Journal de Chirurgie (2009) 146, 431—432
VIE PROFESSIONNELLE
Le malaise récurrent des chirurgiens viscéraux n’est pas une fatalité The recurrent malaise of general surgeons is neither fatal nor foreordained P. Breil a,∗, H. Johanet b, P. de Mestier c a
Clinique Turin, 9, rue de Turin, 75008 Paris, France Service de chirurgie générale et digestive, hôpital Bichat, 75018 Paris, France c Unité de chirurgie viscérale, clinique Saint-Jean-de-Dieu, 75007 Paris, France b
Disponible sur Internet le 16 septembre 2009
Depuis plus de 20 ans, les chirurgiens viscéraux, hospitaliers comme libéraux, sont accablés : contraintes administratives croissantes, judiciarisation, tarifs bloqués, compétences mises en doute, démographie en berne. Sait-on, par exemple, que le premier interne à choisir un poste chirurgical était 700e à l’examen national classant en 2008 et que, selon l’Ordre des médecins, le taux des chirurgiens viscéraux est passé de 10,4 % en 1984 à 3,9 % en 2007 par rapport à l’ensemble des médecins ? Chaque année génère ses motifs de découragement ; les raisons récentes étant, par exemple, les « dysfonctionnements » à l’hôpital avec l’omnipotence de l’administration, le scandale des « compléments d’honoraires » et actuellement la loi Bachelot. Les chirurgiens viscéraux envient régulièrement leurs collègues d’autres spécialités, en particulier chirurgicales, qui ont su rendre leur gouvernance plus efficace et se plaignent d’être laissés pour compte dans un monde médical montré du doigt pour des dépenses de santé inévitablement croissantes. Pourtant, pendant la même période, les progrès accomplis ont été majeurs pour les patients : le chirurgien digestif guérit de plus en plus de cancers, l’apport de la chirurgie laparoscopique, développée en France, est désormais adoptée dans le monde entier, permettant de réduire les douleurs postopératoires, la durée d’iléus et les séquelles pariétales. Les équipes de chirurgie hépatique et de transplantations sont parmi les plus réputées ; nos services accueillent des chirurgiens étrangers qui deviendront leaders dans leurs pays. La mortalité postopératoire est en baisse et il en est de même du taux d’infection périopératoire. La spécialité, avec deux « conseil national des universités » (CNU), est une des plus puissantes sur le plan universitaire. Même si nous avons laissé échapper les gestes endoluminaux et si certains laissent filer la proctologie, c’est la spécialité chirurgicale la plus variée en gestes et en organes, à tel point qu’on a du mal à en fixer les limites avec la chirurgie gynécologique ou la chirurgie endocrinienne, par exemple.
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (P. Breil).
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432 D’où vient donc cette sinistrose ambiante et récurrente pour une spécialité reconnue parmi les plus prestigieuses reconnu parmi les plus prestigieux de notre société ? Nous avons longtemps pensé que cela suffirait. Il n’en est rien ; dans un monde de communication, nous n’avons mal défendu notre métier, chacun étant occupé à construire sa carrière, défendre son service, réussir son installation. On n’accusera personne, puisque personne n’était en charge. Pourtant « pendant les travaux, la vente continue » et les tutelles prennent des décisions nous concernant, bien en peine de recueillir nos avis, pour peu qu’elles le sollicitent, car là où il en faudrait un, nous en avons plusieurs et souvent divergents. La création de la Fédération de chirurgie viscérale et digestive, initiée à l’occasion de l’accréditation et de l’évaluation des pratiques professionnelles, est une initiative de quelques-uns tout à fait anachronique pour des chirurgiens viscéraux qui, par nécessité ou par passion, ne sont heureux pour beaucoup que dans un bloc ou en consultation. Elle est pourtant pour les chirurgiens vis-
P. Breil et al. céraux l’occasion d’agir dans leur environnement plutôt que de subir inéluctablement les décisions des uns et des autres. Réunissant toutes les composantes et tous les statuts de la spécialité, c’est l’opportunité pour les chirurgiens viscéraux de fixer eux-mêmes les règles d’une bonne pratique scientifique et professionnelle car ce sont eux les professionnels ; les tutelles n’attendaient que ¸ ca. Angélisme, dira-t-on ! Non, début d’un processus de responsabilité comme l’a entrepris, avant nous et depuis longtemps, la quasi-totalité des spécialités médicales, dont certaines sont maintenant bien positionnées, attirent les jeunes et exercent autrement plus sereinement que nous. Ne nous laissons pas aller à un fatalisme de mauvais aloi. Il y a urgence de faire bloc pour rappeler que nous exerc ¸ons une profession à haute responsabilité, demandant un investissement personnel considérable, et que nous sommes irremplac ¸ables. C’est indispensable pour attirer les jeunes chirurgiens et les faire accéder au métier de grande respectabilité qui est le nôtre.