La réparation des préjudices : aspects juridiques

La réparation des préjudices : aspects juridiques

Médecine & Droit 2010 (2010) 49–55 Responsabilité civile La réparation des préjudices : aspects juridiques夽 Damages compensation: Juridical points o...

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Médecine & Droit 2010 (2010) 49–55

Responsabilité civile

La réparation des préjudices : aspects juridiques夽 Damages compensation: Juridical points of view Marie-France Steinlé-Feuerbach (Professeur en droit privé et sciences criminelles, directeur du CERDACC) Droit privé et sciences criminelles, CERDACC, université de Haute-Alsace, 68200 Mulhouse, France

Résumé Du point de vue juridique, la réparation de la victime suppose la compensation des dommages ; le principe posé par le droit positif est celui de la réparation intégrale du dommage, dans toutes ses dimensions. La réforme du recours des tiers payeurs et la nouvelle nomenclature des préjudices constituent à cet égard une amélioration sensible de l’indemnisation des dommages corporels. Cependant, la mise en œuvre de la réparation est hétérogène, plusieurs voies, qu’elles soient extra judiciaires ou judiciaires, mènent à l’indemnisation. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Préjudices ; Indemnisation ; Victimes (droit)

Abstract From the juridical point of view, helping victims means the compensation for damage; substantive law principle means repairing the integral damage caused. The reform of the right of recourse of the third party payers and the new nomenclature for damages constitute a sensitive improvement of the indemnity of personal injuries. However, the implementation of repairing is heterogeneous, several ways, extra judicial or judicial, lead to indemnity. © 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Damages; Compensation; Victims (compensation)

La réparation est une subtile alchimie dont chacun est comptable, aussi bien ceux qui y réfléchissent philosophiquement, doctrinalement, que les praticiens qui la mettent en œuvre, tous se doivent d’être à l’écoute de la victime et de ses paroles. En droit franc¸ais, l’étendue du droit à réparation des dommages est gouvernée par le principe de réparation intégrale. Il s’agit de s’efforcer de replacer aussi exactement que possible la victime dans la situation qui aurait été la sienne sans la survenance du dommage. L’intégralité de la réparation des dommages corporels, et en particulier pour les personnes gravement atteintes, reste cependant une utopie. C’est par le biais de l’indemnisation, compensation en argent du dommage subi, que s’effectue la réparation du dommage corporel. Le domaine 夽 Cet article fait suite à une intervention lors d’une conférence organisée le 23 juin 2009 à Fort-de-France par l’ADAVIM Martinique et le Barreau de Fort de France. Adresse e-mail : [email protected].

1246-7391/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.meddro.2009.12.002

de l’indemnitaire est marqué par l’interaction entre le droit et la médecine. La dimension indemnitaire, et notamment celle des dommages à la personne, est une composante essentielle de la réparation. Il s’agit d’un domaine en pleine évolution, certains diraient révolution. Une nouvelle approche de l’indemnisation, par la fin de l’évaluation globale des préjudices, a vu le jour, ce dont il convient de se féliciter (I) ; force est cependant de constater que les modalités de l’indemnisation, leur multiplicité et leur hétérogénéité, suscitent un « sentiment d’éparpillement du droit de l’indemnisation des victimes de dommages corporels »1 et sont de nature à provoquer la perplexité (II).

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C. Radé, « Plaidoyer en faveur d’un réforme de la responsabilité civile », D. 2003, chron., p. 2247 ; S. Grignon Dumoulin, « L’équité dans la mise en œuvre du droit à réparation du dommage corporel », Risques no 68, déc. 2006, p. 85.

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1. Une nouvelle approche de l’indemnisation : la fin de l’évaluation globale des préjudices Le dommage engendre des préjudices tant pour la victime directe que pour ses proches. La réparation intégrale du dommage doit s’entendre non seulement comme « tout le préjudice », mais également comme « tous les préjudices ». Une évaluation globale des préjudices est à proscrire car elle introduit une part d’arbitraire dans l’indemnisation, ainsi que dans les recours des tiers payeurs, et prive de ce fait la victime de la possibilité de quantifier la réponse qui été apportée à sa demande en réparation2 . En moins de trois ans ont émergé à la fois une autre nomenclature des préjudices (A) ainsi que de nouvelles modalités de recours des tiers payeurs (B), ces deux avancées sont intimement liées. D’autres questions restent cependant encore ouvertes, comme celle de l’étendue de la réparation (C). 1.1. La nouvelle nomenclature des préjudices L’égalité du traitement des victimes est une impérieuse nécessité et, ainsi que l’a exprimé Jean-Pierre Dintilhac, président honoraire de la Cour de cassation, « si l’on veut réduire la variabilité de la géométrie de la réparation (. . .) il ne fait aucun doute que l’adoption d’une nomenclature unique et générale des préjudices corporels est éminemment souhaitable. »3 Fondée sur une triple distinction entre les victimes directes et indirectes, les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux et les préjudices temporaires et permanents, la nomenclature « Dintilhac » confère à chaque préjudice une triple identité4 . Il s’agit de prendre en compte, au-delà des incapacités, la notion de handicap telle qu’elle est définie par l’article L. 114 du Code de l’Action sociale et des Familles. Cette nomenclature permet, pour répondre aux vœux de Mme le Professeur Yvonne LambertFaivre, de distinguer « l’être et l’avoir » jusque là confondus dans l’évaluation des incapacités5 et elle devrait, si elle est appliquée avec loyauté, largement améliorer l’indemnisation effective des victimes. Il importe, sans effectuer une analyse exhaustive de la nomenclature, de souligner quelques postes novateurs pour l’appréciation des préjudices subis par la victime directe. « En premier lieu, compte tenu des divergences entre les juridictions concernant l’incapacité temporaire de travail (ITT) et l’ambiguïté de cette notion qui répare à la fois la perte de gains actuels et le déficit fonctionnel personnel subis par la victime durant sa période de consolidation »6 , la nomenclature supprime cette approche au profit d’une répartition entre, d’une

