L’accompagnement des démences : méditation de pleine conscience et « savoir-être » soignant

L’accompagnement des démences : méditation de pleine conscience et « savoir-être » soignant

NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2019) 19, 326—332 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ARTICLE ORIGINAL L’accompa...

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NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2019) 19, 326—332

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

ARTICLE ORIGINAL

L’accompagnement des démences : méditation de pleine conscience et « savoir-être » soignant夽 Dementia care: Mindfulness meditation and carers’ self-management skills A. Weiss a,∗, H. Meriadec b, C. Combre c a

Ehpad le Village, 26, rue Schabis, 68120 Richwiller, France Association Bouddhiste Zen Moku-Do, 33, rue Poincaré, 68700 Cernay, France c Ehpad le Foyer du Parc, 14, rue Alfred-Hartmann, 68140 Munster, France b

Disponible sur Internet le 25 juin 2019

MOTS CLÉS Méditation ; Pleine conscience ; Soignant ; Démence

Résumé L’accompagnement des patients ayant une pathologie neurodégénérative questionne et trouble l’ensemble des personnes dans une relation de soin. La pratique de la méditation de pleine conscience a été questionnée par des psychologues et un moine zen, au sein d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), comme dispositif à l’intention des soignants en vue de leur permettre de développer leur savoir-être (patience, indulgence et compréhension) soignant. L’objet de cette recherche est d’investiguer comment cet outil permet d’aborder concrètement l’aspect conceptuel du prendre-soin dans l’accompagnement des démences. © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.



Présenté au séminaire « Démence et soin psychique : Les équipes » le 14 février 2019 à Strasbourg. Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (A. Weiss), [email protected] (H. Meriadec), [email protected] (C. Combre). ∗

https://doi.org/10.1016/j.npg.2019.04.001 1627-4830/© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Méditation et « savoir-être » soignant

KEYWORDS Meditation; Mindfulness; Carer; Dementia

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Summary Taking care of people suffering of a degenerative neurological pathology make people in a caring relationship with them troubled and concerned. The practice of mindfulness meditation was explored by psychologists and a Zen monk in a nursing home in France, as a means for carers to develop their self-management caring skills (patience, indulgence and understanding). The aim of this research was to find out how this tool can concretely approach the conceptual aspects of caring skills in managing dementia. © 2019 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

L’accompagnement des démences nécessite une observation précise des symptômes psycho-comportementaux par l’équipe soignante. Cela comprend une recherche étiologique somatique ainsi qu’une analyse du contexte de survenue des symptômes (lieu, fréquence, horaires. . .) [1]. Cette analyse comporte une approche fractionnée de la situation de l’épisode du trouble (où ? quand ? comment ? pourquoi ?) à laquelle s’ajoute une analyse des attitudes des soignants pris dans l’interaction [1]. Ce travail est d’autant plus essentiel que le « soin est un engagement humain qui n’est pas neutre pour celui qui l’exerce » [2]. En effet, le travail soignant peut être marqué par des échecs d’engagement relationnel ou des expériences de violence dans l’interaction avec autrui [2]. Face à ces difficultés d’accompagnement ou ces impasses, la psychologie du soignant peut être impactée et laisser apparaître une irritabilité, un manque de disponibilité pour le patient ou encore un détachement apathique de la douleur des patients et des familles, voire une apparition d’un certain cynisme avec la perception d’un malade « responsable » de ses problèmes [2]. L’accompagnement et l’évaluation des symptômes psycho-comportementaux dans la démence peuvent ainsi être vécus avec des impressions de frustration et/ou de culpabilité chez le soignant, qui désirerait normaliser un comportement chez le patient [3]. Il « doit résister à la tentation de supprimer un trouble, dans la mesure où il n’est pas dangereux pour lui-même ou pour autrui ; et s’exercer à la patience, à l’indulgence et à la tolérance » [1]. En outre, face aux cris, à l’agitation, à la déambulation, quel est l’écart entre ce que nous souhaitons voir, ce que nous nous autorisons à voir et ce que nous voyons réellement ? Cette réflexion nécessite, pour le soignant, une indispensable clairvoyance sur ses affects et émotions car sa manière d’être et ses habitudes sont ébranlées face au comportement [4]. Il est donc intéressant de se questionner et de comprendre ce que ces comportements représentent : comportement troublant ou troublé ? [4]. Cette problématique est au cœur même de la qualité de prise en soins des démences. « Comprendre le symptôme, accepter son expression, l’accompagner, c’est déjà le traiter » [1]. Face à ce constat, quel outil permet à l’équipe de développer ses qualités de « savoir-être » dans le « prendre-soin », comme les notions de compréhension, d’acceptation et de prise de recul ?

