Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
Revue du Rhumatisme 75 (2008) 5–7
Éditorial
Larguons les amarres ! Et partons pour une rééducation dynamique de la polyarthrite rhumatoïde夽 Get moving ! Dynamic exercise therapy for rheumatoid arthritis
Mots clés : Polyarthrite rhumatoïde ; Rééducation ; Exercice physique ; Dynamique ; Reconditionnement Keywords: Rheumatoid arthritis; Rehabilitation therapy; Physical exercise; Dynamic; Reconditioning
1. Introduction La place du repos thérapeutique, largement préconisé au début du siècle pour traiter diverses affections de l’appareil locomoteur, est actuellement remise en question [1]. Dans la mesure où certains efforts physiques exacerbent les douleurs qui, de ce fait, entravent la réalisation des activités quotidiennes, il est logique de conseiller le repos. Mais une telle attitude thérapeutique est simpliste. Elle n’envisage que la relation immédiate et apparente de cause à effet entre effort physique et douleur et suppose implicitement que l’exercice physique aggrave les rhumatismes. C’est ainsi que, traditionnellement, on recommande le repos ou du moins la restriction des activités physiques aux patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde (PR). Ces restrictions reposent sur des hypothèses. Il est, en effet, supposé que les mouvements articulaires génèrent des contraintes potentiellement responsables d’une recrudescence de l’inflammation articulaire et d’une accélération de la destruction articulaire [2–4]. Les exercices autorisés sont essentiellement les étirements et le renforcement musculaire isométrique, c’est-à-dire, des exercices sans mouvement articulaire. Or la majorité des activités de la vie quotidienne et de loisirs sont dynamiques. Le respect de ces interdictions conduit donc à une réduction drastique des activités physiques. La réduction franche de l’intensité, de la fréquence et/ou de la durée de l’exercice physique peut mener à un état de déconditionnement à l’effort des patients atteints de PR [5]. La crainte de l’effort physique et la sédentarité excessive exposent à l’apparition d’un état de déconditionnement physique qui aggrave les déficiences directement liées à la maladie et l’incapacité fonctionnelle. Cet état favorise l’isolement socio-
夽 Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸ aise de cet article, mais sa référence anglaise dans le même volume de Joint Bone Spine.
1169-8330/$ – see front matter © 2008 Publi´e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.rhum.2007.04.012
professionnel et génère davantage d’anxiété et de dépression qui, à leur tour, inhibent les patients : un cercle vicieux s’installe. En fait, le bénéfice de la mise au repos de lit des patients souffrant de PR a été longtemps surestimé et, finalement, seuls les patients dont la PR est en poussée très inflammatoire profitent de la mise au repos transitoire [6]. En ce qui concerne la PR, depuis une vingtaine d’années [7], un grand nombre d’études publiées dans des revues internationales ont évalué, chez les patients souffrant de PR, les bénéfices et la tolérance de la pratique d’entraînements physiques, incluant des exercices dynamiques et en charge, d’intensité modérée ou élevée. Ces études sont récapitulées dans plusieurs revues de la littérature sur l’exercice physique et la PR publiées dans des revues internationales de langue anglaise essentiellement [8–13]. Il ressort le consensus suivant : les personnes souffrant de PR et pratiquant des exercices physiques dynamiques, surtout s’ils sont inclus dans des activités aérobies, améliorent leur état de santé sans effet néfaste sur la maladie. En conséquence, l’American College of Rheumatology encourage la participation régulière aux programmes dynamiques d’exercice, dans sa mise à jour récente des recommandations thérapeutiques de la PR [14]. 2. Levons l’ancre et ouvrons l’horizon à nos patients ! La peur d’aggraver le rhumatisme en pratiquant des exercices physiques dynamiques est bien ancrée dans l’esprit des patients souffrant de PR. Pourtant, cette peur n’est pas fondée. Les exercices dynamiques et aérobies n’aggravent pas l’inflammation articulaire des patients souffrant de PR. Les programmes d’exercice physique, d’intensité modérée ou même élevée, comprenant des exercices dynamiques et des activités aérobies en charge sont bien tolérés quand la PR est relativement stable. Par exemple, Häkkinen et al., par une étude contrô-
6
Éditorial / Revue du Rhumatisme 75 (2008) 5–7
lée randomisée incluant des patients ayant une PR débutante, ont montré que la pratique d’un autoprogramme de renforcement musculaire dynamique des membres et du tronc, associé à la recommandation d’activités physiques de loisir deux à trois fois par semaine, s’accompagne d’une diminution de l’activité de la maladie mesurée par le score d’activité de la maladie (DAS) au bout de deux et cinq ans [15] au même titre qu’un autoprogramme de gymnastique conventionnelle privilégiant les exercices d’étirements. De même, le programme d’entraînement intensif appelé le rheumatoid arthritis patients in training program (RAPIT), organisé en séances collectives et bihebdomadaires d’une durée de 75 minutes et comprenant un renforcement musculaire dynamique et des activités aérobies en charge avec impact modéré, proposé aux patients atteints d’une PR stable pendant deux ans