L’annonce du cancer bronchique

L’annonce du cancer bronchique

Revue de Pneumologie clinique (2008) 64, 112—117 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CONTRÔLE DES SYMPTÔMES ET DES TOXICITÉS DANS LE CANCE...

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Revue de Pneumologie clinique (2008) 64, 112—117

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

CONTRÔLE DES SYMPTÔMES ET DES TOXICITÉS DANS LE CANCER BRONCHIQUE

L’annonce du cancer bronchique The announcement of the diagnosis of bronchial carcinoma S. Dauchy ∗, N. Bendrihen Unité de psycho-oncologie, département de soins de support, institut de cancérologie Gustave-Roussy, 39, rue Camille-Desmoulins, 94805 Villejuif, France Disponible sur Internet le 5 juin 2008

MOTS CLÉS Cancer ; Annonce ; Relation médecin—malade ; Information

KEYWORDS Cancer; Announcement; Physician—patient relationship; Information



Résumé Même si les formations à la communication font leur entrée timide dans les facultés de médecine, l’annonce d’une mauvaise nouvelle reste un des moments les plus difficiles de l’exercice médical. Pour le médecin dont la mission première est plutôt de soulager, savoir qu’il risque de générer une détresse psychologique est une tâche difficile, ce d’autant plus que les perspectives thérapeutiques limitées le mettent d’emblée dans l’impossibilité de promettre un espoir de guérison. Cet article vise à apporter au clinicien une aide pragmatique dans l’annonce d’un cancer bronchique, en s’appuyant sur les récentes données de la littérature ; les données de celle-ci permettent d’affiner les recommandations issues des connaissances plus fondamentales sur la transmission de l’information et les principales réactions émotionnelles et adaptatives du patient, dans l’objectif de mieux maîtriser l’adaptation de l’annonce à chaque patient, à ses attentes et à ses moyens. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Although the teaching of communication techniques have begun, albeit slowly, in the schools of medicine, the announcement of bad news remains one of the hardest moment in medical practice. For the physician, whose primary mission is to bring relief, knowing that he may cause psychological distress is a difficult task, especially when considering that the limited therapeutic choices make it impossible for him to promise hope for recovery. This article aims to offer the clinician a pragmatic help for the announcement of the diagnosis of bronchial carcinoma by drawing on recent data in the literature. The data enable improvement of the recommendations issued from more fundamental knowledge relative to the transmission of information and the main emotional and adaptive reactions of the patient. Thus, the announcement can be better adapted to each patient, his expectations and his abilities. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Dauchy).

0761-8417/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pneumo.2008.04.005

L’annonce du cancer bronchique Lors des premiers États généraux des malades, organisés par la Ligue nationale contre le cancer en 1998, patients, anciens patients et proches témoignent de l’importance de ce moment si particulier qu’est l’entrée dans la maladie et les conditions où elle leur a été annoncée. La loi du 4 mars 2002 renforce l’obligation d’information du malade en lui autorisant l’accès à son dossier médical. Depuis 2003, le Plan cancer institue sur tout le territoire le dispositif d’annonce. . . La question « Faut-il dire la vérité au malade ? » semble aujourd’hui bien dépassée. La question aujourd’hui est plutôt « Comment dire la vérité ? » : quelle vérité, quand, avec quels termes ? L’annonce d’un diagnostic de cancer est un moment qui ne s’oublie pas, qui sépare un avant et un après et souvent conditionnera, au moins en partie, l’adaptation ultérieure à la maladie, la compliance ou la possibilité d’implication dans les décisions thérapeutiques. Les patients reviennent souvent aux paroles prononcées dans cette première consultation, et ce, quelles que soient les informations rec ¸ues par la suite : c’est dire l’importance des termes employés. . . L’annonce du diagnostic est le moment où le patient prend conscience de la maladie, de la nature de celleci et des conséquences que cela implique, en termes de traitement, mais aussi de pronostic. Il s’agit rarement d’un moment ponctuel, mais plutôt d’un enchaînement qui permettra de passer de l’inquiétude au doute, puis à la certitude de la maladie. Parmi l’ensemble d’informations transmises, certaines peuvent être déjà connues, d’autres ne seront pleinement réalisées qu’après un temps de prise de conscience, ou ne prendront tout leur impact qu’après une étape supplémentaire (nécessité de complément du bilan diagnostique pour préciser la stratégie thérapeutique par exemple). C’est la raison pour laquelle le Plan cancer parle non pas d’annonce, mais de dispositif d’annonce, en distinguant les deux temps de l’annonce diagnostique et thérapeutique. Annoncer, c’est donc bien plus que délivrer une information, c’est être à même d’accompagner le patient tout au long de ce processus, et ce, autant de fois que les étapes de la maladie rendront de nouvelles annonces nécessaires [1]. Même si les formations à la communication font leur entrée timide dans les facultés de médecine, l’annonce d’une mauvaise nouvelle reste un des moments les plus difficiles de l’exercice médical. Pour le médecin dont la mission première est plutôt de soulager, savoir qu’il risque de générer une détresse psychologique est une tâche difficile, ce d’autant plus que les perspectives thérapeutiques limitées le mettent d’emblée dans l’impossibilité de promettre un espoir de guérison. Cet article vise à apporter au clinicien une aide pragmatique dans l’annonce d’un cancer bronchique, en s’appuyant sur les récentes données de la littérature ; les données de celle-ci permettent d’affiner les recommandations issues des connaissances plus fondamentales sur la transmission de l’information et les principales réactions émotionnelles et adaptatives du patient, dans l’objectif de mieux maîtriser l’adaptation de l’annonce à chaque patient, à ses attentes et à ses moyens.

