Le traumatisme psychique au risque de la parole. Le rôle du transfert dans les psychothérapies

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AMEPSY-2244; No. of Pages 8 Annales Me´dico-Psychologiques xxx (2016) xxx–xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Me´moire

Le traumatisme psychique au risque de la parole. Le roˆle du transfert dans les psychothe´rapies The risk of speaking when faced with psychological trauma. The role of transference in psychotherapies Franc¸ois Lebigot Le Rosa Baı¨a, 31, boulevard de la Libe´ration, 83600 Fre´jus, France

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Historique de l’article : Rec¸u le 27 juin 2016 Accepte´ le 30 juin 2016

Tous les traumatise´s psychiques ne viennent pas demander une psychothe´rapie. L’angoisse alors les ame`ne a` ne vouloir rien savoir de ce qui leur est arrive´. Aussi, dans un premier temps peut-il eˆtre judicieux de ne pas leur demander leur avis et de favoriser leur entre´e dans le transfert. La ne´vrose traumatique porte bien son nom, contrairement a` ce que pensent les re´dacteurs du DSM : le traitement passe par la mise en pause de la ne´vrose qui a permis l’incrustation de la sce`ne traumatique. L’entre´e dans le transfert a lieu a` l’occasion des soins imme´diats ou post-imme´diats (les debriefings). Le cours de la psychothe´rapie prend sche´matiquement deux directions. La premie`re : le re´cit de l’e´ve´nement est ressasse´ mais subit peu a` peu des modifications qui signent le travail de l’inconscient sur les images de l’effraction. Dans la deuxie`me, rapidement il n’est plus question de l’e´ve´nement traumatique, mais sur la base de sa culpabilite´ ne´vrotique, le sujet s’extrait peu a` peu de l’orbe du trauma. Il fait alors souvent appel a` ces figures d’identification mises en situation œdipienne : horrible fusion dans un espace « maternel » et/ou meurtre du pe`re. Dans l’un et l’autre cas, on voit disparaıˆtre soit progressivement, soit sans meˆme que le sujet et le the´rapeute en soient avertis, le syndrome de re´pe´tition. ß 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

Mots cle´s : Culpabilite´ Psychothe´rapie psychanalytique Syndrome post-traumatique Transfert Traumatisme psychique

A B S T R A C T

Keywords: Guilty Psychotherapy/psychoanalysis Post-traumatic stress disorder Psychic trauma Transference

Traumatic neuroses are a clinical entity which manifests and develops as a result of psychological trauma. Since their first description by Oppenheim in 1889, they have posed a problem with the specificity of care they required. The answer to that question, that of treatment depended primarily on the concept with which the author had already of psychic trauma. Shell shock considered primarily as a stress disorder, was first described by the British military psychiatrists at the time of the First World War. It was this psychophysiological concept that prevailed in this line of thought which led to the diagnosis of ‘‘post-traumatic stress disorder’’ (PTSD). The proposed treatments aimed to reduce or to eradicate the symptoms by acting directly on them by cognitive-behavioral techniques, hypnosis, ‘‘EMDR’’, etc. At the same time, another school of thought, initiated by Freud and his students, defended the idea that the psychological trauma resulted from an encounter with the ‘‘reality of death’’. Freud’s successors clarified that the traumatic event took place when the Ego of the subject was completely absorbed by his efforts of repression. (‘‘Fenichel’’), that is to say, presented neurosis transference, hysterical or obsessive. This corresponds to what we learned from clinical and psychotherapies which we had brought to patients presenting with a traumatic neurosis. These psychotherapies are not ‘‘cure types of psychoanalysis’’ but they use the concepts of psychoanalysis in particular on the issue of transference. We will use the metaphorical schemas of the psychic apparatus proposed by Freud to try to understand the link between the traumatic image which broke in and what Freud calls ‘‘the lost object’’. This ‘‘lost object’’ is a myth constituted over the early days of the nursling’s life: there would be an object capable to fully satisfy the

Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.08.007 0003-4487/ß 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

Pour citer cet article : Lebigot F. Le traumatisme psychique au risque de la parole. Le roˆle du transfert dans les psychothe´rapies. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.08.007

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subject, appearing to show nothing missing. More the structure of the subject is neurotic, that is to say, the more it is dissatisfied with the objects of his desire, stronger the longing for the mythical lost object will be. And it is in this place that comes to lodge the traumatic image purveyor of a paradoxical enjoyment even if it pays a fear of annihilation as infants. In biogenic law, with the acquisition of language, the fear of annihilation and pleasure suffer repression (primal repression). We understand more now that there may be a therapeutic effect on the neurotic structure grace of transference. In transferring, the patient sends a message towards a subject (the therapist) seemingly to know. That is to say, he has the desire to inform the therapist of his thoughts with as little censorship as possible, and in doing so, he informs himself, consciously and unconsciously in its own psychic content conscious and unconscious. The motor of this work is the unconscious guilt resulting from having faced the real of death, which is the subject of an anthropological censure. Oedipal guilt pre-conscious or conscious is induced by the previous primary conviction. At the end of this journey that involves the data of the Oedipus complex, the mythical lost object loses its appeal. The traumatic image will possibly disappear, the traumatic event is no longer something that is repeated but a more memory, the subject feels relieved of the trauma as well as the lost object. Three progress-reports of psychotherapy illustrate the theoretical points. ß 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction Pour aborder le traitement psychothe´rapique de la ne´vrose traumatique, il est important de connaıˆtre d’abord la nature psychopathologique de cette affection.

ˆmes de la ne´vrose traumatique en rapport avec la 2. Les sympto psychopathologie 2.1. Le stress comme voile pudique sur la mort re´elle La ne´vrose traumatique fut de´crite en 1889 par Oppenheim comme se´quelles des accidents de chemin de fer chez des passagers. Le traumatisme psychique consistait en un e´tat e´motionnel particulier au moment de l’accident et par les effets me´caniques sur le syste`me nerveux du choc physique. Dans la clinique de´crite par Oppenheim, le moment de l’accident e´tait suivi d’une pe´riode de latence asymptomatique plus ou moins prolonge´e, puis apparaissait un syndrome de re´pe´tition fait de cauchemars reproduisant l’accident. Quelques anne´es apre`s cette premie`re description, Kraepelin de´crivit une schreckneurose, une ne´vrose d’effroi, qui pouvait apparaıˆtre chez des gens qui n’avaient pas e´te´ personnellement implique´s dans l’accident mais qui avaient e´te´ les spectateurs de la mort brutale des autres. Il devenait e´vident que cette pathologie e´tait induite par l’apparition de la mort dans le champ de conscience. Avec Freud et les psychanalystes, cette hypothe`se pathoge´nique prend tout son relief. Dans le traumatisme psychique, cette « impense´e » qu’est la mort bouleverse durablement le fonctionnement de l’appareil psychique, qui ne se re`gle plus sur le « principe de plaisir » [3]. Les symptoˆmes qui constitueront la ne´vrose traumatique deviendront interpre´tables a` partir de l’analyse de ce bouleversement. Lors de la guerre de 1914-1918, les psychiatres militaires anglais remplacent le concept de traumatisme psychique par celui de shell shock. Les manifestations cliniques observe´es chez les soldats sont dues a` un e´branlement « de la substance nerveuse » par effet de souffle. En 1936, Selye introduit le concept psychophysiologique de stress. Le stress accompagnera le shell shock comme de´terminant de la souffrance psychique. Ainsi donc, la` ou`, avec les psychanalystes et la confrontation avec le re´el de la mort, adviendra le stress. La nosographie ame´ricaine re´dige´e par l’APA (Association Ame´ricaine de Psychiatrie) reprendra cette notion centrale ici de stress tant dans le moment de la constitution de ce qui va s’appeler maintenant l’e´tat de stress post-traumatique que comme syndrome majeur. Et alors que les psychiatres militaires franc¸ais continuaient a` s’interroger sur les ne´vroses traumatiques en re´fe´rence a` Freud et au concept d’effroi