Pour ces raisons, nous avons voulu observer l’impact de la méditation de pleine conscience (MPC) sur le savoir-être des soignants dans le suivi des démences. En effet, face à ce questionnement concernant la qualité d’accompagnement des troubles du comportement en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), nous posons la question suivante : la MPC a-t-elle un impact sur la qualité de soins en développant le savoir-être des soignants ? Dans un premier temps, nous allons donc aborder en quoi la MPC est un outil permettant le développement du prendre-soin dans l’accompagnement. Nous partagerons ensuite l’expérience d’une pratique méditative mise en place à l’EHPAD de Richwiller (Haut-Rhin, 68) et exposerons les termes et notions issus du discours et de la conception Zen qui ont fondés l’expérimentation. Dans les dernières lignes sera exposé le retour d’expérience des soignants, avec et sans la pratique, afin de présenter puis de discuter les effets observés sur les qualités favorisant la relation de soin des démences.

La méditation de pleine conscience, un possible outil ? Une définition actuelle pour décrire la MPC est le « fait de porter son attention intentionnellement au moment présent, sans juger, sur l’expérience qui se déploie moment après moment » [5]. Les diverses méthodes utilisées dans les interventions basées sur la pleine conscience sont issues de la tradition bouddhiste et sont aujourd’hui sécularisées et enseignées dans un cadre laïque [6]. En pratique, la méditation encourage à une vigilance sur le plan attentionnel à l’égard des mouvements et expériences subjectives qui se déploient dans l’instant présent (ex : sensations, perceptions et/ou formations mentales) au cœur du champ de la conscience. L’attention n’est donc pas portée vers un objet du mental précis, mais plutôt vers tout ce qui franchit le seuil de la conscience, instant après instant [6]. De manière générale, elle impacte le niveau d’empathie en ayant un effet bénéfique et plus spécifiquement « les compétences d’empathie cognitive (prise de perspective, la compréhension d’autrui) et de régulation des affects (meilleure gestion de la détresse émotionnelle), mais également réduire la tendance à l’empathie affective (la réponse