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Contenu de l’annonce Le premier temps du dispositif d’annonce est le temps médical, qui lui-même se déroule souvent en deux consultations différentes : annonce du diagnostic et annonce thérapeutique, qui suit la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). Cette annonce thérapeutique s’accompagne de la remise du programme personnalisé de soins (PPS). Cette consultation est suivie d’un temps soignant, le plus souvent d’une consultation infirmière, qui reprend avec le patient, et ses proches s’il le désire, les informations délivrées par le médecin. Les questions plus concrètes relatives aux soins qui ont pu émerger, comme les premières difficultés, pourront également être abordées. Il est aussi remis au patient les coordonnées des équipes et personnes ressources à qui il pourra faire appel. Enfin, le dispositif d’annonce prévoit aussi la facilitation de l’accès à des professionnels compétents en soins de support (c’est-à-dire, l’ensemble des soins autres que les soins spécifiques du cancer, dont pourraient avoir besoin les patients : prise en charge sociale, diététique, de kinésithérapie, mais aussi la prise en charge psychologique spécialisée), puis l’articulation avec la médecine de ville et avant tout le médecin traitant. Cette succession de temps, qui peut favoriser l’expression émotionnelle et augmenter l’échange d’information — c’en est un des buts — ne préserve pas pour autant le clinicien des conséquences émotionnelles de l’annonce, et impose de rappeler d’emblée un point majeur : aucune fac ¸on d’annoncer une nouvelle ne modifiera son contenu, et c’est avant tout ce contenu qui est difficile à entendre en ce qu’il va altérer en profondeur la perception qu’a le patient de sa santé et souvent de sa vie. En revanche, le dispositif d’annonce, qui implique de fait plusieurs interlocuteurs, suppose une transmission efficiente entre chacun d’eux, afin de respecter le cheminement propre à chaque patient et l’acquisition progressive des informations délivrées. C’est là le deuxième point fondamental de l’annonce : même si la révélation est brutale, la prise de conscience sera le plus souvent progressive et passera par l’élaboration de représentations associées à la maladie. Entre l’information pensée et exprimée par le soignant et l’information finalement perc ¸ue, comprise et mémorisée par le patient, le trajet est long et complexe : l’information n’est qu’un des maillons d’une transmission entre la subjectivité du médecin et celle du patient (Fig. 1). Les représentations associées à la maladie conditionnent en partie l’interprétation de l’information, sa rétention mnésique, ou les émotions qui y sont associées. Elles peuvent être liées à l’histoire personnelle et familiale du patient (décès d’un membre de la famille d’une pathologie analogue), ou s’inscrire dans des représentations socialement répandues (par exemple, perception du cancer bronchique comme une maladie agressive et incurable, que renforcent les messages de lutte contre le tabagisme, y compris en image, présents sur les paquets de cigarette). Le poids des représentations péjoratives peut également porter sur les traitements, comme la peur de la radiothérapie par exemple, vécue comme une « brûlure », notamment après les récents accidents liés à cette technique et à leur médiatisation parfois maladroite. Le caractère potentiellement tabacodépendant peut également être associé à des repré-

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S. Dauchy, N. Bendrihen On évitera le choix de termes trop techniques qui aboutissent également à une non-transmission de l’information. Cette dernière, certes énoncée, n’est pas toujours comprise par le patient qui ne peut s’approprier son contenu parfois très hermétique. On se gardera également, à ce stade de l’annonce où les bilans sont encore parfois incomplets, des réassurances trop prématurées pouvant rendre la situation encore plus complexe à gérer par la suite (perspective d’espoir associée au caractère opérable par exemple).