2 Responsabilité civile : des évolutions nécessaires, Rapport d’information no 559 (2008–2009), 15 juillet 2009. 3 J.-P. Dintilhac, « Propos en faveur d’une nomenclature unique », Colloque CNB, L’indemnisation du préjudice corporel – Une réparation à géométrie variable, 28 novembre 2007. 4 Rapport du Groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, juillet 2005. 5 Y. Lambert-Faivre, « Le dommage corporel entre l’être et l’avoir », Resp. civ. et assur., 1997, p. 5. 6 J.-P. Dintilhac, « Propos en faveur d’une nomenclature unique », loc. cit.

part, un poste intitulé « Pertes de gains professionnels actuels » (PGPA), classé dans les préjudices patrimoniaux – « l’avoir » – et, d’autre part, un poste « déficit fonctionnel temporaire » (DFT) au titre des préjudices extrapatrimoniaux temporaires, personnels et non professionnels – « l’être » –. De même, pour les préjudices permanents, la notion d’ « incapacité permanente partielle » (IPP), est ventilée entre un poste « Pertes de gains professionnels futurs » (DGPF), classé dans les postes patrimoniaux permanents et un poste « Déficit fonctionnel permanent » (DFP), relevant des préjudices extrapatrimoniaux. De plus, il a été créé un poste « Préjudice esthétique temporaire » (PET), destiné à améliorer l’indemnisation des grands brûlés et des traumatisés de la face pendant la période de consolidation. Parmi les préjudices extrapatrimoniaux permanents, le « préjudice d’établissement » (PE) prend en compte la perte de chance d’accomplir un projet de vie familiale normal. Une rubrique « préjudices permanents exceptionnels » (PPE) reconnaît l’existence de préjudices propres aux victimes de catastrophes7 . Le poste « Préjudices liés à des pathologies évolutives » (PEV), classé hors consolidation, concerne toutes les pathologies incurables dont le risque d’évolution constitue en lui-même un préjudice distinct. S’agissant de la mise en pratique de cette nomenclature, bien qu’une circulaire du Garde des Sceaux du 22 février 2007 demande aux juridictions de l’utiliser, les décisions rendues semblent varier selon les ressorts de cour d’appel. Une application exemplaire de la nomenclature a été effectuée par le tribunal correctionnel de St.-Nazaire pour l’indemnisation des victimes de l’effondrement de la passerelle du Queen Mary II, le tribunal fait œuvre de pédagogie en définissant les chefs de préjudices et en séparant bien distinctement le préjudice d’agrément du déficit fonctionnel, pour lequel il a exposé sa méthode de calcul8 . La deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a récemment fait sienne la nomenclature9 . La nomenclature Dintilhac a été voulue ouverte, non figée et de caractère évolutif, elle est le support qui permet que les recours des tiers payeurs s’effectuent poste par poste, conformément à la réforme opérée par la loi du 21 décembre 2006. 1.2. La réforme du recours des tiers payeurs Réclamée par une partie de la doctrine, et plus particulièrement par Mme Yvonne Lambert-Faivre, la loi du 21 décembre 2006 a profondément modifié le système antérieur selon lequel « l’assiette du recours contre le tiers responsable (était) calculée sur la part d’indemnité qui répare l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, à l’exclusion de la part de l’indemnité à caractère personnel correspondant aux souffrances endurées 7

M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Victimes de violences et d’accidents collectifs. Situations exceptionnelles, préjudices exceptionnels : réflexions et interrogations », Médecine et Droit, éd. Elsevier, nov.-déc. 2000, no 45, p. 1. 8 Trib. corr. St. Nazaire, 11 février 2008, JAC no 88, nov. 2008, note M.-F. Steinlé-Feuerbach ; la cour d’appel de Rennes, le 2 juillet 2009, confirme les dispositions civiles de ce jugement et la réalité du préjudice d’angoisse. 9 Civ. 2e , 28 mai 2009, Resp. civ. et assur., juillet 2009, comm. 202.

