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Article original
L’auto-efficacité émotionnelle : un facteur à considérer pour expliquer la santé psychologique au travail Emotional self-efficacy: A factor to explain the psychological health at work A.-A. Deschênes a,*, P. Capovilla b a
Université du Québec à Rimouski, département des sciences de la gestion, 300, allée des Ursulines, C.P. 3300, succ. A, Rimouski, Québec G5L 3A1, Canada b Université Catholique de l’Ouest, 3, place André-Leroy, 49008 Angers, France Reçu le 8 février 2016 ; accepté le 11 fe´vrier 2016
Résumé Depuis quelques années, les problèmes de santé psychologique au travail (SPT) sont en hausse et affectent un nombre considérable de travailleurs (Gilbert et al., 2011). La SPT réfère à deux états distincts mais complémentaires : le bien-être psychologique (sérénité, engagement et harmonie) et la détresse psychologique au travail (anxiété, désengagement et irritabilité) (Gilbert et al., 2011). Sachant que des liens négatifs ont déjà été étudiés entre l’auto-efficacité émotionnelle (AEE) et différents phénomènes de la détresse psychologique au travail, l’objectif est de vérifier comment l’AEE influence la SPT. L’AEE se définit par la croyance des gens à l’égard de sept compétences émotionnelles : la perception de ses émotions et celle des autres, l’utilisation des émotions, la compréhension de ses émotions et celle des autres ainsi que la gestion de ses émotions et celle des autres (Deschênes et al., 2011). Un devis corrélationnel a été utilisé auprès d’un échantillon de 149 étudiants travailleurs âgés en moyenne de 32,06 ans (É.T. = 8,27). Les échelles d’AEE (a = .91) de Deschênes et al. (2011) et de Gilbert et al. (2011) sur le bien-être (a = .92) et la détresse psychologique au travail (a = .94) sont utilisés afin de mesurer les concepts à l’étude. Les résultats des analyses de régression confirment les hypothèses de recherche. # 2016 AIPTLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A.A. Deschênes). http://dx.doi.org/10.1016/j.pto.2016.02.006 1420-2530/# 2016 AIPTLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Mots clés : Auto-efficacité émotionnelle ; Intelligence émotionnelle ; Santé psychologique au travail ; Bien-être psychologique au travail ; Détresse psychologique au travail
Abstract In recent years, psychological health problems at work (PHW) are rising and affect a considerable number of workers (Gilbert et al., 2011). The PHW refers to two separate but complementary states: psychological well-being (serenity, commitment and social harmony) and psychological distress in the workplace (anxiety, withdrawal and irritability) (Gilbert et al., 2011). Knowing that negative relationships have been studied between emotional self-efficacy (ESE) and various phenomena of psychological distress in the workplace, the aim is to verify how the ESE influences the PHW. The ESE is defined by people’s belief in respect of seven emotional skills: the perception of emotions and that of others, the use of emotions, understanding emotions and that of others as well as the management of its emotions and that of others (Deschênes et al., 2011). A quote was used correlational with a sample 149 students older workers averaged 32.06 years (SD = 8.27). The scales of ESE (a = .91) Deschênes et al. (2011) and Gilbert et al. (2011) on well-being (a = .92) and psychological distress in the workplace (a = .94) are used to measure the concepts being studied. Results of regression analyzes confirm the research hypotheses. # 2016 AIPTLF. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Emotional self-efficacy; Emotional intelligence; Psychological health at work; Psychological well-being at work; Psychological distress at work
1. Introduction Depuis un certain nombre d’années, la société s’intéresse à la question de la santé au travail à travers le prisme de la dégradation des conditions de travail et de la fragilisation de la santé des salariés (Lhuilier & Litim, 2009). Dans cette perspective pour le moins négative, la psychologie du travail a développé un intérêt pour la santé psychologique au travail orienté particulièrement vers la détresse et la non-santé des salariés. À l’origine de cet intérêt biaisé pour la santé, on retrouve le coût de la non-santé des travailleurs (Gilbert, Dagenais-Desmarais, & Savoie, 2011). En effet, les accidents du travail ainsi que les absences pour maladies, qu’elles soient physiques ou psychologiques, sont très onéreux pour les entreprises et les États. Selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), en 2007, le coût financier du stress s’élève en France à près de 3 milliards d’euros [Institut national de recherche et de sécurité (INRS), 2009]. L’Organisation internationale du travail (OIT) relève que la mauvaise santé mentale au travail représente près de 4 % du produit intérieur brut des pays de l’Union Européenne et qu’aux États-Unis les dépenses publiques liées à la dépression s’élèvent annuellement entre 30 et 44 milliards de dollars (Gabriel & Liimatainen, 2000). D’après l’Institut national de veille sanitaire (InVS), un quart des hommes et un tiers des femmes souffrent de détresse psychique liée à leur activité professionnelle, peu importe le secteur d’activité ou la profession exercée. Au Canada, 40 % des demandes de prestations d’indemnités sont liées à une invalidité pour cause de maladie mentale, les plus fréquentes étant la dépression et l’anxiété (Santé Canada, 2002). Déjà en 1998, le coût des pertes de productivité associées à la dépression était évalué à 2,6 milliards de dollars au Canada (Gilmour & Patten, 2005). En 2012, les pertes pour l’économie canadienne, liées à des problèmes de santé mentale, atteignaient près de 20,7 milliards de dollars (Pang, 2013).
