L’alcoolisme chez les sujets âgés

L’alcoolisme chez les sujets âgés

Annales Médico Psychologiques 161 (2003) 831–833 CAHIER DE FORMATION CONTINUE : psychiatrie du sujet âgé : clinique L’alcoolisme chez les sujets âgé...

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Annales Médico Psychologiques 161 (2003) 831–833

CAHIER DE FORMATION CONTINUE : psychiatrie du sujet âgé : clinique

L’alcoolisme chez les sujets âgés G. Brousse *, R. Tourtauchaux, S. Lebret, E. Vaille-Perret, J. Vinot, F. Galland, I. Jalenques C.M.P. A - CHU de Clermont-Ferrand - service du professeur I. Jalenques B.P. 69 - 63003 Clermont-Ferrand, cedex 1, France

Résumé L’alcoolisme du sujet âgé constitue une réalité clinique et sociale manifeste de reconnaissance récente. Peu d’études françaises sont consacrées à cette forme particulière d’éthylisme qui tendrait à augmenter du fait de l’évolution démographique de cette tranche d’âge de la population et de l’accroissement des difficultés sociales. D’emblée, il convient de distinguer l’alcoolisme qui apparaît avec le vieillissement de l’alcoolisme ancien chez un patient qui vieillit. © 2003 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

1. ÉPIDÉMIOLOGIE La prévalence de l’alcoolisme chez le sujet âgé de plus de 65 ans en France resterait selon les études inférieure à 10 %. Plusieurs enquêtes nationales ont montré que le pourcentage de patients alcoolodépendants par tranche d’âge semblait diminuer avec le vieillissement : ainsi l’enquête nationale de l’INSSE réalisée entre 1986 et 1988 retrouvait 8 % d’alcoolodépendants chez les patients de plus de 65 ans contre 6 % chez les plus de 75 ans. Les études anglosaxonnes retrouvent des chiffres légèrement inférieurs en ce qui concerne les enquêtes effectuées à domicile. Enfin, avec l’âge la répartition de l’alcoolisme entre les hommes et les femmes tendrait à montrer une proportion plus marquée d’alcoolodépendants masculins, mais on ne dispose que de peu de données sur le sujet. Différentes hypothèses semblent pouvoir expliquer cette diminution du taux d’alcoolisme dans les groupes d’âges plus élevés : 1. le sujet âgé consommerait moins d’alcool en général, avec un nombre d’abstinents croissant avec l’âge. On pourrait y voir un effet protecteur de la vieillesse sur la consommation d’alcool ; 2. la morbidité maximale de l’alcoolisme se situe dans des tranches d’âge (40-50 ans) antérieures à celles de l’âgé. Ainsi peu de patients alcoolodépendants échapperaient à cette surmortalité, ce qui expliquerait la diminution de la prévalence de cette pathologie avec l’âge ;

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (I. Jalenques). © 2003 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S0003-4487(03)00211-7

3. la surmortalité précoce d’une part et l’arrêt spontané de l’alcool lié à l’âge feraient de l’alcoolisme une maladie auto-limitée, ou « self limiting disease » ; 4. enfin, les facteurs médico-sociaux influençant fortement l’éthylisme du sujet âgé sont mieux repérés et traités dans cette catégorie de la population qui bénéficie d’une prise en charge médico-sociale accrue. En réalité, si la prévalence de l’alcoolisme diminue en population générale, il n’en est rien en institution. En effet la littérature nous rapporte selon les études une prévalence de l’alcoolisme en instituts ou maisons de retraite allant de 11 à 40 %, voire 60 % pour certaines enquêtes effectuées sur le territoire national. 2. FORMES CLINIQUES Deux types cliniques d’alcoolisme se rencontrent chez le sujet âgé : les alcoolismes de début tardif et les alcoolismes anciens. Au sein de ces alcoolismes anciens, certains auteurs ont pu distinguer la poursuite des habitudes toxiques et la reprise d’une intoxication ancienne après un intervalle d’abstinence. 2.1. L’alcoolisme à début tardif Il peut s’agir : • d’un début tardif d’alcoolisme de type delta selon la classification de Jellinek (alcoolisme delta ou alcoolite de Fouquet : correspond à un alcoolisme d’entraînement de type hépato-digestif, souvent sans ivresse, l’alcool jouant un rôle de cohésion sociale) ;