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au préjudice esthétique et au préjudice d’agrément ». Ainsi, l’incapacité temporaire totale (ITT) et l’IPP incluaient à la fois des préjudices économiques et des préjudices strictement personnels nés de l’atteinte à l’intégrité physique. Dès lors, les indemnités allouées pour ces préjudices personnels figuraient dans l’assiette du recours des organismes payeurs de prestations sociales au même titre que celles réparant un préjudice économique. Ce système était lourd de conséquence pour les victimes ayant une part de responsabilité dans les dommages subis, car la part d’indemnité versée par l’auteur était diminuée du montant des prestations versées par les caisses, les recours étant par ailleurs également exercés sur des chefs de préjudices qui n’avaient pas été indemnisés par les tiers payeurs. Dans un arrêt du 19 décembre 2003, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation avait jugé que l’indemnisation de la gêne dans les actes de la vie courante avant consolidation et celle des troubles dans les conditions d’existence après consolidation, réparent l’atteinte objective à l’intégrité physique de la victime et sont incluses dans l’assiette des recours des tiers payeurs10 . À l’opposé de cet arrêt, la Cour de cassation dans son rapport 2004 suggérait une réforme du recours des tiers payeurs et elle a été entendue ! Dans son article 25, la loi du 21 décembre 200611 réduit l’assiette de recours des tiers payeurs aux chefs de préjudices effectivement indemnisés par les tiers payeurs en modifiant les articles 31 de la loi du 5 juillet 1985 et L. 376-1 du Code de la Sécurité sociale : « Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel. » « Conformément à l’article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l’indemnisation, lorsqu’elle n’a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales; en ce cas, l’assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée. » Ainsi, les recours doivent s’exercer poste par poste, ce qui suppose qu’il y ait effectivement des postes de préjudice, et la victime non intégralement remboursée dispose d’un droit préférentiel sur l’indemnité due par le responsable. Par ailleurs, les préjudices à caractère personnel ne peuvent faire l’objet d’un recours, il est cependant fait une exception à ce principe « si le tiers payeur établit qu’il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel ». Cette réforme était utile et nécessaire car elle venait réparer des injustices liées à l’assiette du recours. Elle s’exerce entièrement en faveur des victimes et avec Patrice Jourdain « on s’étonnera cependant que le Parlement ait accepté de procéder

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Ass. plén. 19 décembre 2003, D. 2004, 16, note Y. Lambert-Faivre ; JCP G 2004, II, 10 008, note P. Jourdain ; LPA, 12-13 avril 2004, no 73-74, note M.-F. Steinlé-Feuerbach. 11 P. Jourdain, « La réforme des tiers payeurs : des victimes favorisées », D. 2007, chr. p. 454 ; P. Casson, « Le recours des tiers payeurs : une réforme en demi-teinte », JCP G 2007, I, 144 ; M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Recours des tiers payeurs : suite et fin heureuse du feuilleton », JAC no 69, déc. 2006.

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à un revirement complet de situation en restreignant de fac¸on lourdement préjudiciable aux tiers payeurs l’assiette de leur recours par le droit de préférence accordé aux victimes. » Non sans humour, le professeur Jourdain constate : « Voilà qui ne va pas contribuer à réduire le déficit de la Sécurité sociale ! Mais les parlementaires ont-ils bien perc¸u les conséquences de cette mesure ? »12 . Deux points ont immédiatement prêté à discussion, celui de l’application dans le temps de la réforme et celui de son incidence dans le cadre de la réparation forfaitaire des accidents du travail13 . Le Conseil d’État, dans un avis du 4 juin 200714 , a estimé que l’intervention d’un texte réglementaire n’était pas nécessaire pour que les nouvelles dispositions s’appliquent immédiatement, et en particulier aux instances relatives à des dommages survenus antérieurement et n’ayant pas donné lieu à une décision passée en force de chose jugée. Le 29 octobre 2007, la Cour de cassation a également rendu trois avis15 allant dans le même sens que celui rendu par le Conseil d’État, et la jurisprudence est constante sur ce point16 . Dans ses avis, la Cour de cassation a aussi considéré que le nouveau dispositif concernait les accidents du travail et que l’imputation des rentes versées s’exerc¸ait en priorité sur les postes de préjudice professionnel, confirmation en a été donnée par la Chambre criminelle, le 5 février 200817 et par la deuxième Chambre civile le 23 octobre 200818 et le 22 janvier 200919 . Le Conseil d’État a adopté la même solution dans un arrêt du 5 mars 200820 . Allant plus loin encore, par un avis du 6 octobre 2008, la Cour de cassation a étendu le dispositif au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA)21 . Pierre Sargos, Président de chambre à la Cour de cassation, notait alors que « les deux juridictions suprêmes de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire ont ainsi clarifié les concepts et dissipé les confusions, trop souvent entretenues par des tiers payeurs. Il reste à espérer que des combats d’arrièregarde ne viendront pas réintroduire l’insécurité juridique, voire