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Pourtant, si le travail est source de mal-être pour l’individu, il n’en demeure pas moins central. Il constitue une expérience pleine et entière dans laquelle la prévention de la détresse psychologique permet d’améliorer la santé des travailleurs et ainsi réduire les coûts liés à cette non-santé. Plus encore, la promotion du bien-être psychologique permet aux salariés de protéger leur santé physique et mentale (Morin, 2010), mais est également source de meilleurs rendements quantitatifs et/ou qualitatifs pour les organisations. Au regard des récentes études en la matière (Dagenais-Desmarais & Privé, 2010 ; Gilbert et al., 2011 ; Morin, 2010 ; Savoie, Brunet, Boudrias, & Gilbert, 2010) et de l’impact de la santé psychologique au travail sur le fonctionnement des organisations, la société s’intéresse de plus en plus aux aspects positifs de la santé mentale au travail à travers le développement de politiques de qualité de vie au travail ou de promotion du bien-être psychologique. Si le bien-être psychologique des travailleurs était, jusqu’à récemment, sous-estimé, il en est de même concernant la place des émotions et de leur expression dans l’activité professionnelle. Longtemps considérées comme des éléments perturbateurs de la pensée, les émotions et leur prise en compte font désormais partie des préoccupations des salariés, mais également de leurs gestionnaires et de l’organisation tout entière (Kotsou, 2012). Particulièrement présentes et étudiées dans le milieu de la santé, elles sont désormais considérées dans d’autres secteurs d’activités. Faisant partie intégrante des individus, les émotions et leurs compétences associées se sont vues intégrer aux modes de gestion (Chanlat, 2003) depuis les dernières décennies, avec le développement du concept d’intelligence émotionnelle. La plupart des recherches antérieures établissent des liens entre l’intelligence émotionnelle et une des principales manifestations de la détresse psychologique au travail, soit l’épuisement professionnel. Des études de nature quantitative mettent en évidence les liens négatifs entre l’intelligence émotionnelle et les trois symptômes de l’épuisement professionnel chez des enseignants (Chan, 2006 ; Pishghadam & Sahebjam, 2012), des infirmiers (Mikolajczak, Menil, & Luminet, 2007) et des médecins (Weng et al., 2011). Les résultats de l’étude de Moon et Hur (2011) indiquent, quant à eux, un lien négatif entre l’intelligence émotionnelle et le symptôme de l’épuisement émotionnel chez des employés de magasin à grande surface. De plus, Ciarrochi, Deane, et Anderson (2002) démontrent qu’un étudiant universitaire qui se croit capable de gérer adéquatement ses émotions maîtrise plus facilement son stress. Enfin, Gendron (2007) souligne dans sa recension des écrits l’importance des compétences émotionnelles dans une saine gestion du stress au travail. Les études évaluant l’intelligence émotionnelle et la santé psychologique au travail varient grandement dans l’opérationnalisation de ce premier construit. Force est de constater que le modèle de l’intelligence émotionnelle et sa mesure n’ont pas évolué dans le même sens. Il est donc possible de douter des résultats instables sur le plan factoriel, voire unidimensionnel de l’intelligence émotionnelle, contrairement à la définition du construit. Considérant cette problématique conceptuelle et s’inscrivant dans la perspective de la psychologie positive (Cottreaux, 2012), la présente étude s’intéresse au sentiment d’efficacité émotionnelle comme facteur individuel explicatif de la santé psychologique au travail. 1.1. La santé psychologique au travail, un construit bidimensionnel La définition de la santé psychologique au travail est construite à partir du concept plus général de santé psychologique. Par conséquent, le biais de négativité auquel est soumise la santé psychologique au travail (Lhuilier & Litim, 2009) vient probablement du fait qu’il a fallu attendre 2007 pour que l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) propose une définition
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officielle de la santé mentale recouvrant à la fois ses versants positifs et négatifs. La santé psychologique est alors définie de la manière suivante : « un état complet de bien-être physique, mental et social, et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Reprenant les termes de l’OMS, Morin (2010) précise que la santé mentale ne correspond pas seulement à l’absence de troubles mentaux, c’est aussi un état de bien-être dans lequel chaque personne réalise son potentiel, fait face aux difficultés normales de la vie, travaille avec succès de manière productive et peut apporter sa contribution à la communauté. Selon les études référentes en la matière (Achille, 2003 ; Gilbert et al., 2011 ; Kelloway & Day, 2005 ; Keyes, 2003 ; Morin, 2010 ; Savoie et al., 2010), il est désormais admis que la santé mentale relève de versants positif et négatif respectivement : la détresse et le bien-être psychologiques. La détresse s’exprime à travers des comportements de colère, d’irritabilité, un sentiment d’anxiété, de l’épuisement, une tendance à se dévaloriser, à s’isoler et à refuser de s’engager. À l’inverse, le bien-être s’exprime par un sentiment d’équilibre et de vitalité, de valeur, de maîtrise et d’efficacité personnelle. Il se traduit également par la recherche de relations, un besoin de s’engager dans des projets avec autrui et de partager une expérience sociale. Dans la mesure où les aspects négatifs de la santé psychologique sont surexploités par les organisations, il nous faut remarquer qu’il n’y a pas de corrélation évidente entre la prévention de la détresse et la promotion du bien-être psychologique. En effet, les mesures mises en place pour canaliser le phénomène de mal-être au travail ne permettent pas forcément au bien-être de se développer dans le même temps (Massé et al., 1998). À l’origine, la santé psychologique s’appréhende de manière générale, quelles que soient les sphères de vie concernées. Cependant, une échelle a été développée pour adapter celle-ci au monde du travail (Gilbert et al., 2011). Cette échelle se centre sur la composante vécue de la santé mentale au travail et ses dimensions bipolarisées, soit la détresse psychologique au travail (DPT) et le bien-être psychologique au travail (BEPT). Dans ces