comme rencontre avec la mort, les Ame´ricains imposent au monde leur « e´tat de stress post-traumatique ». En France, la topique lacanienne a conduit de pre´ciser de quelle mort il s’agissait dans le trauma : c’est le « re´el » de la mort qui induit une clinique du re´el pour la ne´vrose traumatique. Le patient a le sinistre privile`ge refuse´ aux autres hommes (s’ils ne sont pas psychotiques) d’acque´rir une connaissance de ce qu’est re´ellement la mort comme ane´antissement [7]. Contrairement au stress qui est d’expe´rience commune et qui se ge`re, l’effroi donne a` cette pathologie un caracte`re exceptionnel et tragique. Il n’y a pas la` qu’un de´bat d’ide´es. Selon qu’on se re´fe`re a` la mort re´elle ou au stress comme e´tant aux principes de la maladie, les conceptions the´rapeutiques seront bien diffe´rentes. Au lieu de s’affronter au ne´ant comme dans l’effroi, le the´rapeute n’est tenu dans le second que de ge´rer du stress comme il lui arrive de le faire dans de multiples occurrences morbides. Puis, la gestion du stress par diffe´rentes me´thodes, dont la plus surprenante d’entre elle est l’exposure, est comple´te´e depuis quelques anne´es par des techniques de de´conditionnement. Il est certain qu’en nous accrochant au concept de ne´vroses, rejete´ par les DSM, nous aurons a` nous justifier. Nous verrons alors que l’inscription du ne´ant de la mort dans l’appareil psychique bouscule profonde´ment le jeu du de´sir. C’est l’objet de cet article. 2.2. Peur, angoisse, effroi Dans les e´motions suscite´es par un danger, Freud distinguait la peur, l’angoisse et l’effroi. Il s’est ave´re´ rapidement que le traumatisme psychique a vite e´te´ re´cupe´re´ dans le langage courant pour tout e´ve´nement a` l’origine d’un important choc e´motionnel, ce qui incluait des e´ve´nements qui pouvaient se dire de bout en bout et qui e´taient donc rapportables au syste`me signifiant. Comme nous le verrons particulie`rement a` propos du DSM-5, il ne peut s’agir a` ce moment-la` de traumatismes psychiques stricto sensu. Cette confusion influe sur les e´tudes e´pide´miologiques en meˆlant des accidents qui ne sont pas de la meˆme nature. Par exemple, un e´chec a` un examen ne peut eˆtre compare´ a` un grave accident de la route. L’effroi tel qu’il est e´voque´ par Freud est un moment ge´ne´ralement bref ou` le psychisme du sujet est de´serte´ par les signifiants, c’est-a`-dire que si bref soit ce moment, le sujet n’a plus de mots, de pense´es, de souvenirs, de fantasmes, d’affect. Malheureusement, le mot effroi appartient au langage courant et ne de´signe pas spe´cialement une expe´rience de ce type. Il correspond au moment ou` l’image traumatique sensitivosensorielle pe´ne`tre dans l’appareil psychique et repousse tous les contenus de celui-ci. Il suffit de s’imaginer pe´ne´tre´ par la violence avec laquelle se pre´sente l’e´ve´nement pour pouvoir comprendre

Pour citer cet article : Lebigot F. Le traumatisme psychique au risque de la parole. Le roˆle du transfert dans les psychothe´rapies. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.08.007

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qu’a` ce moment-la`, il n’y a pas de place dans le psychisme pour autre chose que la sce`ne traumatique, cette sce`ne qui vaut pour une figuration de l’ane´antissement du sujet. L’homme est un « parleˆtre », selon le beau ne´ologisme de Lacan, c’est-a`-dire un eˆtre de paroles. Que le signifiant ait pu a` un moment de´serter le sujet est une expe´rience dont celui-ci gardera une trace durable, comme s’il avait e´te´ pour un temps re´duit a` l’e´tat d’animal ou d’objet. Il portera de`s lors des « e´prouve´s » difficiles d’abandon, de honte et de souillure [7]. Ces e´prouve´s ont un socle commun qui est la de´shumanisation conse´cutive a` la de´sertion des signifiants. Dans l’e´volution, ils pourront s’atte´nuer ou s’aggraver, par exemple jusqu’a` l’exclusion du sujet du monde des hommes. En revanche, ils disparaıˆtront avec la gue´rison de la ne´vrose d’effroi. Ces e´prouve´s se trouveront entretenus, voire renforce´s a` chaque manifestation du syndrome de re´pe´tition. Ils sont, d’autre part, a` l’origine des symptoˆmes associe´s qui font la richesse clinique de la ne´vrose traumatique versus la pauvrete´ du PTSD : l’angoisse sous toutes ses formes : anxie´te´ de fond, crise d’angoisse aigue¨, phobies ; de´pression le´ge`re ou caracte´rise´e, me´lancolie de´lirante perse´cutive ; troubles du comportement divers marque´s surtout par l’agressivite´ ; troubles des conduites : conduite suicidaire ou toxicomaniaque, alcoolisme, passage a` l’acte he´te´ro-agressif ; affections psychosomatiques : hypertension, diabe`te, mais surtout maladies de peau qui correspondent a` l’e´prouve´ de souillure. 2.3. Une ne´vrose ? Au de´but du XXe sie`cle, Freud et les psychanalystes rangent la ne´vrose traumatique dans les « ne´vroses actuelles », c’est-a`-dire ne ressortissant pas d’un conflit sexuel infantile mais d’une incapacite´ a` abre´agir des e´nergies en exce`s introduites dans l’appareil psychique par l’effraction traumatique. Toutefois en 1938, Freud e´crivait : « Il est possible que ce que l’on appelle ne´vroses traumatiques (de´clenche´es par un effroi trop intense ou des chocs somatiques graves tels que collisions de trains, e´boulements, etc.) constituent une exception ; toutefois, leurs relations avec le facteur infantile se sont jusqu’ici soustraites a` nos investigations » [4]. Nous aurons l’occasion de voir en quoi la ne´vrose d’effroi est concerne´e par les « conflits sexuels infantiles » mais, en attendant, remarquons que la symptomatologie de l’affection met en e´vidence des traits habituellement rencontre´s dans les ne´vroses, quelles soient actuelles ou appartenant aux psychone´vroses : angoisse, perte du de´sir sexuel, distorsions du rapport a` l’autre, de´valorisation de l’image de soi, etc. Nous partons de la constatation suivante : tous les patients qui, a` la suite d’un e´ve´nement traumatique, ont eu besoin d’un traitement au long cours pre´sentaient une structure ne´vrotique de type hyste´rique ou obsessionnel, ou un e´tat limite, ce dernier ne´cessitant une prise en charge the´rapeutique beaucoup plus longue pour arriver a` un re´sultat satisfaisant. Dans le cours du traitement, ce qu’il y avait de ne´vrose chez le sujet apparaıˆt clairement et nous verrons que la gue´rison passe par une e´vocation du caracte`re boıˆteux de la triangulation œdipienne. Le trauma luimeˆme est traite´ par le sujet en dehors de sa production verbale explicite, c’est-a`-dire de fac¸on tout a` fait inconsciente jusqu’a` ce qu’il disparaisse « comme re´el » pour devenir un discours, c’est-a`dire un souvenir. Parfois, la sce`ne traumatique est colonise´e peu a` peu par des signifiants pour aboutir au meˆme re´sultat, tandis que l’architecture psychopathologique du sujet subit dans le transfert les modifications ne´cessaires. Il ressort de tout cela que la ne´vrose traumatique, quand elle s’est constitue´e, est justiciable d’une entreprise psychothe´rapique qui fait appel aux concepts de la psychanalyse. Ainsi, les facteurs infantiles e´voque´s par Freud se re´ve`lent-ils moins dans la clinique que dans le cours de la psychothe´rapie.

