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Synthèse
La surveillance en soins psychiatriques : difficultés liées à la consommation de produits toxiques et à la cohabitation de certains patients夽 Jean-Marc Panfili (Cadre supérieur de santé, Docteur en droit et chargé d’enseignement, Chercheur associé) Institut Maurice-Hauriou, université Toulouse-1 Capitole, 2790, chemin de Fayence, 89000 Montauban, France Disponible sur Internet le 3 mars 2014
Résumé La prise en charge de patients toxicomanes en soins psychiatriques s’avère toujours complexe. Indépendamment de leur propre problématique, la cohabitation avec d’autres patients particulièrement vulnérables génère de sérieuses difficultés institutionnelles. Une vigilance particulière s’impose alors, qui concerne tous les niveaux de responsabilité de l’établissement de soins (CAA Marseille, 11 juillet 2011, no 09MA01562, inédite au recueil Lebon). © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
L’affaire qui nous intéresse concerne une jeune femme souffrant de troubles importants du comportement, caractérisés notamment par des conduites à risques non critiquées, avec déni des troubles. Elle a été hospitalisée sans consentement, à la demande de sa mère, au sein d’un centre hospitalier psychiatrique. Au cours de son hospitalisation, elle a inhalé un cachet de Subutex1 réduit en poudre et échangé contre des cigarettes, avec un patient toxicomane, lui-même en soins libres. La patiente est décédée par asphyxie, après une inhalation favorisée par une surdose médicamenteuse résultant de la prise de Subutex. Le juge pénal a condamné le patient ayant délivré le produit à une peine de prison et à verser un euro, à titre de dommages et intérêts, à chacun des parents de la victime qui s’étaient constitués partie civile. Les parents ont également saisi le centre hospitalier en réparation de leur préjudice moral, consécutif au décès de leur fille. L’hôpital a rejeté la demande, rejet confirmé ensuite par
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CAA Marseille, 11 juillet 2011, no 09MA01562, inédite au recueil Lebon. Adresse e-mail :
[email protected] Traitement substitutif des pharmacodépendances aux opiacés.
1629-6583/$ – see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.01.012
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le Tribunal administratif. Un recours introduit par les ayants-droits a été examiné devant la Cour administrative d’appel de Marseille le 11 juillet 2011. La problématique consiste à la mise en présence, de deux patients au statut juridique d’hospitalisation différent. La patiente concernée se trouvait en soins sans consentement. Elle a échangé des cigarettes contre du Subutex, substitut aux opiacés. Ce produit a été délivré par un autre patient en soins libres. L’ingestion du subutex, en sus du traitement prescrit, a entraîné le décès de la jeune femme. Cette dernière « [. . .] a inhalé un cachet d’un médicament potentiellement dangereux [. . .] échangé contre des cigarettes par (X), toxicomane en placement libre ». Ce dernier « à son entrée [. . .] dans le même centre hospitalier, avait gardé par-devers lui certains de ces cachets, à lui prescrits comme traitement de substitution par des médecins de ville ». Par la suite, la patiente « [. . .] est décédée [. . .] d’un syndrome asphyxique sur inhalation bronchique de liquide gastrique ». Le décès de la jeune patiente s’est trouvé favorisé par « une surdose médicamenteuse ». L’ingestion massive de Subutex s’est produite alors qu’elle se trouvait déjà sous traitement antidépresseur. 1. Deux types de responsabilités 1.1. La recherche des responsabilités pénales Le patient ayant fourni le produit, a été reconnu pénalement responsable et condamné à deux ans d’emprisonnement en appel pour homicide involontaire. En revanche, dans cette affaire, la responsabilité pénale indirecte du personnel hospitalier n’a pas été retenue. Cependant, le délit non intentionnel aurait pu être constitué, consécutivement à une faute caractérisée de mise en danger d’autrui, dans les termes de l’article 121-3 du Code pénal. Cette incrimination pouvait concerner la direction au titre de sa compétence d’organisation générale. Le praticien pouvait se trouver également mis en cause, en tant que prescripteur de l’orientation des patients et des mesures de surveillance. Enfin, le personnel soignant pouvait être inquiété, étant chargé de la surveillance directe du patient. 