Dossier scientifique La toxicologie du GHB et de ses précurseurs Marie Allard1,*, Marion Leclercq1, Laurence Labat1,2 1 Laboratoire de toxicologie biologique – fédération de toxicologie de l’AP-HP, hôpital Lariboisière, 2 rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, France. 2 Unité INSERM UMR-S 1144, optimisation thérapeutique en neuropsychopharmacologie, universités Paris Descartes – Paris Diderot,
4 avenue de l'Observatoire, 75006 Paris, France. *Auteur correspondant :
[email protected] (M. Allard).
L’acide gamma-hydroxy-butyrique (GHB), classé comme stupéfiant depuis 1999, a été détourné dans les milieux festifs et dans le cadre privé du chemsex pour être utilisé pour ses propriétés euphorisantes et désinhibantes. On assiste cependant, depuis 2015, à une recrudescence des intoxications, liée à l’utilisation croissante du GHB et de ses précurseurs restant plus facile d’accès : le gamma-butyrolactone (GBL) et le 1,4-butanediol (1,4 BD). Les intoxications au GHB sont à l’origine de troubles neurologiques pouvant aller jusqu’au coma, de troubles cardio-respiratoires et d’une hypothermie. Le GHB est également un composé endogène, dont la présence dans le sang et les urines impose la détermination de valeurs seuils physiologiques pour dépister une intoxication. De plus, le GHB a une demi-vie courte, à l’origine d’une fenêtre de détection plasmatique étroite et on décrit une biodisponibilité plus importante du GBL.Tous ces éléments, ainsi que leurs caractéristiques chimiques particulières en font des composés difficiles à doser et dont les bilans sont parfois délicats à interpréter. Pourtant, le dosage du GHB dans les cas d’intoxication est une aide à la prise en charge des patients. Ainsi, de nombreuses méthodes de dosages ont été décrites pour le GHB et ses précurseurs, principalement par des techniques chromatographiques couplées à de la spectrométrie de masse. Aujourd’hui, le dépistage par méthode enzymatique adaptable sur automates de chimie peut également être utilisé en urgence.
ABSTRACT
Toxicology of GHB and its precursors
MOTS CLÉS acide gammahydroxybutyrique ◗ chemsex ◗ dosage ◗ gamma-butyrolactone ◗ intoxication ◗
KEYWORDS chemsex gamma-butyrolactone ◗ gamma-hydroxybutyric acid ◗ intoxication ◗ quantification ◗ ◗
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Gamma-hydroxybutyric acid (GHB) was diverted from its indications, in festive circles but also in the private context of chemsex to be used for its euphoric and disinhibiting properties. Classified as a narcotic since 1999, there has been an increase in poisonings since 2015, due to the growing use of GHB and its precursors which are more easily accessible: gamma-butyrolactone (GBL) and 1,4-butanediol (1,4 BD). The GHB intoxications include neurological symptoms that can lead to coma, cardiorespiratory disorders and hypothermia. GHB is also an endogenous compound and presence in blood and urines require the determination of physiological threshold values to detect intoxication. More, GHB has a short half-life resulting in a narrow plasma detection window and GBL bioavailability was described higher than GHB one. All these elements, and particular chemical characteristics make them difficult to quantify and the assays must be interpreted with caution. However, the GHB quantification in poisoning cases are a support to optimal management of patients. Thus, many assay methods have been described for GHB and its precursors, mainly by chromatographic methods coupled with mass spectrometry. Today, screening by enzymatic methods adaptable to chemical automatons can be used in an emergency context.
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RÉSUMÉ
Dossier scientifique La toxicologie et le système GABAergique Introduction L’acide gamma-hydroxy-butyrique (GHB) est un neurotransmetteur découvert dans les années 1960 ; tout d’abord synthétisé comme dérivé de l’acide gammaamino-butyrique (GABA), il a ensuite été identifié comme composé endogène présent dans le cerveau [1]. Le GHB est rarement utilisé en thérapeutique pour son activité sédative. Son utilisation majoritaire a été le fait d’usages détournés, notamment en toxicomanie. Récemment, l’utilisation du gamma-butyrolactone (GBL), une prodrogue plus facilement accessible et intégralement transformée en GHB peut se substituer à l’utilisation directe du GHB, classé comme stupéfiant en France depuis 1999.