Réactions émotionnelles et adaptation psychique à la maladie Figure 1.

Complexité du trajet de l’information.

sentations négatives chez certains patients : vécu de honte, de culpabilité, parfois majoré par les reproches familiaux dans certaines familles conflictuelles. Ces représentations peuvent accroître l’isolement social du patient et de ses proches et diminuer le support qu’ils peuvent recevoir [2]. Il sera donc toujours important de repartir des éléments connus par le patient et de ceux qu’il imagine, y compris des termes qu’il utilise spontanément. Cela permet aux deux protagonistes d’être « en phase », et instaure, au-delà d’une information qui n’irait que dans le sens unique du médecin vers le patient, une base de communication, où l’information est échangée, partagée. Le choix des termes respectera la compréhension du patient, qui devra être vérifiée régulièrement, tant elle peut, comme la mémorisation, être entravée par le caractère anxiogène de l’annonce [3]. Rappelons que l’information doit être loyale (article 35 du Code de déontologie médicale), c’est-à-dire permettre au patient d’accéder à une représentation conforme à la vérité. Sur ce point, l’usage de termes ambigus doit être évité, comme générateur de confusion et de désinformation même s’ils peuvent apparaître protecteurs à court terme [4]. Ainsi, « une maladie qui ‘progresse’, une biopsie ‘positive’. . . » peuvent entraîner une confusion. Le terme de « traitement » peut lui aussi être ambigu, lorsque son objectif entre palliatif ou curatif n’est pas clair et que le patient l’associe forcément à une possibilité de guérison : « j’ai encore des chances de guérir puisqu’on m’a proposé un traitement ». Les médecins ont souvent tendance à éviter les questions difficiles : ainsi une étude prospective comportant l’enregistrement de l’ensemble des échanges patient—oncologue chez 35 patients néerlandais atteints de cancer bronchique à petites cellules montre comment les médecins se focalisent sur les résultats du traitement, même lorsque les patients demandent explicitement leur pronostic ; celui-ci n’est abordé que lorsqu’il existe une conséquence sur la prise en charge, comme l’arrêt des traitements anticancéreux. Ces mécanismes d’évitement et de collusion, auxquels participent plus ou moins les patients, peuvent avoir pour conséquence un espoir de guérison inapproprié, et souvent le pronostic n’est réellement abordé que très tardivement, au moment d’une orientation vers des soins palliatifs exclusifs, à domicile ou en unité de soins palliatifs [5].

L’annonce de la maladie va donc représenter un stress pour le patient, qu’il convient d’inscrire d’emblée dans son contexte psychosocial propre, avec ses ressources mais aussi ses facteurs de risque psychologiques et sociaux. On peut shématiquement considérer deux types de réactions en réponse à un stress : • une réaction émotionnelle, le plus souvent immédiate ou peu différée, qu’on peut considérer comme l’onde de choc ; • une réaction ou stratégie adaptative, le plus souvent différée ou semi-différée : c’est la réorganisation visant à faire face à la difficulté rencontrée. La première réaction est donc émotionnelle et peut aboutir à l’expression parfois très bruyante d’une détresse psychologique globalement adaptée par son contenu, mais dont l’intensité peut entraîner l’apparition d’une symptomatologie psychiatrique franche (attaque de panique, idées suicidaires par exemple). Quelle que soit sa forme, elle a en général au moins le mérite d’être explicite et d’amener à une mobilisation de l’entourage soignant ou familial. L’évaluation de cette réponse émotionnelle ne devra pas tant se baser sur l’intensité des symptômes que sur leur caractère inhabituel pour le sujet, ou envahissant. Elle devra, par ailleurs, tenir compte des différences interindividuelles dans le vécu des émotions ; les patients sont à ce titre différents par leur capacité à ressentir des émotions différentes (richesse émotionnelle), à en discerner le contenu (intelligence émotionnelle), à les exprimer (notion de maîtrise émotionnelle, mais aussi particularités psychopathologiques ou culturelles comme dans l’hyperexpressivité émotionnelle par exemple). À l’extrême, la sidération est parfois telle chez le patient qu’aucune émotion n’émerge après l’annonce. Le médecin peut alors essayer de reprendre le dialogue, après ce premier temps de choc, par exemple en demandant au patient l’idée qu’il avait des résultats des examens, des premières analyses, s’il pensait à la possibilité de ce diagnostic. . . Autant de pistes pour essayer de rétablir une continuité entre le moment d’avant l’annonce, et l’après, et circonscrire le choc. Les stratégies d’adaptation apparaîtront dans un second temps ; elles ont toujours pour but de faire diminuer l’angoisse et les tensions psychiques. Elles n’y parviennent souvent que partiellement. Lorsqu’elles sont globalement bénéfiques, permettant au sujet de faire face à l’angoisse en s’adaptant à la situation, on parle de stratégie adaptative. Une stratégie devient maladaptative lorsqu’elle devient non