328 affective et la contagion émotionnelle) » [7]. L’émergence d’une telle réponse empathique s’expliquerait par le développement d’une qualité de présence attentive, à chaque instant, dans une vigilance à rester réceptif et dans une attitude non-jugeante [7]. De plus, cette préparation à cette présence attentive, cette ouverture du champ de la conscience, la pratique de l’observation et de « la compréhension de ses propres réactions mentales et émotionnelles ainsi qu’à l’auto-compassion [. . .] aurait tendance à améliorer la compréhension des expériences d’autrui » [7]. D’autre part, cette pratique semble également associée à « une meilleure stabilité émotionnelle » et « à plus d’affects positifs et à des niveaux plus faibles d’affects négatifs et de dysfonctionnements émotionnels » comme les symptômes dépressifs, l’anxiété et le stress [8]. En outre, la MPC permet une meilleure régulation du comportement qui « facilite une régulation plus adaptative et efficace des actions, en rendant les réponses plus flexibles, adaptées à la situation et atténue les réactions et comportements automatiques et impulsifs » [8]. Au regard de ces résultats et en s’intéressant au champ de la santé mentale, cette pratique « s’avère être un outil intéressant pour les intervenants dans le domaine de la santé, où la compétence d’empathie est particulièrement engagée » [8]. Effectivement, la MPC permet aux soignants de « changer la fac ¸on dont ils rentrent en communication avec le patient » [9]. De plus, elle propose une posture mentale en faveur du développement de diverses qualités favorisant la relation de soin : présence à soi, attention, bienveillance, ouverture, non-jugement [9]. Enfin, il a été mis en évidence que c’est un outil permettant d’entraîner les compétences de présence, d’écoute, d’empathie et de prise de conscience des limites dans le soin, de professionnels travaillant dans le domaine des soins palliatifs [10]. À l’heure actuelle, la plupart des interventions axées sur la MPC ont été introduites afin de promouvoir le mieux-être et la qualité de vie des employés [11]. Toutefois, quel est l’effet de ces interventions sur la qualité de soins et sur le type de relations que les soignants entretiennent avec leurs patients ? Cette question reste encore en suspens et les études ayant essayé d’y répondre sont peu nombreuses [11]. De plus, il importe de noter qu’un grand nombre d’études menées sur cette pratique utilise des protocoles composés de plusieurs exercices (tels que la méditation assise, le body scan, des exercices d’élongation de hatha yoga et des exercices de concentration basés sur la respiration) [5], venant ainsi questionner l’effet thérapeutique observé : est-il lié au programme complet ou à une ou plusieurs de ses composantes ? [5]. Les auteurs soulignent aussi « la faiblesse méthodologique » en mentionnant l’absence de groupe témoin [5]. Enfin, certains auteurs interrogent aussi les effets de la pratique méditative au sein de notre culture occidentale, nourrie par des valeurs et une éthique qui sont différentes de celles véhiculées par la culture bouddhiste (ex : interdépendance des individus, importance du soin d’autrui) [7]. Dans l’ensemble, il nous a semblé intéressant de séquencer ces exercices afin d’en utiliser un unique (la méditation assise) et d’étudier son impact, au sein d’un cadre laïque auprès d’un groupe expérimental et d’un groupe témoin.

A. Weiss et al. Ce temps de pratique a été animé par un instructeur qui est un intervenant extérieur à l’EHPAD et moine zen séculier.

Un exemple de mise en pratique dans un EHPAD Cette étude s’est déroulée à l’EHPAD du Village de Richwiller entre décembre 2017 et avril 2018. L’objectif était d’observer comment la pratique de la méditation assise, enseignée par un moine zen séculier, au sein d’un cadre laïque, impacte la relation de soin dans le champ de l’accompagnement des troubles du comportement. Nous avons constitué deux groupes : un premier groupe de six soignants, volontaires et non pratiquants, a bénéficié des huit séances de méditation assise, tandis qu’un autre groupe de six soignants, volontaires et non pratiquants, n’y a pas participé. Avant et après les huit séances, les deux groupes ont répondu à un questionnaire adapté de la Levels of Awarness Scale (LEAS ; échelle de niveaux de conscience émotionnelle [12] ; traduite et validée en franc ¸ais [13]). La LEAS est un instrument d’évaluation qui permet de mesurer la capacité d’une personne à décrire ses émotions, à les reconnaître et à en attribuer à autrui [14]. Il est composé de 20 situations émotionnelles, pour lesquelles la consigne est de s’imaginer vivre la situation énoncée puis de décrire ce qui peut être ressenti si cela se produisait, « chez lui et chez l’autre » [14]. La cotation de ce test projectif se base sur l’analyse du contenu verbal des réponses données, en se référant à « la théorie des degrés de différenciation et d’intégration des émotions de ces auteurs » [14]. Concernant les séances de MPC, elles s’inscrivent dans la tradition bouddhiste zen. Les soignants ont médité face au mur, les yeux mi-clos, afin d’éviter les distractions de l’environnement, et de ne s’accrocher à rien mentalement pour poursuivre un dialogue interne. Les soignants arrivaient à 14 h dans une tenue souple, déposaient leurs chaussures à l’entrée. Ils prenaient place sur une chaise, un coussin de méditation (zafu) ou un banc de méditation (shoggi), selon leur préférence, leurs sensations et souplesse corporelles (ex : douleur au dos) et prenaient le temps de s’ajuster à la position assise, stable, le dos droit et le menton légèrement rentré. Une fois que tous les participants étaient installés et silencieux, la séance débutait par un premier temps de 30 minutes. Cette partie s’amorc ¸ait par un silence suivi d’un temps d’enseignement par le moine zen. Le soignant pouvait porter son attention sur le souffle ou ses sensations corporelles (en observant ce qui émerge comme pensées, sensations, perceptions) ou encore sur l’enseignement de l’instructeur. Après ce temps de pratique, tous les participants se retournaient face au centre pour un temps d’échange et de questions (30 minutes environ) autour de la séance, de l’enseignement, de leurs ressentis. Avant d’exposer les observations recueillies auprès des soignants, il importe d’illustrer ce qui a été évoqué durant les séances. Dans les lignes qui suivent sont développés les divers termes et notions issus du discours et de la conception Zen qui ont fondé l’expérimentation rapportée avec les soignants.

