formation |éthique
Révision de la loi de bioéthique
Le don d’ovocytes, ici et ailleurs Le don d’ovocytes est très réglementé en France. Du fait de la pénurie de donneuses, le temps d’attente des couples demandeurs est très important. Certains optent pour d’autres pays de la Communauté européenne, en raison de politiques plus libérales pour bénéficier du don d’ovocytes, dont la sécurité sociale prend en charge une partie des coûts.
L
e don d’ovocytes est pratiqué en France depuis 1987 et légalisé depuis juillet 1994, encadré par la loi de bioéthique. Il est réalisé par des praticiens agréés, dans des centres autorisés, soumis à trois grands principes : le don est volontaire, anonyme et gratuit.
En France, une situation difficile L’Agence de biomédecine (ABM), mise en place en 2005, a rapidement été alertée par les professionnels sur les difficultés du don d’ovocytes en France et a mené une enquête en 2006 (portant sur l’année 2005), qui a permis de mettre en évidence un besoin important des couples. À l’époque, 25 centres étaient autorisés, 1 000 couples étaient en attente et 500 à 600 nouvelles demandes étaient comptabilisées par an, conduisant à une attente moyenne de 24 mois (9-60 mois) pour les demandeurs. Le dernier bilan établi par l’ABM, d’après les rapports annuels d’activité des 22 centres actifs en don d’ovocytes en 2007, montre que 247 donneuses ont été ponctionnées pour réaliser 632 transferts embryonnaires ayant donné naissance à 136 enfants. Le taux de grossesse est de 33 % par FIV ou ICSI et de 19 % par transfert d’embryon congelé, sachant que 1,6 embryon est transféré en moyenne par acte, deux receveuses traitées par ponction de donneuse et 4 à 5 ovocytes attribués par receveuse. Les résultats sont donc honorables. Mais l’offre est insuffisante par défaut de recrutement des donneuses, des longs délais d’attente et un découragement des équipes.
Ailleurs, des conditions législatives hétérogènes Dans d’autres pays où la législation est différente et le recrutement des donneuses plus aisé, les couples français infertiles peuvent être accueillis sans délai pour y bénéficier d’un don d’ovocytes, y compris au-delà de 40 ans. Ceci concourt au développement de ce que l’on appelle désormais le tourisme procréatif.
La loi française jugée trop restrictive est-elle en cause ? En France, l’activité d’assistance médicale à la procréation (AMP) est très encadrée. L’AMP est considérée comme une
8
activité de soins, inscrite dans une politique de santé générale, qui vise à garantir l’accès à tous et est prise en charge par l’assurance maladie. Les couples peuvent bénéficier d’une AMP, sans condition de ressources. La loi française vise à protéger les donneurs. Ses grands principes sont le respect de la dignité humaine, de l’intégrité et de la non-patrimonialité du corps humain. Elle exclut toute forme de rétribution, par crainte de la “marchandisation” du corps humain, de renforcer les inégalités sociales et d’exploiter les plus vulnérables. L’assurance maladie prend en charge les frais occasionnés par le don ; le remboursement se fait sur justificatifs (défraiement). La loi protège aussi les donneuses au plan psychologique, par des entretiens préalables au don, qui ont pour objectif de déceler d’éventuelles pressions exercées par l’entourage. Une information vis-à-vis des risques doit être délivrée et le législateur a souhaité que l’ABM mette en place un système de suivi de la santé des donneuses (en France, l’accès aux soins est universel). L’exigence de procréation antérieure (les donneuses doivent avoir eu au moins un enfant), fustigée par beaucoup car contribuant à augmenter l’âge moyen des donneuses, obéit à un objectif de protection, et prend en compte le risque d’une infertilité à distance. Enfin, s’appliquent les règles de déontologie médicale (qui dépassent largement le don d’ovocytes), avec une interdiction de publicité individuelle, de démarchage, de racolage et des autorisations spécifiques pour l’activité de don d’ovocytes, soumise à évaluation. L’exercice est prévu par la loi dans un cadre strictement non lucratif.
Dans un cadre juridique européen Le cadre juridique français s’inscrit dans un cadre européen, avec application des principes de libre circulation et de coopération au sein de l’Union européenne (UE). La carte européenne d’assurance maladie donne accès aux soins, sans débourser s’il s’agit d’un établissement public ou en avançant les frais et en étant remboursés s’il s’agit d’un établissement privé. Le recours à des soins programmés à l’étranger est possible et considéré comme justifié si le délai d’attente est trop long en France. Dans ce cas, s’applique le principe du remboursement selon la réglementation applicable en France (Caisse nationale d’assurance maladie – Cnam). Prochainement est prévue une évolution du cadre communautaire sur les droits des patients, fixant véritablement le principe de libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne pour bénéficier des soins de santé ; c’est l’ouverture des frontières, sans avoir à démontrer qu’il y a de longs délais d’attente.