1.2. La responsabilité indemnitaire, la faute imputable à l’établissement La Cour administrative d’appel de Marseille a d’abord rappelé les termes du premier alinéa de l’article L.3212-1 du CSP, selon lequel « une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être hospitalisée sans son consentement sur demande d’un tiers que si ses troubles rendent impossible son consentement et que son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier ». Elle a retenu à cette occasion une interprétation très stricte de la notion de surveillance constante. En préalable, la juridiction a souligné le cadre général et habituel de l’organisation des soins dans l’établissement concerné, prévoyant la séparation des patients, en fonction de leur situation juridique. En l’occurrence, les juges ont relevé une organisation « de manière que les personnes hospitalisées d’office et les personnes en placement libre soient hébergées dans des unités différentes ». En premier lieu, la Cour a retenu une organisation des soins défaillante, permettant la mise en présence des patients concernés, ceci « en raison de travaux dans une partie des bâtiments de l’hôpital, réduisant les places disponibles dans ceux hébergeant les personnes en placement libre ».
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Dans un second temps, elle a considéré la non-conformité de cette organisation avec le contenu de l’habilitation préfectorale. En effet, « le fonctionnement du service [. . .] ne correspondait pas aux principes d’organisation sur lesquels l’habilitation préfectorale à soigner les personnes hospitalisées sous contrainte lui avait été délivrée ». La Cour a établi un lien de causalité entre l’organisation et le dommage survenu, constitué par le décès de la jeune patiente. Précisément, « les deux personnes concernées ont été hébergé(es) dans la même unité, et ainsi été mis en contact ; [. . .] alors que leurs statuts d’hospitalisation les soumettaient à des contraintes différentes ». Selon les juges, le statut en soins libres « (empêchait) notamment que (le patient X) et ses affaires fussent fouillés à l’entrée dans le service hospitalier ». En l’espèce, suite à la demande de l’infirmière ayant procédé aux formalités d’entrée, « (le patient X) vidant ses poches, lui avait remis une plaquette de Subutex [. . .] ». Pour la Cour, « il était donc envisageable qu’il en détînt encore dans ses autres affaires ». Les juges marseillais ont considéré que « le défaut sus-évoqué dans l’organisation et le fonctionnement du service (était) de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ». Dans cette affaire, les juges administratifs ont affirmé qu’un patient admis en soins sans consentement devrait subir systématiquement une fouille. Celle-ci doit concerner, non seulement ses effets, mais également le patient lui-même. Cette décision, qui paraît très discutable au vu des textes disponibles, nécessite un examen précis des moyens de surveillance, à disposition des soignants. 2. Un cadre juridique complexe 2.1. Les unités d’accueil fermées En premier lieu, il n’existe aucune référence à la nécessité d’unités d’accueil fermées, que ce soit dans la loi ou le règlement. En matière d’organisation de locaux, une circulaire de 20092 constitue la seule référence explicite à des unités ou des espaces fermés ou susceptibles d’être fermés. Ce texte ministériel précise que « le besoin en unités ou espaces fermés dépend de la taille et de l’activité des établissements ». Ces derniers se doivent de veiller « à ce que a minima les établissements accueillant des personnes hospitalisées sans consentement disposent d’une unité ou d’un espace fermé ou susceptible d’être fermé ». La circulaire reformule une obligation de moyens spécifiques. Cependant, ni la loi ni le règlement n’énoncent explicitement une règle stricte prescrivant des prises en charge en services ouverts pour les soins libres, et en services fermés pour les patients en soins contraints. De même, aucun texte ne proscrit la cohabitation entre patients en soins libres et en soins sans consentement. Le législateur prévoit, en revanche et explicitement, une surveillance constante pour les différentes formes de soins contraints. L’article L.3212-1 du CSP prévoit une surveillance constante pour les soins psychiatriques sur décision du directeur. L’article L.3213-1 du même code dispose que le représentant de l’État prononce l’admission des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes. Il en va de même lorsque les troubles nuisent gravement à l’ordre public. Enfin, selon l’article L.3213-2 du CSP, le maire peut décider l’admission provisoire d’un patient, en cas de troubles manifestes présentant un risque de péril imminent. En résumé, sans entrer dans le détail des modalités à mettre en œuvre, le législateur
2 Circulaire DHOS/O2/F2 no 2009-23 du 22 janvier 2009 relative au financement par le fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés (FMESPP) du plan d’amélioration de la sécurité des établissements ayant une autorisation en psychiatrie.
