Le choix des mots en échographie prénatale

Le choix des mots en échographie prénatale

j PddiaarPu&icul~ure 1997; 10:466-9 © Elsevier, Paris MI~DECINE FCETALEET NI~ONATALE le choix des mots en echographie pr natale L Gourand D6partemen...

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j PddiaarPu&icul~ure 1997; 10:466-9 © Elsevier, Paris

MI~DECINE FCETALEET NI~ONATALE

le choix des mots en echographie pr natale L Gourand D6partement ~chographie, maternit6 Les Bluets, 9, rue des Bluets, 75011 Paris

Regu le 2S septembre 1997 ; accept4 le 21 octobre 1997

'~chographie pr6natale marque un tournant darts I'histoire de la grossesse, il y a bien ~videmment un avant et un apr~s la r~v~lation, le verdict, et tout ce que I'on va faire ou dire, ou d~cider de taire, 6 partir de ce verdict. II y a ce que I'on a dit, et ce que I'on aurait pu dire, ou ne pas dire, et ces mats ou ces silences qui vont rester, et que vont parfois entendre les p6diatres et les psychologues et les p6dopsychiatres, souvent des annaes plus tard, rapport~s par des m~res encore inqui6t~es : ~ depuis I'~chographie, j'ai toujours trouv~ qu'il avait une grosse t~te ,~ ou bien : ~ et pourtant aux ~chographies, on nous avait dit que tout ~tait normal ,~ ou encore : ~ on ne m'a rien expliqu~ ~. Admettre qu'il y a un choix des mats, et c'est se demander 6 q uel moment peut intervenir ce choix. C'est se demander qui d~cide, et au b~n~fice de qui. C'est peut-atre dans I'instant infime oh 1'6chographiste sent confus~ment qu'il devrait tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler que se place ce dilemme... Nous envisagerons surtout I'~chographie de routine, celle du d~pistage des malformations et des anomalies de croissance du foetus, celle oh i'inattendu risque le plus de faire irruption. Y a-t-il une probl6matique sp~cifique 6 l'~chographie ?

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Lorsqu'un pddiatre examine un enfant devant des parents inquiets, il travaille aussi en direct, mais au moins les parents peuvent-ils <~se faire une id& ~ devant un bdbd r&l. En &hographie, les parents sont ddmunis de cette fragile contrepartie. L'enfant imaginaire est loin des images foetales proposdes. Ce sont donc plus souvent des mots que des images qui seront confront& ~t l'imaginaire parental. De plus, la grossesse, qui met ~
C'est parfois dans une certaine ambiance de peur, source d'inqui&ude, major& parfois d'agressivitE r&iproque et d'impatience, que les choses peuvent se passer. La resistance s'exprime souvent avec une neutralitd affect&. On fait comme si ce n'&ait pas de diagnostic prenatal qu'il s'agit, et on dit : ,, on vient voir le bEbd ,,. Ainsi, au cours de l'examen se construisent parall~lement les dlEments du diagnostic et les Eldments de la relation. Ce sont ces derniers qui sont plus particuli& rement guettds. I1 n'est pas rare de voir une femme quitterun cabinet d'&hographie en se plaignant qu'on ne lui a ~ rien dit >~alors qu'elle a dans les mains un compte rendu tr~s bien fait. I1 y a donc d'une part le verdict : normal ou pas, et d'autre part, la fa~on de presenter les choses,

Centrer la discussion sur les difficult& de l'annonce d'tme anomalie reviendrait 5 poser le problSme h l'envers. Ce sont prdcis6ment les demarches diagnostiques, les possibles h&itations, qui pr&Sdent le verdict, qui posent d'abord le problSme des roots. De sorte que l'examen le plus simple en apparence pourra &re le point de ddpart d'une inqui&ude. Comme le dit plaisamment Michel SoulE : ,, Qu'est-ce qu'un dchographiste ? C'est quelqu'un qui dit ~ la dame : - ]e vous enprle, installez-vous, nous allonspigtiner ensemble votre bgbd imaginaire ..... D'un point de vue mEdico-lEgal, tout ce que l'dchographiste va dire (ou taire), d~s qu'il a posd sa sonde, sera retenu &entuellement conrre lui. Ddjh quand tout va bien, les causes de malentendu sonr ffdquentes. Par exemple le jargon &hographique utilise un vocabulaire de la ddsorientation : t~te en has, dos a gauche; sans parler des BIP, D A T e t autres dopplers croissance unpeu au-dessous ; on va refaire une coupe; c'est dam les limites de la normate ; la, je vais remonter sur le coeur : fa, c'est le fdmur, mais on ne voit pas bien la crosse. Quand il y a doute, c'est sfirement la situation la plus diffidle. Par exemple : parler de rnesures que l'on ne parvient pas ~t faire, d'une suspldon de pathologie, demander des contr61es, faire appel ~ des coll~gues. En fait, l'annonce d'une anomalie flagrante n'est finalement pas la situation la plus compliqu& (pour le mddecin). Mais, rant qu'on est dans le processus diagnostique, avant la conclusion, il n'y a pas de limite nette pour la femme entre ces trois registres : jargon, hesitation, anomalie. Tout malentendu peut &re per~u comme une atteinte ~tl'image de ,~t'enfant parfait ~>,et comporte un risque de ddsinvestissement brutal. En Echographie, la question &hique tourne probablernen~, en gdn&al, autour du contr61e du langage et, en particulier, autour de cet instant tr~s sp&ifique, sorte de ligne de partage des eaux, off l'on se dit qu'on va l~cher