Clinique On peut distinguer trois catégories d’usage détourné du GHB : l’usage en tant qu’anabolisant, aujourd’hui presque disparu ; l’usage récréatif, en particulier au cours d’activités sexuelles (le chemsex, mot-valise définissant le fait d’avoir des relations sexuelles sous l’influence de substances psychoactives) ; et enfin l’usage criminel dans le cadre de soumissions chimiques, beaucoup plus rares aujourd’hui. Les signes cliniques suivant une consommation aiguë de GHB peuvent varier selon la dose administrée : par exemple concernant l’état de conscience, une dose de 0,5 à 1 g entraîne une désinhibition et une euphorie tandis qu’une dose de 2 à 3 g va entraîner un sommeil profond [2]. La toxicité est donc dose dépendante et on peut observer : des troubles de la conscience et de l’attention, des troubles du langage, une diminution des réflexes, des nausées, des vomissements, une bradycardie, une hypothermie, une amnésie, une dépression respiratoire qui peut aller jusqu’au coma. L’overdose au GHB existe et les cas rapportés augmentent [3,4] avec une altération brutale du tonus musculaire et de la conscience, jusqu’au coma non réactif. Comme la majorité des drogues récréatives utilisées dans le cadre d’activités sexuelles, ce sont les effets désinhibants et euphorisants qui sont recherchés par les consommateurs. Ces derniers décrivent ainsi un effet énergisant, aphrodisiaque, mais aussi relaxant [5]. Une étude européenne du réseau EuroDEN [6] a montré en 2017 que les signes cliniques observés lors d’une intoxication au GHB pouvaient être différents selon qu’elle s’accompagnait ou non d’une consommation concomitante d’autres produits stupéfiants ou d’alcool. Ainsi, les intoxications combinées sont plus sévères, avec une aggravation de la symptomatologie cardio-vasculaire, des vomissements et de l’anxiété. Dans les cas les plus graves et le plus souvent dans le cadre de polyconsommations, le GHB ou ses
précurseurs peuvent être à l’origine de décès par arrêt cardio-respiratoire ou pneumopathie d’inhalation [5]. On estime en France qu’il survient en moyenne un à deux décès par an liés au GHB [7]. Le GHB peut parfois être consommé de manière chronique et entraîne alors des effets à long terme : perte de mémoire, dépendance et syndrome de sevrage [5].
Modes de consommation et d’acquisition La consommation de GHB reste rare, même si on note une augmentation de la prévalence depuis 2005. En France, l’Observatoire français des drogues et toxicomanies indique dans son rapport d’avril 2019 que seuls 0,2 % des 18-64 ans en 2017 indiquent avoir consommé du GHB (ou son précurseur, le GBL) au moins une fois dans leur vie, alors que d’autres produits (poppers, protoxide d’azote, éther…) consommés dans le contexte de chemsex le sont plus largement [8]. La consommation festive de GHB s’élargit progressivement à certains établissements festifs et soirées étudiantes non rattachés à la communauté gay depuis 2015 [9], sans être forcément associée à un contexte sexuel. Cela s’accompagne d’une augmentation des cas de coma où le GHB est incriminé : en Île-de-France, ils passent de 9 en 2014 à 30 en 2017 (figure 1).
Figure 1. Évolution des cas d’intoxications (notifications spontanées) et de décès où le GHB/GBL est incriminé, enregistré par le CEIP de Paris (2014-2017).
CEIP : Centre d’évaluation et d’Information sur la pharmacodépendance D’après [9].