Méditation et « savoir-être » soignant

Fonction soignante du point de vue du moine zen Soigner n’est pas un acte que l’on peut réduire à un savoirfaire. Soigner, c’est toucher la souffrance de l’autre, c’est redonner cette dignité qui peut être abîmée par la maladie, la dépendance et le processus de vieillissement. Cela ne peut se faire sans prendre conscience de ce que l’on pose dans le lien et la relation de soin. La manière de vivre et d’agir impacte cette relation, qui imprègne donc à la fois soignant et patient. Il semble ainsi primordial de permettre aux soignants de conscientiser le fait que chaque instant est le plus important de notre vie. Cette conscientisation doit passer par l’action et par le fait de s’asseoir. En effet, cette pratique de méditation de pleine conscience nous apporte une nouvelle dimension, une nouvelle perception et compréhension de ce qui se passe dans l’instant, dans la rencontre et dans le lien à l’autre. Il faut comprendre que la méditation de pleine conscience consiste à s’éveiller profondément à son intimité. C’est descendre toujours et encore plus profondément en soi. Mais pour cela nous devons être extrêmement patients et délicats envers nous-même. Il faut du temps avant que notre esprit devienne enfin disponible à l’instant. Lors de l’accompagnement des soignants à l’EHPAD du Village de Richwiller, nous avons pu aborder cinq principes de la méditation de pleine conscience. En premier lieu, il faut se rendre compte du fait que lorsque nous parlons de « prendre-soin », nous faisons souvent référence au « monde externe », mais il y a aussi un autre monde auquel il nous faut prendre soin : c’est ce qui se joue en interne. Ce monde interne est tout ce que nous vivons, tout ce que nous exprimons, tout ce qui nous relie aux autres, nos idées, nos croyances, nos espoirs, nos souvenirs. Mais aussi tout ce que nous avons tendance à rejeter comme nos résistances, nos peurs, nos réactions. Trop souvent, dans la vie quotidienne nous avons cette tendance à être toujours éparpillés ; peu présents à soi, à cette vie interne, mais également à cette vie à l’extérieur de soi-même et donc à l’autre. Tiraillés par nos émotions, pris au piège par nos sensations agréables ou désagréables et finalement, nous sommes très peu dans l’ici et le maintenant. Pour revenir progressivement à cette présence, il nous faut être très attentifs ou attentives à nous-mêmes, dans toutes les actions de notre vie quotidienne. Il s’agit de reconnaître ce qui se manifeste là, tant dans la dimension physique que psychique d’une fac ¸on amicale et surtout sans violence, ni jugement. L’appréciation de départ est importante, car si nous nous voyons à l’aune d’une pensée dualiste (bien/mal — bon/mauvais — juste/injuste. . .), nous aurons des difficultés à utiliser notre propre expérience comme moyen d’ouverture et d’apaisement. L’attitude première est donc de considérer ce que l’on ressent d’une fac ¸on amicale et simple. Le second temps était de comprendre que la pratique de la méditation de pleine conscience ne se limite pas seulement à la posture assise. Bien que celle-ci soit importante, nous pouvons étendre l’esprit de la pratique dans tous les aspects de notre quotidien surtout pour un soignant. Cela signifie rester simplement attentif. Cela s’applique à toutes nos actions : lorsque nous mangeons, lorsque nous écoutons,

