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Éditorial
Presse Med. 2006; 35: 1205-6 © 2006. Elsevier Masson SAS Tous droits réservés
Le “retour” des teignes interhumaines ne justifie pas obligatoirement une éviction scolaire Thierry Le Guyadec Service de dermatologie, Hôpital d’instruction des Armées Percy, Clamart (92)
Correspondance : Thierry Le Guyadec, Service de dermatologie, Hôpital d’instruction des Armées Percy, 101 avenue Henri Barbusse, 92141 Clamart Cedex. Tél. : 01 41 46 60 00 Fax : 01 41 46 64 52
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ans les années 1910, en France, la plupart des teignes étaient anthropophiles (à transmission interhumaine), dues à Microsporum audouinii, Trichophyton tonsurans et Trichophyton schoenleinii, alors que Microsporum canis, transmis par les animaux surtout par le chien à cette époque, était très rare [1]. Ce problème de santé publique motivait même l’ouverture d’écoles spéciales, comme celle de l’hôpital Saint-Louis, qui n’a fermé ses portes que dans les années 1960, avec l’amélioration du niveau de vie, puis l’apparition de la griséofulvine. Ainsi, entre les années 1950 et 1980, les teignes anthropophiles allaient peu à peu disparaître, au profit des teignes zoophiles, en particulier Microsporum canis, qui représentait vers 1970 près de 80 % des souches isolées. Cette suprématie de Microsporum canis correspondait à l’augmentation du nombre d’animaux de compagnie: chien, chat, lapin, etc. Mais à partir des années 1980, le rapport s’est à nouveau inversé dans les grandes villes, comme le montrent différentes études en région parisienne et bordelaise [2, 3]. Dans les années 1980, à Paris, les teignes zoophiles ne représentaient plus que 37 % des cas. Depuis, cette prédominance de teignes anthropophiles ne fit que s’accentuer.
Épidémiologie actuelle des teignes du cuir chevelu en milieu urbain en France
tome 35 > n° 9 > septembre 2006 > cahier 1
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Dans ce numéro de La Presse Médicale, l’article de Françoise Foulet et al. rapportant les résultats des équipes de 3 hôpitaux du Val de Marne, confirme ces données [4]: les souches anthropophiles représentent dans les grandes villes près de 90 % des cas de teignes, ce qui corrobore les résultats des études récentes réalisées en France [1, 5]. Ces données ne sont probablement pas transposables dans les villes plus rurales. Ces teignes anthropophiles sont principalement représentées par des espèces africaines: Trichophyton soudanense et Microsporum langeronii (considéré par certains comme une variété africaine de Microsporum audouinii et par d’autres comme un seul et unique champignon). En effet, 71 % des patients atteints sont originaires d’Afrique sub-sahélienne, où les teignes sont endémiques chez l’enfant dans certains villages. Les habitudes de coiffage, les échanges nombreux entre familles, les conditions socio-économiques défavorisées expliquent donc la prédominance des teignes anthropophiles chez les enfants venus d’Afrique noire, et le taux de 90 % de teignes interhumaines dans les grandes villes où se sont installées les familles d’immigrés. En revanche, fait rassurant, le nombre de
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cas de teignes semble stable, et on ne note pas non plus d’augmentation de Trichophyton tonsurans, craint car plus contagieux et difficile à traiter. Sans vouloir stigmatiser une population, les teignes en région parisienne sont donc avant tout anthropophiles, touchant des enfants d’origine africaine, ce qui ne va pas sans créer ou aggraver des problèmes d’insertion de ces enfants dans certaines écoles. À moins qu’ils ne soient que peu contagieux pour les autres enfants de la classe?
Transmission des teignes: à l’école ou à la maison? L’un des intérêts de l’article de Françoise Foulet est d’insister sur la fréquence de la contamination et/ou du portage asymptomatique intrafamiliaux. Ce taux de contamination est difficile à chiffrer: 60 % dans cette étude, et 28,6 % dans la nôtre [5], chiffres variables selon que l’on détecte les enfants suspects cliniquement ou toute la famille. Prélever toute une famille s’avère bien souvent impossible, les pères par exemple se rendant peu aux convocations; l’autre problème étant financier, car théoriquement un prélèvement n’est remboursé qu’en cas de lésions cliniques, et donc ces prélèvements familiaux ne sont bien souvent faits uniquement lors des études hospitalières. Ils devraient pourtant être systématiques, comme le soulignent les auteurs, car il n’est pas rare que la mère soit porteuse asymptomatique depuis des années, et contamine ainsi sans le savoir ses enfants. La personne “dangereuse” pour la transmission est donc bien le plus souvent le “porteur sain” qui s’ignore, plutôt que l’enfant malade mais traité! Et cet enfant malade, en particulier s’il est traité, est il très contaminant pour les enfants de sa classe? Nous avons pu montrer, dans une étude multicentrique associant l’hôpital Percy (92), les hôpitaux Saint-Louis et Tarnier-Cochin (75), et l’hôpital Louis Mourier de Colombes (92), sur 81 enquêtes scolaires concernant près de 2000 enfants, que lors d’un cas de teigne dans une classe, le taux moyen de contamination par classe est de 1,2 %, comparé au taux de 28,6 % dans la famille [5]. Rappelons les chiffres de 60 % de contamination intrafamiliale pour cette nouvelle étude [4]. Il semble donc clair que l’enfant se contamine en famille et qu’il fait courir peu de risques à ses camarades d’école, dès lors que les agents chargés de la petite enfance prennent quelques précautions élémentaires. La question se pose donc: l’éviction scolaire est elle justifiée?
