CLINIQUE THÉMATIQUE À TAPER PARASITOLOGIE
Le Demodex : un ectoparasite fréquent, mais pas souvent pathogène Patrice Bouréea,*, Sara Laurent-Rouselb
1. Cas clinique
Figure 1 – Coupe de Demodex (col. HES).
Une patiente de 43 ans consulte pour des lésions érythémateuses mal systématisées avec quelques papules au niveau des joues. Ces lésions persistent depuis environ trois mois, malgré les différents traitements locaux prescrits par les dermatologues. Elle n’utilise qu’un minimum de maquillage et toujours avec des produits « de bonne marque », les produits bas de gamme contenant plus de graisse que de produits de maquillage, selon la patiente. Par ailleurs, elle ne possède aucun animal familier à domicile. Le bilan biologique est normal. Pour essayer de préciser le diagnostic, une biopsie cutanée est effectuée qui met en évidence, au niveau de l’épiderme, une coupe de parasite, identifiée comme étant un Demodex (figure 1, coloration HES). Ce parasite n’a pas provoqué de réaction inflammatoire. Ce parasite est-il responsable de la pathologie constatée chez ce patient ? La réponse doit être nuancée. En effet, si ces ectoparasites peuvent être responsables d’une certaine pathogénicité quand ils sont en grand nombre, l’absence de réaction inflammatoire dans le cas de cette patiente leur donne plutôt un rôle de commensal.
Figure 2 – Demodex adulte.
2. Un acarien cutané Le Demodex est un ectoparasite vermiforme, mesurant 400 x 40 microns avec 4 paires de pattes et un abdomen strié, bien visible au microscope optique (figure 2), l’aspect étant plus impressionnant en microscopie à balayage (figure 3). Ce parasite, de la classe des arachnides (ordre des acariens), est cosmopolite et parasite la peau, mais la plupart du temps, il reste asymptomatique et de découverte fortuite lors d’une biopsie cutanée. Il en existe 65 espèces, mais seulement deux sont parasites de l’homme : Demodex folliculorum le plus fréquent, dans les follicules pileux au niveau de la face et Demodex brevis, légèrement plus petit, dans les glandes sébacées, au niveau du thorax. Le cycle de reproduction de ces parasites s’effectue au niveau de la peau. Les acariens sont situés dans des pores
Figure 3 – Demodex (en microscope à balayage).
Laboratoire de parasitologie Laboratoire d’anatomo-pathologie Groupe hospitalier universitaire Paris-Centre – Hôpital Cochin 27, rue du Faubourg Saint-Jacques 75679 Paris cedex 14 a
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* Correspondance
[email protected] article reçu le 2 novembre, accepté le 1er décembre 2014 © 2015 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2015 - N°475 //
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CLINIQUE
cutanés et se nourrissent de sébum et de cellules épithéliales. La femelle pond quotidiennement une vingtaine d’œufs mesurant 70x45 microns, ces œufs ayant une morphologie très originale (figure 4). Au bout de sept jours, (Anofel - CHU Angers). l’œuf éclôt dans la « galerie » cutanée où il a été pondu et donne Tableau I – Différentes espèces naissance à une larve de Demodex parasitant l’homme hexapode qui remonte et les animaux domestiques. à la surface et va subir Animal Espèce hôte plusieurs mues. Au seizième jour, elle devient Demodex folliculorum, D. brevis Homme une nymphe octopode Demodex canis Chien Demodex bovis Bœuf qui va encore muer pour Demodex equi Cheval aboutir au stade adulte. Demodex caprae Chèvre Après l’accouplement, Demodex cati Chat la femelle fécondée s’enfonce dans la peau par un pore cutané en creusant un sillon et le cycle recommence. Ces acariens vivent environ trois mois au stade adulte. Ils apprécient une température de 16 °C à 20 °C et sont détruits à 0 °C et à 54 °C [1]. Les Demodex sont retrouvés chez pratiquement tous les mammifères domestiques ou non. Malgré une similitude morphologique, ils ont une spécificité d’espèce (tableau I). Figure 4 – Œuf de Demodex.
3. Une pathogénicité discutée Demodex canis est retrouvé fréquemment en petit nombre chez le chien sain, mais s’il prolifère, il provoque la gale démodécique, avec une dépilation en lunettes. Il s’agit d’une affection parfois grave chez le jeune chien (de moins de 1 an), à tel point qu’en raison d’un caractère génétique probable, il est déconseillé de faire reproduire des chiens atteints de démodécie généralisée. La gale démodécique du renard est classiquement mortelle. Chez l’homme, Demodex folliculorum est assez fréquemment retrouvé chez les sujets sains, à tous les âges de la vie, sauf chez le nouveau-né. Il est considéré comme saprophyte des follicules pileux des glandes sébacées de la face et des comédons de l’aile du nez, du menton des lèvres et des joues. Ce parasite, étant lipophile, apprécie particulièrement la peau des personnes se maquillant avec diverses crèmes. Les follicules pileux peuvent contenir jusqu’à 200 Demodex par follicule [1] (figure 5). La pathogénicité de ces acariens est discutée. En effet, dans de nombreux cas, ils ne provoquent aucune réaction inflammatoire. Cependant, quand ils sont en grand nombre et sur un terrain déjà pathologique (sujets immunodéprimés [3], sous chimiothérapie, diabétiques et tout particulièrement les femmes enceintes diabétiques [4] et les patients dialysés), ils pourraient être responsables de dermatoses du visage (rosacée, folliculite pustuleuse, blépharite)
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Figure 5 – Nombreux Demodex dans un follicule pileux .