329 parlons et donc lorsque nous soignons. Pour revenir à cette présence, il n’est nullement nécessaire d’user de la force de sa volonté. Apprendre à bien relâcher toutes nos tensions internes, nos épaules, desserrer nos mâchoires, déposer les armes. C’est instaurer un climat interne de non-violence, un climat dépourvu d’agressivité. Nous cessons de vouloir supprimer quoique ce soit, que ce soient des sensations physiques des pensées et des émotions, ce qui est ressenti, ce qui est perc ¸u et vécu. Dans cette pleine conscience, nous pouvons profondément étendre nos racines au cœur même de notre intimité. Il ne s’agit pas de s’attaquer aux pensées ou de chercher à les supprimer, mais d’arrêter de leur donner de l’importance. Arrêter de se réduire, de s’enfermer, de s’identifier à un simple courant électrique qui passe d’un neurone à un autre. Dans un troisième temps, il paraît nécessaire de considérer que lorsque nous observons le processus de pensées, cette observation n’est pas discriminatoire. Ce n’est pas avec l’œil humain, l’œil de chair que l’on observe, mais avec l’œil de la sagesse. Quand on observe certaines pensées nous pouvons mieux comprendre a posteriori, car il n’y a pas de processus d’élaboration et de recherche pensante au cours de la pratique de méditation. La méditation de pleine conscience s’exprime ainsi : ne pas en rajouter. Une personne qui s’efforce d’être dans une présence attentive ne réside fondamentalement nulle part, c’est-àdire qu’elle ne stagne pas dans des états particuliers. Son esprit est comme les nuages, il glisse dans le vaste ciel, ne laissant aucune trace. Malheureusement, nous passons notre temps à nous accrocher à ceci et à cela. Être vigilant à rester dans une présence attentive c’est être comme le canard sauvage, qui glisse sur l’eau sans laisser aucune trace. Il ne lutte pas, il ne combat pas. Comprendre qu’il ne faut pas stagner, c’est le quatrième principe. À cet instant-là précis, où sont les problèmes ? Ce que vous nommez comme problème, où sont-ils ? Les feuilles des arbres bougent, mais qu’est-ce qui bouge ? Les feuilles ou notre esprit ? Quand nous sommes assis, nous nous efforcerons donc de clarifier notre esprit. Clarifier signifie comprendre. À travers cette disponibilité, nous pouvons saisir chaque phénomène mental et en comprendre l’aspect non substantiel, l’aspect non saisissable des pensées, comprenant ainsi que nous avons une grande part de responsabilité dans ce qu’il nous arrive et notre bonheur dépend surtout de notre fac ¸on d’être, de notre fac ¸on de penser. Notre responsabilité s’étend donc à ce lien que nous instaurons avec nous-même et donc l’autre. C’est ainsi que la méditation de pleine conscience est une aide dans la relation de soin. La plupart de nos souffrances sont engendrées par notre esprit, par un esprit confus, dans l’incapacité à voir clairement et de comprendre la dimension non saisissable de chaque pensée, de chaque émotion, de la forme, de la sensation et des perceptions. En outre, observons chaque phénomène, chaque pensée, chaque attitude et clarifions les vraies questions, des fausses questions pour développer une structuration de la pensée du soin. Aider une équipe à être et à faire dans la cohérence, la disponibilité mais aussi l’ajustement constant dans le lien et la relation, c’est aussi aider le patient. L’ajustement est le dernier principe de la méditation de pleine conscience qui a été abordé avec les soignants. Tel le peintre, tenant habilement son pinceau, d’une fac ¸on ni trop ferme, ni trop