travaux, les auteurs mettent en évidence trois facteurs pour chacune des dimensions de la santé psychologique au travail. Ces facteurs définissent les rapports du travailleur avec soi – au travail, avec son travail en tant que tel, et avec son entourage au travail. Ces trois facteurs s’expriment différemment en fonction des dimensions positive ou négative de la SPT. Selon Gilbert et al. (2011), lorsqu’une personne éprouve du bien-être psychologique au travail, elle se sent sereine, en paix avec elle-même (sérénité) ; elle apprécie son travail, ses réalisations, elle a le désir et l’ambition de s’engager (engagement) ; elle est à l’écoute d’autrui, se sent appréciée et aimée, et entretient de belles relations avec son entourage au travail (harmonie sociale). À l’inverse, les individus en état de détresse psychologique au travail éprouvent de l’agressivité, de l’irritabilité et de l’impatience à l’égard d’autrui. Face à eux, ils se sentent anxieux, tristes, dépressifs, stressés et ont peine à affronter leurs problèmes. En regard du travail, ils n’éprouvent plus grand intérêt, se sentent diminués, voire inutiles et n’ont plus envie d’entreprendre des projets. En somme, les individus vivant un plus grand bien-être psychologique au travail et une plus faible détresse psychologique au travail ressentent plus d’optimisme, perçoivent leur environnement de travail comme plus juste et équitable et présentent un environnement de travail plus sain (Gilbert et al., 2011). 1.2. L’auto-efficacité émotionnelle Le concept d’émotion constitue un terme générique qui regroupe à la fois les notions d’états émotionnels, d’humeur, de tempérament, de sentiment et de l’affect (Zenasni et al., 2003). Dans la présente étude, les théories du sentiment d’efficacité de Bandura (1977, 1997, 2003), de l’intelligence émotionnelle de Mayer et Salovey (1997) et du trait de l’intelligence émotionnelle
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de Petrides et Furnham (2001) offrent un cadre théorique propice à l’étude de l’auto-efficacité émotionnelle. Mayer et Salovey (1997) ont d’abord défini l’intelligence émotionnelle par un ensemble de capacités mentales permettant de percevoir correctement ses émotions et celles des autres, de recourir à des émotions qui facilitent l’activité cognitive, de comprendre ses émotions et celles des autres, de reconnaître leur importance et de gérer ses émotions et celles des autres. Cependant, Petrides et Furnham (2001) ont soutenu l’importance de distinguer l’intelligence émotionnelle sur le plan des habiletés et des traits. Ces auteurs affirment que les compétences émotionnelles peuvent également prendre la forme de traits qui renvoient à la tendance comportementale des gens à se percevoir plus ou moins efficaces. Cette distinction de Petrides et Furnham (2001) se fonde sur l’idée que les capacités cognitives émotionnelles ne représentent pas l’unique raison du fonctionnement optimal des gens et qu’il est tout aussi important de considérer leurs perceptions face à leurs compétences émotionnelles. Conséquemment, Petrides et Furnham (2001) suggèrent que les traits inhérents aux compétences émotionnelles reflètent l’auto-efficacité émotionnelle. Tel que Bandura (2003) l’indique à l’égard du sentiment d’efficacité personnelle, l’auto-efficacité émotionnelle se distingue de l’affect car elle consiste à une perception de compétence que l’individu va acquérir lorsqu’il se rendra compte qu’il peut influencer directement son environnement. Cette perception va se solidifier à travers les expériences de succès et d’échecs que l’individu vivra lorsqu’il tentera d’atteindre ses objectifs et ne fait pas partie des traits inhérents à la personnalité. Bandura (2003) soutient que la croyance en son efficacité provient d’un traitement cognitif. Ce traitement s’effectue en se fondant sur quatre sources : l’expérience de maîtrise, l’expérience vicariante, la persuasion verbale et l’état physiologique. Selon cette théorie, la compétence d’un individu s’acquiert à travers son environnement et ses perceptions. L’efficacité dans cette perspective est donc acquise et n’est pas considérée comme un trait inhérent à la personnalité. Selon la théorie sociocognitive de Bandura (1997), le sentiment d’auto-efficacité repose sur la croyance de l’individu en sa capacité à organiser et à exécuter la ligne de conduite pour produire des résultats souhaités. À l’égard des études précédentes, Deschênes, Dussault et Frenet (2011) ont conceptualisé l’auto-efficacité émotionnelle par la croyance des individus à l’égard de sept compétences émotionnelles spécifiques. La première compétence consiste à se croire capable de percevoir correctement ses émotions. C’est la croyance à se sentir apte à identifier adéquatement ses propres émotions. La deuxième compétence est l’auto-efficacité à percevoir les émotions que les autres ressentent. Il s’agit de la capacité à se croire capable de reconnaître les émotions des autres par les expressions faciales, les postures, la voix et les gestes non verbaux (Mayer, Salovey, & Caruso, 2004). La troisième compétence se caractérise par l’intégration des émotions à la pensée. Plus précisément, c’est la croyance de se sentir apte à utiliser les émotions pour faciliter les processus cognitifs comme la résolution de problèmes et la prise de décision. La quatrième compétence consiste à se croire capable de comprendre ses propres émotions. C’est la capacité à se sentir capable d’analyser ses émotions et à comprendre leur évolution ainsi que leurs causes (Mayer et al., 2004). La cinquième compétence s’applique de la même façon que la compétence précédente, à l’exception que la source de l’interrogation est dirigée vers les émotions que les autres ressentent. Plus précisément, elle consiste à se croire capable de comprendre les émotions que les autres ressentent. La sixième compétence concerne l’auto-efficacité à gérer ses émotions. En d’autres termes, la régulation émotionnelle réside dans la diminution ou l’augmentation de l’intensité de l’émotion vécue. Enfin, la septième compétence fait référence à la perception d’une personne à l’égard de sa capacité à gérer les émotions que les autres ressentent de façon réfléchie. Les deux dernières compétences ont pour objectif de promouvoir le développement de son bienêtre émotionnel et intellectuel ainsi que de celui de l’autre (Gauthier & Larivée, 2007).