(Anofel - CHU Rennes).
Une étude chez des sujets atteints de cancer a retrouvé des Demodex chez 47 % des patients atteints de cancer du sein, 29 % de cancer du poumon, 18 % de cancers digestifs et 16 % de cancers uro-génitaux, cette prédominance en cas de cancer du sein n’étant pas expliquée [5]. Les Demodex sont plus fréquents chez l’enfant malnutri ou atteint de cancer [6], mais ils ne jouent aucun rôle dans l’acné vulgaire.
4. Blépharite et rosacée Les deux affections cutanées où le Demodex est susceptible d’être incriminé sont la blépharite et la rosacée [7]. Cet acarien est un hôte habituel des paupières. Il peut rester asymptomatique ou provoquer du prurit et la formation de papules au bord libre de la paupière, avec parfois une chute des cils (figure 6). Les Demodex ont été retrouvés dans 5 % à 30 % des blépharites. Leur rôle est complexe : blocage des follicules et des orifices des glandes sébacées, portage de bactéries, réaction inflammatoire et hyperkératose réactionnelle [8], sécrétion de lipase hydrolysant les triglycérides du sébum en acides gras irritants pour la peau [9]. Demodex folliculorum serait plus impliqué dans les blépharites antérieures avec chute des cils alors que D. brevis provoquerait plus souvent une blépharite postérieure en
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Figure 6 – Blépharite.
PARASITOLOGIE
perturbant les glandes de Meibomius avec un risque de kérato-conjonctivite [10]. Des Demodex brevis ont été retrouvés en grand nombre dans les chalazions [11]. Une étude effectuée chez 290 personnes n’a pas montré de différence d’infestation selon le sexe, ni selon la présence de blépharite, mais a constaté que le port de lunettes était un facteur favorisant, probablement par frottement continu des montures sur les sourcils [12]. La rosacée est une dermatose faciale bénigne très courante du sujet de la cinquantaine, associant un érythème télangiectasique des joues, du nez et du front et des bouffées vaso-motrices avec des papulo-pustules [13]. À défaut d’affirmer le rôle pathogène des parasites, il est intéressant de remarquer que la prévalence des Demodex est plus importante chez les patients atteints de rosacée et tout particulièrement chez les patients infectés par le VIH [14] que chez les sujets sains. Le rôle de l’immunodépression induite par la chimiothérapie favorisant la prolifération des Demodex a été bien démontré chez une patiente de 45 ans qui se plaignait de rosacée. Un prélèvement cutané a retrouvé environ 20 Demodex/cm2 avant tout traitement et 50/cm2 après la première cure de chimiothérapie [15]. Par ailleurs, des infiltrats lymphocytaires et des anticorps anti-Demodex ont été retrouvés chez des patients atteints de rosacée.
5. Diagnostic anatomo-pathologique Le diagnostic est basé sur la mise en évidence du parasite par un grattage au niveau des lésions ou par une technique d’adhérence à l’aide de colle type cyanocrylate, ou
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encore en arrachant quelques cils. Trois ou quatre cils sont prélevés, déposés dans une goutte de chloral et observés au microscope (objx10). Cela permet de les identifier et de les compter. La même technique est appliquée avec les squames récupérées par grattage sur la peau. Parfois, pour préciser la nature d’une lésion atypique rosacée ou papulo-pustuleuse, les dermatologues pratiquent une biopsie qui permet de visualiser la réaction inflammatoire et de déceler un parasite. La PCR permet de mieux préciser le niveau d’infestation [16]. La pathogénicité éventuelle peut être discutée à partir de deux Demodex par cil. Le traitement des Demodex n’est justifié que s’ils sont en grand nombre avec des réactions inflammatoires et dans un contexte pathologique de rosacée ou de blépharite. Outre un lavage quotidien avec du savon de Marseille, le métronidazole en gel peut être appliqué localement deux fois par jour pendant plusieurs semaines et il faut éviter les crèmes grasses ainsi que les corticoïdes locaux [17]. La blépharite se traitait par application d’une pommade ophtalmique à l’oxyde de mercure à 1 %, mais depuis la suppression de ce produit, des massages hebdomadaires avec de l’huile d’arbre à thé à 50 % et une application quotidienne de solution de l’arbre à thé à 5 % pendant un mois, donnent de bons résultats [18]. En cas de récidive, des traitements par voie générale (métronidazole, ivermectine [19, 20], cyclines) peuvent être associés aux traitements locaux. Ainsi, la découverte de Demodex dans un prélèvement cutané doit être interprétée en fonction des réactions locales et du contexte clinique. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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