Teignes: faut-il une éviction scolaire?
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Comme le rappelle le docteur Foulet, nous avions remarqué lors d’une enquête en région parisienne réalisée en 1999, que l’arrêté du 31 mai 1989 n’était pas appliqué. Rappelons que celui-ci stipule: « pour les malades, éviction scolaire jusqu’à présentation d’un certificat attestant qu’un examen microscopique a montré la disparition de l’agent pathogène; sujets au contact: dépistage systématique ». Nous avions montré que l’éviction était en pratique très rarement proposée, qu’elle ne se fondait pas sur le type de teigne (animale ou interhumaine), et que le dépistage des sujets au contact était négligé. Cette loi pose par ailleurs un certain nombre de problèmes: sentiment d’exclusion de l’enfant atteint; retard scolaire chez des enfants parfois déjà en difficultés, car il faut au moins 3 semaines pour que l’examen se négative; poursuite de la contamination intra familiale; la loi ne distingue pas teignes inter humaines et teignes animales où l’éviction est inutile.
Il fallait donc envisager une « nouvelle prise en charge de cette affection contagieuse mais bénigne et qui guérit sans séquelle », comme le rappellent les auteurs. Ceci a conduit à réunir un groupe de travail auquel ont participé entre autres les docteurs Martine Feuilhade, dermatologue spécialiste de teignes et Josiane Le Guyadec, médecin de l’Éducation Nationale. Des recommandations concernant la « conduite à tenir en cas de maladies transmissibles dans une collectivité d’enfants » ont donc été émises (Guide des conduites à tenir en cas de maladies transmissibles dans une collectivité d’enfants. Conseil supérieur d’hygiène publique de France: séance du 14 mars 2003. www.sante.gouv.fr.). Il a été proposé en ce qui concerne l’éviction en cas de teigne: « oui, sauf si présentation d’un certificat médical attestant d’une consultation et de la prescription d’un traitement adapté ». Ce nouveau texte, plus souple, devrait éviter des évictions peut-être non justifiées, tout en gardant la possibilité de refuser un enfant que la famille ne voudrait pas traiter; par contre, un enfant, dès lors qu’il est traité, pourrait retourner de suite à l’école. Il est bien sûr souhaitable de prévenir le médecin scolaire. Notons néanmoins qu’il s’agit de simples recommandations, et que les décrets d’application n’ont pas encore été publiés (le terme de “collectivités” est plus large que celui d’“école”, et ces propositions concernent donc plus de ministères que celui de l’Éducation Nationale). Ainsi, si un médecin peut s’appuyer sur ces recommandations et sur l’avis de la plupart des experts pour ne plus proposer d’éviction, il ne pourrait pas “légalement” s’opposer à des parents d’élèves qui demanderaient l’éviction d’une classe d’un enfant atteint… Le plus souvent, néanmoins, des explications rationnelles et rassurantes désamorcent la plupart des situations critiques: depuis nos interventions dans les écoles du 92, il n’y a plus ces mouvements d’inquiétude qui étaient parfois observées. Depuis les années 1980, les teignes interhumaines sont de retour dans les grandes villes. Leur nombre semble néanmoins stable depuis quelques années, la crainte d’une épidémie à Trichophyton tonsurans n’est toujours pas justifiée, la transmission scolaire est faible et il s’agit donc somme toute d’une pathologie bénigne, pas plus grave qu’une pédiculose, même si sa connotation est bien plus péjorative! Le dépistage familial large est fondamental pour éviter les rechutes. À condition de prendre des mesures d’hygiène élémentaires, de prévenir le médecin scolaire, l’éviction scolaire n’est plus souhaitable dès lors que l’enfant est traité.
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Feuilhade de Chauvin M, Lacroix C. Épidémiologie des teignes du cuir chevelu. Presse Med. 2001; 30: 499-504. Viguié C, Dupouy-Camet J, Buot G, Lapierre J. Évolution des teignes du cuir chevelu à l’hôpital tarnier depuis 1980. Bull Soc Fr Myc Med. 1985; 14: 63-6. Maleville J, Moulinier C, Taieb A, Dompmartin A, Couprie B, Giap G et al. Evolution du spectre dermatophytique des teignes du cuir chevelu. A propos de 124 cas observés à Bordeaux. Ann Dermatol Venereol. 1986; 113: 25-9. Foulet F, Curvale-Fauchet N, Cremer G, Pérignon A, Bourée P, Estrangin E et al. Épidémiologie des teignes du cuir chevelu: étude rétrospective sur 5 ans dans 3 centres hospitaliers du Val de Marne. Presse Med. 2006; 35: 1231-4. Le Guyadec T, Le Guyadec J, Che D, Herve V, Galeazzi G, Attken G et al. Les teignes en milieu scolaire: étude prospective dans le département des Hauts-de-Seine. Ann Dermatol Venereol. 2001; 128: 3S15. Le Guyadec T, Le Guyadec J, Herve V, Soler C, Che D, Schmoor P et al. Prise en charge des teignes: enquête auprès de médecins scolaires et de dermatologues franciliens. Ann Dermatol Venereol. 2001; 128: 725-7. tome 35 > n° 9 > septembre 2006 > cahier 1