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prévoit un principe général de respect des libertés. Toutefois, il prévoit également une surveillance soutenue dans des lieux spécialement habilités permettant de mettre en œuvre les soins contraints. Le juge interprète la notion de « constance » de la surveillance, au regard de la présence humaine auprès du patient. Les inventaires et mesures de contrôle en psychiatrie sont des actes délicats qui touchent à l’intimité de la vie privée et peuvent être ressentis comme dégradants. La protection de l’intimité de la vie privée est prévue à l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme3 . Elle constitue également un principe consacré par l’article 8 de la Convention européenne. Ainsi, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Cependant, ce même article 8 énonce des limites. Il peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit si cette ingérence est prévue par la loi. Cette protection, érigée en principe fondamental par le Conseil constitutionnel, se décline dans le droit interne à l’article 9 du Code civil, disposant que chacun a droit au respect de sa vie privée. Ce droit est particulièrement protégé puisque les juges peuvent prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte. L’article 3 de la Convention, relatif à l’interdiction des traitements dégradants, trouve aussi à s’appliquer. Un mauvais traitement doit toutefois atteindre un minimum de gravité. L’appréciation par la CEDH du qualificatif de traitement « dégradant » est relative. Il doit être de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité, propres à les humilier et à les avilir. En droit spécifique de la santé, l’article L.1110-4 du CSP dispose que toute personne prise en charge a droit au respect de sa vie privée. Les recommandations de bonne pratique de la HAS4 caractérisent la notion de vie privée comme l’intimité de la personne, le secret de sa correspondance et son intimité familiale ou sentimentale. 2.2. La juge judiciaire et le juge administratif limitent l’obligation de surveillance La Cour de cassation5 considère que l’obligation de surveillance n’est pas absolue. Elle s’apprécie, à la fois en fonction de la pathologie du malade, ainsi que de sa situation administrative. Pour la Haute juridiction judiciaire, « l’obligation à laquelle est tenu un établissement psychiatrique est une obligation de moyens en fonction de la pathologie du malade et de sa situation administrative [. . .] ». En l’espèce, « la notion de surveillance constante au sens de l’article L 333 du Code de la santé publique [. . .] signifiait qu’une équipe soignante, engagée dans un projet thérapeutique, devait, à tout moment, pouvoir intervenir en cas de besoin ». Il s’agit d’une précision fondamentale puisque au vu de cette décision, la présence permanente des soignants auprès du patient n’est pas requise. En l’absence de textes précis, la Cour de cassation6 a également rappelé que la « fouille à corps » est assimilable à une perquisition7 pour laquelle seul un officier de police judiciaire est habilité. De même, la « palpation de sécurité » ne peut être pratiquée, hormis par les fonctionnaires de police,
3 Déclaration universelle des droits de l’homme. Adoptée par l Assemblée générale dans sa résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948. 4 Conférence de consensus. Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité. ANAES. 24 et 25 novembre 2004. 5 Cass. 1e ch Civ, 13 octobre 1999, no 97-16216. Publié au bulletin. 6 Cass. Crim, 22 janvier 1953, Publié au bulletin ; Cass. Crim. 30 mai 1980, no 80-90075. Publié au bulletin. 7 Cass. Crim. 21 juillet 1982. no 82-91034. Publié au bulletin criminel.