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Dossier scientifique Au départ, rencontré dans le milieu festif gay dans les Dans son rapport de 2008 sur le sujet, l’Observaannées 1990 [8], le GHB voit son usage s’étendre à la toire européen des drogues et des toxicomanies sphère privée au cours des années 2000, notamment rapporte une consommation de GHB par 0,5 à 1,4 % en raison de son classement comme stupédes 15-16 ans dans douze pays européens, alors que la fiant et en raison des attitudes sexuelles expliprévalence chez les personnes fréquentant régulièrecites qu’il provoque, de moins en moins tolérées ment le milieu festif oscillerait entre 3 et 19 % selon en public. Cette consommation privée augmente les enquêtes. Celles-ci reposant uniquement sur des à mesure que l’utilisation du GHB dans le chemsex déclarations d’utilisateurs, les informations recueillies se généralise. ne peuvent être représentatives et doivent être prises Le GHB pouvant entraîner une dépendance [5], des avec précautions.Toutefois, après une vague d’hospitalicas de consommation chronique ont été décrits, sations liée à la consommation de GHB observée dans avec un phénomène de tolérance et un syndrome de les années 2000, les autorités sanitaires font état d’une sevrage à l’arrêt de la consommation. recrudescence de comas à la suite de la diffusion de ces produits auprès des nouvelles générations. Les consommateurs de GHB sont majoritairement des Mécanisme d’action hommes jeunes et sont aussi bien homosexuels que bisexuels ou hétérosexuels [5], dans un contexte Le GHB est un composé naturellement préfestif simple (boîte de nuit, festival…) ou sent dans le cerveau des mammifères [12]. bien dans le cadre de relations sexuelles Il dérive du GABA, un neurotransmet(chemsex). L’utilisation dans le cadre teur inhibiteur du système nerveux de la soumission chimique a été larFacile d’accès et central. gement médiatisée, mais il a été peu cher, le GBL peut montré que les benzodiazépines Précurseurs et apparentées prédominaient encore être commandé du GHB et voies largement dans les cas renconsur Internet en bidon de métabolisation trés. Cette utilisation dans des situations d’agressions sexuelles d’un demi-litre, pour Le GABA est transformé dans lui a valu le surnom de « drogue le cytosol en semialdéhyde succiun prix compris entre du viol » [10]. nique par la GABA transaminase, 40 et 70 euros Le GBL, précurseur du GHB, est un puis en GHB par la semialdéhyde solvant industriel utilisé notamment succinique réductase. Le semialdécomme nettoyant de jantes et non classé hyde succinique peut être métabolisé comme stupéfiant. Néanmoins, depuis 2011, en succinate par la sémialdéhyde succinique le GBL ainsi que le 1,4-butanediol (1,4-BD) ont fait déshydrogénase, pour rejoindre le cycle de Krebs. l’objet d’une interdiction d’offre et de cession au public, Cette étape est déficitaire dans l’acidurie 4-hydroxyen tant que matière première ainsi que dans les produits butyrique, caractérisée par une élévation des taux urimanufacturés (pour une concentration supérieure à 10 % naires de GHB [1] (figure 2). ou pour un volume de plus de 100 mL). Cependant, le Le catabolisme du GHB se fait majoritairement par GBL reste facile d’accès et peu cher : il peut encore être la réaction inverse, c’est-à-dire la transformation en commandé sur Internet en bidon d’un demi-litre, pour sémialdéhyde succinique, qui rejoint ensuite le cycle un prix compris entre 40 et 70 euros. de Krebs ou donne à nouveau du GABA. Deux autres Typiquement, le GHB (incolore et inodore) et le GBL voies de catabolisme, mineures, ont été proposées : (incolore) sont utilisés sous la forme d’un liquide ingéré, l’une mitochondriale, et l’autre via la β-oxydation des d’où son surnom « d’ecstasy liquide », dilué dans un soda acides gras. ou dans l’eau. La consommation se fait généralement au Deux autres composés peuvent être à l’origine de la cours d’une fête ou d’événements sociaux, de l’ordre formation de GHB, et ce sont ceux utilisés dans le d’une fois par semaine pour les consommateurs régucadre des toxicomanies récréatives liées au GHB : le liers. Les témoignages de consommateurs rapportent GBL et le 1,4-BD. Le GBL est complètement transdes doses récréatives de l’ordre 0,8 à 2 mL. Les doses formé par les lactonases sériques en GHB [1], qui peuvent être conditionnées en pipettes et vendues une passe alors la barrière hémato-encéphalique pour dizaine d’euros l’unité [9]. Cependant, une consommaexercer