L’annonce du cancer bronchique plus une protection, mais une menace pour le sujet (par exemple : déni quand il s’assortit d’un refus de soins). Parmi les stratégies adaptatives, la fac ¸on dont le patient se représente la genèse et les causes de sa maladie est importante pour son vécu et son adaptation. Dans le cas du cancer bronchique, les liens potentiels avec le tabac, mais aussi avec la pollution (lien plus souvent fantasmatique que réel) peuvent être responsables de deux mouvements extrêmes selon le fonctionnement habituel du patient entre attribution interne (« je suis responsable de ce qui m’arrive ») et attribution externe (« ce qui m’arrive est sous l’influence d’autrui »). Dans le cas d’attribution interne la reconnaissance d’un lien entre le cancer et le comportement tabagique peut prendre la forme d’un discours d’auto-accusation, notamment en cas de tentatives de sevrage manquées antérieurement (mais s’accompagnant d’une prise de conscience du risque): « J’aurai dû me faire aider plus tôt ». Cependant, pouvoir attribuer le cancer au tabac consommé peut aussi, selon les individus, être moins angoissant qu’une maladie dont on ignore totalement les déterminants, et diminuer paradoxalement le stress lié à la perte de contrôle (« Mon cancer du poumon, je sais pourquoi je l’ai eu ; ce que je ne supporte pas du tout, c’est ce cancer du sein », disait une patiente ancienne tabagique victime successivement d’un cancer du poumon, vécu sans angoisse majeure, et d’un cancer du sein, vécu avec des difficultés d’adaptation majeure). L’attribution causale externe va, elle, s’accompagner de mécanismes d’accusation visant à trouver un coupable à la maladie, même si le patient était fumeur : rejet de la faute sur l’industrie du tabac par exemple (« ils ne devraient pas mettre des cancérigènes dedans »), ou sur un tabagisme des proches dans les cas de tabagisme passif. L’attribution causale fantasmatique peut résister à la causalité rationnelle (par exemple : attribution de son cancer au stress professionnel par le patient — causalité externe — malgré l’évidence médicale d’une majoration du risque par le comportement tabagique — causalité interne). Elle pourra être discutée, mais sans pour autant être activement contrée tant elle appartient aux mécanismes défensifs du patient. Parmi les autres mécanismes d’adaptation, citons le besoin de contrôle, très variable selon les patients, mais parfois épuisant pour le médecin (notamment lorsque le patient accumule l’information glanée sur Internet). Le besoin de contrôle peut, à l’extrême, s’associer à certaines situations de déni ; si celui-ci coexiste avec un maintien des soins, et ne fait donc pas perdre de chance au patient, il devra le plus souvent être respecté. L’information devra continuer à être apportée, mais sans chercher à être imposée au patient qui souvent continuera à cheminer à son rythme propre.