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2.4. Sche´ma me´taphorique de l’effraction traumatique Il importe maintenant de se faire une ide´e sur les phe´nome`nes en cause dans la gene`se des troubles psychiques de´termine´s par le trauma. Nous proposons une vision me´taphorique de l’effraction traumatique, a` la manie`re de Freud [3]. Reprenons sa proposition de figurer l’appareil psychique par la « ve´sicule vivante », soit une sphe`re contenue dans une membrane qu’il appelle le « pareexcitation » et qui est charge´e d’une forte e´nergie positive. Celle-ci a la taˆche de repousser a` l’exte´rieur les e´nergies trop intenses, qui, si elles pe´ne´traient dans la « ve´sicule vivante », perturberaient le fonctionnement du re´seau des repre´sentations, elles-meˆmes porteuses de faibles quantite´s d’e´nergie qui circulent le long des liens unissant les repre´sentations entre elles. C’est ce qui se produit quand l’image traumatique traverse le « pare-excitation » (fait effraction) et va s’incruster au milieu des repre´sentations, formant, dit Freud, « un corps e´tranger interne » fortement charge´ en e´nergie positive perturbatrice. Les repre´sentations et les liens qui les unissent forment le contenu du psychisme, c’est-a`-dire des mots (des signifiants), des souvenirs, des pense´es, des affects, etc. Pour comple´ter le sche´ma de la me´taphore freudienne, le « fond » de l’appareil psychique est se´pare´ du reste par une barrie`re autrement plus re´sistante que celle suppose´e de´limiter « conscient » et « inconscient » (le refoulement secondaire). Cette barrie`re, appele´e par Freud le refoulement primaire ou originaire, maintient dans l’insu le refoule´ originaire, c’est-a`-dire les premiers e´prouve´s du fœtus et du nourrisson. Il s’agit la` de l’infans, c’est-a`dire l’enfant avant qu’il n’acquie`re le langage. 2.5. Le refoulement originaire Le refoulement primaire ou originaire, contrairement au refoulement secondaire, nous inte´resse ici au premier chef. En effet, il maintient de´finitivement hors de la conscience les contenus des premiers e´prouve´s de l’eˆtre. C’est-a`-dire essentiellement des angoisses de ne´antisation et des e´prouve´s de ple´nitude, de « jouissance » pleine, d’un e´tat ou` rien ne manque. 2.6. L’entre´e dans le langage Les e´prouve´s originaires sont inaccessibles du fait du refoulement, mais ils sont aussi interdits d’acce`s. Interdits d’acce`s car y revenir serait effectuer un retour en arrie`re dans le ventre maternel, un « analogon » de l’inceste. L’infans est condamne´ a` poursuivre sa route vers le langage, qui ne lui apporte pas ou plus ses e´tats de satisfaction totale de l’e´poque pre´ce´dente. Il va, de`s lors, eˆtre confronte´ au manque d’un objet de comple´tude et va commencer une queˆte infinie d’objets substitutifs. C’est ce qui l’introduit aux alternances, bien e´tudie´es par Freud, du plaisir et du de´plaisir. L’effet du refoulement primaire n’empeˆche pas qu’au niveau des repre´sentations reste une sorte de trace des e´prouve´s originaires. C’est-a`-dire que dans le psychisme humain, il y a un point de nostalgie concernant moins les angoisses de ne´antisation que les e´prouve´s de jouissance. 2.7. L’objet traumatique comme analogon du refoule´ originaire Freud de´signait ce point comme la nostalgie du « paradis perdu » ou de « l’objet perdu ». Nous allons voir que selon la force d’attraction que repre´sente ce point, le rapport a` l’objet (l’image) traumatique sera diffe´rent. Ainsi, l’arrive´e de l’enfant dans le langage lui permet de s’identifier comme signifiant pour d’autres signifiants, en particulier des signifiants de type « paternel » qui lui interdisent ce retour incestueux vers le corps maternel et la distinction moi

Pour citer cet article : Lebigot F. Le traumatisme psychique au risque de la parole. Le roˆle du transfert dans les psychothe´rapies. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.08.007