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P. Jourdain, « La réforme des tiers payeurs : des victimes favorisées », loc.cit. L’article 25 de la loi du 21 décembre 2006 n’a pas modifié l’article L. 4541 du Code de la Sécurité sociale relatif aux accidents pris en charge à titre professionnel et seule l’assurance maladie a été évoquée lors des débats parlementaires ; v. J. Péchinot, « Le nouveau droit de recours des tiers payeurs sous le regard du praticien », Lamy Assur., Février 2007, no 136, Act. 14 no 303422 et 304214, AJDA 2007, 1800, chron. J. Boucher et B. BourgeoisMachureau ; JCP S 2007, 1840, note G. Vachet. 15 no 00700015P, -16P, -17P, JCP S 2007, Actu. 520 ; C. Lienhard, JAC no 78, nov. 2007. 16 Crim. 4 mars 2008, Juris-Data no 043336 ; 1er avril 2008, Juris-Data no 043874Civ. 2e , 11 septembre 2008, JCP éd. Soc. 2008, no 46, p. 38, no 1587, note T. Tauran ; Civ. 2e , 19 juin 2008, Gaz. Pal. 7–8 janvier 2008, p ; 10, note C. Quézel-Ambrunaz. 17 D. 2008, 1800, note Y. Saint-Flours. 18 Bull. civ. no 229. 19 Resp. civ. et assur., mars 2009, p. 71, comm. 89, H. Groutel. 20 no 272447 ; on peut cependant regretter qu’en l’absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice, le Conseil d’État élabore sa propre nomenclature. 21 no 0080009P. 13

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l’iniquité »22 . Ces espoirs ont été déc¸us : par une série d’arrêts rendus le 19 mai 2009 par la Chambre criminelle23 , puis le 11 juin 2009 par la deuxième Chambre civile24 , a été instaurée une présomption de l’imputabilité des rentes sur un poste personnel, dispensant ainsi les tiers payeurs de la preuve qui leur est imposée par l’article 25 la loi du 21 décembre 2006 pour obtenir le remboursement de leurs prestations sur les postes personnels25 . L’insécurité juridique est à nouveau introduite dans le domaine des recours. 1.3. L’étendue de la réparation Pour déterminer l’étendue de la réparation des atteintes corporelles, deux évaluations in concreto sont nécessaires : d’abord l’évaluation du préjudice par les experts, puis celle du montant de l’indemnité à allouer. L’évaluation expertale du préjudice corporel passe par la résolution de la question encore délicate du choix du bon barème médical. On s’accorde aujourd’hui à dire que le bon barème n’est pas celui du concours médical, barème des assureurs, mais que le barème d’évaluation médicolégale de la société de médecine légale et de criminologie de France, ainsi que le barème européen sont des outils intéressants. Les opérations d’expertise doivent être loyales, cela vaut à la fois pour la rédaction de la mission et pour l’assistance des victimes aux opérations d’expertise, car le médicolégal a pris une importance accrue avec l’adoption de la nomenclature Dintilhac. Une autre difficulté provient de l’absence de mission-type d’expertise même s’il y a des « modèles » ou des propositions de missions. La mission « droit commun » de l’AREDOC26 n’est qu’une des missions possibles ; il existe également une mission « Gazette du Palais », une mission « Cour d’appel de Lyon » ainsi qu’une mission rédigée par les avocats spécialistes en réparation du dommage corporel. Ensuite, il faut chiffrer le montant des indemnités. En 2008, les assureurs, dans un Livre Blanc consacré à l’indemnisation du dommage corporel, demandent la mise en place de référentiels indemnitaires officiels pour les préjudices non économiques ainsi que des méthodes officielles de calcul, notamment pour l’évaluation des préjudices des proches. Or les juges du fond sont 22 P. Sargos, note sous C. cass., 6 octobre 2008 (Avis) et Civ. 2e , 23 octobre 2008, D. 2009, 203. 23 Crim. 19 mai 2009, no 08-82.666, no 08-86.050, no 08-86.485 : « dans la mesure où son montant excède celui des pertes de revenus et l’incidence professionnelle, la rente servie en application de l’article L. 434-2 du Code de la Sécurité sociale répare nécessairement, en tout ou partie, l’atteinte objective à l’intégrité physique de la victime que représente le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent. ». 24 Civ. 2e , 11 juin 2009, no 08-17.581, 08-11.853, 07-21.816, 08-16.089, 07-21.816 : en l’absence de perte de gains professionnels ou d’incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent. 25 Ces arrêts ont été critiqués : A. Boyer, « Abrogation judiciaire », Gaz. Pal. 8–9 juillet 2009, Libres propos ; S. Porschy-Simon, JCP G, 31 août 2009, p. 24, mais également approuvés : H. Groutel, « Recours des tiers payeurs : enfin des règles sur l’imputation des rentes d’accidents du travail (et prestations analogues », Resp. civ. et assur., juillet 2009, étude 10. 26 Association pour l’étude de la réparation du dommage corporel.