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1.3. Objet de la recherche et hypothèses Au regard de la recension des études concernant l’auto-efficacité émotionnelle et la santé psychologique au travail en tant que construit bidimensionnel, la présente étude cherche à établir un lien entre ces deux concepts à partir de la description des relations entre les deux dimensions de la santé psychologique et les compétences de l’auto-efficacité émotionnelle. Considérant les résultats d’études antérieures entre l’intelligence émotionnelle et les manifestations de détresse psychologique au travail tel que l’épuisement professionnel (Chan, 2006 ; Ciarrochi et al., 2002 ; Mikolajczak et al., 2007 ; Moon & Hur, 2011 ; Pishghadam & Sahebjam, 2012 ; Weng et al., 2011), l’étude soulève deux hypothèses. La première hypothèse suppose qu’il existe une relation positive entre les compétences de l’auto-efficacité émotionnelle et du bien-être psychologique au travail. La seconde hypothèse postule l’existence d’une relation négative entre les compétences de l’auto-efficacité émotionnelle et la détresse psychologique au travail. Cette dernière hypothèse demeure cohérente avec les travaux de Deschênes, Dussault, et Frenette (2014) où les résultats présentent des liens significatifs et négatifs entre l’auto-efficacité émotionnelle et les symptômes de l’épuisement professionnel. 2. Méthode 2.1. Participants La population à l’étude est composée de 149 étudiants travailleurs de différents domaines qui sont inscrits au baccalauréat en administration et à la maîtrise en gestion des personnes de l’université du Québec à Rimouski. Soixante-quatorze participants travaillaient à temps plein au moment de l’étude et avaient un statut étudiant à temps partiel. À l’inverse, 75 participants étudiants à temps plein travaillaient à temps partiel, donc moins de 20 heures par semaine. Les participants ont été sollicités en début de classe lors de cours en comportement organisationnel. Un responsable de la recherche leur expliquait le but de l’étude et les modalités de confidentialité avant de faire circuler les questionnaires en format papier. Leur participation était volontaire. Ils étaient âgés en moyenne de 32,06 ans (É.T. = 8,27). Le participant le plus jeune était âgé de 23 ans et l’aîné de 56 ans. Les participants comptaient 107 femmes et 42 hommes. 2.2. Instruments de mesure 2.2.1. Auto-efficacité émotionnelle L’échelle d’auto-efficacité émotionnelle (ÉAÉ) développée et validée par Deschênes et al. (2011) a été utilisée. Il s’agit d’un instrument présentant de bonnes qualités psychométriques (consistance interne, validité concomitante et validité de construit) (Deschênes et al., 2011). Cette échelle est composée de 21 items (trois items pour chacune des sept compétences) : l’auto-efficacité à percevoir ses émotions (ex. Je suis capable d’identifier mes émotions négatives lorsque j’en ressens ; a = .68) ; l’auto-efficacité à percevoir les émotions ressenties par les autres (ex. Je suis capable de percevoir les émotions négatives des autres ; a = .86) ; l’auto-efficacité à utiliser les émotions (ex. Je suis en mesure de tirer avantage de mes changements d’humeur pour considérer d’autres points de vue ; a = .81) ;
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l’auto-efficacité à comprendre ses émotions (ex. Je suis capable de comprendre pourquoi je ressens une émotion négative ; a = .76) ; l’auto-efficacité à comprendre les émotions ressenties par les autres (ex. Je suis capable de distinguer les émotions contradictoires chez les autres ; a = .79) ; l’auto-efficacité à gérer ses émotions (ex. Dans une situation conflictuelle, je suis capable de contrôler mes émotions ; a = .85) ; la gestion des émotions ressenties par les autres (ex. Je suis capable d’aider une personne qui ressent une émotion négative à percevoir positivement la situation ; a = .87). Les items sont évalués sur une échelle de type Likert allant de (1) Fortement en désaccord à (6) Fortement en accord. Le niveau de cohérence interne de l’ÉAÉ, estimé par l’alpha de Cronbach, est de .91 dans la présente étude. Les valeurs de la cohérence interne sont similaires à celles obtenues lors de la validation par Deschênes et al. (2011). Bien que l’ÉAÉ est proposé pour être utilisé avec une population de gestionnaire, force est de constater que tous les items de cette échelle demeurent adaptés au travailleur de tous les niveaux hiérarchiques. 