330 souple, ajustant son souffle à la pression du pinceau sur le papier, afin d’offrir à cet instant précis, un trait au plus juste à sa création. La méditation de pleine conscience ne nous permettra pas de devenir quelqu’un d’extraordinaire. Nous ne deviendrons pas quelqu’un de spécial, mais la pratique nous invitera simplement à ôter tous ces vieux vêtements qui encombrent notre mental, afin de laisser apparaître ce qui est naturellement et qui a toujours été. Nous n’avons pas besoin d’y croire mais simplement de l’expérimenter et de le vivre. En outre, méditer, c’est être vivant, tout d’abord pour nous, mais pour rendre ce lien à l’autre aussi vivant que nous. Méditer, ce n’est plus donner une mesure au temps, mais permettre d’habiter le temps différemment, pour être dans cette présence humaine à soi et donc à l’autre. La section qui suit présente une synthèse du retour d’expérience des soignants, avec et sans l’outil de la méditation. Ces partages nous ont permis d’observer la contribution de la MPC sur les comportements et attitudes lié au « savoir-être » du soignant favorisant l’accompagnement des démences.

Retours d’expérience : avec et sans l’outil de la méditation Dans cette étude, nous avons observé l’impact de la MPC sur les qualités qui soutiennent la relation de soin et d’accompagnement. Nous avons utilisé un test [12—14] qui permet une analyse clinique de l’« accompagnement des troubles du comportement de personnes atteintes de maladie d’Alzheimer ou maladies apparentées » à travers les réponses énoncées et selon le groupe. Il est constitué de six scénarii de mises en situation d’accompagnement de troubles du comportement. Il est demandé au soignant d’accéder à un vécu émotionnel dans une projection d’une situation fictive, de décrire ses propres réactions émotionnelles, de développer sa compréhension de la situation et le sens qu’il y attribue puis de déterminer l’action ou les actions qu’il mettrait en place dans la situation fictive énoncée. L’analyse clinique (Tableau 1) rend compte dans un premier temps de l’expérience subjective du soignant dans la gestion d’un trouble du comportement. En deuxième temps, nous nous intéressons à la pensée et sur quel niveau le soignant situe la problématique (institutionnel ? individuel ? pathologie ?). Puis en dernier lieu, nous demandons quel type d’action est mis en place par le soignant face à la situation de prise en soins. En amont des séances de méditation, de manière générale, quel que soit le groupe, tous les soignants ont eu des difficultés à se projeter dans les situations fictives. Ils élaboraient autour d’une situation similaire et y projetaient une situation concrète, déjà vécue. De plus, ils exprimaient clairement leurs difficultés à verbaliser leurs ressentis et à comprendre la situation en dehors de la problématique engendrée sur le plan institutionnel ou en lien avec la pathologie. Concernant les émotions ressenties, celles-ci ont été particulièrement inaccessibles, inabordables et difficilement descriptibles pour l’ensemble des soignants. Ce manque

