~ -,,
I
~
~
~
~
A
I
h
~
~
~
A
~
W
~
~
L
v
A
W
~
Christian Régnier
Le cœur et le tabac (1)
La grande découverte Rarement une coutume étrangère et une plante exotique ne furent adoptées avec autant d'enthousiasme sur tous les continents. es populations indiennes d'Amérique faisaient un large usage du tabac qu'elles fumaient à des fins magiques, curatives, mystiques ou religieuses. Au Mexique, les Aztèques considéraient le tabac comme I'incarnation de la déesse Cihuacoatl, qui mit au monde des jumeaux ;la plante symbolisait donc la fécondité et entrait dans la composition de remèdes contre les rhumatismes, les rhumes, les fièvres, les douleurs d'estomac, le mal de tête, la fatigue et les morsures de serpent. Christophe Colomb (1450-1506) mentionna pour la première fois I'existence du tabac dans son journal de bord, le 15 octobre 1492. Un mois plus tard, il notait à nouveau : K les deux chrétiens rencontrèrent en chemin beaucoup de gens qui se rendaient à leurs villages, femmes et hommes, avec à la main u n tison d'herbes pour prendre leurs fumigations ainsi qu'ils en ont coutume m. La scène se déroulait à Cuba et les deux chrétiens cités par le navigateur étaient Luiz de Torres et Rodrigo de Jerez, membres de la première expédition, qui avaient pris l'habitude de fumer des rouleaux de feuilles de tabac séchées. Les Espagnols appelèrent « tabacos » ces morceaux de roseaux creux et percés que les Indiens de Saint-Domingue employaient pour fumer le tabac, les épices et d'autres plantes échauffantes . Dans son Historia de las lndias (1552), Bartolomé de Las Casas (1474-1566) ajoutait : « J'ai connu des Espagnols [...] q u i s'étaient accoutumés à en
L
46
AMC pratique
no 143 novembre 2005
prendre [des cigares] et qui, après que j e les a i réprimandés, leur disant que c'était un vice, me répondaient qu'il n'était pas en leur pouvoir'de cesser d'en prendre. Je ne sais quelle saveur o u quel goût ils y trouvent ». Cette relation est la première qui signale très nettement une dépendance au tabac. Devenu grand fumeur, Rodrigo de Jerez, le compagnon de Colomb, rapporta en 1498 à Séville des caisses de tabac, ce qui lui valut d'être emprisonné pendant sept ans par I'lnquisition pour sorcellerie. L'historien Fernand Braudel (19021985) détailla la progression mondiale du ta bac dans Civilisation matérielle, Économie, Capitalisme, XVP-XVIIP siècle (1979) : « La plante, cultivée en Espagne dès 1558, se diffusa vite en France, en Angleterre (vers 15651, en Italie, dans les Balkans, en Russie. Elle était, en 1575, aux Philippines, arrivée avec le galion de Manille »; en 1588 en Virginie o ù sa culture ne prit son premier essor qu'à partir de 1612; à Macao, dès 1600 ;à Java, en 1601 ; dans I'lnde e t à Ceylan, vers 16051610. » En France, Jean Nicot de Villemain (1530-1600), ambassadeur de François II auprès de Sébastien, roi du Portugal, présenta en 1561à Catherinede Médicis (1519-1589) cette plante que les Espagnols cultivaient dans toute la péninsule ibérique. Nicot avait proposé du tabac à la reine pour soulager ses migraines (avec succès) ;aussitôt, ce nouveau remède prit le nom d'a herbe à la reine », d'« herbe à
FIGURE Mulastre qui fume d'après une aquarelle du père Plumier (1688). A ~ h i v e de s France.
Nicot D, d'« herbe catherinaire » ou de « nicotiane ».
Mais à chaque découverte, sa querelle d'antériorité. Dès 1556 (5 ans avant Nicot), le chanoine franciscain André Thevet (1503-1592), membre d'une expédition française au Brésil cultivait à Angoulême des plants de Nicotiana tabacum. II écrivait en 1571 dans sa Cosmographie universelle : « Je puis me vanter d'avoir été le premier en France qui a apporté la graine de cette plante et pareillement semée, e t nommée la dite plante l'herbe angoumoisine. Depuis, un quidam, qui ne fitjamais le voyage, quelque dix ans que j e fus de retour de ce pays, l u i donna son nom. » En vain, I'explorateur proposa les noms de a thevetia » ou de « panacée antarctique ». Nicot avait su développer ses cultures de tabac et la présentation qu'il en avait faite à la reine de France constituèrent pour lui une excellente publicité suffisante pour oublier les recherches antérieures accomplies par Thevet. La nicotine triompha de la thévétine. .. Le tabac connut alors deux siècles de succès thérapeutiques.
~
A