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que par des agents de sécurité bénéficiant d’un agrément préfectoral8 , et dans des circonstances particulières strictement limitées. Le plus souvent, il n’y a pas de faute lorsque le patient est d’une détermination telle qu’il est impossible de l’empêcher de passer à l’acte. Dans un contexte de soins sans consentement, une part de risque est généralement tolérée par les juges. Dans cet esprit, les Cours administratives d’appel de Douai et de Marseille9 n’ont pas retenu de faute de l’établissement dans deux affaires concernant des soins psychiatriques. Le Conseil d’État10 s’est également prononcé dans ce sens. Ces décisions sont favorables à l’acceptation d’un risque et vont dans le même sens que l’appréciation de la Cour de cassation. 2.3. Le juge administratif formule des exigences de surveillance particulière La vision du juge administratif s’avère en revanche plus fluctuante. En effet, une décision plus récente de la Cour administrative d’appel de Douai11 concernait la nécessité de fouilles, dans un contexte de soins contraints. Dans cette affaire, le juge a explicitement retenu l’absence de fouille, constitutive de la faute de surveillance de l’établissement. En l’espèce, la patiente atteinte de graves brûlures avait dissimulé un briquet lui permettant de mettre le feu à son lit. L’affaire marseillaise qui nous concerne relève du même raisonnement. Mais, dans une affaire plus ancienne cette même juridiction nordisten’avait pas retenu de faute dans un contexte similaire. Il s’agissait d’un patient suicidaire d’une détermination telle, qu’il était impossible de l’empêcher de passer à l’acte. Dans l’affaire qui nous intéresse, la Cour marseillaise retient que l’établissement ne peut « soutenir qu’aucun élément ne permettait de craindre que des substances dangereuses pussent passer (d’un patient à l’autre) dans l’enceinte du service ». La Cour en conclut qu’il y a eu manquement à l’obligation renforcée de surveillance. Les juges se sont poncés vu les dispositions de l’article L.3212-1 du CSP impliquant une surveillance constante. Précisément, « le seul fait que (la patiente) ait pu se procurer une substance dangereuse dans l’enceinte de l’unité où elle était hébergée révèle, une défaillance dans la surveillance constante que devait lui garantir le centre hospitalier psychiatrique ». La Cour a réparti la responsabilité indemnitaire en imputant « les conséquences de ce décès pour les deux tiers à (X) et pour le tiers restant au centre hospitalier ». 2.4. En pratique Le droit commun prévoit qu’un inventaire exhaustif des objets et valeurs ne doit être réalisé que dans le cas où le patient se trouve dans l’impossibilité de déposer. Il s’agit par exemple des situations de crise et d’agitation ou bien d’altération de la conscience. Sinon, le patient est informé seulement de son droit de déposer et du régime de responsabilité applicable. L’article L.1113-3 du CSP dispose que « la responsabilité (de plein droit de l’établissement) s’étend sans limitation aux objets de toute nature détenus, lors de leur entrée dans l’établissement, par les personnes hors d’état de manifester leur volonté ou devant recevoir des soins d’urgence et qui, de ce fait, se trouvent dans l’incapacité de procéder aux formalités de dépôt ». C’est seulement dans ces cas
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Loi 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité intérieure. Art 27. CAA de Douai, 16 octobre 2001, no 98DA01966 ; CAA de Marseille, 25 janvier 2007, no 05MA01245. CE, 29 janvier 1999, no 185034. CAA de Douai, 6 février 2007, no 06DA00971.