2.2.2. Santé psychologique au travail La SPT a été évaluée à l’aide des échelles développées et validées par Gilbert et al. (2011). Les études antérieures indiquent de bonnes qualités psychométriques (consistance interne et structure factorielle) associées à ses échelles. Elles mesurent les deux dimensions de la santé psychologique au travail, soit le bien-être et la détresse. D’abord, concernant le bien-être psychologique au travail (a = .92), la dimension de l’engagement est mesurée par cinq items (ex. J’ai des buts, des ambitions ; a = .84), la dimension de la sérénité par 10 items (ex. Je suis bien dans ma peau, en paix avec moi-même ; a = .86) et la dimension de l’harmonie sociale par 7 items (ex. Je me sens aimé et apprécié ; a = .82). Ensuite, la détresse psychologique au travail (a = .94) est évaluée par 7 items mesurant le désengagement (ex. J’ai envie de tout lâcher, de tout abandonner ; a = .87), 7 items mesurant l’irritabilité (ex. Je suis facilement irritable, je réagis mal aux commentaires ; a = .80) et enfin, 9 items mesurant l’anxiété (ex. Je me sens préoccupé, anxieux ; a = .89). Les échelles sont présentées sur une échelle de fréquence allant de (1) Jamais à (5) Toujours. Les niveaux de cohérence interne correspondent aux valeurs de l’alpha de Cronbach dans la présente étude et sont de même ordre de grandeur que ceux retrouvés dans la littérature. 2.3. Procédures d’analyses La présente étude cherche à savoir si la santé psychologique au travail varie en fonction de l’auto-efficacité émotionnelle des individus. Afin de vérifier l’influence des liens entre les variables dépendantes (bien-être psychologique au travail et détresse psychologique au travail) et les variables indépendantes (les sept compétences émotionnelles), des analyses de régressions multiples avec entrée forcée de type descendante (backward) sont privilégiées pour analyser les résultats de l’étude. Avec cette approche, il est possible de s’assurer que toutes les variables indépendantes seront considérées malgré la présence d’une autre variable prédictive. En effet, elle consiste à prendre en compte l’ensemble des variables contenues dans le modèle global et à éliminer une à une les variables non significatives (probabilité associée à F > 0,10). Le logiciel PAWS (version 18) est employé pour les deux hypothèses de l’étude. Ce type d’analyse dans le cadre d’un devis explicatif corrélationnel de nature transversale permet d’explorer les relations
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parmi un ensemble de variables afin de déterminer lesquelles sont associées aux variables dépendantes. 3. Résultats 3.1. Analyses préliminaires D’entrée de jeu, il importe de souligner que des analyses exploratoires ont été effectuées afin d’éliminer les données aberrantes et de vérifier la distribution des données. Dans un premier temps, et comme le suggère Bertrand (1986), l’identification des données aberrantes est effectuée à l’aide d’un diagramme en boîte. Cette analyse est effectuée sur toutes les variables à l’étude des 149 participants. Pour chaque participant qui a une moyenne à plus d’un écart interquartile et demi de la médiane, la valeur inférieure limite est attribuée. Dans un deuxième temps, les statistiques descriptives et les corrélations entre les variables à l’étude ont été vérifiées et elles sont présentées dans le Tableau 1. Il est possible de remarquer que la moyenne des scores obtenus est plus élevée pour le bien-être psychologique que pour la détresse psychologique. Les résultats présentant les valeurs les plus élevées indiquent entre autres une corrélation négative entre l’autoefficacité à percevoir ses émotions et la dimension de l’irritabilité dans la détresse psychologique (r = .46). Les résultats indiquent des corrélations positives entre l’auto-efficacité à utiliser les émotions et les trois dimensions du bien-être psychologique au travail (r = .49), soit l’harmonie (r = .44), la sérénité (r = .47) et l’engagement (r = .37). De plus, l’auto-efficacité à gérer ses émotions est liée négativement avec la dimension de l’irritabilité (r = .37) et de l’anxiété (r = .37) au travail. À l’inverse, l’auto-efficacité à gérer les émotions que les autres ressentent est corrélée positivement à la dimension de l’harmonie (r = .49), de la sérénité (r = .47) et de l’engagement (r = .39) au travail. Bref, l’ensemble des variables dépendantes et de ses sousdimensions est corrélé significativement avec l’auto-efficacité émotionnelle générale. 3.2. Analyses de régression Les résultats des analyses de régressions testant la première hypothèse sont exposés dans le Tableau 2. Les résultats soutiennent que l’auto-efficacité à gérer les émotions que les autres ressentent, l’auto-efficacité à utiliser les émotions et l’auto-efficacité à percevoir les émotions que les autres ressentent justifient partiellement le bien-être psychologique au travail (R2 = .38, p < .001). En conséquence, les résultats indiquent que le modèle retenu par les analyses de régressions explique 38 % du bien-être psychologique au travail. En somme, plus le travailleur se croit capable d’aider les autres à réguler leurs émotions, d’utiliser les émotions à bon escient et plus encore, de bien identifier les émotions que les autres ressentent, plus il sera dans un état de bien-être psychologique au travail, voire serein, engagé et en harmonie avec les autres. Le Tableau 3 indique les résultats des analyses de régressions correspondant à la deuxième hypothèse de l’étude. Les résultats soutiennent que l’auto-efficacité à percevoir ses émotions et celles des autres, l’auto-efficacité à utiliser les émotions, l’auto-efficacité à gérer ses émotions et l’auto-efficacité à comprendre les émotions que les autres ressentent expliquent partiellement la détresse psychologique au travail (R2 = .31, p < .001). En d’autres termes, le modèle retenu explique 31 % de la détresse psychologique au travail de la population à l’étude. À l’inverse de la première hypothèse, deux compétences émotionnelles reliées à soi font partie de l’équation. Selon les résultats, il est possible de croire que moins un travailleur se croit en mesure de maîtriser les compétences incluses dans la troisième combinaison des analyses de régressions du
