` l’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant, lui confe´rant de`s lors un effet direct en droit franc¸ais. J. Verdier [16,17] soulignera dans plusieurs textes que la notion de conside´ration primordiale doit toutefois eˆtre articule´e par rapport a` cinq autres articles (1, 2, 3, 5 et 12) ce qui serait rarement pris en compte par les juridictions franc¸aises. Or le fait de mettre en relation ces articles montre que « l’enfant n’est pas individualise´ a` l’extreˆme, mais qu’il reste une personne membre de sa famille et de sa communaute´ et que son inte´reˆt s’analyse conjointement aux inte´reˆts des autres », p. 35. 2.2. Quelle articulation entre « l’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant », besoins et protection de l’enfant ? Dans le langage commun, l’inte´reˆt de l’enfant se trouve dans ce qui est bon pour lui, ce que l’adulte et/ou le professionnel pense eˆtre favorable et be´ne´fique pour son de´veloppement en cours et son e´volution future. La notion d’« inte´reˆt de l’enfant » n’est pas inscrite dans le vocabulaire spe´cialise´ de la clinique ; cependant, la pratique clinique aupre`s des enfants et adolescents ne peut se re´duire a` une de´marche d’e´valuation de´veloppementale cognitivo-affective ; elle ne´cessite parfois la construction d’une de´cision (a` finalite´ the´rapeutique) qui pre´suppose – de manie`re implicite – qu’elle soit prise dans l’inte´reˆt de l’enfant. Le recours a` l’inte´reˆt de l’enfant intervient donc dans un souci d’assurer sa protection ; une de´cision prise pour l’enfant est, a priori, prise dans son seul inte´reˆt, tant au plan de´veloppemental qu’affectif, du fait de l’a priori be´ne´fique qu’elle pre´suppose pour lui. Il n’existe toutefois pas en clinique psychologique ou psychiatrique de de´finition pre´cise de cette notion, ni de consensus autour de son contenu [6]. En cela, le recours au juridique n’aide gue`re a` une clarification. Si les textes nationaux et internationaux s’accordent sur une 1

Loi du 4 mars 2002 relative a` l’autorite´ parentale. En cinq articles sont reconnus les besoins fondamentaux de l’enfant ; le texte consacre le bien-eˆtre de l’enfant et reconnaıˆt son droit au de´veloppement, a` l’assistance et au secours et son droit a` la protection. Ce texte reste de´pourvu de valeur contraignante pour les E´tats. 3 La Socie´te´ des Nations adopte un texte historique qui affirme pour la premie`re fois l’existence de droits spe´cifiques reconnus aux enfants et surtout affirme la responsabilite´ des adultes a` leur e´gard. 4 Le 20 novembre 1989, Best Interests of the Child – article 3§1. 5 Articles 3, 9, 18, 20, 21, 37, 40 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. 6 Arreˆt Torres du 29 janvier 1997. 7 Arreˆt du 18 mai 2005, confirme´ le 14 juin 2005. 2

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de´finition de l’enfant (aˆge et tranche d’aˆge), ils ne donnent pas celle de l’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant. La notion de l’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant demeure donc une notion difficile a` appre´hender juridiquement [9], elle apparaıˆt aujourd’hui comme la cle´ de ˆ te des re´formes re´centes du droit de la famille et, pour certains, vou comme un principe juridique normatif. La loi du 5 mars 2007 consacre´e a` la protection de l’enfance a introduit dans le Code de l’Aide sociale et de la famille l’article L 112-4 qui traduit en droit franc¸ais, les dispositions de l’article 3 de la CIDE en posant que « L’inte´reˆt de l’enfant, la prise en compte des ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs, ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes de´cisions le concernant » ; la loi indique non pas une, mais trois re´fe´rences comple´mentaires. Elle n’e´voquait cependant, pour fonder la prise en charge des mineurs, que « des modalite´s adapte´es a` leurs besoins », Cette pre´occupation au sujet de la protection de l’enfant s’est poursuivie avec, plus re´cemment, l’adoption de la loi organique du 29 mars 20118 qui confie au De´fenseur des Droits la mission spe´cifique la promotion de l’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant et, de manie`re plus globale la promotion des Droits de l’enfant [15]. La re´cente loi du 14 mars 2016 relative a` la protection de l’enfant souligne de´sormais toute l’importance a` accorder a` l’e´valuation des besoins de l’enfant, dans un souci affiche´ de se´curisation de parcours, notamment en matie`re de cohe´rence et de se´curite´, a` travers une de´marche importante – le « projet pour l’enfant - PPE ». Il apparaıˆt utile de s’interroger sur d’autres termes auxquels il est fait appel pour assurer le devenir le plus favorable possible a` l’enfant et lui fournir un cadre pour assurer sa protection a` court et long terme [1]. En effet, la notion d’« inte´reˆt de. . . » (pris au sens, pour, au profit de. . .) fait re´fe´rence a` des re´sonances philosophiques s’inspirant de pre´occupations lie´es « au bien de la personne », avec le pre´suppose´ implicite d’une intention be´ne´fique pour la personne. Toutefois, la notion d’inte´reˆt de l’enfant ne recoupe pas celle plus ge´ne´rale de bien-eˆtre de l’enfant ou meˆme celle de la the´orie des besoins. La re´fe´rence a` l’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant est mobilise´e lorsqu’une de´cision est a` prendre ou qu’un projet est a` mettre en place pour un enfant, notamment par une institution (juge des enfants) dans des contextes juridiques diversifie´s (divorce et garde qui interviennent le plus souvent dans un climat de conflictualite´ entre adultes), d’ou` cette pre´occupation de la protection de l’enfant par rapport a` son devenir. Ce sont donc en ge´ne´ral les de´cisions prises qui alimentent les critiques sur cette notion. L’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant apparaıˆt comme un instrument juridique incontournable qui recouvre plusieurs options : l’atteinte d’un e´tat ide´al qui couvre les besoins de l’enfant et inte`gre des aspects de pre´dictibilite´. En effet, c’est aussi son devenir a` plus long terme qui est en jeu, donc il s’agit d’une protection qui doit s’exercer au-dela` de l’imme´diatete´ d’une situation de crise.