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non-moi. Mais aussi des signifiants « maternels » qui lui indiquent la voie vers les objets substitutifs de son de´sir. Rappelons que pour Lacan le sujet est un signifiant pour d’autres signifiants. Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici : la naissance d’un sujet. On peut appeler ce temps le temps de « l’Œdipe », si l’Œdipe est un arrachement de l’enfant hors de l’attachement maternel pour en faire un eˆtre social. Cet arrachement prendra diverses formes selon le stade de l’e´volution en rapport avec les pulsions (orales, anales, ge´nitales). La structure ne´vrotique ulte´rieure du sujet portera le sceau de l’un ou l’autre des stades pulsionnels et le rapport a` l’objet e´galement. ˆ le de la structure ne´vrotique ante´rieure au traumatisme 3. Le ro 3.1. La jouissance et l’horreur Lacan nomme jouissance (inconsciente) des e´tats ou` le sujet peut croire que rien ne manque, comme si le « paradis perdu » avait e´te´ retrouve´. Revenons a` notre traumatisme et passons par le de´tour de l’horreur et de la mort. Citons brie`vement les attroupements qui suivent un accident ou l’exaltation des soldats partant a` la guerre ou encore le succe`s des spectacles de grand Guignol. 3.2. Liens de jouissance entre l’image du trauma et le sujet Il y a donc un lien de jouissance entre l’image du trauma et le sujet. Tout ceci pour amener l’ide´e qui rencontre de fortes re´sistances, meˆme chez les professionnels, qu’entre l’image traumatique et le sujet existe un rapport de fascination et de jouissance (inconsciente) [6,8]. L’image traumatique, en effet, vient se loger au lieu du point de nostalgie. Celle-ci comporte des e´prouve´s semblables aux e´prouve´s originaires : angoisse de ne´antisation et jouissance pleine. De ce fait, entre l’image traumatique et le sujet, se cre´e, comme nous l’avons dit, un lien de fascination d’une tre`s grande force, qui se traduit dans la clinique par un lien d’attachement. Ce lien d’attachement mortife`re nous me`ne au-dela` du principe de plaisir. Apre`s un temps d’e´volution de la ne´vrose traumatique, la jouissance (toujours inconsciente) va eˆtre activement recherche´e, en de´pit de ce qu’elle traıˆne avec elle d’angoisse de ne´antisation, d’e´pouvante, qui devient le prix a` payer pour cette satisfaction totale et totalement interdite. Dans une cassette vide´o, « L’effroi des Hommes » [1], un ancien GI du Vietnam dit a` son me´decin intervieweur : « J’ai commence´ a` aller mieux [il est en psychothe´rapie] quand j’ai compris que j’e´tais a` la fois, le producteur, le metteur en sce`ne et l’acteur de mes cauchemars.» Ce qu’il avait compris, c’est que dans son syndrome de re´pe´tition, il avait une part active a` cette re´cupe´ration d’un objet de jouissance. 3.3. L’attachement du sujet au souvenir de l’objet perdu Ce lien du sujet a` l’image traumatique comme un analogon de l’objet perdu est la principale raison de la re´sistance de ces patients au traitement. L’expe´rience clinique nous montre que des sujets mis au travail the´rapeutique rapidement apre`s l’e´ve´nement gue´rissent beaucoup plus vite : le lien d’attachement n’a pas eu le temps de se constituer pleinement. D’une manie`re ge´ne´rale, le ne´vrotique se sent exclu de cette aire du « paradis perdu » dont il a une sorte de connaissance intuitive. Il ne sait pas ce qu’il veut car aucun objet n’est capable de lui apporter cette comple´tude apre`s laquelle il court. Lorsqu’il y a eu effraction du pare-excitation, c’est a` cette place de l’objet perdu que vient se loger l’image traumatique, graˆce, comme on l’a vu, a` ce qu’elle porte d’e´prouve´s originaires.

D’une certaine fac¸on, l’objet traumatique est dans cette perspective bien plus avantageux que n’importe quel objet substitutif ; meˆme s’il apporte de la souffrance, de l’angoisse, il apporte aussi et surtout de la jouissance, de la comple´tude. Il fait office d’objet perdu/objet retrouve´. Il est comme un morceau de refoule´ originaire, avec ses deux faces d’angoisse de ne´antisation et de jouissance. Ainsi, le sujet a, a` sa disposition, un « analogon » du territoire originaire interdit et cette fois-ci, possible d’acce`s. 3.4. Les deux destins de l’image traumatique Tout de´pendra, comme nous l’avons vu, de la structure ne´vrotique pre´existante : soit le sujet est reste´ pre´alablement tre`s attache´ a` l’illusion qu’il peut re´cupe´rer l’objet perdu, que le « paradis perdu » n’est pas vraiment perdu. Auquel cas, il sera ne´vrotiquement tre`s empeˆche´ dans sa recherche d’un objet de satisfaction, toujours de´cevant. Soit le « paradis perdu » n’est la` qu’en filigrane, en lointain soutien de la recherche de l’objet de satisfaction : le principe de plaisir pourra alors librement de´ployer ces alternances et donner a` la vie son caracte`re heureux et excitant. Dans le premier cas donc, l’image traumatique qui a fait effraction, le « corps e´tranger interne », viendra prendre la place du mythique « objet perdu » et he´ritera des liens d’attachement qu’avait celui-ci avec l’ensemble de l’appareil psychique. Dans la psychothe´rapie, pourra alors apparaıˆtre la version langagie`re de ces liens, c’est-a`-dire les donne´es fondamentales de la structure ne´vrotique. Celle-ci pourra alors se parler et perdre de son influence pre´dominante. La psychothe´rapie prendra les caracte´ristiques de toute psychothe´rapie d’un sujet ne´vrotique. Nous aurons affaire de fac¸on tre`s lisible a` une constellation œdipienne avec la jouissance originaire, les instances interdictrices et la faute lie´e a` la transgression (voir nos cas cliniques). Dans le deuxie`me cas, celui ou` l’objet perdu n’est la` qu’en filigrane en simple support de la recherche de comple´tude, l’image traumatique ne trouvera pas de lieu ou` se fixer et ne prendra pas la place d’un objet d’attachement. Elle constituera simplement un souvenir, c’est-a`-dire un ensemble de signifiants qui s’inte´greront aux repre´sentations de l’appareil psychique. C’est dans ce cas que la ne´vrose traumatique ne se constituera pas ou qu’elle gue´rira tre`s pre´cocement. 3.5. Expe´riences hors du commun Le traumatisme est survenu dans un contexte de souffrances particulie`rement terribles, voire atroces et prolonge´es (camps de concentration, otages durement traite´s, camps de tortures, etc.). Ces expe´riences hors du commun font alors partie de l’histoire du sujet et modifient sa personnalite´. Il n’est plus question alors de les aider a` se de´barrasser de ce rapport a` l’horreur qui s’est inscrit dans leur eˆtre : comme nous disait un ancien otage qui avait re´cupe´re´ dans la psychothe´rapie une vie satisfaisante (sociale, professionnelle et affective), malgre´ quelques cauchemars de re´pe´tition et qui e´tait sollicite´ de poursuivre son travail sur le traumatisme : « Non, c¸a, je ne veux pas, c¸a fait partie de moi maintenant.» Les contenus de l’appareil psychique ont e´te´ profonde´ment modifie´s, en dehors meˆme de la pre´sence du « corps e´tranger interne ». D’une certaine fac¸on, c’est un nouveau sujet qui est sorti de l’e´preuve et il est parfaitement le´gitime qu’il tienne a` conserver la trace de ce « re´el » qui est a` l’origine de sa transformation. Souvent, entre en jeu un me´canisme de de´fense qui est : le de´ni (c’est lui qui est a` l’origine de la phase de latence). Le de´ni porte sur l’image traumatique et est a` l’origine de fausse gue´rison. Le syndrome de re´pe´tition va disparaıˆtre, plus ou moins longtemps, parfois des anne´es, mais le sujet ne re´cupe´rera pas sa joyeuse

Pour citer cet article : Lebigot F. Le traumatisme psychique au risque de la parole. Le roˆle du transfert dans les psychothe´rapies. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.08.007