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que « ces formalités sont accomplies par le personnel de l’établissement ». Elles consistent en pratique en « un inventaire de tous les objets ». L’établissement procède alors au dépôt jusqu’à l’éventuelle récupération de ses facultés par le patient. En cas de troubles mentaux, l’article L.3211-2 du CSP dispose qu’une personne faisant l’objet de soins psychiatriques avec son consentement est dite en « soins psychiatriques libres ». Elle dispose alors des « mêmes droits liés à l’exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades soignés pour une autre cause ». Le législateur exclut clairement tout régime particulier pour les personnes en soins libres. Il en résulte a minima qu’une mesure de contrôle ne pourra être exécutée qu’avec l’accord explicite du patient. Du point de vue des organisations de professionnels, le cahier des charges12 qualitatif de l’hospitalisation à temps plein en psychiatrie précise que « la liberté du patient lors de l’hospitalisation est le principe ». Il n’opère pas de distinction entre soins libres ou contraints. Il prévoit en revanche que « la restriction de la liberté doit être issue d’une décision médicale respectant le cadre réglementaire ». Elle doit être prise « à partir d’éléments cliniques et non pas un effet de routine de l’organisation ». Ceci implique une réévaluation régulière et formelle de « toute restriction de liberté ». L’inventaire exhaustif qui est réalisé pour l‘admission de malades mentaux en situation de soins sans consentement est basé sur deux arguments. Le premier repose sur l’article L.3211-3 du CSP prévoyant explicitement des restrictions à l’exercice des libertés individuelles. Ces dernières se doivent cependant d’« être adaptées, nécessaires et proportionnées » à l’état mental, ainsi qu’« à la mise en œuvre du traitement requis ». Conformément aux principes classiques d’adaptation, de nécessité et de proportionnalité, dégagés par la jurisprudence Benjamin13 , le législateur précise la nécessité d’équilibrer l’atteinte à l’exercice des libertés individuelles, au regard des nécessités de soins que justifient les troubles mentaux. En complément, l’article L.3211-4 du même code rappelle la nécessité de strict respect des règles déontologiques et éthiques en vigueur. Le second argument répond aux obligations édictées par la jurisprudence (voir supra). En tout état de cause, cette mesure de contrôle ne peut intervenir qu’en fonction d’une appréciation clinique préalable. Il s’agira pour le psychiatre d’apprécier notamment des éléments de prévisibilité de passage à l’acte, permettant de retirer des objets ou produits qui présentent un danger pour le patient ou les tiers. Il reviendra également au praticien de prescrire toute autre mesure de surveillance nécessaire. 3. Les acteurs impliqués Dans leur exercice professionnel, les personnels soignants sont amenés à connaître des aspects fondamentaux de l’intimité des patients. Les malades mentaux ont droit au respect de leur vie privée. Cependant, ils peuvent détenir lors de leur admission en soins, des produits et(ou) objets pouvant présenter un danger pour eux-mêmes ou pour les tiers. Plusieurs cas de figure peuvent se présenter qui ne peuvent obéir aux même règles. La vigilance envers les objets et(ou) substances directement visibles par les soignants est plus aisée que lorsqu’ils sont situés dans les bagages des patients, dans leurs vêtements ou a fortiori dans des cavités ou plis corporels. La situation s’avère radicalement différente selon les intentions du patient. Il n’y a pas de problème s’il est coopérant et sans intention de dissimuler. Il en va différemment si le patient est coopérant en apparence, 12 Cahier des charges qualitatif de l’hospitalisation à temps plein en psychiatrie. Éléments explicatifs et objectifs qualitatifs détaillés, à partir du premier chapitre du Manuel d’Accréditation des Établissements de Santé de l’Agence Nationale D’Accréditation et d’Évaluation en Santé sur le Patient et sa prise en charge Droits et information du patient. Dossier du patient. Organisation de la Prise en Charge. Mai 2003. 13 CE, 19 mai 1933, Recueil Lebon p. 541. Benjamin.