ses effets. Le 1,4-BD est quant à lui métabotion avec une prise successive de plusieurs doses n’est lisé dans le foie par l’alcool déshydrogénase puis par pas sans danger, et le risque d’overdose est bien réel [5]. l’aldéhyde déshydrogénase, pour donner le GHB. Les usages dérivés en tant qu’anabolisant du GHB, Le GHB endogène peut être retrouvé dans le sang, s’ils sont rares, doivent toutefois être gardés à l’esprit l’urine et les cheveux, et sa présence doit être prise en considération pour l’interprétation toxicologique lorsque la symptomatologie évoquant une intoxication des dosages (cf. Interprétation des résultats page 41). au GHB est rencontrée chez les culturistes [11].
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Dossier scientifique La toxicologie et le système GABAergique Récepteurs du GHB
Figure 2. Voies métaboliques du GHB.
Le GHB exerce ses actions sur le système nerveux central par l’intermédiaire de deux récepteurs : le récepteur au GABA de type B (R-GABAB) auquel il se lie avec une faible activité, et le récepteur au GHB, spécifique de la molécule, auquel il se lie avec une forte affinité [13]. Le récepteur au GHB est un récepteur présynaptique couplé à une protéine G, dont l’activation entraînerait une diminution de la sécrétion de GABA dans la synapse. Toutefois, les caractéristiques cliniques associées à une intoxication au GHB suggèrent un effet prépondérant d’une activation des R-GABAB. Ces récepteurs, couplés à une protéine G, peuvent être présynaptiques et contrôlent ainsi la sécrétion de neurotransmetteurs, ou postsynaptiques et ils inhibent alors l’influx nerveux. La pharmacologie du GHB est d’autant plus complexe que celui-ci peut également être transformé en GABA en dehors de la cellule nerveuse en cas d’administration de fortes doses, expliquant la prévalence des effets GABA-ergiques. D’après [2].
Toxicocinétique Le GHB comme le GBL sont bien absorbés par voie orale, avec une meilleure biodisponibilité du GBL [2]. Le pic plasmatique est obtenu en vingt-cinq à soixante minutes en fonction de la dose ingérée et correspond au pic des signes cliniques observés. L’absorption est limitée par la consommation concomitante de nourriture. Le 1,4-BD est absorbé plus rapidement : son pic survient en moins d’une demi-heure et il est immédiatement métabolisé en GHB. Le pic de ce dernier est dans ce cas observé autour de quarante minutes [2]. La toxicocinétique du GBL est quant à elle mal caractérisée, mais pourrait être proche de celle du 1,4-BD. La distribution du GHB est rapide et suivrait un modèle bicompartimental, mais le volume de distribution apparent semble varier fortement : de 0,19 à 0,74 L/kg chez les volontaires sains. Le GHB traverse les barrières placentaire et hémato-encéphalique, et sa liaison aux protéines plasmatiques est faible [14]. La métabolisation du GHB a lieu d’abord dans le foie, en semialdéhyde succinique, qui peut lui rejoindre le cycle de Krebs en étant transformé en succinate, ou bien former du GABA (figure 2). Les métabolisations des 1,4-BD et GBL en GHB ont été décrites plus haut. Il est à noter que l’éthanol agit comme substrat compétitif de l’alcool déshydrogénase et inhibe ainsi la transformation du 1,4-BD en GHB. Une partie du GHB est également
transformée en conjugé glucuronidé [15], dont la pharmacocinétique reste encore à préciser. Ce métabolite est éliminé dans les urines et y constitue un marqueur de l’intoxication au GHB. L’élimination du GHB exogène est rapide et non linéaire, probablement à cause du caractère saturable des voies métaboliques évoquées (figure 2), et seulement 2 % du GHB ingéré sont éliminés sous forme inchangée dans les urines. Ainsi, la demi-vie du GHB est comprise entre 0,5 et 0,9 heure, et est proportionnelle à la dose ingérée. La présence du GHB exogène est de courte durée dans les fluides biologiques : de quatre à huit heures dans le plasma et douze heures dans les urines après l’ingestion. La cinétique d’élimination rapide du GHB, sa distribution variable, la présence de GHB endogène dans le plasma et dans les urines, font de celui-ci un composé difficile à doser et à interpréter dans les matrices usuellement utilisées en toxicologie. Cela peut poser problème notamment dans un cadre médico-légal. En toxicologie clinique, il est donc essentiel de pouvoir disposer de méthodes de dépistage sensibles et rapides, pouvant facilement être mises en œuvre dans les centres spécialisés amenés à prendre en charge ce type d’intoxications.