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insouciance ante´rieure vis-a`-vis de la mort et son de´sir restera entrave´. Les circonstances de la vie peuvent a` tout moment rendre le de´ni inope´rant et l’image traumatique se pre´sentera a` nouveau, dans toute son horrible fraıˆcheur, a` l’esprit du sujet. La prise en charge the´rapeutique prend son allure caracte´ristique a` ce moment-la`. Elle vise un syndrome non spe´cifique mais a` un moment ou un autre elle le`ve le de´ni et infle´chit le traitement qui va prendre alors les allures du traitement d’une ne´vrose traumatique. 4. E´volution du trauma sous transfert Le concept de transfert appartient au vocabulaire de la psychanalyse pour rendre compte de ce qui en permet le de´roulement. Avec quelques nuances, il nous permettra de de´crire le moteur des psychothe´rapies psychodynamiques, spe´cialement dans le cas ou` le patient souffre d’un traumatisme psychique. Reproduisons ici la premie`re phrase d’un dictionnaire de la psychanalyse a` l’entre´e « Transfert » [2] : le transfert est un « lien affectif intense et automatique commande´ par la pre´sence dans le psychisme du sujet de l’objet a ». Ce qui veut dire deux choses que nous pouvons relever de`s maintenant : d’une part, l’automaticite´ du transfert confe`re au the´rapeute une grande responsabilite´ par rapport au processus the´rapeutique ; d’autre part, le patient a de´ja` en lui « quelque chose qui le pousse au transfert » et la` va commencer sa responsabilite´ a` lui dans le traitement : veut-il ou non savoir quelque chose de ce « quelque chose » ? Car, nous le verrons, le transfert est la question d’un savoir. Un point important doit eˆtre souligne´ d’emble´e concernant le transfert dans le travail psychothe´rapique. Le the´rapeute ne se laisse pas guider par son propre transfert. Ainsi, peut-il se mettre pour celui qui s’adresse a` lui au lieu de l’Autre, le lieu de la parole, non personnalise´, propice a` toutes les projections. Dans la psychanalyse, le transfert est dit tantoˆt positif, tantoˆt ne´gatif. Le transfert positif, sous sa forme consciente, est constitue´ de sentiments amicaux qui favorisent la parole. C’est lui dont il faudra me´nager la possibilite´ d’installation dans les premiers temps de la prise en charge des psychotraumatise´s. Le transfert positif s’accommode de la pre´sence dans l’inconscient d’e´le´ments hostiles. En revanche, l’apparition de sentiments clairement hostiles fait partie du processus psychanalytique, mais ne doit pas, dans une psychothe´rapie chez un traumatise´, franchir un certain seuil, au risque de re´activer ses sentiments d’abandon ou d’hostilite´ envers l’humanite´ qui l’a abandonne´ au moment de l’effroi. D’ailleurs, les patients sont obscure´ment conscients de ce proble`me et s’efforcent de le ge´rer. Voici l’exemple d’un homme de 40 ans, Noir ame´ricain de Floride, venu en France a` l’aˆge de 20 ans pour fuir un milieu extreˆmement violent, familialement et socialement. Dans son travail de re´ceptionniste d’hoˆtel a` Paris, il est victime de deux agressions a` main arme´e. Toutes deux ont e´te´ traumatiques. L’e´volution de sa ne´vrose l’ame`ne a` une e´laboration de´lirante dans laquelle il se pense comme une victime potentielle des appareils judiciaires et policiers de l’E´tat franc¸ais. Si, craignant le point ou` ce travail psychothe´rapique va l’amener, il nous avait mis en position d’exception par rapport a` l’objet actuel de sa haine et de ses peurs, toute e´laboration de celle-ci aurait e´te´ rendue impossible. Nous serions devenus une sorte de protecteur puissant et bienveillant auquel il serait venu semaine apre`s semaine confier ses mise`res. Notre patient montre aussi l’utilite´ du transfert ne´gatif quand il peut s’exprimer. S’il peut nous dire sa crainte que nous ne fassions partie d’un complot, il exprime ainsi un fantasme, c’est-a`-dire une cre´ation du de´sir qu’il aura un jour a` nommer. Et il est sur la bonne voie quand il exprime un autre fantasme. Alors qu’il est enferme´ chez lui, il a tout a` coup la certitude que son agresseur du deuxie`me braquage est la`, qu’il va faire irruption par sa feneˆtre avec son revolver. Par me´garde, il l’appelle un jour « le Justicier ». Pourquoi

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donc le justicier ? Il re´fle´chit un peu, puis remarque que cette certitude de´lirante se produit toujours quand il est en proie a` un vague et incompre´hensible sentiment de culpabilite´. Dans des entretiens pre´ce´dents, son braqueur l’avait amene´ plusieurs fois a` e´voquer par association la figure de son pe`re, sans d’ailleurs qu’il soit en mesure de faire un lien entre les deux personnages. Ce passage est inte´ressant par rapport a` la question pose´e du trauma sous transfert et du pourquoi certains d’entre nous continuent a` parler de « ne´vrose » traumatique. Il montre comment dans la psychothe´rapie on passe d’une clinique du re´el, le traumatisme et ses effets, a` une clinique du refoulement. Dans son se´minaire sur le transfert, Lacan prend le proble`me par ce que Freud a de´signe´ comme « l’amour de transfert » [5]. Le livre se termine avec le surgissement du jeune Alcibiade, le´ge`rement e´me´che´, au milieu de ce ce´nacle de vieux philosophes. Il engage alors une vive conversation avec Socrate, qu’il aimait de fac¸on charnelle, amour auquel Socrate ne re´pondait pas. Par sa maı¨eutique, Socrate fait dire a` son jeune et bouillant e´le`ve qu’il l’aimait parce qu’il supposait que Socrate de´tenait en lui un objet pre´cieux, un « agalma » que lui-meˆme convoitait. Ici, cet objet de comple´tude est le savoir. Exactement comme un patient qui vient voir un psychanalyste ou un psychothe´rapeute lui suppose un savoir susceptible de re´soudre son malaise. Ce savoir est constitue´ de mots, et, en s’adressant au the´rapeute, c’est a` l’Autre du langage qu’il s’adresse. Au de´but de ce chapitre sur le transfert, nous avons dit que ce qui le rendait possible, c’e´tait la pre´sence dans le sujet de l’objet a. Ce qui veut dire que ce qu’il va chercher chez l’autre c’est un savoir sur quelque chose qu’il a en lui. . . La vise´e de « l’objet a » est celle de la psychanalyse. Elle consiste a` de´couvrir qu’il n’y a pas dans l’Autre de re´ponse au manque, que celui-ci est de structure. Les psychothe´rapies sont moins ambitieuses, particulie`rement dans le cas d’une ne´vrose traumatique. Il s’agit seulement, par la graˆce du transfert, de laisser le patient de´rouler sa propre parole et de l’aider a` en assumer le risque. Sortant de sa position d’objet de comple´tude (l’objet perdu), le traumatisme devient un point de de´part du processus associatif. Il en subit d’ailleurs les effets, directement perceptibles dans les modifications des cauchemars par exemple. Puis, il est oublie´ au profit de la proble´matique ne´vrotique du sujet. Nous verrons a` propos de trois prises en charge de patients comment l’on passe d’une clinique du re´el a` une clinique du refoulement, comme nous l’avons de´ja` annonce´. Les patients passent d’une clinique a` l’autre chacun a` sa manie`re, mais le langage les me`ne toujours dans les parages d’une question sur la faute et la culpabilite´. Dans la mesure ou` il s’agit de renoncer a` l’image traumatique, dans sa fonction d’objet de comple´tude, ils vont se retrouver a` ce point ou` l’enfant subit l’attraction du retour en arrie`re vers le paradis perdu, perdu mais aussi interdit [4]. Aussi, tout ou partie de la « traverse´e œdipienne » sera-t-elle reparcourue, de la premie`re ne´cessite´ d’entrer dans le langage pour formuler ses demandes, jusqu’aux derniers avatars de l’angoisse de castration. C’est-a`-dire que le langage ne saurait offrir quelque chose d’e´quivalent a` ce a` quoi il a fallu renoncer. En re´e´ditant l’entre´e dans le langage, le transfert rame`ne le sujet a` sa ne´vrose, c’est-a`-dire a` son incapacite´ a` renoncer radicalement a` l’objet mythique de comple´tude. 5. En pratique Le moment traumatique est un moment « indicible », « ineffable » : « Vous ne pouvez pas comprendre, personne ne peut me comprendre.» En effet, personne ne peut « comprendre » ces rescape´s qui ne disposent d’aucun mot pour de´crire l’expe´rience qu’ils ont traverse´e. C’est aussi la raison pour laquelle, jusqu’a` une e´poque re´cente, ces patients ne faisaient pas de demande the´rapeutique. Et ils e´taient tre`s e´tonne´s quand on leur disait que leur souffrance e´tait du ressort de la me´decine. Sous

