Réanimation 15 (2006) 1–2 http://france.elsevier.com/direct/REAURG/
Éditorial
La ventilation non invasive est-elle un exercice à haut risque dans les détresses respiratoires postextubation ? Is non invasive ventilation a high risk exercise in the post-extubation respiratory distress?
L’extubation constitue une partie importante et autonome de la libération globale de la ventilation mécanique. La prévalence de son échec peut atteindre 20 % des extubations dans les unités polyvalentes et médicales. L’échec d’une extubation programmée est responsable d’une augmentation de morbidité et de mortalité. Dans une étude sur 745 patients, la réintubation était associée au décès dans 42 % des cas, et même 53 % si la réintubation n’était pas liée à un problème sur les voies aériennes supérieures [1]. La ventilation non invasive (VNI), qui a transformé la prise en charge de l’insuffisance respiratoire aiguë (IRA), pourrait améliorer le pronostic des détresses respiratoires postextubation. Les premières études n’ont pas concerné spécifiquement l’utilisation de la VNI dans les suites d’une extubation; 22 patients, parmi les 31 inclus, recevaient une VNI postextubation dont 16 (72 %) avec succès dans l’étude de Pennock [2] ; six succès chez sept patients, et cinq succès chez six patients furent enregistrés dans deux autres études [3,4]. Dans une étude non contrôlée, la VNI permit d’éviter une réintubation chez 52 des 72 malades (72 %) qui présentaient une IRA hypoxémique dans les 24 heures qui suivaient l’extubation [5]. La première étude contrôlée a comparé, par la méthode des cas témoins, un traitement médical conventionnel à ce traitement standard plus la VNI, dans la détresse respiratoire postextubation des patients bronchopneumopathes chroniques obstructifs (BPCO); le recours à la réintubation était significativement diminué dans le groupe VNI (20 vs 67 %) [6]. L’intérêt de la VNI postextubation chez le BPCO a été confirmé dans deux études [7,8]. En revanche, deux études récentes prospectives randomisées contrôlées n’ont montré aucun avantage à l’utilisation de la VNI dans l’IRA postextubation [9,10]. En effet, les études monocentrique [9] et multicentrique [10] rapportent des taux semblables de réintubation dans les groupes VNI en comparaison des groupes témoin. Il en est de même pour la mortalité dans la première étude [9] ; en revanche, il existe une surmortalité en réanimation chez les patients traités par VNI (25 vs 14 %) dans la dernière étude [10]. Ainsi, si les résultats des premières études sont encourageants, la seule analyse des résultas des deux
études scientifiquement les moins contestables [9,10], pourrait conduire à ne pas recommander la VNI dans les détresses respiratoires postextubation ou à renoncer à cet exercice hautement risqué si les patients ne sont pas répondeurs à la deuxième heure d’utilisation de la VNI [11]. Bien évidemment, il ne faut surtout pas mésestimer les messages forts délivrés par ces études [9,10] et le constat que l’utilisation de la VNI avec un retard à la réintubation peut conduire à une surmortalité [10]. Cependant, nous pouvons nous étonner que, après plus de dix années de pratiques internationales de la VNI, des études récentes aient abouti à des résultas à l’opposé de ceux des études initiales. Pour tenter d’expliquer ces discordances, plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Respectivement, seulement 8 et 12 % des patients traités par VNI étaient BPCO dans ces deux études [9,10], tandis que, les autres avaient une diversité de conditions incluant pneumopathie, postopératoire, trauma et syndrome de détresse respiratoire de l’adulte. Or, la plupart des travaux suggèrent que la VNI est plus efficace chez les patients BPCO que chez ceux avec IRA hypoxémique. La problématique essentielle de la VNI en postextubation est qu’en cas de succès, elle permet