souverains, les juridictions ne sont tenues par aucun barème, ainsi que l’a rappelé la Cour de Cassation dans un arrêt du 21 avril 200527 . Les juges du fond ne sont tenus par aucune méthode de calcul. Dans un communiqué du 13 octobre 2006, la Chancellerie a déclaré s’être toujours attachée à défendre le principe de la réparation intégrale du dommage corporel et donc s’opposer à la mise en place d’un barème indemnitaire qui imposerait au juge une évaluation forfaitaire de l’ensemble des chefs de préjudice, au mépris de la singularité de la situation de chaque victime. Le débat sur la « barèmisation » est relancé par un Rapport récent du sénat28 qui recommande de « prévoir l’adoption, par décret, d’un barème national d’invalidité, faisant l’objet d’une révision régulière, qui puisse servir de référence au juge dans l’évaluation du dommage. L’évaluation du préjudice est un préalable à la réparation, la mise en œuvre de cette dernière n’est pas uniforme, plusieurs voies mènent à l’indemnisation. 2. Les modalités de l’indemnisation : multiplicité et hétérogénéité Plusieurs voies s’ouvrent à la victime, l’obtention de la réparation de son préjudice sans agir en responsabilité contre l’auteur du dommage (A) ou bien l’exercice d’une action en responsabilité (B). 2.1. L’indemnisation déconnectée de la recherche des responsabilités La victime peut obtenir satisfaction par la voie transactionnelle ; dans certaines circonstances l’indemnisation est prise en charge par la solidarité nationale. La transaction se définit comme un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître29 , elle présente l’avantage d’éviter aux victimes des frais de justice et les lenteurs d’une procédure. La transaction suppose un accord entre les deux parties et, en principe, des concessions réciproques. La transaction met alors fin au litige et a, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort, la victime perd donc tout intérêt à agir quant aux éléments de préjudices visés par cet acte. Les transactions sont fréquemment conclues avec des assureurs, la vigilance s’impose alors car les indemnisations transactionnelles peuvent se révéler inférieures aux indemnisations judiciaires pour les mêmes préjudices30 . La somme proposée est souvent forfaitaire ce qui interdit à la victime de réclamer de nouvelles indemnité en cas d’aggravation du préjudice. Les transactions ne peuvent être rescindées pour lésion, les tribunaux accueillent cependant les demandes en nullité pour erreur sur l’objet de la contestation, 27

Bull. no 112. Responsabilité civile : des évolutions nécessaires, Rapport d’information no 559 (2008-2009), 15 juillet 2009. 29 Art. 2044 C.C. 30 B. Deffains, « Aspects économiques (L’indemnisation du dommage corporel) », Gaz. Pal, 18-20 avril 2008, p. 10. 28

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pour dol ou violence, ou encore pour absence de concessions réciproques. Dans le cadre de la loi du 5 juillet 1985, relative à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, l’assureur a l’obligation de formuler une offre, celle-ci débouche fréquemment sur une transaction. La vigilance s’impose d’autant plus que la Cour de cassation a été amenée à préciser qu’une transaction conclue en application de cette loi ne peut être remise en cause pour défaut de concession réciproque31 . Dans l’intérêt des victimes, la phase transactionnelle doit passer par une négociation argumentée, documentée, à partir du rapport d’expertise et de la demande de chiffrage de l’avocat de la victime avec les régleurs des compagnies d’assurance32 . Concernant les accidents collectifs33 , des transactions d’un mode particulier ont été réalisées à plusieurs reprises lors d’une indemnisation effectuée dans un cadre quasi-institutionnel, celui d’un comité de suivi sous l’égide du ministère de la Justice. Une telle démarche permet d’assurer la cohérence et la transparence du dispositif avec, comme objectif, par la conclusion d’une Convention d’indemnisation, une égalité de traitement entre toutes les victimes. Cette voie adaptée au collectif a été suivie avec succès après des événements comme l’effondrement du stade de Furiani, l’accident aérien du Mont-Ste-Odile, la chute du platane de Pourtalès à Strasbourg et l’explosion de l’usine AZF à Toulouse. Ces conventions, en attente d’une qualification juridique précise, sont pour l’instant des objets judiciaires non identifiés. Il est cependant certain qu’elles ne sauraient être imposées aux victimes, ce que le tribunal de Saint-Nazaire, en se prononc¸ant sur l’indemnisation des victimes de l’effondrement de la passerelle du Queen Mary II, exprime en considérant que la convention « s’analyse comme une stipulation pour autrui dont la force obligatoire ne peut être invoquée contre les victimes qui ne l’ont pas acceptée ». Les conventions prévoient d’ailleurs expressément ce cas. De même, le barème indicatif de la cour d’appel de Rennes pour 2004, qui a en l’espèce servi de référence pour le calcul des indemnités versées au titre de la convention, ne saurait être imposé aux victimes qui n’ont pas souhaité transiger dans le cadre de la convention. La transaction trouve également sa place dans les mécanismes de solidarité nationale. Témoignage de la volonté des pouvoirs publics et du législateur de faciliter l’indemnisation des victimes de certains risques médiatisés, les fonds d’indemnisation et de garantie34 se sont multipliés : Fonds d’indemnisation des

Civ. 2e , 14 avril 2004, Lamy Assur. no 140, juin 2007, Act., note D. Baugard. C. Lienhard, « Réparation intégrale des préjudices en cas de dommage corporel : la nécessité d’un nouvel équilibre indemnitaire », loc. cit. 33 V. C. Lienhard et M-F. Steinlé-Feuerbach, « Nouvelles logiques d’action et d’évolution des processus de réparation juridiques et para juridiques des victimes en France dans le cadre d’accidents collectifs ou de catastrophes » in: Risques collectifs et situations de crise, sous la direction de C. Gilbert, éd. L’Harmattan, 2002, p. 173 et s. ; M-F. Steinlé-Feuerbach, « Le droit des catastrophes à l’épreuve du judiciaire », in: De code en code, Mélanges en l’honneur du doyen Georges Wiederkehr, Dalloz 2009, p. 796 et s. 34 En principe, les fonds de garantie ont vocation à se substituer au responsable inconnu ou insolvable alors que les fonds d’indemnisation assurent l’indemnisation des victimes sans recherche de responsabilité.