A. Weiss et al. d’accessibilité émotionnelle a engendré chez les participants une tendance à répondre de manière spontanée aux questions concernant la manière d’agir et de répondre à la problématique exposée, en négligeant leur propre vécu, celui de la personne et ce qui se produisait dans la relation. Il a fallu répéter plusieurs fois la question « que ressentez-vous face à cette situation ? » pour qu’ils commencent à investiguer, à s’offrir un espace de silence pour débuter l’élaboration et exprimer leurs vécus émotionnels. Après des temps de latence variables, ils ont pu verbaliser ce qu’ils pourraient vivre face à ces situations fictives en termes d’émotions. Ces vécus se sont avérés uniquement désagréables (exemple : peine, tristesse, dégoût, irrespect, pitié, culpabilité, angoisse, gêne, désarroi, colère. . .). De plus, le sens donné à la situation était majoritairement dû à la maladie (désorientation, problème médical, changement de traitement, diagnostic) ou lié à la personne en termes de ressentis négatifs (peur, repli, désir de mort, angoisse, perte, sentiment d’abandon, volonté de partir, sentiment d’être reclus et contraint dans un espace). Les besoins de l’individu (en lien avec une situation, un contexte, un besoin particulier au-delà des troubles cognitif comme sortir, interagir) ont été très rarement évoqués et uniquement en termes de besoin de contact. Concernant la manière de répondre au résident (ce que le soignant dit et/ou fait), l’action de l’ensemble des soignants est liée au comportement du résident. Celui-ci est considéré comme peu adapté, entravant le fonctionnement institutionnel et la réalisation de leurs missions en termes d’actes de soins. Ex : « je recadre — je raisonne — j’explique — je transmets — j’appelle du renfort — je définis mon rôle auprès du résident ». Certains axent également leurs actions par rapport aux besoins individualisés du résident (« j’accompagne le résident se promener — je rassure — je discute ») mais ce type de réponses a été nettement moins exprimé. En fin d’étude, le groupe qui n’a pas pratiqué, verbalise, formule et exprime des réponses similaires à celles du début. Par ailleurs, nous avons observé une évolution notable dans cette phase chez les soignants ayant bénéficié des séances de méditation de pleine conscience. En termes de ressentis, le vocabulaire est plus dense, varié et approfondi, même s’il reste désagréable. Nous notons des termes ou des métaphores comme : « mal au cœur, en danger, déc ¸ue, en échec, entrée dans ma zone d’intimité, démunie, inutile ». En outre, en ce qui concerne les interprétations : les soignants ont une vision plus globale de la situation et de l’individu pris en soins. Ainsi, les besoins de la personne sont perc ¸us et compris à l’aune d’une histoire de vie, d’habitudes de vie, de traits de personnalité mais aussi du contexte de l’interaction ; par exemple : « c’est son caractère — quelque chose dans son histoire de vie qui s’est produit et lui rappelle cette situation — il n’y a pas que la maladie, quelque chose ne va pas, une situation l’a blessé — cela va dépendre de la personne, de son niveau de compréhension, du lieu, du contexte, du moment — c’est une date importante pour lui aujourd’hui — il a l’habitude de préparer à manger à cette heure-là peut-être — une résidente aime marcher dehors surtout le week-end, mais je ne comprenais jamais pourquoi en semaine elle s’agitait pendant la marche, jusqu’au

Méditation et « savoir-être » soignant Tableau 1

331

Résultats de l’analyse clinique des réponses au test après les séances de méditation et selon le groupe.

Vécu émotionnel

Compréhension de la situation fictive

Action(s) mise(s) en place

Groupe non méditant

Groupe méditant

Accès difficile aux émotions Difficiles à décrire Termes peu nuancés Presque stéréotypés Vécus uniquement désagréables En lien avec la maladie (désorientation, problème médical, changement de traitement, diagnostic) En lien avec les ressentis négatifs du patient

Accès plus aisé aux émotions Vocabulaire plus dense Termes plus variés, individualisés et complexes Utilisation de métaphores Vécus uniquement désagréables

Recadrer, raisonner le patient Définition du rôle et de la fonction soignante Rassurer le patient, discuter Accompagner le patient