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mais avec une volonté de dissimuler. Il reste enfin le cas où il est totalement opposant. Le tout est rendu plus complexe par le statut juridique, selon que le patient est en soins libres ou bien sans consentement, nécessitant alors une surveillance constante. La prudence s’impose aux personnels soignants dans ces circonstances. Les contrôles ne peuvent être envisagés qu’après une recherche du consentement du patient ou sur prescription médicale. Celle-ci devra être motivée par une réflexion approfondie, entre les bénéfices attendus du contrôle, et les risques d’atteinte à l’intimité. Les considérations relatives à la protection de l’intégrité physique du patient devront l’emporter sur les risques liés aux restrictions de ses libertés. En soins libres, le refus de se conformer à ces mesures de contrôle peut dans certaines hypothèses, motiver une sortie disciplinaire selon les dispositions de l’article R.1112-49 du CSP. En revanche, la situation de soins sans consentement, dans un contexte de crise, laisse penser que des mesures de contrôle plus contraignantes sont nécessaires. En effet, la HAS14 recommande le retrait de tout objet dangereux pour les situations d’isolement et de contention. Cependant, elle ne précise pas les conditions de ce retrait en cas de volonté et de stratégie de dissimulation par le patient. La démarche de certification15 prévoit une identification des situations nécessitant une restriction de liberté dans les projets médicaux. Il s’agit de l’isolement et de la contention, mais aussi de la limitation de contacts, des visites ou du retrait des effets personnels16 . Le fait que le juge administratif17 ait conféré une valeur juridique aux recommandations de la HAS en les rendant opposables est d’un intérêt très relatif, vu l’imprécision de ces mêmes recommandations. À titre de comparaison, ces mesures intrusives et coercitives font l’objet d’une réglementation très précise lorsqu’il s’agit de procédure pénale. De plus, les règles déontologiques applicables aux médecins et soignants n’envisagent pas clairement le recours à ces mesures de contrôle. Une seule référence, figurant à l’article R.4311-6 du CSP, traite du rôle infirmier en santé mentale. Elle prévoit la « surveillance des personnes en chambre d’isolement », sans précisions. Elle envisage également la « surveillance et évaluation des engagements thérapeutiques qui associent le médecin, l’infirmier ou l’infirmière et le patient ». Il faut se rendre à l’évidence, cette formulation n’apporte guère de précisions sur le thème étudié. L’obligation de moyens qui pèse sur l’institution repose sur l’article L.6113-1 du CSP, prévoyant que pour « dispenser des soins de qualité, les établissements de santé, publics ou privés, sont tenus de disposer des moyens adéquats ». En conséquence, le chef d’établissement doit s’assurer que l’établissement qu’il dirige est conforme dans son organisation, à l’habilitation prévue pour les soins psychiatriques. Le directeur assure de plus la conduite générale de l’hôpital. Il y dispose pour cela du pouvoir de police, au titre de l’article L.6143-7 du même code18 . À ce titre, il doit intervenir en cas de troubles occasionnés par les patients ou les visiteurs. Selon les termes de la jurisprudence administrative, « dans un établissement public consacré aux aliénés comme dans l’ensemble des établissements publics de santé, le directeur est l’autorité compétente pour assurer la police générale de l’établissement ». C’est donc à ce titre que l’organisation 14
Audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie, ANAES, juin 1998 ; L’agitation en urgence, conférence de consensus, ANAES, décembre 2002 ; Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité, conférence de consensus, ANAES et FHF, 24 et 25 novembre 2004 ; Limiter les risques de contention physique de la personne âgée, ANAES, octobre 2000 ; Cahier des charges qualitatif de l’hospitalisation a plein temps en psychiatrie 15 mai 2003. 15 Ordonnance no 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée. 16 Critère 10e , manuel de certification HAS, 2010. 17 CE, 27 avril 2011. no 334396. Publié au recueil Lebon. Association pour une formation médicale. 18 CE, 17 novembre 1997, no 168606, CHS de Rennes. Publié au recueil Lebon.