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victimes d’actes de terrorisme ou autres infractions (FGTI), Fonds d’indemnisation des victimes contaminées par le virus de l’immunodéficience humaine (FITH), Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), Office national des accidents médicaux, affections nosocomiales et iatrogènes (ONIAM)35 , Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO). La création de fonds ad hoc, au cas par cas, a conduit à ce que chacun d’entre eux obéisse à des règles qui lui sont propres. Cependant, en matière d’indemnisation des dommages corporels, un consensus s’est dégagé sur l’admission du principe de réparation intégrale36 . Quoique affiché, ce principe n’est pas toujours mis en pratique comme le démontre le contentieux relatif aux décisions prises par le FIVA37 . La multiplication et la diversité des fonds soulèvent des inquiétudes. Une étude récente réalisée avec le soutien de la Mission de Recherche Droit et Justice relève que « l’hétérogénéité constatée des structures et des régimes nuit à l’objectif recherché, à savoir une juste, équitable et effective indemnisation des atteintes aux personnes physiques quelle que soit la cause du dommage subi »38 . Les dispositifs de comité de suivi, locaux ou nationaux, selon l’ampleur de l’accident sont des dispositifs visant à faciliter l’indemnisation. 2.2. La recherche des responsabilités Ceux qui fréquentent les victimes savent que souvent il existe un lien entre responsabilité et réparation, comme le disait Paul Ricœur, « la fatalité, c’est personne, la responsabilité, c’est quelqu’un » ; les actions en responsabilités sont menées avec plus ou moins de chance de succès devant les juridictions civiles ou répressives. Il apparaît, particulièrement dans les affaires de santé, que la voie pénale est bien plus étroite que la voie civile ou administrative. Sensibles à la situation des victimes de catastrophes sanitaires, et peut-être également à l’impact médiatique de ces affaires, les juges administratifs et les juges judiciaires non répressifs, avec souvent un temps de retard pour ces derniers, ont élaboré une jurisprudence à finalité indemnitaire favorable aux personnes ne bénéficiant pas (ou pas déjà) d’un fonds d’indemnisation ou ne souhaitant pas recourir à la solidarité nationale. Nombreux ont été les mécanismes juridiques employés en matière de contamination : responsabilité sans faute, obligation de sécurité de résultat, renversement de la charge de la preuve, présomptions de causalité. Il a ainsi pu être donné satisfaction aux patients auxquels un sang contaminé

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L’ONIAM est substitué au FITH depuis la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. 36 v. P. Casson, Les fonds de garantie, thèse, Paris 1, 1994, LGDJ, 1999 ; V. Bost-Lagier, « Réparation intégrale et solidarité nationale », LPA, 20 septembre 2005, no 187, p. 16. 37 v. A. Guegan-Lécuyer, « À propos de la confrontation des offres d’indemnisation du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante au pouvoir judiciaire », D. 2005, chron., p. 531 et la jurisprudence citée. 38 Recherche sur la réparation du dommage : Bilan de l’activité des Fonds d’indemnisation, ERPC, Université de Montpellier, sous la direction d’Anne d’Hauteville, février 2009 (www.gip-recherche-justice.fr).

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avait été transfusé39 , aux personnes exposées à l’amiante40 , ainsi qu’aux ayants droits de ces victimes. La mise en jeu de la responsabilité des fabricants de médicaments est moins évidente lorsque plane le doute sur la causalité entre la prise d’un médicament et l’apparition ultérieure d’une pathologie. Toutefois, les juges n’ont pas hésité pour mettre en jeu de la responsabilité du fabricant à appliquer de manière à la fois anticipée et distributive la loi du 19 mai 1998 transposant la directive européenne du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de produits défectueux pour le distilbène41 , l’isoméride42 . C’est sur le fondement de la responsabilité civile extra contractuelle qu’a été retenue la responsabilité pour faute du fabricant de l’hormone de croissance, la Cour de cassation relevant que « le rapport de M. Montagnier avait souligné, dès 1980, la nécessité impérative de prendre toutes les précautions dans l’extraction, la purification et la composition des hormones de croissance et que, malgré ce rapport, les précautions recommandées n’avaient pas été suivies d’effet »43 . Dans toutes ces affaires la difficulté principale consiste en l’établissement du lien de causalité. Dans les affaires précédemment exposées, le doute quant à la causalité profite au demandeur. Concernant la responsabilité du fabricant du vaccin contre l’hépatite B, la jurisprudence est contrastée. La Cour de cassation avait, dans un arrêt de principe du 23 septembre 200344 , refusé le recours aux présomptions pour établir le lien de causalité entre la vaccination et l’apparition de la pathologie. Toutefois, le lien de causalité a été admis pour les vaccinations obligatoires dans le cadre professionnel par la Chambre sociale dès 200345 , elle a été suivie