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le mot qui va faire basculer toute l'histoire de la grossesse.

ce moment se produit une petite temp&e sous le crane de l'&hographiste oil se m~lent : le souci de bien faire : c'est faire ce qu'on attend de lui <>, celles que dEfinit l'&at actuel de la science, c'est-~-dire conforme aux exigences techniques et aux connaissances actuelles ; - l'excitation de la chasse, le scoop (vous avez dEjh vu un neuroblastome en dchographie ?) et la tentation de croire que l'on peut faire partager ce plaisir h la patiente (,, madame, si ca p e u t vous rdconforter, vous ~tes un cas ! ,,) ; - la rivalit4 voir mieux et plus vite que les autres, se faire une reputation, publier ; - la peur de passer ~t c6td, la peur du faux nEgatif h l'origine d'une plainte, d'otl la tentation d'ouvrir te parapluie ; une certaine perception de la contagion de son trouble intdrieur, porte ouverte au ddnEgations : . mais non, je n'ai pas voulu dire qu ~l &ait trop gros ! , ; enfin, une certaine forme d'identification. Toutes ces considerations sont thdoriquement raises au service de la patiente, mais la patiente pourrait aussi bien ne pas exister ; rile fait m~me plut6t Ecran. Alors, que lui dire ? Lorsque une femme enceinte s'installe sur une table d'dchographie, la chose qu'elle pense sfirement, et qu'elle demande souvent d'entrde de jeu, c'est : <~est-ce que tout est normal ? >>Quand on lui fait remarquer que l'&hographie ne peut pas <, tout ~, voir, elle rdpond : , dites-moi dEj~ s'il a une t&e, des bras, des jambes >~.Et puis apr~s une petite pause, elle ajoute : , et tout >>! Audelft de cette facilitE langagi~re, on croit comprendre qu'elle demande rdellement : tout. O n pourrait peut-&re formuler sa question ainsi : , avec votre dr61e de machine, pouvez-vous me dire si l'enfant que je porte est parfait, c'est-Gdire : qu'il a <>, qu'il est conforme ?t mon d&ir (dont je n'ai qu'une certaine id& consciente), et qu'il est digne de son mandat transgdn&ationnel (dont je n'ai qu'une certaine idde consdente) ? ~>. O n volt que Fdchographiste se trouve place 'dans la position de celui qui est suppose savoir, alors que kti, pendant ce temps, per~oit l'impossibilitd de rdpondre de mani~re satisfaisante, avec une machine et avec des poids et mesures, h une Evaluation du d&ir de l'autre. Au mieux F&hographie obst&ricale est juste un peu satisfaisante. Nous essayons de masquer nos lacunes par de belles presentations du profil, des mains, etc, pour ~>un peu nos images, Au pire, l'dchographie obst&ricale est le point de depart dlune chalne dqnqui&udes qui pose que tout -

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foetus est un malade en puissance, jusqu'~t preuve du contraire. La grossesse n'est pourtant pas une maladie, mais on la traite comme telle. Comment va-t-on dire les choses ? ~~C'est ce que Balint appelait la mission apostolique. <
Le premier concerne un antdcddent de pathologie foetale. Un &hographis~e revolt pour une dchographie m o p phologique une femme de 41 ans qui a accouchd de son premier enfant dans la maternitd 3 ans auparavant. Tout de suite, elle le met en garde : ,, ne me refaites pas le coup de la derni~re lois ! ,, La grossesse prdcddente avait dtd di~cile et le mddecin avait vu la patiente fi plusieurs reprises : induction de l'ovulation, m&rorragies, amniocent~.se pour ~ge maternel, etc. Ils avaient un bon contact. A l'&hographie de 7 mms et demi, il avait ddcouvert chez son gargon un hypospadias, mais il n'en avait rien dit ~l]a m~re lors de l'examen. Cependant, il n'&ait pas satisfait de son silence, pensant que si l'anomalie dtait visible en dchographie, die devait &re d'une certaine gravitd. I1 en avait parld fi des coll~gues et ils dtaient convenus qu'il valait peut-&re mieux informer cette primipare, qui se rdjouissalt d'attendre un gargon, pour la prdparer ~ la ddconvenue, puisqu'une intervention rdparatrice &ait pr&isible. La patiente &ant hospitalisde pour menace d'accouchement prdmaturd, le mddecin dtait donc alld lui annoncer ses trouvailles avec ,~mdnagement ~ et avait demandd ~i la pddiatre de la voir dgalement pour explique~ 1a prise en charge. Tout s'&ait passd en apparence simplement. Apr&s l'accouchement, la m&re avait convoqud l'dchographiste et lui avait dddard, entre col~re et amusement, qu'il l'avait malmende bien inutilement et qu'elle avait &latd de rire en voyant qu'il s'agissait en 468