1. AEPS 2. AEPA 3. AEU 4. AECS 5. AECA 6. AEGS 7. AEGA 8. AEE-TOT 9. BE_TOT 10. BE_HAR 11. BE_SER 12. BE_ENG 13. DET_TOT 14. DET_DES 15. DET_IRR 16. DET_ANX M ÉT
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– .34 ** .22 ** .51 ** .26 ** .19 * .33 ** .56 ** .29 * .33 ** .23 ** .23 ** .37 ** .25 ** .46 ** .33 ** 5,02 0,69
– .29 ** .44 ** .62 ** .28 ** .45 ** .70 ** .36 ** .45 ** .24 ** .30 ** .36 ** .29 ** .38 ** .34 ** 4,64 0,79
– .37 ** .31 ** .45 ** .44 ** .66 ** .49 ** .44 ** .47 ** .37 ** .35 ** .28 ** .36 ** .34 ** 4,13 0,91
– .47 ** .33 ** .46 ** .73 ** .36 ** .33 ** .34 ** .26 ** .36 ** .31 ** .40 ** .30 ** 4,95 0,77
– .27 ** .55 ** .73 ** .28 ** .39 ** .21 * .15 .14 .10 .19 * .12 4,34 0,86
– .45 ** .64 ** .40 ** .26 ** .46 ** .26 ** .36 ** .23 ** .37 ** .37 ** 4,33 0,90
– .78 ** .52 ** .49 ** .47 ** .39 ** .33 ** .28 ** .29 ** .32 ** 4,59 0,89
– .58 ** .57 ** .52 ** .42 ** .48 ** .37 ** .51v .45 ** 4,57 0,57
– .86 ** .93 ** .81 ** .62 ** .53 ** .55 ** .62 ** 3,91 0,57
– .71 ** .58 ** .49 ** .41 ** .49 ** .47 ** 4,20 0,58
– .64 ** .57 ** .43 ** .51 ** .61 ** 3,74 0,64
12
13
14
15
16
– .90** .90** .95** 1,62 0,48
– .75** .76** 1,51 0,54
– .79** 1,56 0,43
– 1,75 0,57
– .58 ** .62 ** .43 ** .53 3,85 0,75
AEPS : auto-efficacité à percevoir ses émotions ; AEPA : auto-efficacité à percevoir les émotions que les autres ressentent ; AEU : auto-efficacité à utiliser les émotions ; AECS : auto-efficacité à comprendre ses émotions ; AECA : auto-efficacité à comprendre les émotions que les autres ressentent ; AEGS : auto-efficacité à gérer ses émotions ; AEGA : auto-efficacité à gérer les émotions que les autres ressentent ; AEE_TOT : auto-efficacité émotionnelle totale ; BE_TOT : bien-être psychologique au travail total ; BE_HAR : bienêtre – harmonie au travail ; BE_SER bien-être – sérénité au travail ; BE_ENG : bien-être – engagement au travail ; DET_TOT : détresse psychologique au travail ; DET_DES : détresse – désengagement au travail ; DET_IRR : détresse – irritabilité au travail ; DET_ANX : détresse–anxiété au travail ; M : moyenne ; ÉT : écart-type. ** p < .01 ; * p < .05.
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Tableau 1 Statistiques descriptives et corrélations entre les variables (n = 149).
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Tableau 2 Analyses de régressions multiples descendantes pour le bien-être psychologique au travail. Variables entrées 1
Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité
à à à à à à à
Variables retirées percevoir ses émotions percevoir les émotions des autres utiliser les émotions comprendre ses émotions comprendre les émotions des autres gérer ses émotions gérer les émotions des autres
b .05 .19* .28** .05 .15 .10 .31 *
Auto-efficacité à comprendre ses émotions 2
Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité
à à à à à à
percevoir ses émotions percevoir les émotions des autres utiliser les émotions comprendre les émotions des autres gérer ses émotions gérer les émotions des autres
.07 .19* .30** .13 .11 .32 ** Auto-efficacité à percevoir ses émotions
3
Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité
à à à à à
.21* .30** .14 .11 .33 **
percevoir les émotions des autres utiliser les émotions comprendre les émotions des autres gérer ses émotions gérer les émotions des autres Auto-efficacité à gérer ses émotions
4
Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité
à à à à
.21* .33** .14 .36 **
percevoir les émotions des autres utiliser les émotions comprendre les émotions des autres gérer les émotions des autres Auto-efficacité à comprendre les émotions des autres
5
**
Auto-efficacité à percevoir les émotions des autres Auto-efficacité à utiliser les émotions Auto-efficacité à gérer les émotions des autres p < .01 ;
*
.15* .32** .32 **
p < .05.
Tableau 3, soit l’auto-efficacité à percevoir ses émotions et celles que les autres ressentent, l’autoefficacité à utiliser les émotions, l’auto-efficacité à comprendre les émotions que les autres ressentent et enfin, l’auto-efficacité à gérer ses propres émotions, plus ce même travailleur sera susceptible de souffrir de détresse psychologique au travail, c’est-à-dire qu’il sera davantage anxieux, désengagé et irritable avec les autres.