39 v. not. C. Ghettier, « Le contentieux administratif des contaminations transfusionnelles par le virus de l’hépatite C », AJDA 2004, Études, p. 1283 ; Civ. 2e , 20 juillet 1993, Bull. civ. II, no 273 ; G. Viney, JCP 1994, I, 3727 ; Cass. civ. 1, 17 juillet 2001, Resp. civ. et assur., décembre 2001, p. 15, note M.A. Agard ; Civ. 1re , 18 juin 2002, D. 2002, IR, 2307. 40 B. Pauvert, « Confirmation de la responsabilité de l’Etat pour les contaminations liées à l’amiante, note sous CAA Marseille, 18 octobre 2001 (2 arrêts) », Gaz. Pal. 5–7 mai 2002, doct., p. 31 ; CE 3 mars 2004, D. 2004, p. 973, note A. Arbousset ; JCP G 2004, I, 163, no 6, obs. G. Viney ; Soc. 28 février 2002, concl. A. Benmakhlouf et note S. Petit, Gaz. Pal. 5–7 mai 2002, doct. p. 3 ; A. Lyon-Caen, « Révolution dans le droit des accidents du travail », Dr. soc. 2002, p. 445 ; Civ. 2e , 3 juillet 2008, bull. no 167. 41 Versailles, 30 avril 2004, D. 2004, 2071, note A. Gossement ; C. Radé, « Distilbène : le laboratoire jugé responsable et coupable ! », Resp. civ. et assur., oct. 2004, p. 11 ; M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Les filles du distilbène : premières réponses judiciaires », JAC no 49, déc. 2004 ; Civ. 1re 7 mars 2006, Bull. no 142 ; Civ. 1re , 24 septembre 2009 (pourvois no 08-10.081 et 08-16.305) : lorsque le lien de causalité entre le médicament et la pathologie est établi, les victimes n’ont pas à prouver la marque du médicament pris par leur mère, c’est au laboratoire qu’il appartient de démontrer qu’il ne s’agit pas de son produit, mais de celui d’un autre laboratoire. 42 Civ. 1re , 24 janvier 2006 (pourvoi no 02-16648), Bull. no 35 ; M.-F. SteinléFeuerbach, « La responsabilité des fabricants de médicament (Civ. 1re , 24 janvier 2006 – 3 arrêts) », JAC no 61, fév. 2006. 43 Civ. 1re , 24 janvier 2006 (pourvoi no 03-20178), Bull. no 34. 44 Civ. 1re , 23 septembre 2003, Bull. no 188, RTD civ. 2004, p. 101, obs. P. Jourdain ; D. 2004, somm. P. 1344, obs. D. Mazeaud. 45 Soc. 2 avril 2003, Bull. no 132.

par le Conseil d’État qui retient le lien de causalité lorsqu’il est vraisemblable46 et également par la deuxième Chambre civile47 . En dehors de l’hypothèse de la vaccination obligatoire, la Cour de cassation a maintenu sa jurisprudence de 2003 pendant cinq années. On note une évolution en 2008 puisque la responsabilité du fabricant du vaccin a été reconnue, bien que de manière non uniforme, par la première Chambre civile. Celle-ci tolère désormais que le lien de causalité entre l’administration du vaccin et l’apparition de la sclérose en plaque puisse être établi par des présomptions graves et concordantes ; elle impose aux juges du fonds de motiver leurs décisions par rapport à ces présomptions, sans toutefois admettre une présomption de défaut du vaccin48 . La Cour de cassation confirme cette tendance dans un arrêt du 22 janvier 200949 ; en l’espèce la personne vaccinée souffrait de la maladie de Guillain-Barré et la Cour de cassation, tout en admettant le recours aux présomptions, laisse les juges du fonds apprécier souverainement les éléments de preuve qui leur sont soumis. Lorsque le dommage résulte d’une infraction, la victime a la possibilité de se porter partie civile et sa demande est alors, ainsi que l’exprime Anne d’Hauteville,50 « à la fois de nature civile et de nature pénale : le dommage est certes une atteinte à un intérêt privé, mais il est aussi le résultat d’une atteinte à une valeur essentielle que la société entend protéger par le droit pénal. C’est en raison de cette double nature du dommage causé par une infraction que le droit franc¸ais reconnaît à la victime le droit de présenter sa demande de réparation au juge pénal en se constituant partie civile. ». Les droits des victimes devant le juge répressif sont précisés, et encadrés, dès les premiers articles du Code de procédure pénale. Selon l’article 1, le droit de déclencher les poursuites par l’exercice de l’action civile est réservée à la partie « lésée ». L’article 2 prévoit que l’action en réparation est ouverte « à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction » et, aux termes de l’article 3 « l’action civile peut être exercée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction. Elle sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront de l’infraction ». Malgré les droits qui leur sont ainsi reconnus, les victimes ne doivent pas s’illusionner car la voie pénale est semée