3. Critiques et controverses Faut-il conside´rer que cette notion repose sur le subjectivisme, le pouvoir des intervenants et repre´sente un recul du droit [4] ? L’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant fait l’objet de controverses en raison de l’absence de de´finition, du risque d’inse´curite´ juridique et de conflits possibles avec le droit des parents [5,12]. L’application de ce principe ge´ne´ral dans les le´gislations nationales donne lieu, 8 Loi du 29 mars 2011 instituant le De´fenseur des Droits comme autorite´ inde´pendante qui veille au respect des droits et liberte´s par toute personne publique ou prive´e ; il succe`de notamment au Me´diateur de la Re´publique et au De´fenseur des Enfants qui avait e´te´ institue´ par la loi du 6 mars 2000, garantissant l’application de la Convention de New York sur les droits de l’enfant.

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selon les environnements juridiques, a` des interpre´tations tre`s variables, parfois ge´ne´ratrices de litiges – y compris au niveau diplomatique – entre les E´tats concerne´s (situations de divorces binationaux). Cle´ des de´cisions judiciaires concernant les enfants rendues en matie`re familiale, cette notion est aussi analyse´e par certains juristes « comme propre a` favoriser l’arbitraire judiciaire9 ». Cette notion « fuyante » qui ouvre la porte a` toutes les interpre´tations10, est pourtant celle qui, pour nombre d’intervenants, sous-tend la logique de l’autorite´ parentale. Ainsi, selon J. Carbonnier, l’inte´reˆt de l’enfant est une « notion a` contenu variable » en fonction de la diversite´ des interpre`tes de cette notion, les parents, le JAF, le le´gislateur et dans une moindre mesure, les grands-parents et les enfants eux-meˆmes11. La notion d’inte´reˆt de l’enfant a change´ de statut [7,8] ; auparavant e´voque´e pour justifier une de´cision difficile a` arreˆter, la notion est devenue un argument principal de la loi ; l’adjonction du qualificatif « supe´rieur » lui « confe`re un avantage majeur quand il entre en concurrence avec d’autres inte´reˆts auxquels il ne s’oppose pas (celui des parents), mais sur lequel il prend le pas ». Or, de`s que l’on touche aux situations concre`tes, on ne peut que se heurter aux options parfois antagonistes des divers intervenants. Il suffit de rappeler les cas les plus fre´quemment e´voque´es devant les JAF et les cours d’appel : gardes d’enfants, dans les cas de divorce ou se´paration, choix de familles d’accueil ou d’institutions en cas de placement familial par la famille ou de de´cision d’e´loignement de la famille, de´che´ance de l’autorite´ parentale, adoption, notamment monoparentale ou des engagement de parents adoptifs ; a` cela s’ajoutent les situations de mineurs isole´s et des mineurs re´fugie´s. L’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant pourrait eˆtre analyse´ comme un « paradigme d’intervention » entre les professionnels et les intervenants implique´s dans la situation de l’enfant, qui tendrait a` faire converger consensuellement la justification d’une de´cision et sa rationalite´, aux fins d’en faire admettre, dans « l’apre`s-coup », sa construction [13]. Il n’en demeure pas moins que cette notion pre´sente pour certains un danger, meˆme s’il est difficile a` cerner. Ainsi, il est fait, selon P. Verdier [17], un « usage immode´re´ » de la loi du 5 mars 2007 relative a` la protection de l’enfance, qui favorise une disqualification des parents en de´cidant du placement de l’enfant et en passant outre a` l’adhe´sion des parents [12]. Pour bien des professionnels, l’enfant ne peut pas appre´cier son propre inte´reˆt, car il ne dispose pas de capacite´ juridique et il peut manquer de discernement, s’il est tre`s jeune. Est-ce pour autant a` ses seuls parents d’appre´cier ce qui est bon pour l’enfant ? Et meˆme si la capacite´ juridique ne leur est pas reconnue, il n’est pas assure´ que certains enfants n’aient pas conscience de ce qui est bon pour eux et surtout de ce qui leur est ne´faste. En effet, nombre de pre´adolescents et d’adolescents ont, du fait de leur parcours e´motionnel et affectif, la capacite´ de conside´rer avec suffisamment de lucidite´ leur situation et de porter un jugement sur le milieu ou` ils e´voluent (famille, famille d’accueil, institution). Le risque est que certains enfants aient la volonte´ de « re´parer » l’un des parents ou leur fratrie et que l’entourage professionnel ne prenne pas en conside´ration leur de´sarroi. La loi confe`re au JAF la recherche de l’inte´reˆt de l’enfant, par exemple pour statuer sur une de´cision de garde ou de divorce ; celui-ci n’est pas toujours en mesure de concevoir ce qui – pour l’enfant concerne´ – rele`ve de son inte´reˆt particulier.