Pour citer cet article : Lebigot F. Le traumatisme psychique au risque de la parole. Le roˆle du transfert dans les psychothe´rapies. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.08.007

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l’influence des me´dias, alors que la socie´te´ commenc¸ait a` s’organiser et a` faire des offres de soin aux victimes de catastrophes individuelles ou collectives, un changement est apparu. Il paraıˆt aujourd’hui plus naturel pour ceux qui ont traverse´ une expe´rience traumatique de se retrouver devant un « psy », comme ils l’ont vu faire a` la te´le´vision. Beaucoup d’ailleurs entament le premier entretien comme ceci : « On m’a dit qu’il fallait que je vienne vous voir », mais tre`s vite, certains d’entre eux jouent parfaitement le jeu de parler de ces choses si personnelles devant cet inconnu, comme dans toute consultation d’un psychiatre ou d’un psychologue qu’ils auraient sollicite´e. Nous avons dit « tre`s vite » mais ce n’est pas toujours le cas. Parfois, il faut un peu de patience au the´rapeute pour laisser au sujet le temps que son discours purement factuel s’e´puise ou prenne une direction inattendue, apre`s une question qui leur est pose´e par exemple, ou le re´cit d’un reˆve qu’ils ont fait la nuit pre´ce´dente. La parole est dangereuse. Parfois la parole se tient e´loigne´e des productions de l’inconscient, le patient assimilant le psychiatre a` une sorte de confesseur bienveillant capable, jusqu’a` un certain point, de distribuer de bons me´dicaments. Il s’agit alors d’un transfert ide´alisant, qui trouve rapidement sa limite. Pour les autres patients, quand ils ont pris la parole, c’est qu’il s’est produit, sans l’intervention de la volonte´ de quiconque, cette chose un peu myste´rieuse que Freud a appele´e le transfert. Rien a` voir avec l’alliance the´rapeutique, par exemple. Le transfert est un transfert de parole vers un autre « suppose´ savoir », quelque chose du petit a, ce que ces mots, ces phrases livre´es en de´sordre signifient. C’est en fait dans l’esprit du sujet, a` un niveau conscient ou inconscient, que des chaıˆnes de signification doivent se former. Il n’en doute plus quand il est lui-meˆme surpris des mots qu’il prononce, spontane´ment ou apre`s une demande d’approfondissement sur ce qu’il vient de dire, ou lorsque le sens de tout ou partie d’un de ses reˆves lui apparaıˆt spontane´ment au cours du re´cit qu’il en fait. Des « interpre´tations » ne sont propose´es que lorsque le sujet les a sur le bout de la langue et pourra les accepter comme le reflet de sa propre pense´e. Nous ne parlerons que des patients qui entrent a` un moment ou a` l’autre dans une relation transfe´rentielle, c’est-a`-dire qui acceptent le risque de se livrer a` leur parole, avec une autocensure minimum. Dans la pratique, ce mode de relation s’engage de fac¸on diverse et la place qu’y tient l’e´pisode traumatique est e´galement tre`s variable, meˆme si c’est lui qui a rendu possible le transfert. Le moment de la rencontre influe sur le contenu du ou des premiers entretiens qui doivent s’adapter a` la demande, implicite ou explicite, du consultant. La psychothe´rapie peut se poursuivre si ne´cessaire apre`s ces premiers entretiens ou, e´ventuellement, en leur absence, commence´e plus tard apre`s un de´lai, soit lorsque apparaıˆt de fac¸on diffe´re´e le syndrome de re´pe´tition, ou meˆme alors que celui-ci est en place depuis un certain temps. A` quelque moment qu’elle s’initie, selon l’e´tat e´motionnel du sujet, elle de´butera par un ou plusieurs entretiens qu’on pourrait appeler d’accueil. Il y aura vite un moment meˆme a` distance de l’e´ve´nement ou` la technique du de´briefing, si celui-ci n’a pas initie´ la rencontre, sera possible et souhaitable. Celle-ci est souvent adopte´e d’emble´e, parce qu’elle est la seule a` pouvoir cerner au plus pre`s la rencontre avec le re´el (les faits, les sensations) et dans le meˆme temps les re´actions e´motionnelles et cognitives (les pense´es) du sujet a` chaque moment de l’e´ve´nement. Elle permet aussi de retrouver le contexte dans lequel celui-ci est survenu. Le de´briefing en lui-meˆme ne re´sout pas grand-chose sur le fond, mais il permet l’accrochage transfe´rentiel, surtout dans sa forme individuelle, et est un bon point de de´part pour le ou les entretiens a` venir. Il est possible aussi que dans certains cas, il favorise les processus d’e´laboration qui vont se de´rouler a` l’insu du sujet. Ce qui nous permet de faire cette hypothe`se, ce sont ces psychothe´rapies qui, apre`s un de´briefing, atteignent leur but en deux ou trois entretiens. Ils terminent leur