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CE, 9 mars 2007, D. 2007, note L. Neyret. Civ. 2e , 25 mai 2004, Bull. no 237. 48 Civ. 1re , 22 mai 2008, (pourvois no 05-10.593, no 06-10.967, no 06-14.962, et no 06-18.848), JCP G 2008, II, 10131, note L. Grynbaum, qui constate que si par ces arrêts, la Cour admet que la preuve du lien de causalité « peut résulter de présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes », elle rend également des arrêts de rejet qui privent les victimes d’indemnisation par la voie judiciaire ; B. Daille-Duclos, JCP E 2008, 2137 ; sur ces questions v. not. P. Brun, « Causalité juridique et causalité scientifique », Rev. Lamy dr. civil 2007, suppl. au no 40, p. 15 et P. Pierre, « Les présomptions relatives à la causalité », Rev. Lamy dr. civil 2007, suppl. au no 40, p. 39 ainsi que I. Veillard, « Incertitude scientifique et causalité », Séminaire Cour de cassation « Risques, assurances, responsabilité », 5 décembre 2006. 49 Civ. 1re , 22 janvier 2009, Bull. no 11. 50 A d’Hauteville, « La réparation des préjudices », Quelle justice pour demain, Colloque ISPEC, Aix-en-Provence, 21–22 septembre 2007. 47

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d’embûches à tous les stades de la procédure et risque fort d’aboutir dans une impasse. C’est principalement par la voie processuelle que le droit des victimes, de se porter partie civile subit actuellement un recul de même que des restrictions au droit à la réparation, au sens indemnitaire, pécuniaire. La loi la loi du 5 mars 2007 a ajouté à l’article 85 du Code de procédure pénale un alinéa 2 consacrant le caractère subsidiaire de la constitution de partie civile51 : l’action civile exercée par voie d’action est désormais conditionnée, d’une part, par le dépôt d’une plainte et, d’autre part, soit par le refus du procureur, soit par son inertie pendant trois mois. Lorsque la victime est décédée, les conditions de recevabilité de l’action civile ouverte à ses héritiers ont été clairement fixées par l’Assemblée plénière dans deux arrêts du 9 mai 2008 dont il ressort que les héritiers ne peuvent mettre eux-mêmes en mouvement l’action publique mais seulement l’exercer si les poursuites ont été déclenchées par le Ministère public ou par la victime depuis décédée52 . Les arrêts du 9 mai 2008 effectuent nettement la distinction entre le droit de mettre en mouvement l’action publique et celui de demander réparation. Lorsque la voie pénale est interdite aux héritiers, leur action en réparation ne saurait prospérer que devant le juge non répressif. Une fois les poursuites engagées, l’instruction peut fort bien aboutir à une ordonnance de non-lieu53 . Ce qu’il est convenu d’appeler le volet non ministériel de l’affaire du sang contaminé a ainsi pris fin par l’arrêt rendu le 18 juin 2003 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation considérant la décision de non-lieu justifiée54 .

La phase de jugement, également, peut se révéler peu satisfaisante pour les victimes lorsqu’elle se clôt par une relaxe généralisée comme cela vient d’être le cas dans l’affaire de l’hormone de croissance55 . S’agissant plus précisément de la réparation indemnitaire, le tribunal correctionnel de Paris a condamné deux des prévenus relaxés à verser des dommages et intérêts aux parties non-signataires d’un protocole transactionnel. La relaxe, en effet, ne prive pas toujours les parties civiles de l’indemnisation judiciaire de leurs préjudices ; lorsque les poursuites sont exercées sur le fondement de délits non intentionnels, l’article 4-1 du Code de procédure pénale autorise en cas de relaxe « la réparation d’un dommage sur le fondement de l’article 1383 du Code civil si l’existence de la faute civile prévue par cet article est établie ». Néanmoins, « la causalité est envisagée de fac¸on plus étroite devant le juge répressif que devant le juge civil pour des raisons qui tiennent à une logique propre au droit pénal et qui ne sont pas transposables ailleurs »56 , et si le juge pénal maintient cette approche étroite en se prononc¸ant sur les intérêts civils, la réparation indemnitaire risque d’être vouée à l’échec. De manière plus générale, le droit pénal, lequel par ailleurs conserve l’incapacité totale de travail comme élément de qualification des atteintes à la personne, présente une certaine « résistance » 57 au préjudice. Les aspects juridiques de la réparation des préjudices sont indéniablement en pleine mutation. D’incontestables progrès ont été réalisés, toutefois la matière demeure complexe. Au-delà, il est essentiel de ne pas oublier que la manière de réparer compte autant que les montants accordés.

51 J. Pradel, « Les suites législatives de l’affaire dite d’Outreau. A propos de la loi no 2007-291 du 5 mars 2007 », JCP G 2007, I, 1388. 52 Lexbase hebdo, no 318, note D. Bourgault-Codevylle ; Rev. Lamy Dr. civ. 2008, no 53, p. 19, note S. Hocquet-Berg ; JCP G II, 10124, note J.-Y. Maréchal. 53 Sur l’avenir du juge d’instruction, voir le Rapport du comité Léger, remis au Président de la République le 1er septembre 2009. 54 V. A Prothais, « Sang contaminé - Justice malade - Droit pénal avili », D. 2005, p. 195 et la doctrine citée.

55 Trib. corr. Paris, 14 janvier 2009, D. 2009, p. 1459, note du CEERDS de Montpellier. 56 E. Dreyer, « Causalité civile et pénale » in: Les distorsions du lien de causalité en droit de la responsabilité, Rev. Lamy, suppl. au no 40, juill.-août 2007. 57 Y. Mayaud, « La résistance du droit pénal au préjudice », In: Mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz 2006, p. 807.