d’éviter la réintubation, dont on connaît clairement le mauvais pronostic, mais qu’il ne faut pas différer le moment de la réintubation, si cette dernière est devenue nécessaire. Assurément, la détresse respiratoire postextubation fait partie des indications de la VNI qui nécessitent de l’expérience et une grande maîtrise de la technique. Pourtant, une période de formation aux techniques de VNI d’une année a été programmée avant le début de la première étude [9] et tous les centres participant à la seconde étude avaient incorporé la VNI dans leur pratique clinique courante au moins un an avant le début de l’essai [10]. On est bien loin de l’expérience patiemment accumulée par les équipes qui ont utilisé la VNI dans l’insuffisance respiratoire chronique stable, l’ont transféré en réanimation pour le traitement de la décompensation aiguë de BPCO, ont mis en place une organisation précise qui comporte des aspects techniques et surtout humains, avant d’étendre progressivement l’utilisation de la
2
Éditorial / Réanimation 15 (2006) 1–2
VNI à d’autres indications. Même si l’apprentissage des techniques de VNI est décrit comme étant simple dans certaines études, il est indispensable et surtout continu, permettant de mieux cerner les indications de la technique, d’en optimiser les aspects techniques et le monitorage, seuls garants de l’évitement d’une intubation trop tardive en cas d’échec de la méthode. Les taux très élevés de réintubation, respectivement 70 % [9] et 50 % [10], suggèrent que la VNI a été indiquée à un stade avancé d’IRA et que les patients auraient pu tirer bénéfice d’une indication plus précoce. Des mesures physiologiques peuvent-elles prédire l’issue de l’extubation et au-delà, en proposant précocement une technique de VNI, améliorer son taux de succès ? Les paramètres classiquement utilisés pour prédire l’échec de sevrage, basés en partie sur leur aptitude à identifier un déséquilibre entre la capacité ventilatoire à assumer le travail et les charges imposées, sont souvent moins précis pour prédire l’échec de l’extubation, ce dernier faisant intervenir d’autres facteurs directement liés à l’ablation de la prothèse endotrachéale tels que l’obstruction des voies aériennes ou l’encombrement bronchique. Deux études ont démontré qu’une évaluation semi-objective de la force de la toux et du volume de sécrétions permettait de prédire l’issue de l’extubation parmi des patients ayant pourtant réussi l’épreuve de ventilation spontanée [12,13]. Dans l’exacerbation aiguë de BPCO, une étude contrôlée récente montre l’intérêt d’une technique d’assistance ventilatoire non invasive axée sur la prise en charge de l’excès de sécrétions [14]. Chez les patients, BPCO ou non, présentant un excès de sécrétions avant et/ou après l’extubation, il est souhaitable d’évaluer les techniques visant à réduire les sécrétions et le travail ventilatoire, qu’il s’agisse de méthodes spécifiquement destinées à traiter l’encombrement bronchique ou de la VNI. Une étude a montré, chez les patients BPCO, que la mesure de P0.1 au masque après l’extubation était prédictive d’une insuffisance respiratoire hypercapnique postextubation [7]. Des études sont clairement nécessaires pour déterminer quels paramètres permettront de proposer, chez des patients ainsi sélectionnés, une assistance ventilatoire non invasive pour corriger les déterminants d’un échec annoncé et éviter la réintubation. La VNI est-elle un exercice à un haut risque dans les détresses respiratoires postextubation ? Assurément oui, pour les équipes qui sous-estimeraient la diversité des mécanismes de l’affection et découvriraient la VNI pour l’utiliser dans cette indication difficile, et/ou ne se sont pas donnés les moyens de formation continue, et/ou proposent la méthode à un stade avancé d’IRA. Assurément non, pour les équipes qui ont mis en place une organisation précise, ont acquis des compétences et une bonne expérience de la technique, en privilégiant la formation continue au contact des patients et soignants, à celle de l’écriture de revues et de méta-analyses de la littérature sur les applications de la VNI. L’utilisation de la VNI dans les détresses respiratoires postextubation doit être considérée comme un exercice difficile, mais pas plus que ne l’est l’exercice au quotidien de notre spécialité. Continuons à étendre les indications de la technique, à l’optimiser, à en mieux fixer les limites, dans