4. Discussion L’objectif de la présente étude consistait à décrire les relations entre les compétences de l’auto-efficacité émotionnelle et différentes dimensions de la santé psychologique. Plus précisément, l’étude souhaitait explorer les relations entre les compétences de l’auto-efficacité
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Tableau 3 Analyses de régressions multiples descendantes pour la détresse psychologique au travail. Variables entrées Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité
1
à à à à à à à
Variables retirées
b .12* .19** .09* .08 .16** .09* .05
percevoir ses émotions percevoir les émotions des autres utiliser les émotions comprendre ses émotions comprendre les émotions des autres gérer ses émotions gérer les émotions des autres Auto-efficacité à gérer les émotions des autres
2
Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité
à à à à à à
.13* .19** .10* .08 .14** .10*
percevoir ses émotions percevoir les émotions des autres utiliser les émotions comprendre ses émotions comprendre les émotions des autres gérer ses émotions Auto-efficacité à comprendre ses émotions
Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité Auto-efficacité
3
**
p < .01 ;
*
à à à à à
percevoir ses émotions percevoir les émotions des autres utiliser les émotions comprendre les émotions des autres gérer ses émotions
.16** .20** .11* .11* .11*
p < .05.
émotionnelle afin de déterminer lesquelles sont associées au bien-être psychologique et lesquelles sont associées à la détresse psychologique au travail. D’après les résultats obtenus, la première hypothèse concernant la relation significative et positive entre l’auto-efficacité émotionnelle et le bien-être psychologique au travail est confirmée. À l’avenir, nous pouvons nous attendre à ce que des individus ayant un fort sentiment d’efficacité personnelle à l’égard des compétences émotionnelles soient susceptibles d’éprouver un état de bien-être psychologique dans leur contexte professionnel. Cet état pourrait donc se traduire par un meilleur engagement dans leur activité salariée, de bonnes relations avec leurs collègues de travail et une condition personnelle de sérénité, confirmant les travaux de Gilbert et al. (2011). Fait à constater, les résultats confirmant la première hypothèse semblent davantage reliés à des compétences émotionnelles impliquant les émotions ressenties par les autres que par soi. Les résultats soutiennent également la deuxième hypothèse supposant une relation significative et négative entre l’AEE et la détresse psychologique au travail. Dans les organisations, les personnes ayant une forte croyance en leurs compétences émotionnelles sont moins susceptibles de souffrir de détresse psychologique au travail. Elles seraient donc moins enclines à se désengager de leur situation professionnelle, à développer de l’agressivité vis-à-vis de leurs collègues ou encore à développer un état dépressif ou anxiogène. En somme, lorsqu’un travailleur se croit en mesure d’identifier adéquatement ses émotions et celles des autres, de les utiliser, de comprendre les raisons derrière les émotions que les autres ressentent et de gérer ses émotions, il y aura moins de chances de vivre un état de détresse psychologique au travail. Les
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résultats de la présente étude soutiennent l’importance de compétence émotionnelle, autoefficacité à gérer ses émotions, telles que les résultats de Deschênes et al. (2014) le soulignent en lien avec l’épuisement professionnel. Ces résultats corroborent également avec les études identifiant des liens significatifs entre l’intelligence émotionnelle et l’épuisement professionnel qui consiste à une des principales manifestations de détresse psychologique (Chan, 2006 ; Ciarrochi et al., 2002 ; Mikolajczak et al., 2007 ; Moon & Hur, 2011 ; Pishghadam & Sahebjam, 2012 ; Weng et al., 2011). Sur le plan théorique, il est possible de croire que l’auto-efficacité émotionnelle constitue un facteur de prédiction de la santé psychologique au travail, notamment un garant du bien-être des travailleurs. La perspective positiviste de l’étude innove en vérifiant le rôle de l’auto-efficacité émotionnelle sur les deux dimensions distinctes mais complémentaires de la santé psychologique au travail. De plus, l’étude s’avère avoir des conclusions certes intéressantes pour le monde de la pratique. En ce sens, les organisations auraient avantage à considérer, voire à développer l’autoefficacité émotionnelle des travailleurs afin d’augmenter les probabilités de bien-être psychologique au travail et de ses conséquences positives (par exemple : diminution de l’absentéisme, diminution des coûts reliés à l’absentéisme et augmentation du rendement). Cependant, il est possible de constater que d’autres dimensions préexistent à cette relation. Tout d’abord, les individus ne sont pas égaux face aux émotions. En effet, si l’on peut encourager le développement des compétences associées, nous devons prendre en compte que des aptitudes individuelles permettent aux travailleurs d’appréhender plus ou moins bien leurs propres émotions et celles des autres dans un contexte organisationnel. De plus, les prochaines études pourraient prendre en compte que selon le secteur d’activités, la place des émotions peut être plus ou moins importante. À titre d’exemple, il est possible de croire, selon les études en la matière, que les professions de l’aide à la personne font face à des sollicitations émotionnelles parfois lourdes, nécessitant d’apprendre à les contrôler (Grosjean, 2001 ; Loriol, 2013 ; Maslach, 1993). Si les individus ne disposent pas des mêmes aptitudes quant aux développements de leurs compétences émotionnelles, l’étude doit également souligner que l’auto-efficacité