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• d’un début tardif d’un alcoolisme de type gamma (alcoolisme gamma ou alcoolose de Fouquet : caractérisé par des abus discontinus avec ivresses fréquentes, l’alcool y joue un rôle d’automédication). Dans ce groupe restreint de patient (1/3 des cas) l’alcoolisme débuterait après 60 ans. La plupart des patients sont d’anciens buveurs d’habitude, ou des buveurs à problèmes qui s’ignorent. Certains facteurs tels les événements de vie viendraient influencer cette entrée dans la dépendance de façon décisive. Parmi ces événements de vie on peut retenir : • la perspective et l’influence de la retraite ; • la diminution ou cessation d’activité ; • les deuils, séparations ; • l’isolement affectif et social ; • les maladies physiques graves et invalidantes ; • la perspective de fin de vie ; • les épisodes dépressifs ; • la vulnérabilité accrue aux problèmes personnels. Il faut donc souligner ici l’aspect auto-thérapeutique de la prise d’alcool visant à résoudre des difficultés sociales et affectives apparues avec l’âge. De plus, dans cette forme d’intoxication alcoolique on retrouve chez les patients de fréquentes prescriptions de psychotropes avec associations alcoolo-médicamenteuses ayant des conséquences désastreuses sur le plan psychique. 2.2. Les alcoolismes anciens Ils représentent deux tiers des alcoolismes du sujet âgé. Ce sont donc des alcoolodépendants à début précoce de type delta ou gamma. On distinguera : a) les patients qui n’ont jamais cessé leurs habitudes toxiques. On assiste alors à une poursuite lors de la vieillesse des habitudes contractées plusieurs années auparavant. Les patients constituent la partie réduite des alcoolodépendants ayant résisté aux conséquences morbides de la consommation chronique d’alcool. On ne s’étonnera pas de retrouver des patients avec une bonne tolérance physique et psychique de l’alcool, mais il n’est tout de même pas rare que des décompensations neurologiques (polynévrites), psychiques (démences), cardio-vasculaires ou digestives apparaissent. À l’instar de l’alcoolisme à début tardif, les événements de vie peuvent venir aggraver une consommation jusqu’alors relativement contrôlée ; b) les patients présentant une reprise d’intoxication. On observe des alcoolodépendances qui sont des reprises d’intoxications après un intervalle d’abstinence d’intoxication de l’âge adulte. Ici encore les événements de vie viendront favoriser la rechute. En fait, que l’alcoolisme soit ancien ou a début tardif, l’évolution de la consommation se fait vers une consommation solitaire à la recherche d’états d’ébriété à l’aide d’alcools forts.

Tableau I Questionnaire DETA/CAGE 1. Avez-vous déjà ressenti le besoin de Diminuer votre consommation de boissons alcoolisées ? 2. Votre Entourage vous a-t-il déjà fait des remarques au sujet de votre consommation ? 3. Avez-vous déjà eu l’impression que vous buviez Trop ? 4. Avez-vous déjà eu besoin d’Alcool dès le matin pour vous sentir en forme ? Deux réponses positives ou plus à ces questions est évocateur d’un mésusage d’alcool.

3. COMPLICATIONS SOMATIQUES ET PSYCHIQUES L’état physique de ces patients est fréquemment altéré du fait du retentissement digestif, nutritionnel, neurologique et cardio-vasculaire de l’éthylisme. On observe assez fréquemment des phénomènes carentiels inhabituels dans le reste de la population. Les défenses immunitaires sont souvent affaiblies et les infections sont fréquentes. Les chutes avec fractures ne sont pas rares, souvent graves. Sur le plan psychique, on note des perturbations majeures des fonctions supérieures avec troubles de la mémoire fréquents allant jusqu’à constituer un tableau de démence alcoolo-sénile majorée dans sa phase de début par l’alcoolisme. Les conséquences psychiatriques comprennent la dépression et l’alcool qui favorisent le passage à l’acte suicidaire. On notera la fréquence élevée des troubles du caractère (hargne, agressivité, colère) renforçant l’isolement social et affectif du patient. 4. DÉPISTAGE ET DIAGNOSTIC Le contrôle des facteurs de risque : il deviendra primordial d’être attentif particulièrement à tout changement de situations sociales, affectives et somatiques chez le sujet âgé. Le deuil, le départ en maison de retraite devront être des étapes clés de l’accompagnement, afin d’éviter la prise d’alcool à visée auto-thérapeutique d’autant plus que les antécédents alcooliques du patient seront marqués. Le diagnostic positif de l’abus d’alcool ou de la dépendance pourra être évalué lors d’un entretien, ou de façon rapide à l’aide de test diagnostique tel le DETA/CAGE (Tableau I). Le bilan biologique (VGM, Gamma GT, CDT) complétera l’investigation clinique. 5. CONCLUSION L’alcoolisme des sujets constitue un réel problème de santé publique qui passe souvent inaperçu. On distinguera donc une forme à début précoce et une forme à début tardif. Les manifestations cliniques somatiques sont souvent de type hépatodigestives, neurologiques et cardio-vasculaires. Les manifestations psychiques sont représentées par des troubles du comportement des états démentiels ou dépres-

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sifs. Il y a lieu, à l’aide d’outils diagnostics simples (bilan biologique, questionnaire CAGE) de réaliser un dépistage précoce de ce trouble. On devra particulièrement être vigilant en milieu institutionnel et prendre en compte les événements de vie.

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POUR EN SAVOIR PLUS

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Adès J, Lejoyeux. L’alcoolisme en question. Paris: Sanofi-Winthrop; 1993.

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