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globale de l’établissement doit prendre en compte la sécurité des personnes et en particulier des patients. Dans l’affaire marseillaise étudiée, la prise en charge des toxicomanies se trouve particulièrement en cause. La loi ne prévoit pas la levée du secret professionnel, en cas de détention illicite de stupéfiants par un patient à son admission. Les établissements ne peuvent pas signaler aux autorités judiciaires les patients détenteurs de ces produits. L’article L.3414-1 du CSP prévoit que les toxicomanes qui se présentent spontanément dans un établissement de santé pour être traités, ne sont pas soumis aux dispositions répressives. S’ils le demandent, ils peuvent même bénéficier de l’anonymat au moment de leur admission. Cependant, cet anonymat peut être levé pour d’autres causes que l’usage illicite de stupéfiants. Il en résulte que l’établissement ne doit pas tolérer une détention et a fortiori un trafic de ces produits. L’article L.3421-2 du même code prévoit expressément la confiscation des substances. Enfin, si l’usage de stupéfiants est toléré, le trafic n’est plus protégé par l’anonymat et peut être réprimé pénalement, indépendamment du statut de patient hospitalisé. L’instruction ministérielle du 13 avril 201119 est venue préciser les dispositions protectrices pour les patients toxicomanes sollicitant des soins. Cependant, le même texte rappelle que les mesures protectrices ne sont pas en contradiction avec les signalements de conduites délictueuses, prévus par l’article 40 du Code de procédure pénale. La communauté des psychiatres est très concernée par l’organisation de la surveillance des patients en soins. La faute de l’établissement peut effectivement reposer sur l’absence de prescriptions et consignes de surveillance médicale. La Cour de cassation20 a jugé à ce propos, qu’« il appartient au médecin psychiatre, chargé au sein de l’établissement de santé de suivre le patient, de prescrire les mesures de soins et de surveillance appropriées à son état ». La faute peut également reposer sur l’inadaptation du statut juridique dans lequel se trouve le patient au vu de ses troubles, ainsi que dans son orientation vers une unité de soins inadaptée. Dans l’affaire marseillaise, pour le juge les conséquences de la cohabitation entre certains patients ont été sousestimées. La Cour de cassation21 précise enfin qu’il est possible de poser des limites à l’exercice des libertés dans un cadre individualisé, et ce même sans éléments de prévisibilité. Le médecin traitant est reconnu comme le seul maître du traitement. Il est tenu à ce titre de prendre les mesures nécessaires pour que son patient ne compromette pas sa sécurité. Ainsi, selon la Haute juridiction judiciaire, le médecin « seul maître du traitement et averti de l’état pathologique (du patient), (est) tenu de prendre les mesures nécessaires pour qu’il ne compromette pas sa sécurité ». Cette obligation pèse de plus sur le praticien, « même (si le patient) n’avait pas exprimé des idées suicidaires ». Les personnels soignants et l’encadrement se trouvent directement concernés. La faute de surveillance de l’établissement est souvent de leur fait, dans la mesure où ils sont les plus présents auprès du patient. Il leur revient par leur fonction, d’assurer les mesures de surveillance prescrites. 4. Conclusions Faute d’encadrement juridique suffisamment précis, toute mesure de « routine » en matière d’intrusion dans la vie privée est à proscrire, et ce qu’elle qu’en soit la forme. Il convient d’adopter 19 Instruction no DGOS/DSR/MISSION DES USAGERS/2011/139 du 13 avril 2011 relative à la conduite à tenir en cas de détention illégale de stupéfiants par un patient accueilli dans un établissement de santé. 20 Cass. 1e ch Civ, 21 juin 2005, no 03-18779. Publié au bulletin. 21 Cass. 1e ch Civ, 10 juin 1997, no 95-14848. Publié au bulletin.
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toujours une démarche individualisée de bon sens, conforme aux recommandations de bonne pratique existantes. Il faut pouvoir justifier ses actes par une réflexion bénéfice-risque systématique et approfondie. Il faut également admettre que les soignants sont démunis lorsqu’il y a une volonté délibérée de dissimulation de la part du patient. D’ailleurs, il n’est en principe pas attendu une obligation de résultat absolu. Par contre, conformément à l’article L.6113-1 du CSP, il existe bien une obligation de moyens, en l’occurrence renforcée, qui doit se traduire par une vigilance et une diligence particulières de l’ensemble des acteurs concernés. Ces précautions particulières doivent de plus, pouvoir être prouvées par l’établissement de soins qui supporte la charge de la preuve.