émotionnelle n’est pas le seul facteur influant sur la santé psychologique au travail. En conséquence, bien que la présente étude propose des conclusions intéressantes, elle comporte toutefois des limites. D’abord, le devis corrélationnel et transversal ainsi que la passation simultanée des questionnaires autorapportés (Podsakoff, MacKenzie, Lee, & Podsakoff, 2003) restreignent les conclusions de l’étude. De plus, le nombre d’observations limite le nombre de variables à inclure dans les analyses de régressions. Conséquemment, les prochaines études devraient augmenter la taille de leur échantillon afin de pallier cette lacune. Au regard des commentaires précédents, il serait pertinent de vérifier l’effet d’un programme de formation sur l’auto-efficacité émotionnelle à l’instar de l’étude de Kirk, Schutte, et Hine (2011), et d’évaluer son impact sur la santé psychologique des travailleurs. 5. Conclusion Devant une surenchère de la non-santé au travail (Savoie et al., 2010), la présente étude innove en évaluant l’influence de l’auto-efficacité émotionnelle sur la détresse psychologique au travail mais aussi sur le bien-être psychologique au travail. Ce lien permet de faire de l’auto-efficacité émotionnelle des travailleurs l’un des garants de leur bonne santé au travail. Les résultats de la présente étude soutiennent certes l’importance de considérer l’acquisition des sept compétences émotionnelles définissant l’auto-efficacité émotionnelle afin de protéger les travailleurs de la détresse psychologique et mieux encore, optimiser leur bien-être. Considérant les résultats de
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l’étude de Leclerc, Boudrias, et Savoie (2014) qui précise qu’un travailleur éprouvant du bienêtre au travail sera davantage performant, les résultats de la présente étude prennent encore plus de sens pour un employeur. Enfin, force est de constater l’importance du rôle de la perception de ses compétences émotionnelles en milieu de travail et leur impact sur la santé psychologique des travailleurs. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références Achille, M. A. (2003). Définir la santé au travail. II. Un modèle multidimensionnel des indicateurs de la santé au travail. In R. Foucher, A. Savoie, & L. Brunet (Eds.), Concilier performance organisationnelle et santé psychologique au travail (pp. 91–109). Montréal, QC: Éditions Nouvelles. Bandura, A. (1977). Self-efficacy: Toward a unifying theory of behavioral change. Psychological Review, 84(2), 191–215. Bandura, A. (1997). Self-efficacy: The exercise of control. New York: WH Freeman and Company. Bandura, A. (2003). Auto-efficacité : le sentiment d’efficacité personnelle. Paris: Éditions De Boeck Université. Bertrand, R. (1986). L’analyse statistique des données. Québec: Presses de l’Université du Québec. Chan, D. W. (2006). Emotional intelligence and components of burnout among secondary school teachers in Hong Kong. Teaching and Teacher Education, 22, 1042–1054. Chanlat, J.-F. (2003). Émotions, organisation et management : une réflexion critique sur la notion d’intelligence émotionnelle. Travailler, 9, 113–132. Ciarrochi, J., Deane, F. P., & Anderson, S. (2002). Emotional intelligence moderates the relationship between stress and mental health. Personality and Individual Differences, 32, 197–209. Cottreaux, J. (2012). Psychologie positive et bien-être au travail. Issy-les-Moulineaux: Elsevier Masson. Dagenais-Desmarais, V., & Privé, C. (2010). Comment améliorer le bien-être psychologique au travail. Gestion, 35, 69–77. Deschênes, A.-A., Dusseault, M., & Frenet, C. (2011). Développement et validation de l’Échelle d’Auto-Efficacité Émotionnelle chez les gestionnaires. Psychologie du Travail et des Organisations, 17, 477–490. Deschênes, A.-A., Dussault, M., & Frenette, É. (2014). Auto-efficacité émotionnelle et épuisement professionnel de directions d’établissement d’enseignement. Revue Canadienne de l’éducation, 37(4), 1–22. Gabriel, P., & Liimatainen, M. (2000). Mental health in the workplace. Introduction: Executive summaries. Genève, Suisse: International Labour Office. Gauthier, J., & Larivée, S. (2007). L’intelligence émotionnelle : conceptualisation et évaluation. In S. Larivée (Ed.), L’intelligence. Tome I. Les approches biocognitives, développementales et contemporaines (pp. 359–395). Montréal: ERPI. Gendron, B. (2007). Des compétences au capital émotionnel et bien-être et mal-être au travail des enseignantes. Communication présentée au Symposium de l’Actualité de la Recherche en Éducation et en Formation. Émotions et compétences émotionnelles des personnels éducatifs et scolaires : quels impacts sur la pédagogie et le bien-être au travail ? Gilbert, M.-H., Dagenais-Desmarais, V., & Savoie, A. (2011). Validation d’une mesure de santé psychologique au travail. Revue Européenne de Psychologie Appliquée, 61, 195–203. Gilmour, H., & Patten, S. (2005). La dépression au travail. Perspective, Statistique Canada — no 75-001-XIF au catalogue, 20–33. Grosjean, M. (2001). La régulation interactionnelle des émotions dans le travail hospitalier. Revue Internationale de Psychosociologie, 16(3), 339–355. Institut national de recherche et de sécurité (INRS) (2009). In C. Trontin, M. Lassagne, S. Boini, & S. Rina (Eds.), Le coût du stress professionnel en France en 2007. Kelloway, E. K., & Day, A. L. (2005). Building healthy workplaces: What we know so far. Canadian Journal of Behavioural Science, 37(4), 223–235. Keyes, C. L. M. (2003). Complete mental health: An agenda for the 21st century. In C. L. M. Keyes & J. Haidt (Eds.), Flourishing: Positive psychology and the life well-lived (pp. 293–312). Washington, DC: American Psychological Association.
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