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Gobert J. Colloque a` la cour de Cassation, 2006. Dekeuwer-Defossez F. Re´flexions sur les mythes fondateurs du droit contemporain de la famille, Revue Trimestrielle de Droit Civil, 1995. 11 Les notions a` contenu variable dans le droit franc¸ais de la famille, in: C. Perelman et R. Van der Elst, Les notions a` contenu variable en droit, Bruxelles, 1984. 10

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De nombreuses de´cisions sont prises a` partir des documents (e´tablis par l’Administration) fournis au Juge et non (dans un entretien direct) avec l’enfant – doue´ de discernement [1]. Or, il est possible d’avoir recours a` une expertise me´dicopsychologique qui pre´voit cet entretien direct entre l’enfant et l’expert et permet d’e´valuer ses besoins, soins, capacite´s. Ceci suppose que le JAF et les cours d’appel exposent les re´elles motivations de la de´cision prise concernant l’enfant. Quoi qu’il en soit, l’orientation ide´ologique des professionnels contribue a` de´finir l’inte´reˆt suppose´ de l’enfant, donnant lieu de la part de juridictions du fonds a` des de´cisions contraste´es [9]. 4. Conclusions Situe´ a` l’articulation des langages me´dical et juridique, l’inte´reˆt de l’enfant a pu eˆtre qualifie´ de « notion magique12 » trouvant aussi sa place parmi les « concepts mous » en re´fe´rence a` une e´piste´mologie juridique. Il est devenu a` la fois « un concept incontournable », en de´pit des analyses critiques qu’il peut susciter, et une « source d’inspiration le´gislative » [18]. Cette notion prend une place de´terminante dans les textes concernant la protection de l’enfance, lorsqu’il s’agit de mettre en place des dispositifs d’intervention en faveur de l’enfant, parfois au de´triment du droit des parents. La re´fe´rence a` l’inte´reˆt de l’enfant constitue une re`gle ayant pour roˆle de veiller a` ce que l’exercice des droits vis-a`-vis des enfants soit correctement effectue´, mais est aussi invoque´e de`s que la construction d’une de´cision a` proposer pour l’enfant apparaıˆt comme une ne´cessite´. S’il est devenu un terme essentiellement juridique relevant des « standards du droit » pour le le´gislateur, il reste un terme encore polyse´mique pour les professionnels de l’enfance et une notion pre´sentant des risques d’expression ide´ologique de la part des intervenants. En effet, selon le contexte et les e´volutions des proble´matiques socie´tales, l’inte´reˆt de l’enfant risque de ne pas eˆtre analyse´ selon les meˆmes crite`res et objectifs13, ceci par nous tous aujourd’hui comme dans les temps a` venir. 5. Discussion avec l’auditoire Pr A. Charles-Nicolas – Il faut fe´liciter le Dr Marc Schweitzer pour cet expose´ particulie`rement riche, argumente´ et structure´. L’application des dispositions de la loi de 2005 se fait souvent dans un contexte conflictuel et trop souvent dresse l’inte´reˆt de l’enfant contre celui du pe`re, de la me`re, de l’institution. Ce triomphe de l’inte´reˆt de l’enfant se retourne alors contre lui et obe`re a` moyen terme son avenir. Dr D. Tesu-Rollier – Quelle est la diffe´rence se´mantique le´gale entre « enfant » et « enfance » ? Quelle est l’application concre`te (PEP) du projet vu du point de vue des hommes de loi ?