a été efficace [16] et aussi bien toléré qu’une prise en charge conventionnelle en terme d’activité de la maladie, mesurée par le DAS. Il demeure prudent de ne pas recommander la rééducation dynamique lors des poussées. Pourtant, l’étude contrôlée et randomisée de van den Ende et al. [17] concernant des patients présentant une PR active et pris en charge lors d’une poussée inflammatoire a évalué l’impact d’un entraînement physique intensif et supervisé comprenant un travail de renforcement isocinétique et isométrique et à la maison associant vélo stationnaire, étirements et renforcement musculaire isométrique. Au bout de six mois, l’activité de la maladie, mesurée avec le DAS, a diminué de fac¸on semblable dans le groupe entraîné et dans le groupe témoin ne réalisant que quelques exercices d’entretien. Le renforcement musculaire dynamique, y compris les activités en charge avec impact modéré, ne semble pas accélérer la détérioration articulaire, mais une relative prudence s’impose quand les articulations sont très détruites. Les études sont moins nombreuses et cette affirmation est plus difficile à démontrer. Par exemple, Häkkinen et al., dans l’étude précédemment décrite, n’ont pas détecté une différence significative dans des détériorations articulaires entre les deux groupes – bien que les lésions articulaires aient augmenté légèrement dans les deux groupes – au terme de cinq ans de surveillance [15]. Le programme RAPIT n’a pas entraîné d’accélération de la dégradation radiologique des articulations des mains et des pieds. Cependant, les auteurs ont émis des réserves sur la tolérance des activités en charge avec un impact élevé quand elles sollicitent les grosses articulations des membres inférieurs préalablement détruites par l’atteinte rhumatoïde. Les patients atteints de PR tirent davantage de bénéfices de la pratique des exercices musculaires dynamiques qu’en faisant des exercices statiques ou isométriques. Les exercices dynamiques, en améliorant les performances musculaires et la capacité aérobie, préviennent le déclin fonctionnel. De surcroît, la participation régulière à des activités aérobies d’intensité modérée peut améliorer le bien-être psychologique, réduire la fatigue et améliorer la qualité de la vie. Mais pour être bénéfiques, il faut que ces exercices soient d’une intensité modérée ou forte (>50 % de la fréquence cardiaque maximale), d’une durée minimale de 30 minutes par jour et au moins cinq jours par semaine. Ces critères correspondent aux programmes d’entraînement recommandés à la population générale dans le cadre de la prévention
des pathologies cardiovasculaires [18], pathologies dont la prévalence est plus élevée dans la population des patients atteints de PR. 3. Pour lever l’ancre, il faut que le capitaine du bateau donne l’ordre ! Malheureusement, il semble qu’une forte proportion de rhumatologues et de kinésithérapeutes continue à donner des recommandations très restrictives et injustifiées [19] et la prise en charge physique se limite, encore souvent, à la prescription de séances de kinésithérapie. 4. Levons l’ancre, mais ne perdons pas le cap ! Il faut écarter ces fausses idées ancrées dans nos têtes, et donc dans celles de nos patients, et promouvoir les activités physiques en charge ou en décharge comme les activités aquatiques quel que soit le stade de la maladie. Elles sont possibles, même si le patient a dû interrompre son activité professionnelle, parce qu’elles sont modulables. Il faut apaiser et convaincre les patients d’être ou de rester actifs, leur apprendre à réinterpréter leurs douleurs lors des efforts et à adapter leur activité physique en fonction de l’évolution du rhumatisme. En revanche, une prise en charge physique personnalisée et intégrée dans la prise en charge thérapeutique globale s’impose. 5. L’éducation thérapeutique aide les patients à naviguer malgré les intempéries L’évolution de la PR est variable. Les patients doivent acquérir la capacité d’ajuster le programme d’exercice selon leur état de santé actuel et les effets de la pratique des exercices. Finalement, quand la PR est relativement stable, quand il n’existe pas d’atteinte importante des grosses articulations des membres inférieurs et quand les patients comprennent et savent identifier les indications et les restrictions physiques, ceuxci peuvent participer à des programmes d’activités physiques adressés à la population générale, à condition de bénéficier de l’encadrement médical périodique. Il est étonnant de constater l’impact médiocre des multiples publications de ces deux dernières décennies démontrant la bonne tolérance et les bienfaits de la rééducation dynamique au cours de la PR. La majorité des travaux publiés dans des revues internationales sont de langue anglaise et on ne peut que se réjouir de la publication dans La Revue du Rhumatisme de la revue de la littérature rédigée par P. Gaudin et al. et parue dans ce numéro pour convaincre les lecteurs francophones [20]. Références [1] Allen C, Glasziou P, Del Mar C. Bed rest: a potential harmful treatment needing more careful evaluation. Lancet 1999;354:1229–33. [2] Jivoff L. Rehabilitation and rheumatoid arthritis. Bull Rheum Dis 1975–1976; 26: 838–11. [3] Mills J, Pinals R, Ropes M, Short CL, Sutcliffe J. Value of bed rest in patients with rheumatoid arthritis. N Engl J Med 1971;284:453–8.