r&litd de bien peu de choses. Son gargon a dtd op&d, il va tr&s bien. I1 reste pour cette femme le souvenir du tourment de sa fin de grossesse, dont elle parle beaucoup plus volontiers 3 ans apr~s. Quant ~i l'&hographiste, il a compris que son ddsir de transmettre l'information n'&ait pas tout 5 fair d&int&essd, et il ne saura jamais comment cette patiente aurait rdagi sans diagnostic pr& natal. Toujours est-il que pour cette nouvelle grossesse, elle a clairement demandd qu'il ne fasse pas de z~le. 2 ~ cas clinique

La deuxi~me observation rapporte une brachymdsophalangie ~ punctiforme >, (l'un des signes d'appel de la trisomie 21). Une primigeste de 32 ans vient consulter, affolde, pour un ~ deuxi~me avis ,~. Elle a dans les mains le r&ultat de son &hographie morphologique du 5 e tools, faite la veille par un dchographiste de rdputation indiscutable. L'examen est minutieux, d&ailld, tr~s complet, parfaitement prdsentd dans le texte et dans les images, et se termine par la conclusion suivante : ~ examen morphologique normal, toutefois il faut noter la bri~vetd de la deuxi~me phalange du 5e doigt, presque punctiforme ; la valeur de ce signe &ant tr~s difflcile ~idvaluer lorsqu'il est isold ~,. L'&entualitd d'une amniocent~se a dtd &oqu& verbalement, pour dire que cela ne paraissait pas indispensable. Mais ie compte rendu dcrit n'est pas explicite sur ce point. La patiente n'a pas dormi de la nuit et veut savoir si oui ou non il faut faire une amniocent~se. En dehors de la nuque dpaisse (qui, ~ielle settle, a une valeur d'alerte bien &ablie), une bonne quinzaine de ~ d,appel &hographiques ont dtd ddcrits pour la trisomie 21, dont la brachym&ophalangie, mais il est gdn&alement admis qu'aucun de ces signes n'est sp&iflque, et que seule l'association de petits signes peut &re indicative et faire pratiquer un caryotype. Donc, en thdorie, il fallait refuser de faire une amniocent~se (le risque de fausse couche lid h la ponction n'&ant pas ndgligeable). En pratique, il est extr~mement difficile d'infirmer la notion de risque lorsque le point d'appel est authentique et que sa signification a dtd dvoqu&. Apr~s avoir dtd longuement argument&, la demande de la patiente a dtd acceptde et on a pratiqud une amniocent~se. Le caryotype &air normal. I1 est vrai que des progr~s diagnostiques importants ont dtd fairs ces derni~res: anndes grace ~ une attention plus grande port& ~ide ~,petits signes ~ qui sont parfois la dd du ddpistage d'anomalies complexes et finalement d'une meilleure analyse dela fcetopathologie. Mais ces progr~s s'accompagnent in&itablement d'une inflation JOURNAL DE PEDIATRIE ET DE PUERICULTURE n ° 8 - 1997

momentande d'examens complEmentaires (exemple : la phase des femurs courts), multipliant des inquiEtudes un peu forc&s jusqu'~ ce que la valeur relative des signes soit &ablie.

conclusion I1 semble que les interrogations sur [es aspects psychologiques de l'dchographie prEnatale sont trop souvent focalisdes sur les difficult& liEes ~i l'annonce de la malformation. Parfois ces ddbats sont d'autant plus vifs que la malformation rencontr& est plus rare et que l'on est confrontal aux limites de l'dvaluation pronostique et de la prise en charge. }i l'inverse, ces ddbats peuvent &re minimisds par la banalitd de l'anomalie, et le risque serait alors d'oublier que la pariente, elle, est toujours confrontEe 5-une situation exceptionnelle. Peut-on imaginer qu'il n'y ait plus aucun probl&me de langage et de comportement ~tpartir du moment oh , tout paralt normal ~ ? Non, sans doute, car les psychologues (tdmoins dans l'apr&s-coup des paroles malheureuses) et les patientes nous ont appris 5_ne pas sousestimer l'importance des aspects dmotionnels du diagnostic prdnatal m~me quand ,, tout est normal ,,. Les machines ou les techniques k verifier l'adEquation entre le dEsiret la rdalitd ne sont pas encore ndes. La rdponse aux angoisses suscitdes par la grossesse er l'accouchement ne peut pas &re seulement technique. La rdponse ~ une demande affective, ambivalente, de rencontre avec le bEbd ne peut pas &re uniquement une dnum&ation de considerations biomdtriques. Le contr61e de la parole en Echographie prdnatale ne peut passe rdsumer fi une prudence vis-fi-vis de <
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malheureuses ,), ni 5- une gestion au moins real de <
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