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Dossier scientifique Méthodes de dosage Ces dernières années, la recrudescence des cas d’intoxications parfois extrêmement graves, contraint les laboratoires de toxicologie biologique à développer de nouvelles méthodes de dosage plus adaptées à cette situation. En effet, si les méthodes de dosage ont été développées dès la découverte du GHB endogène, elles ont connu un véritable essor à la fin des années 1990. La grande majorité des techniques utilisées aujourd’hui reposent sur la chromatographie couplée à la spectrométrie de masse, mais des méthodes enzymatiques sont également utilisées pour des dépistages réalisés en milieu hospitalier [16]. Les modes de consommation actuels, à savoir la consommation de précurseurs du GHB, conduisent à développer des méthodes de diagnostic multiparamétriques, qui quantifient précisément le GHB, ses métabolites (au premier rang desquels le GHB-glucuronide urinaire), mais également ses précurseurs, GBL et 1,4-BD. Concernant les matrices sur lesquelles le GHB et ses dérivés sont dosés, la littérature rapporte principalement le dosage sur urine, plasma ou sang total, mais également dans les cheveux, particulièrement utile pour les prélèvements à distance de la prise de GHB. De manière beaucoup plus limitée, certains auteurs ont proposé le dosage dans la sueur ou la salive [16].
Dosage Lors d’un bilan toxicologique large (screening toxicologique), le dosage du GHB peut se faire par une méthode immunologique ou enzymatique, ou bien par chromatographie couplée à de la spectrométrie de masse pour le dépistage simultané de plusieurs composés. Un dépistage est alors considéré comme positif si la concentration du GHB est supérieure aux concentrations physiologiques, soit 5 mg/L dans le plasma et 10 mg/L dans les urines [16]. La commercialisation en 2009 d’un kit enzymatique automatisable de dépistage du GHB sur sérum et urine [17] a permis l’essor de ce type de dépistage et son adaptation au sang total et à l’humeur vitrée [18]. Plus récemment, Soichot et al. se sont intéressés à l’utilisation en routine de ce test dans le cadre de l’optimisation de la prise en charge des patients intoxiqués par le GHB/GBL dans une unité de réanimation spécialisée en toxicologie [19], et ont montré l’avantage de cette méthode facile d’utilisation et rapide d’exécution par rapport à un dépistage classique en GC-MS, en particulier grâce à l’adaptation de ce test possible sur des automates d’urgence fonctionnant 24 heures sur 24. Il faut toutefois souligner l’interférence décrite de cette méthode avec l’éthanol, responsable de faux positifs (relation équivalente décrite entre 1,06 g/L
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Tableau 1. Technique enzymatique de dosage du GHB dans le plasma et les urines Calibrateurs
10 et 100 mg/L
Contrôles urinaires
Niveau 1 : 10 à 20 mg/L Niveau 2 : 60 à 90 mg/L
Cofacteur
NAD+
Enzyme recombinante lyophilisée
GHB déshydrogénase
Tampon d’incubation
2-amino-2-méthyl-1,3-propanediol dans un tampon Tris-HCl
Technique proposée par Bühlmann Laboratories AG, adapté sur automate type C4000 Architect®. D’après [17].