Éditorial / Revue du Rhumatisme 75 (2008) 5–7 [4] Swezey R. Essentials of physical management and rehabilitation in arthritis. Semin Arthritis Rheum 1974;3:349–68. [5] Stewart AL, Hays RD, Wells KB, Rogers WH, Spritzer KL, Greenfield S. Long-term functioning and well-being outcomes associated with physical activity and exercise in patients with chronic conditions in the medical outcomes study. J Clin Epidemiol 1994;47:719–30. [6] Alexander GJ, Hortas C, Bacon PA. Bed rest, activity and the inflammation of the rheumatoid arthritis. Br J Rheumatol 1983;22:134–40. [7] Harkcom TM, Lampman RM, Banwell BF, Castor CW. Therapeutic value of graded aerobic exercise training in rheumatoid arthritis. Arthritis Rheum 1985;28:32–9. [8] van den Ende CH, Vliet Vlieland TP, Munneke M, Hazes JM. Dynamic exercise therapy in rheumatoid arthritis: a systematic review. Br J Rheumatol 1998;37:677–87. [9] Munneke M, de Jong Z. The role of exercise programs in the rehabilitation of patients with rheumatoid arthritis. Int Sport Med J 2000;1:12. [10] Westby MD. A health professional’s guide to exercise prescription for people with arthritis: a review of aerobic fitness activities. Arthritis Care Res 2001;45:501–11. [11] Stenström CH, Minor MA. Evidence for the benefit of aerobic and strengthening exercise in rheumatoid arthritis. Arthritis Rheum 2003;49:428–34. [12] Häkkinen A. Effectiveness and safety of strength training in rheumatoid arthritis. Curr Opin Rheumatol 2004;16:132–7. [13] de Jong Z, Vliet TP. Safety of exercise in patients with rheumatoid arthritis. Curr Opin Rheumatol 2005;17:177–82. [14] American College of Rheumatology Subcommittee on Rheumatoid Arthritis Guidelines. Guidelines for the management of rheumatoid arthritis: 2002 Update. Arthritis Rheum. 2002;46:328-46. [15] Häkkinen A, Sokka T, Kautiainen H, Kotaniemi A, Hannonen P. Sustained maintenance of exercise induced muscle strength gains and normal bone mineral density in patients with early rheumatoid arthritis: a five-year follow up. Ann Rheum Dis 2004;63:910–6.
7
[16] de Jong Z, Munneke M, Zwinderman AH, Kroon HM, Jansen A, Ronday KH, et al. Is a long-term high-intensity exercise program effective and safe in patients with rheumatoid arthritis ? Results of a randomized controlled trial. Arthritis Rheum 2003;48:2415–24. [17] van den Ende CH, Breedveld FC, le Cessie S, Dijkmans BA, de Mug AW, Hazes JM. Effect of intensive exercise on patients with active rheumatoid arthritis: a randomized clinical trial. Ann Rheum Dis 2000;59: 615–21. [18] Manson JE, Greenland P, LaCroix AZ, Stefanick ML, Mouton CP, Oberman A, et al. Walking compared with vigorous exercise for the prevention of cardiovascular events in women. N Engl J Med 2002;347:716–25. [19] Munneke M, de Jong Z, Zwinderman AH, Ronday HK, van den Ende CH, Vliet Vlieland TP, et al. High-intensity exercise or conventional exercise for patients with rheumatoid arthritis ? Outcome expectations of patients, rheumatologists, and physiotherapists. Ann Rheum Dis 2004;63: 804–8. [20] Gaudin P, Leguen-Guegan S, Allen B, Baillet A, Grange L, Juvin R. Dynamic exercise beneficial in patients with rheumatoid arthritis ? Review of the literature: methodology and results. Joint Bone Spine 2008;75: in press.
Anne Mayoux-Benhamou Service de rééducation et de réadaptation fonctionnelle de l’appareil locomoteur et des pathologies du rachis, CHU Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris cedex 14, France Adresse e-mail :
[email protected] 8 f´evrier 2007 Disponible sur Internet le 28 aoˆut 2007