l’intérêt des patients qui nous sont confiés et ainsi, n’en déplaise aux oiseaux de mauvais augure, sans changer nos primes d’assurance d’exercice de notre belle discipline. Références [1] Epstein SK, Ciubotaru RL. Independent effects of etiology of failure and time to reintubation on outcome for patients failing extubation. Am J Respir Crit Care Med 1998;158:489–93. [2] Pennock BE, Kaplan PD, Carlin BW, Sabangan JS, Magovern JA. Pressure support ventilation with a simplified ventilatory support system administered with a nasal mask in patients with respiratory failure. Chest 1991;100:1371–6. [3] Meduri GU, Abou-Shala N, Fox RC, Jones CB, Leeper KV, Wunderink RG. Noninvasive face mask mechanical ventilation in patients with acute hypercapnic respiratory failure. Chest 1991;100:445– 54. [4] Wysocki M, Tric L, Wolff MA, Gertner J, Millet H, Herman B. Noninvasive pressure support ventilation in patients with acute respiratory failure. Chest 1993;103:907–13. [5] Munshi IA, DeHaven B, Kirton O, Sleeman D, Navarro M. Reengineering respiratory support following extubation : avoidanceof critical care unit costs. Chest 1999;116:1025–8. [6] Hilbert G, Gruson D, Portel L, Gbikpi-Benissan G, Cardinaud JP. Noninvasive pressure support ventilation in COPD patients with postextubation hypercapnic respiratory insufficiency. Eur Respir J 1998;11:1349–53. [7] Hilbert G, Gruson D, Portel L, Vargas F, Gbikpi-Benissan G, Cardinaud JP. Airway occlusion pressure at 0.1 s (P0.1) after extubation: an early indicator of postextubation hypercapnic respiratory insufficiency. Intensive Care Med 1998;24:1277–82. [8] Hilbert G, Gruson D, Vargas F, Valentino R, Portel L, Gbikpi-Benissan G, et al. Noninvasive ventilation for acute respiratory failure: quite low time consumption for nurses. Eur Respir J 2000;16:710–6. [9] Keenan SP, Powers C, McCormack DG, Block G. Noninvasive positive pressure ventilation for postextubation respiratory distress: a randomized controlled trial. JAMA 2002;287:3238–44. [10] Esteban A, Frutos-Vivar F, Ferguson ND, Arabi Y, Apezteguia C, Gonzalez M, et al. Noninvasive positive pressure ventilation for respiratory failure after extubation. N Engl J Med 2004;350:2452–60. [11] Truwit JD, Bernard GR. Noninvasive ventilation: don’t push too hard. N Engl J Med 2004;350:2512–5. [12] Khamiees M, Raju P, DeGirolamo A, Amoateng-Adjepong Y, Manthous CA. Predictors of extubation outcome in patients who have successfully completed a spontaneous breathing trial. Chest 2001;120: 1262–70. [13] Salam A, Tilluckdharry L, Amoateng-Adjepong Y, Manthous CA. Neurologic status, cough, secretions and extubation outcomes. Intensive Care Med 2004;30:1334–9. [14] Vargas F, Bui HN, Boyer A, Salmi LR, Gbikpi-Benissan G, Guenard H, et al. Intrapulmonary percussive ventilation in acute exacerbations of COPD patients with mild respiratory acidosis : a randomized controlled trial. Crit Care 2005;9:382–9.
G. Hilbert* F. Vargas Département de réanimation médicale, CHU de Bordeaux, EA 518-Physiologie, université Bordeaux-II, 33000 Bordeaux, France Adresses e-mail :
[email protected] (G. Hilbert),
[email protected] (F. Vargas). *Auteur
correspondant.
1624-0693/$ - see front matter © 2006 Société de Réanimation de Langue Française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2005.12.010