psychothe´rapie sans que nous ne connaissions grand-chose d’eux, parfois meˆme ni leur profession ni leur statut marital. Pourtant, c’est le sentiment du the´rapeute, il y a eu une vraie rencontre transfe´rentielle. Parfois, la psychothe´rapie commence plus tard, au moment du de´clenchement du syndrome de re´pe´tition ou lorsque les autres symptoˆmes de la ne´vrose traumatique commencent a` faire vraiment souffrir le sujet ou l’entourage : troubles du caracte`re souvent, de´pression, phobies, etc. Dans ces cas, le ou les premiers entretiens portent sur la souffrance actuelle du consultant, c’est ce qui constitue sa demande, et ne font qu’e´voquer dans ses grandes lignes les circonstances du traumatisme. Puis seront aborde´es les donne´es biographiques et l’incidence de l’e´ve´nement jusqu’a` ce jour. En fait, c’est le patient qui de´termine l’ordre des sujets dont il veut parler. Dans ce cas aussi, le transfert s’installe assez facilement si, dans ces premiers entretiens, le patient retire la certitude d’avoir e´te´ entendu quant a` sa souffrance. Ceci ne s’obtient que par la capacite´ du the´rapeute a` poser les bonnes questions et non par l’e´talage d’un « savoir » ni par la de´livrance de sentences qui se veulent rassurantes, du genre : « Vous avez une re´action normale a` une situation anormale.». Nous ne parlerons pas des sujets inaptes au transfert, trop attache´s a` leurs jouissances secre`tes pour en livrer quoi que ce soit. Ni des difficulte´s a` recueillir la parole de ceux qui ont re´ussi au cours des ans a` composer avec leur ne´vrose traumatique, ou qui viennent consulter quand celle-ci prend une tournure dramatique, quand ils sont engloutis par l’horreur. En fait, chaque cas est tre`s particulier, et meˆme dans ces situations extreˆmes, on peut obtenir parfois des gue´risons aussi myste´rieuses que spectaculaires. A` l’inverse, dans ces cas, un long travail psychothe´rapique sera possible et ne´cessaire pour parvenir a` la gue´rison. Il y a aussi des e´checs ou plus souvent des demi-e´checs, comme si on avait re´pondu a` une demande implicite du patient : « Je vous demande seulement de m’aider a` vivre avec c¸a.» Alors que le transfert de parole peut eˆtre impossible a` cause de l’incapacite´ structurelle de se livrer a` l’impre´visibilite´ de ses associations, ici le proble`me est plutoˆt son attachement au trauma, ou parfois, comme chez les rescape´s des camps de concentration, les victimes de torture ou les otages de longue dure´e, l’impossibilite´ de faire le deuil de ce qui est maintenant une partie constitutive de leur eˆtre. Cela peut ne´anmoins eˆtre grandement ame´liore´ par la disparition de leur symptomatologie spe´cifique et la diminution de la fre´quence des symptoˆmes de re´pe´tition. 6. De l’originaire a` l’Œdipe Mais revenons aux effets du transfert sur le trauma. Ils passent par la signification que prend ce face-a`-face avec la mort dans l’inconscient du sujet. Il est a` la fois faute et chaˆtiment, faute d’avoir contemple´ ce qu’il est interdit de voir, chaˆtiment pour cette faute dont la nature lui e´chappe et qui est the´oriquement a` retrouver. Mais comme telle, elle n’est pas articulable du fait qu’elle correspond a` un interdit qui est inconscient, celui du retour vers l’originaire. Dans le conscient, cela se traduit par un sentiment de culpabilite´, myste´rieux en lui-meˆme, et souvent rattache´ a` un e´ve´nement de la vie du sujet ou des circonstances du trauma. Parfois, c’est le groupe qui lui indique ce qu’il a a` se reprocher, parce que cette « explication » satisfait tout le monde. Par exemple, une pre´tendue culpabilite´ du survivant ou de ne pas avoir aide´ les autres victimes. 6.1. A` propos de trois patients, voyons comment cela fonctionne et comment le transfert entre en jeu Dans le cas que nous allons pre´senter maintenant, l’e´volution du trauma sous transfert se fait visible a` tout moment. Il s’agit d’un

Pour citer cet article : Lebigot F. Le traumatisme psychique au risque de la parole. Le roˆle du transfert dans les psychothe´rapies. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.08.007

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jeune soldat qui a e´te´ puni se´ve`rement pour avoir participe´ a` une beuverie et avoir e´te´ conside´re´ comme un des leaders. Il est encore alcoolise´ et il doit effectuer comme punition avec deux de ses camarades des travaux de force en plein midi sous le soleil aveuglant d’un point d’Afrique conside´re´ comme l’un des plus chauds du monde. Sous le regard, qu’il de´crira plus tard comme « meurtrier » de son lieutenant, il sent au bout d’un moment ses jambes se de´rober et il s’effondre, persuade´ qu’il est en train de mourir. Il est tombe´ dans le coma d’ou` le service de re´animation du centre hospitalier ne pourra le faire sortir. Il est e´vacue´ vers la France et reste encore plusieurs jours dans le meˆme e´tat. Il be´ne´ficie d’une convalescence, mais il est de plus en plus de´prime´ jusqu’a` eˆtre admis en psychiatrie pour un e´tat me´lancolique. Son discours est de´lirant : l’arme´e veut le tuer, il est a` l’hoˆpital pour que c¸a se fasse proprement, les me´decins sont complices et les malades de faux malades. Deux tentatives de pre´cipitation du toit de l’hoˆpital n’e´chouent que graˆce a` la vigilance des infirmiers. Il est mis sous le lourd traitement utilise´ dans les e´tats me´lancoliques. Dans les entretiens auxquels il se preˆte malgre´ son de´lire, il ne parle que de ce qui s’est passe´ en Afrique et de ses cauchemars de re´pe´tition. Mais tre`s vite, a` notre demande, et alors qu’il de´lire encore, il nous apporte d’autres cauchemars et meˆme des reˆves. Nous n’en pre´le`verons que quelques-uns au cours de cette longue psychothe´rapie qui a dure´ six mois, avec une hospitalisation d’autant. Pendant la phase de´lirante, il reˆve qu’il se suicide ou qu’il tue a` coups de revolver ses officiers. Quand une victime se met dans la peau d’un meurtrier dans ses reˆves, c’est le signe qu’un travail psychique est en train de se faire, meˆme si des reˆves de vengeance ne sont pas a priori une promesse de gue´rison. Ici, ne´anmoins, ce reˆve l’ame`ne a` e´voquer un moment de sa carrie`re ou` il avait assiste´ sans intervenir a` des brimades de « bleus » : « A` l’e´poque, je pensais que c¸a ne me regardait pas, maintenant je pense que j’ai e´te´ un laˆche, je me suis comporte´ comme le lieutenant.» Plus tard, un cauchemar va constituer un tournant dans la psychothe´rapie. Un avion l’emme`ne en Afrique, il est assis, menotte´, entre deux policiers. En bas de l’e´chelle, sur le tarmac, il y a les officiers de son re´giment. Ils le poussent vers le lieu de son supplice. Le cauchemar de re´pe´tition termine le reˆve. Ce sera le dernier qu’il fera sous sa forme originelle. Ce reˆve l’ame`ne a` un e´pisode de sa toute petite enfance. Son pe`re est ivre, lui a quatre ou cinq ans. Des policiers arrivent, lui passent des menottes et l’embarquent dans « le panier a` salade ». Commence alors un long travail sur son histoire, complique´e, pre´cocement violente et sans affection : « Je suis entre´ dans l’arme´e parce que, si je mourrais, personne ne s’en apercevrait.» Il fait d’autres cauchemars, comme celui-ci : il est en patrouille, sa jeep tombe dans une embuscade, un de ses camarades est blesse´. Il s’aperc¸oit qu’il a oublie´ sa trousse d’infirmier (c’est sa fonction). Il se rele`ve pour examiner le blesse´ et rec¸oit une balle dans le front. La rencontre avec la mort vient ici comme chaˆtiment d’une faute grave : eˆtre responsable de la mort d’un camarade, autant dire d’un fre`re. Il ne manque pas dans son histoire de fautes re´elles, mais il n’a jamais pense´ a` les mettre en rapport avec son trauma. Pourtant, il a des fautes bien re´elles a` se reprocher. Encore enfant, ses parents sont alors se´pare´s, sa me`re aperc¸oit par la feneˆtre son pe`re qui arrive. Elle envoie son fils chez des voisins pour faire appeler la police. A` son retour, sa me`re a ferme´ sa porte a` clef et ne le laisse pas rentrer. Il croise son pe`re sur le palier qui fait le geste de le frapper, ayant compris pourquoi il e´tait la` : « J’ai e´te´ un Judas.» Une autre fois, il frappe son jeune demi-fre`re avec une grande violence et avec dans la teˆte des ide´es de meurtre. Luimeˆme subissait la violence des coups de son beau-pe`re. Venons-en a` son dernier cauchemar. Il est en « brousse » avec sa section. Ils sont charge´s de faire du « renseignement » (allusion claire a` la psychothe´rapie). Ils sont de´chaıˆne´s, ils tuent, ils violent et a` la fin de cette e´puisante journe´e, il se repose dans une case avec

