Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 24 (2005) 421–424 http://france.elsevier.com/direct/ANNFAR/
Cas clinique
Le pneumorachis, complication rare du traumatisme thoracique fermé Intraspinal air, a rare complication of blunt chest trauma M. Harandou a,b, M. Khatouf a, N. Kanjaa a, F. Adnet b, F. Lapostolle b,* a
b
Service de réanimation polyvalente, hôpital Al-Ghassani, Fès, Maroc, Samu 93, EA 3409, hôpital Avicenne, 125, rue de Stalingrad, 93009 Bobigny cedex, France Reçu le 14 août 2004 ; accepté le 26 janvier 2005 Disponible sur internet le 13 mars 2005
Résumé Un pneumorachis est défini par la présence d’air dans le canal rachidien. Rarement rapporté, il est exceptionnellement provoqué par un traumatique thoracique fermé. Nous présentons le cas d’un patient de 37 ans victime d’un accident de la voie publique à haute vélocité. Le bilan lésionnel avait montré une contusion pulmonaire, un hémothorax bilatéral, un pneumothorax droit de faible abondance, des fractures costales, une fracture comminutive de la quatrième vertèbre thoracique et un pneumorachis. Les lésions sévères du rachis seraient à l’origine de ce pneumorachis. L’air provenant de l’espace pleural aurait pénétré dans le canal rachidien au bénéfice de plaies de la plèvre pariétale et des méninges causées par l’éclat de T4. Ce mécanisme lésionnel exceptionnel est corroboré par quelques observations de pneumorachis traumatiques. Celles-ci ont en commun la coexistence d’une collection gazeuse ou d’une lésion d’un organe creux et d’une lésion rachidienne qui permet la diffusion de l’air vers le canal rachidien. La découverte d’un pneumorachis chez un patient traumatisé doit faire rechercher d’autres lésions qui peuvent expliquer la constitution de cet épanchement gazeux intrarachidien. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Pneumorachis, defined as the presence of air within the spinal canal, has rarely been described, and is exceptionally due to thoracic trauma. We report the case of a 37-year-old patient who sustained a motor vehicule accident. The chest CT-scan showed a bilateral-hemothorax, a small right pneumothorax, rib fractures, and a fracture of the fourth thoracic vertebra associated with air in the spinal canal extending from T6 to L2. The fracture of T4 associated with the pleural lesion is probably responsible for the pneumorachis. Possible pathogenic mechanisms of this rare blunt chest complication are discussed. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Pneumorachis ; Traumatisme thoracique fermé ; Canal rachidien ; Tomodensitométrie Keywords: Air in the spinal canal; Blunt thoracic trauma; Spinal canal; CT-scan
1. Introduction La présence d’air dans le canal rachidien ou pneumorachis est essentiellement rapportée comme complication d’un geste neurochirurgical, d’une anesthésie péridurale ou comme manifestation d’un abcès épidural. Elle est rarement secon-
daire à un traumatisme thoracique, et plus rarement encore à un traumatisme fermé [1,2]. Nous rapportons un cas de pneumorachis, diagnostiqué par la tomodensitométrie, après un grave traumatisme fermé du thorax.