115 leur pronostic (mais parmi eux un sur sept ne demande rien), contre 50 % des informations quantitatives (dont un tiers ne demande rien non plus) [6]. Les patients âgés, les plus anxieux et ceux qui ont un plus mauvais pronostic, disent par ailleurs attendre moins d’informations précises sur leur pronostic [6]. Cette question du pronostic ne se résume cependant pas à la nécessité de se protéger plus ou moins d’une révélation, mais apparaît avoir un impact franc au niveau des processus décisionnels : chez les patients ayant un pronostic réservé, on a montré que la connaissance d’un délai de vie inférieur à six mois entraînait des demandes plus importantes d’arrêt de traitements anticancéreux au profit de soins de support et de soins purement palliatifs (917 patients américains atteints de cancer bronchique à petites cellules ou de cancer du côlon métastatique) [7]. Cet impact sur les attentes thérapeutiques est d’autant plus préoccupant que la majorité des patients surestime ses possibilités de guérison : une étude sur 100 patients canadiens nouvellement diagnostiqués montre ainsi un accord sur l’objectif du traitement (curatif versus palliatif) chez 72 % des patients seulement [8]. Retenons donc la nécessité, pour les attentes sur le pronostic comme pour toute autre information, de partir des attentes du patient ; mais soyons conscients également de certaines réticences et du poids potentiel sur les choix ou les attentes thérapeutiques. Ici, l’éthique du clinicien lui recommandera d’être particulièrement vigilant dans les situations de collusion, a fortiori lorsque l’entourage familial du patient se fait pressant pour tenter de s’opposer à la révélation. On voit comment l’annonce, plus qu’une révélation d’un individu à un autre, doit se concevoir comme un réel échange d’information et par une adaptation réciproque des protagonistes. Annoncer doit être synonyme d’échange et de relation. Cela peut passer par un temps de formation ou de réflexion, où le médecin peut essayer de repérer ses propres réticences à dire, la manière dont il répond aux questions. . . ou celles avec lesquelles il est le plus en difficulté, ce qu’il redoute le plus d’annoncer (Fig. 2).

Recommandations Le cadre matériel de l’annonce est essentiel : on ne peut se permettre de rajouter à l’angoisse liée aux mauvaises nouvelles celle d’un cadre insécurisant : bureau où tout

La question du pronostic Question difficile, à laquelle il faut se rappeler de ne pas répondre trop précisément : une information peut ne pas comporter d’information pronostique, et celle-ci peut de toute fac ¸on ne pas être quantitative. Il semble même que ce soit cette expression qualitative que privilégie la majorité des patients, même si tous ceux qui aimeraient l’entendre reconnaissent ne pas poser la question à leur médecin : 80 % des patients attendraient des informations qualitatives sur

Figure 2. Passage d’une position à sens unique à une relation d’échange, dans laquelle s’inscrira l’annonce.

116 le monde passe, médecin constamment dérangé par son téléphone. . . Il y a des incontournables [9] : • l’annonce se fait de vive voix : c’est-à-dire en face à face. Pas de lettre, ni de téléphone ; • le lieu de l’annonce sera choisi le plus calme possible ; le médecin veillera à confier son bip ou son téléphone à son secrétariat ; • le médecin doit s’assurer d’avoir devant lui un temps suffisant, plus long que les consultations habituelles ; • médecin et patient s’assoient. . . à la même hauteur si possible. Le patient s’est rhabillé si l’annonce a été précédée d’un examen. Si un proche est présent, son lien avec le patient doit être connu et surtout celui-ci doit être interrogé sur son désir que le proche reste présent. Le cadre de l’annonce doit être aussi rassurant que possible et traduire la disponibilité du médecin. Pour ce faire, le clinicien doit veiller à la communication verbale, mais également à la communication non verbale. Ainsi, chez des patients en fin de vie, on a montré que les gestes physiques de réconfort sont parfois contre-productifs (seuls 44 % des patients se montrent rassurés par de tels gestes, alors que 26 % en sont plus inquiets ; de même, 46 % des patients en fin de vie considèrent plus favorables à l’espoir que le médecin ne s’asseye pas à coté d’eux !) [10]. Un médecin nerveux, mal à l’aise, qui s’adresse d’abord à la famille, qui utilise des euphémismes présente autant d’attitudes qui sont considérées par les patients comme contraires à l’espoir et par là même angoissantes [11]. De la même fac ¸on, une ouverture laissée dans l’entretien à l’expression d’un vécu émotionnel doit s’associer à une réelle disponibilité (pas de questions de ce type entre deux portes, dossier clos, ou médecin levé, autant de signaux non verbaux d’indisponibilité qui contrediront l’ouverture verbale). Le médecin veillera au cours de l’annonce à respecter au mieux les réactions émotionnelles du patient. Des pauses régulières légitimeront l’émotion, et permettront au patient de s’exprimer ou de se reprendre avant que l’information ne soit poursuivie. Ces moments d’expression émotionnelle sont parfois redoutés, tant ils placent le médecin dans une relative position d’impuissance face à la détresse de l’autre. C’est pourtant un passage incompressible, même si provisoire, qui permettra de poursuivre la consultation sur les perspectives thérapeutiques et les informations plus pratiques. Par ailleurs, laisser s’exprimer l’angoisse et ses motifs est indispensable si on ne veut pas qu’une réassurance trop précoce risque de majorer chez le patient un sentiment d’incompréhension. On veillera également à laisser au patient, confronté à une information et parfois à un plan de traitement oblitérant pour plusieurs mois ses projets et ses investissements propres, une certaine dimension de maîtrise. Il sera associé à la prise de décision selon son désir, mais peut aussi exprimer ses préférences dans certains choix concrets (date et lieu des soins par exemple). Laisser au patient la possibilité de se projeter à nouveau dans le temps, lui permettre de se replacer comme acteur de sa vie quotidienne en incluant dans le projet thérapeutique personnalisé, lorsque cela est possible, certaines des exigences ou particularités de sa vie professionnelle ou familiale, sont autant d’éléments favorisant une bonne adaptation.