d’éthanol et 3 mg/L en GHB) [19]. Aussi, les auteurs proposent un dosage systématique de l’éthanol dans le plasma ou les urines, d’autant que la consommation de GHB/GBL est souvent associée à une consommation d’alcool (tableau 1). Le dépistage du GHB dans les urines continue à être étudié, puisqu’une équipe hollandaise a récemment comparé deux tests immunochromatographiques de détection rapide proposés dans les services d’urgence [20], avec toutefois un cut-off urinaire à 50 mg/L, soit plus élevé que ce qui est rapporté dans le reste de la littérature, et surtout très supérieur aux concentrations physiologiques. L’identification et le dosage du GHB et de ses précurseurs par méthodes chromatographiques sont plus complexes et nécessitent une étape de préparation d’échantillon [16]. Ces méthodes sont régulièrement améliorées et certaines proposent des dépistages plus rapides notamment en chromatographie liquide couplée à de la spectrométrie de masse (LC-MS/MS) [21]. Comme pour toute recherche de toxiques, un dépistage positif par méthode enzymatique ou immunologique, pas toujours spécifiques, est suivi d’un dosage par une méthode de confirmation. Dans le cas du GHB, les méthodes en spectrométrie de masse sont largement utilisées. La revue exhaustive de la littérature publiée en 2014 par Ingels et al. [16] reprend toutes ces méthodes. Les techniques de chromatographie couplées à de la spectrométrie de masse requièrent toutes une préparation d’échantillon parfois longue, ainsi qu’un laboratoire spécialisé dans l’utilisation de ces méthodes.
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Dossier scientifique La toxicologie et le système GABAergique GC-MS
Interprétation des résultats
Le GHB étant une molécule polaire, sa modification Nous avons vu que le GHB est produit de manière est nécessaire avant son analyse en chromatographie endogène et peut être retrouvé chez des non-consomen phase gazeuse, que ce soit par la formation d’un mateurs dans différentes matrices, dans des concentracycle lactone ou par dérivatisation (silylation, methylations très inférieures à celles retrouvées lors d’intoxition, alkylation…). Ces procédures longues et parfois cations. Ainsi, on pourra parler d’intoxication au GHB complexes de préparation d’échantillon tendent à défalorsque les concentrations sont supérieures à 10 mg/L voriser de plus en plus l’analyse du GHB par chromatopour l’urine et 5 mg/L pour le plasma. Les limites de graphie en phase gazeuse, bien que cette méthode ait quantification des méthodes utilisées doivent donc être été la plus utilisée au cours des vingt dernières années. au minimum égales à 5 mg/L. D’une manière générale, Les modes d’ionisation les plus utilisés sont l’impact les échantillons doivent être collectés le plus rapideélectronique et l’ionisation chimique (positive ou ment possible après l’ingestion de GHB/GBL en raison négative) [16]. La spectrométrie de masse en tandem d’un métabolisme rapide et d’une demi-vie plasmatique (MS/MS) couplée à la GC permet un gain de spécificité très courte. En conséquence, le GHB reste difficilement grâce à la détection de transitions (ions parents > ions fils) détectable dans les fluides biologiques avec des fenêtres et permet donc de réduire la phase de préparation de détection étroites (entre cinq et six heures dans le d’échantillon. Si les formes des pics obtenus sont plasma, et jusqu’à douze heures dans l’urine) meilleures et le gain de sélectivité est intéres[16]. Il est également décrit pour le GBL sant pour la quantification du GHB dans Les cas en raison du caractère plus lipophile les cheveux, l’utilisation d’une détection de ce produit, une absorption plus d’intoxications MS/MS n’est pas forcément indispenrapide et complète par voie orale sable pour le sang et l’urine [22]. sévères sont en et des concentrations obtenues Récemment, le métabolite GHBaprès métabolisation en GHB plus augmentation, et on Gluc a pu être dosé dans le sang élevées