2. Observation * Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Lapostolle). 0750-7658/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annfar.2005.01.014
Un patient de 37 ans, sans antécédent, a été victime d’un traumatisme fermé du thorax secondaire à un accident de la
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voie publique. Conducteur d’une moto, il a été percuté par une voiture roulant à grande vitesse. La notion d’une perte de connaissance initiale était retrouvée. Il a été transporté à l’hôpital par des secouristes. L’examen clinique à l’arrivée retrouvait un patient conscient, paraplégique avec un niveau sensitif sus-ombilical et une douleur exquise à la palpation des apophyses épineuses de T3, T4 et T5. Il était par ailleurs pâle, couvert de sueurs, tachypnéique à 24 c/min. L’auscultation pulmonaire trouvait une diminution du murmure vésiculaire dans les deux champs pulmonaires. La pression artérielle était à 90/60 mmHg, la fréquence cardiaque à 128 b/min et la SpO2 à 92 % sous 3 l/min d’oxygène administrés par une sonde nasale. Il y avait des écorchures au niveau de la jambe droite et du coude gauche sans aucune plaie. L’abdomen était légèrement sensible à la palpation. L’ECG s’inscrivait en rythme sinusal à 120 c/minute, sans trouble du rythme, de la conduction ni de la repolarisation. La radiographie pulmonaire montrait un épanchement liquidien bilatéral, de moyenne abondance et des fractures des arcs costaux postérieurs des deuxième et troisième côtes. Les gaz du sang artériel sous FIO2 = 0,30 étaient les suivants : pH : 7,44 ; PaO2 : 96 mmHg ; PaCO2 : 34 mmHg ; HCO3– : 26 mmol/l ; SaO2 : 94 %. Les lactates sanguins étaient à 2 mmol/l. La numération sanguine montrait une concentration en hémoglobine à 11 g/10 dl. La troponine Ic était à 0,10 µg/l et les créatinines kinases (CK) à 140 UI/l. L’hémostase et le ionogramme sanguin étaient normaux. L’échographie faite en salle de déchoquage ne retrouvait ni hémopéricarde ni hémopéritoine. La prise en charge initiale a consisté en une oxygénothérapie par masque à haute concentration, un traitement antalgique et le drainage d’un hémothorax bilatéral. Devant l’apparition, 30 minutes plus tard, d’un collapsus à 40 mmHg de
pression artérielle systolique, les drains ont été clampés, un remplissage vasculaire par macromolécules a été effectué et le malade a été intubé et ventilé après induction en séquence rapide. Une exploration tomodensitométrique (Figs. 1,2) a mis en évidence un hémothorax bilatéral, un pneumothorax droit de faible abondance, des fractures des arcs postérieurs de la deuxième et troisième côte gauche, une fracture de l’omoplate droite, un emphysème sous-cutané thoracique droit, des foyers bilatéraux de contusion pulmonaire, une fracture de l’apophyse épineuse de T3, un éclatement du corps de T4 avec de multiples fragments, une compression médullaire et la présence d’air dans le canal rachidien, de T6 à L2. Il n’y avait pas d’extravasation de produit de contraste en dehors des gros troncs vasculaires thoraciques. Il n’y avait pas de lésion hémorragique intracrânienne ou abdominopelvienne à l’exploration tomodensitométrique. La fibroscopie bronchique et œsogastroduodénale ne montrait aucune brèche. Le traitement symptomatique était poursuivi et l’évolution ultérieure était marquée par l’installation d’un tableau de syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) conduisant au décès du patient le 7e jour après son accident.
Fig. 1. Examen tomodensitométrique thoracique chez un patient de 37 ans présentant un traumatisme thoracique fermé après un accident de la voie publique. Fracture des arcs costaux postérieurs et éclatement du corps de T4 avec de multiples fragments et compression médullaire.
Fig. 2. Examen tomodensitométrique thoracique chez un patient de 37 ans présentant un traumatisme thoracique fermé après un accident de la voie publique. Présence d’air dans le canal rachidien définissant le pneumorachis.
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3. Discussion La présence d’air dans le canal rachidien, définissant le pneumorachis, est une entité rare, dont l’origine traumatique est exceptionnelle. Le plus souvent, la collection gazeuse est extradurale. Elle peut aussi, au profit d’une effraction de la dure-mère, s’étendre dans l’espace sous-arachnoïdien. L’examen tomodensitométrique ne permet pas toujours d’en fixer précisément les limites. Cette présence d’air est, le plus souvent, iatrogène ou secondaire à une production locale de gaz (Tableau 1). L’introduction iatrogène d’air est l’étiologie prédominante, qu’il s’agisse des complications d’une anesthésie péridurale, d’une ponction lombaire ou d’une chirurgie du rachis [3–5]. Les rares abcès épiduraux survenant essentiellement chez des patients diabétiques ou ayant une maladie de Crohn sont la seconde cause de pneumorachis. L’air peut également être d’origine extrinsèque. Le mécanisme habituel en est une augmentation brutale de la pression alvéolaire avec rupture des alvéoles pulmonaires et migration d’air le long des axes bronchovasculaires jusqu’au médiastin. L’air accumulé dans le médiastin peut ensuite séparer la plèvre médiastinale de l’aorte et la plèvre pariétale du rachis pour pénétrer dans l’espace épidural par les trous de conjugaison. Toute cause de pneumomédiastin peut ainsi engendrer un pneumorachis : crises d’asthme, complication de l’intubation ou de la ventilation, efforts de vomissements ou de toux, exercices intenses [1,4,6]. Enfin, exceptionnellement, un traumatisme peut entraîner un pneumorachis. Cette complication a essentiellement été décrite au niveau cervical comme extension d’une pneumocéphalie secondaire à un traumatisme craniofacial avec fracture de la base du crâne ou des sinus paranasaux [5,7–9]. Les autres situations de migration d’air sont les traumatismes thoraciques avec pneumothorax et/ou pneumomédiastin [1,2,6,7]. Dans cette observation, les mécanismes habituels de pneumorachis traumatique n’étaient pas retrouvés [5]. Il n’y avait aucune plaie visible ; l’examen tomodensitométrique avait éliminé un pneumomédiastin, une fracture de la base du crâne et une pneumocéphalie. Il n’y avait aucune brèche causale visible à la fibroscopie bronchique et digestive. Les lésions sévères du rachis seraient à l’origine de ce pneumorachis. L’air provenant de l’espace pleural aurait péné-
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tré dans l’espace péridural, au bénéfice des plaies de la plèvre pariétale et des méninges, causées par l’éclat de T4. Ce mécanisme lésionnel exceptionnel a été évoqué dans quelques observations ayant en commun la lésion d’un organe creux ou l’existence de lésions autorisant l’effraction d’air dans l’organisme : association d’un hémopneumothorax, de fractures costales, de fractures communitives de T5 à T9, d’un pneumorachis et d’une pneumocéphalie en l’absence de fracture de la base du crâne ou des parois des sinus [10], association d’une fracture–luxation de L2 et d’une perforation jéjunale [11], association d’un pneumothorax sous tension, de fractures vertébrales thoraciques sévères de T7 à T9 et d’air dans le canal médullaire et la boîte crânienne [12]. Le mécanisme lésionnel suspecté est corroboré par les constatations de l’imagerie, de la chirurgie et de l’anatomopathologie dans trois observations de la littérature [2,13,14]. Des auteurs ont rapporté l’observation d’un patient qui présentait, dans les suites d’un traumatisme thoracique, une paraplégie, un hémothorax, des fractures costales, une fracture de T10 et un pneumorachis avec une hernie du poumon droit dans le canal médullaire via un trou de conjugaison [2]. Des auteurs ont posé le diagnostic peropératoire de rupture de la dure-mère chez un patient victime d’un traumatisme thoracique fermé avec fractures vertébrales et pneumorachis [13]. Le cas d’un patient de 73 ans, victime d’un accident de la voie publique, avec un hémopneumothorax bilatéral, une fracture luxation T11-T12 et un pneumorachis thoracique a également été rapporté [14]. Le malade est décédé d’hémorragie pulmonaire, et l’autopsie a mis en évidence des déchirures de la dure-mère et de la plèvre pariétale au niveau de T11. Le pneumorachis d’origine traumatique relève donc d’un mécanisme multifactoriel qui rend compte de sa rareté au cours des traumatismes thoraciques fermés.
4. Conclusion Le pneumorachis post-traumatique est une entité rare. Sa découverte chez un patient traumatisé doit faire pousser les investigations à la recherche d’autres lésions, notamment pouvant rendre compte de la constitution de cette collection gazeuse, lésions pleuropulmonaires, fracture de la base du crâne ou fractures vertébrales.
Tableau 1 Principales causes de pneumorachis • Étiologie prédominante : iatrogénie C Complication d’une anesthésie péridurale C Complication d’une ponction lombaire C Complication d’une chirurgie du rachis • Autres étiologies C Abcès épiduraux (essentiellement patients diabétiques ou maladie de Crohn). C Air d’origine extrinsèque. Toute cause de pneumomédiastin (par migration d’air le long des axes bronchovasculaires jusqu’au médiastin, séparation des plèvres et pénétration dans l’espace épidural par les trous de conjugaison) Traumatisme : pneumothorax et/ou pneumomédiastin (cf. supra) ; fracture de la base du crâne ou des sinus paranasaux (avec pneumocéphalie)
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