OptionBio | Lundi 22 février 2010 | n° 431
éthique
| formation
Le tourisme procréatif
La prise en charge des donneuses
Peu de données sont disponibles, mais les exemples abondent en matière de tourisme procréatif. Concernant l’AMP avec don d’ovocytes, les couples français se déplacent beaucoup vers l’Espagne, qui développe l’activité de façon importante, ainsi que vers la Grèce, la république Tchèque, Chypre ou la Crète. Les donneuses voyagent également : certaines Françaises vont en Espagne, et un réseau entre Israël et la Roumanie (médecins et patients israéliens, donneuses roumaines, clinique à Bucarest) a récemment été démantelé. Les données fournies par la Cnam sont les suivantes : une demande d’entente préalable est nécessaire pour le remboursement des soins à l’étranger et, pour le don d’ovocytes, trois conditions doivent être réunies : âge de la femme inférieur à 43 ans, rang de la tentative supérieure ou égale à 4, certificat médical attestant du délai d’attente trop important en France et indiquant la destination. Un formulaire E112 est délivré permettant de ne pas débourser (public) ou d’avancer les frais puis d’être remboursé (privé). En 2008, la Cnam a reçu 386 demandes, et en a accepté 274. Au 31 mai 2009, 256 demandes avaient été déposées. Les destinations sont à 71 % l’Espagne, 14 % la Belgique, 7 % la Grèce et 5 %, la république Tchèque. Le coût d’une AMP avec don d’ovocytes à l’étranger varie de 3 000 à 12 000 € ; l’assurance maladie prend en charge le traitement de la donneuse et de la receveuse. Enfin, l’aspect financier du recrutement des donneuses ne doit pas être négligé. Aux États-Unis par exemple, il existe une véritable rémunération des donneuses et de nombreux “catalogues” sont disponibles ; sur Internet, la beauté, la blondeur (!) ou l’intelligence des donneuses sont mises en valeur et... monnayées.
L’un des problèmes les plus préoccupants est la prise en charge médicale des donneuses, en raison notamment de la répétition potentielle des dons et de l’absence de registres nationaux permettant de les repérer. Les risques de la stimulation ovarienne sont connus, cela d’autant que la “compensation” est corrélée au nombre d’ovocytes prélevés (ce qui incite à stimuler fortement les donneuses). De plus, il n’existe aucune garantie que soient prises en compte les contre-indications à la ponction (par exemple les facteurs de thrombophilie). La prise en charge d’éventuelles complications du don est un problème, surtout dans les pays où l’accès aux soins n’est pas garanti : une étude a récemment estimé à environ 1 % ces complications (hémopéritoines, torsions d’ovaires, hyperstimulations ovariennes). D’ailleurs, les médecins français prescrivent les médicaments en vue de la stimulation des donneuses mais n’ont aucune garantie sur leur bonne prescription. Quid de l’information des donneuses et de l’obtention de leur consentement ? Au plan déontologique, nous ne pouvons qu’avoir des réserves lorsque nous assistons à une promotion agressive de certaines cliniques privées étrangères en France. Certes, il s’agit d’un système lucratif.
L’envers du décor également pour les receveuses Il existe inévitablement une inégalité de l’accès aux soins car, même si l’assurance maladie prend en charge une partie des frais, il ne s’agit pas de la totalité et il faut souvent avancer. Quant à la qualité et à la sécurité des pratiques dans certains pays, elles ne sont pas garanties. Il n’y a pas de recours possible en cas de complication, car rien n’est en place.
Perspectives Une réflexion internationale est nécessaire. Elle a d’ores et déjà été initiée (ESHRE, conférence d’Ottawa, déclaration d’Istanbul en 2008), l’objectif étant de lutter contre l’exploitation des femmes. En France, il faut développer l’activité à hauteur des besoins, informer les gynécologues qui sont les premiers relais pour les patients infertiles et faire connaître le don d’ovocytes à la population générale. Il faut aussi améliorer le financement des activités, donner les moyens aux centres d’AMP, et valoriser la démarche des donneuses, notamment en assurant une neutralité financière pour leur don, comme cela est prévu par la loi. |
© Fotolia.com/Cooper
ESTHER SACOUN Journaliste scientifique, Paris Source Communications de F. Merlet, J. Bellaïsch-Allart, lors des 37es Journées de gynécologie et fertilité, novembre 2009.
OptionBio | Lundi 22 février 2010 | n° 431
9