S. Dauchy, N. Bendrihen Qu’en est-il de la prescription de psychotropes après l’annonce d’une maladie grave ? Elle ne doit en rien être systématique, mais peut être nécessaire si elle est réévaluée rapidement. On privilégiera alors une prescription de benzodiazépines ou d’hypnotique. Une prescription d’antidépresseurs a rarement de sens dans ce contexte réactionnel immédiat : il faut au moins quinze jours de symptômes dépressifs associés et continus pour porter un diagnostic d’épisode dépressif majeur, et un traitement « préventif », même chez un patient aux antécédents dépressifs, n’est pas recommandé. De même l’orientation vers un psycho-oncologue ne saurait être systématique, et si les patients doivent être largement informés de la disponibilité éventuelle de telles prises en charge, l’envoi trop rapide vers un spécialiste de santé mentale n’est pas particulièrement opportun en cas de simple réaction émotionnelle. Certains patients peuvent même le vivre comme un rejet, voire une incitation à ne plus exprimer leurs émotions. En revanche, une telle orientation peut être justifiée dès l’annonce si le patient apparaît psychologiquement ou socialement vulnérable (antécédents dépressifs, accumulation de charges ou d’événements vitaux difficiles, isolement social. . .).

Conclusion L’annonce d’un cancer bronchique, si elle ne diffère pas fondamentalement de l’annonce d’un autre type de pathologie cancéreuse dans ses principes, a néanmoins la particularité de renvoyer le patient à une causalité le plus souvent identifiable. Cela est un élément pouvant compliquer ce moment toujours délicat qu’est une annonce, ajoutant la culpabilité, la honte, la colère, à l’inquiétude déjà générée par un tel diagnostic. Raison supplémentaire pour que le cadre matériel de l’annonce soit en lui-même rassurant et non une source supplémentaire d’angoisse. Comme nous l’avons vu, les réactions émotionnelles, si elles sont parfois redoutées par le clinicien, doivent avoir leur place dans la consultation ; elles n’en sont cependant pas le tout, puisque c’est bien le partage d’une information, si douloureuse soit-elle, qui doit être visé (et non un verdict unilatéralement rendu par le médecin). Au-delà donc du ressenti émotionnel exprimé par le patient qui peut déstabiliser le clinicien, laisser au patient la parole sur les premiers bouleversements induits par la nouvelle, mais aussi sur les premiers aménagements qu’il va inventer, contribuera à nouer la relation médecin—malade et à mieux augurer des futures annonces. Il est primordial que le clinicien se « prépare » donc à chaque annonce, au besoin en ayant lui-même fait un bilan de ses propres difficultés avec ce temps où savoir et espoir doivent être subtilement dosés. . . Et sachons nous rappeler que l’espérance est une vertu irréductible, et heureusement, à la rationalité ; « Espérer n’est pas savoir », nous rappelle F. Mies dans L’Espérance de Job (2006) « L’espérance n’émerge pas comme la simple conclusion logique d’un raisonnement. L’espérance, comme la décision, excède toujours ses motivations ».

L’annonce du cancer bronchique

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