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Carbonnier J. 1960. Le De´fenseur des Droits a e´mis de vives re´serves sur la proposition de re´forme du divorce par consentement mutuel sans saisine du juge, au de´triment de l’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant (avis e´mis le 13 mai 2016). 13

Re´ponse du Rapporteur – Je remercie le Pr Charles-Nicolas et ne peux que revenir sur la difficulte´ a` appre´cier l’inte´reˆt de l’enfant en effectuant une anticipation sur son devenir a` court et moyen terme. Au Dr Tesu-Rollier, je rappellerai qu’il ne s’agit pas ici de se´mantique avec tous les de´bats the´oriques autour de cette discipline, mais plus modestement du sens de deux mots du langage courant et non du langage spe´cialise´, qui pour l’un renvoie a` une individualite´ et pour l’autre a` une pe´riode de la vie de tout un chacun. Quant a` l’application concre`te du PEP, j’ai donne´ des e´le´ments de re´ponse dans mon expose´ et je souligne qu’il doit eˆtre porte´ par des intervenants de spe´cialite´s diverses. ˆ ts De´claration de liens d’inte´re Les auteurs n’ont pas pre´cise´ leurs e´ventuels liens d’inte´reˆts. Re´fe´rences [1] Chabert C. L’inte´reˆt de l’enfant et les conflits de lois. Aix-en-Provence: P.U. d’Aix-Marseille; 2001. [2] Clapare`de E. E´ducation fonctionnelle. Gene`ve: Delachaux; 1930. [3] Cornu G. Vocabulaire juridique. Paris: PUF; 1987. [4] Dumortier T. L’inte´reˆt de l’enfant : les ambivalences d’une notion « protectrice ». Rev Droit Homme 2013;3 [(revue en ligne) mise en ligne le 26 novembre 2013, consulte´e le 20 avril 2017]. [5] Goldstein J, Freud A, Solnit AJ. Dans l’inte´reˆt de l’enfant et avant d’invoquer l’inte´reˆt de l’enfant. Paris: ESF; 1983. [6] Groupe d’appui a` la Protection de l’enfance. La notion d’inte´reˆt de l’enfant dans la loi re´formant la protection de l’enfance; 2011, 11 pages. [7] Grelley P. Inte´reˆt de l’enfant : le clair-obscur. CNAF Info Soc 2006;5(133):53–4. [8] Grelley P. Inte´reˆt de l’enfant : un renouveau. Info Soc 2010;4(160):41. [9] Leonetti J. Inte´reˆt de l’enfant, autorite´ parentale et Droits des Tiers. Rapport. Documentation franc¸aise; 2009. [10] Morfeaux LM. Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines. Paris: Armand Colin; 1999. [11] ONPE. Observatoire national de la protection de l’enfance – note d’actualite´; 2016. [12] Schweitzer MG, Puig-Verges N. Psychopathologie parentale et de´veloppement de l’enfant. A` propos de l’« inte´reˆt de l’enfant » et de l’enfant en danger. Colloque « De l’autre coˆte´ du miroir. Les adultes en souffrance psychique et leurs enfants ; comment vivre ensemble et grandir ensemble ? ». Bruxelles: Ligue Bruxelloise francophone pour la Sante´ mentale; 2008. [13] Schweitzer MG, Puig-Verges N.In: Urgences psychiatriques. Violences sexuelles et Protection de l’enfant. A` propos de l’« inte´reˆt de l’enfant » et de l’enfant en danger; 2008. [14] Schweitzer MG, Puig-Verges N.In: L’« inte´reˆt de l’enfant ». Perspectives juridiques et me´dico-psychologiques; 2008. [15] Schweitzer MG, Puig-Verges N.In: L’Arreˆt du 26 janvier 2011 de la Cour d’Appel d’Angers. Revenir sur « l’inte´reˆt de l’enfant »; 2012. [16] Verdier P. Pour en finir avec l’inte´reˆt de l’enfant. J Droits Jeunes RAJ 2008;280:38. [17] Verdier P. De l’inte´reˆt de l’enfant aux droits de l’enfant. Enf Psy 2009;2(43):85– 92. [18] Zermatten J. L’inte´reˆt supe´rieur de l’enfant. Institut International des Droits de l’Enfant; 2005.