En lien avec la maladie (désorientation, problème médical, changement de traitement, diagnostic) En lien avec une vision plus globale de l’individu : prise en compte de l’histoire de vie, de la personne, ses ressentis En lien avec le contexte où se produit le comportement En lien avec l’interaction soignant—soigné Définition du rôle et de la fonction soignante Rassurer le patient, discuter Accompagner le patient Moins d’actions avec expression d’une prise de recul Volonté de recherche de sens

Ne sont présents, dans le tableau, que les résultats après les séances de méditation. En effet, les réponses en pré-test, pour les deux groupes, sont identiques aux résultats du groupe non méditant en post-test.

jour où j’ai entendu le bruit de l’usine voisine qui tourne en semaine ». De plus, c’est le seul groupe pour lequel nous observons une ouverture de la compréhension d’un possible enjeu relationnel dans l’accompagnement. En effet, les soignants ayant pratiqué la méditation élaborent autour de l’impact possible du comportement du soignant sur la compréhension de la situation et le comportement du résident. Nous notons des termes comme : « j’ai peutêtre été trop brusque, trop brutale — j’ai eu une mauvaise approche, je suis rentrée chez lui et je n’étais pas vigilante à mon attitude — cela va dépendre aussi de mon propre état d’énervement. . . ». Pour le type d’actions, certaines sont toujours liées au champ d’action du soignant (ex : « j’explique, je rassure »). Cependant, une réelle prise de recul est exprimée dans les réponses aux questionnements. Ex : « je me remets en question, je prends du recul — je redonne du sens, — si je suis agitée, il va s’agiter — je vais appeler une collègue avec qui ¸ ca se passe mieux dans la relation. . . ». Nous constatons que les réponses sont aussi moins fournies en termes d’actions. Les soignants élaborant plus facilement sur leurs vécus et sur la recherche du sens de la situation, semblent prendre une distance en s’engageant moins dans une réponse d’action.

Conclusion La méditation de pleine conscience a eu un impact sur l’accès et la capacité de discernement des soignants quant à leurs vécus émotionnels possibles dans l’interaction d’accompagnement des démences et de leurs expressions comportementales. En effet, en amont des séances, nous

observons que le soignant peut prendre en compte différentes émotions. Cet exercice reste difficile et les vécus émotionnels stéréotypés. L’appréciation de l’expérience émotionnelle du soignant étant restreinte, il apparaît que l’expérience du vécu du patient semble davantage fondée sur l’expérience du soignant et de ses propres besoins. Avec la pratique du seul exercice de la méditation assise, nous observons clairement que les émotions sont plus différenciées. Le soignant est capable d’utiliser des métaphores, décrivant ainsi des vécus plus complexes, plus nuancés et intenses. Cela impactant sa possibilité de comprendre autrui : ses expériences, son vécu et d’anticiper ses réactions et besoins en recherchant le sens de ce qui est observé et vécu. Cette pratique de la méditation assise apporte une capacité de compréhension plus large en développant une vision plus globale de la situation et des besoins de l’individu pris en soins. Les soignants verbalisent être plus vigilants au contexte d’accompagnement comme le bruit ou les odeurs. Ils expriment une meilleure capacité de recul dans leur accompagnement des troubles du comportement en s’apercevant d’une capacité à patienter plus importante quand ils sont pris dans un accompagnement. Finalement, la pratique de la pleine conscience contribue à développer la qualité d’accompagnement des démences. Cet entraînement de l’attention permet d’aborder l’aspect conceptuel du prendre-soin. Il permet d’étendre la compréhension du soignant, pris dans une relation de soin, en éclairant sa propre expérience, compréhension et actions dans une situation d’accompagnement et en s’exerc ¸ant de manière concrète « à la patience, à l’indulgence et à la tolérance » [1]. Ainsi, le seul exercice de la méditation assise offre déjà cet espace de soi à soi, pour soi mais aussi pour

332 l’autre, dans cette volonté d’accéder à la capacité de discerner ce qui appartient au soignant de ce qui appartient à la personne accompagnée.

Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

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