que celles mesurées pour total par GC-MS/MS [23]. dénombre en France une prise équivalente en GHB. Le cheveu permet de réaliser un ou deux décès LC-MS un prélèvement à distance de la par an liés à la prise de GHB. Toutefois, comme Si, historiquement, les méthodes le GHB endogène est également consommation de en GC ont largement dominé présent dans le cheveu, l’analyse de les techniques d’analyse et que les GHB plusieurs segments est nécessaire pour colonnes de chromatographie liquide distinguer une élévation des concentraen phase inverse, de loin les plus utilisées, tions liée à une intoxication d’un bruit de fond ne peuvent que faiblement retenir le GHB, lié à la production cérébrale de GHB [28]. Récemment, le développement de la chromatographie ultrahaute une étude a proposé une valeur moyenne de 0,752 ng/ performance (UPLC) et son couplage aux détections mg de cheveu chez des volontaires non consommaMS/MS en fait une technique de plus en plus plébiscitée. teurs [29]. De plus, la préparation d’échantillon est grandement facilitée, et peut parfois se limiter à une simple dilution, avec ou sans filtration, de la matrice d’intérêt. La sensiConclusion bilité doit être toutefois conservée de manière à pouvoir mesurer les quantités de GHB endogène, et l’effet Le GHB est une drogue récréative inhibitrice du sysmatrice doit être limité par l’utilisation d’un standard tème nerveux central qui agit par l’intermédiaire du interne deutéré, ou par une étape d’extraction liquide/ système GABAergique. La consommation actuelle, liquide ou solide/liquide [16]. croissante depuis 2015, repose sur l’ingestion de préLa LC-MS/MS permet un temps d’analyse réduit aux curseurs obtenus légalement et qui sont métabolisés alentours de cinq minutes par échantillon et suren GHB dans le corps. Les cas d’intoxications sévères tout autorise la quantification multiparamétrique sont en augmentation, et on dénombre en France un simultanée du GHB, de ses précurseurs et de ses ou deux décès par an liés à la consommation de GHB. métabolites, y compris du GHB-Gluc [24,25] que ce Dans ce contexte, le rôle du laboratoire de toxicosoit dans le sang total, l’urine, les cheveux ou même, logie biologique est essentiel pour confirmer ou non récemment, les ongles [26]. Une méthode de dosage une intoxication au GHB. Les méthodes de dépistage à partir de spots de sang séché a également été mise s’automatisent, permettant d’apporter aux cliniciens un au point, dans le cadre du dépistage néonatal du défirésultat fiable et rapide dans un contexte d’urgence. cit en semialdéhyde succinique déshydrogénase, et Dans un second temps, le progrès des méthodes de pourrait être utilisée dans une approche toxicoloquantification multiparamétriques par spectrométrie gique générale [27]. 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Dossier scientifique de masse permet aujourd’hui de doser avec précision les précurseurs du GHB, la molécule elle-même et ses métabolites, dans un nombre toutefois restreint de centres très spécialisés dans la prise en charge de ces intoxications. L’amélioration constante des méthodes d’exploration de ce toxique et des molécules associées constitue un outil primordial pour une meilleure compréhension de la physiopathologie et de la toxicocinétique du GHB. QQ Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.
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Points à retenir ◗tLe GHB est à la fois une molécule endogène et exogène. ◗tLa
cinétique d’élimination du GHB est rapide chez l’homme. ◗tIl existe de nouveaux modes de consommations volontaires du GHB/GBL dans des contextes festifs. ◗tLe GBL est un précurseur du GHB pouvant être acheté légalement sur le marché. ◗tIl existe des méthodes rapides et automatisables pour le dépistage et le dosage du GHB dans le plasma et les urines.
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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES • N° 517 • DÉCEMBRE 2019