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les deux camarades avec lesquels il a subi la punition qui l’a amene´ au coma. Trois Africains arme´s de fusils font irruption et les mettent en joue, il se re´veille en sursaut. Ce cauchemar met en sce`ne la transgression des interdits majeurs, l’inceste (le viol) et le parricide (les meurtres), qui conduit au trauma. Ce patient a retrouve´ les fondements de la violence originaire avant que la loi du langage ne se soit installe´e. Il n’a plus rien a` dire, il a trouve´ son « renseignement ». Il termine sa psychothe´rapie avec un reˆve du type de ceux qui sont une garantie que le travail sur le trauma est termine´. Il est au tribunal parce qu’il a porte´ plainte contre l’arme´e, paradoxalement, il est dans le box des accuse´s ; son avocat est a` coˆte´ de lui. En face dans le pre´toire, le lieutenant s’esclaffe : « Tu n’y arriveras jamais ». Le commentaire du sujet est le suivant : « Je voudrais pouvoir dire aux gens : ‘‘je suis en psychiatrie mais ce n’est pas de ma faute’’, mais, alors, j’aurais le sentiment de mentir.» Il trouve une gentille petite compagne et pre´pare sa reconversion dans le civil. 6.2. Autre compte rendu de prise en charge Ce me´decin d’une quarantaine d’anne´es est envoye´ sous les tropiques pour s’occuper des familles des passagers d’un crash ae´rien. Il y a aussi un psychiatre. Les morceaux de corps ont e´te´ rassemble´s dans une morgue, que les autorite´s politiques du pays se sont mis en teˆte de visiter. Elles veulent aussi eˆtre accompagne´es du me´decin. Celui-ci n’y va pas de gaıˆte´ de cœur. Au milieu de ces de´bris de ce qui avait e´te´ des hommes et des femmes, il aperc¸oit pose´e sur le marbre noir la teˆte d’une femme, le´ge`rement aplatie, un œil exorbite´. Il se fige. Sorti de la morgue, il fait paˆle figure. Son colle`gue lui demande s’il veut parler de son se´jour chez les morts. Il refuse, mais accepte notre adresse a` l’hoˆpital Percy. A` son retour, dix jours plus tard, il a un rapport sexuel avec sa femme. Entre leurs deux visages s’interpose l’autre visage. Le lendemain, il prend rendez-vous pour le jour d’apre`s. Le de´briefing se passe bien. Ce jeune colle`gue a une exceptionnelle perception de ce qui s’est passe´ en lui au moment de la rencontre traumatique. Il en parle comme d’un sentiment d’avoir « franchi une ligne rouge ». A` la fin du de´briefing, il nous fait part d’un reˆve qu’il a fait cette nuit meˆme, il est tre`s court : il perd une dent. C’est un reˆve de castration, le renoncement a` quelque chose de pre´cieux, souvent une partie de son corps, le genre de reˆves que certains patients font en fin de psychothe´rapie de ne´vroses traumatiques. Ce sujet a fini sa psychothe´rapie avant de l’avoir commence´e. C’est le type de miracle que re´alise parfois le pre´-transfert. Nous le revoyons deux ans plus tard, par hasard. Il nous raconte qu’apre`s la consultation, il est rentre´ chez lui et a offert les cadeaux qu’il avait rapporte´s a` ses enfants. Alors qu’il tendait au plus jeune d’entre eux un petit car en jouet, celui-ci a glisse´ de sa main et s’est fracasse´ en mille morceaux sur le carrelage : « A` ce moment-la` j’ai su que j’e´tais gue´ri.» 6.3. Dernie`re illustration de l’effet du transfert sous trauma Oriane est une bourgeoise issue d’une grande famille. Elle est dans sa banque au moment ou` a lieu l’irruption de braqueurs. Elle se retrouve avec un revolver sur la tempe. Son agresseur, un noir cagoule´, la fixe a` quelques centime`tres de son visage avec des yeux injecte´s de sang. Elle a un bref moment dissociatif : perte de la familiarite´ du lieu, ralentissement du temps ve´cu. Sa ne´vrose traumatique lui resservira re´gulie`rement l’image du regard de drogue´ de son agresseur. La psychothe´rapie commence´e peu de temps apre`s tourne d’abord autour de la profonde de´pression dans laquelle elle se trouve et qu’elle rapporte a` une de´ception sentimentale qui a pre´ce´de´ l’accident. Puis, pendant de nombreuses se´ances, il sera question de sa me´sentente avec sa me`re et ses cinq fre`res et sœurs.

Pour citer cet article : Lebigot F. Le traumatisme psychique au risque de la parole. Le roˆle du transfert dans les psychothe´rapies. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.08.007

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De`s l’aˆge de 15 ans, elle s’est mise au ban de cette famille tre`s catholique par sa conqueˆte d’une vie sexuelle pre´coce et par des transgressions de la morale chre´tienne : des expe´riences sexuelles pre´coces, plus tard deux IVG, et plus tard encore un divorce. Elle s’est maintenant engage´e dans une entreprise qui vise a` la raccommoder avec les siens et a` faire oublier le statut de « pe´cheresse » qu’elle a aupre`s d’eux. C’est un travail patient qu’elle nous relate en de´tail et qui lui procure de grandes joies. Seul son fre`re aıˆne´, un personnage politique de rang e´leve´, se refuse a` nouer avec elle des liens marquant que le passe´ est oublie´. Elle se met a` faire des reˆves. Dans le premier, elle trouve un coffret en bois avec une armature en fer de « facture ancienne ». Elle n’arrive pas a` l’ouvrir : « c¸a, c’est mon inconscient » dit-elle. Un deuxie`me reˆve la semaine suivante : elle rentre dans sa chambre et de´couvre son ordinateur sur sa tablette aupre`s de son lit, a` la hauteur de son oreiller. Elle ne voit pas ce que cela veut dire, mais se souvient que deux jours avant, elle avait « engueule´ » son grand fils, parce qu’il avait utilise´ son ordinateur. Elle commente ce reˆve ainsi : « Je ne veux pas qu’il l’utilise, dedans il y a des choses tre`s personnelles, tre`s intimes.» Son fils a 20 ans et vit dans le meˆme immeuble qu’elle, au dernier e´tage. Ils se voient souvent et elle ne cache pas l’admiration qu’elle a pour lui, pour ses qualite´s physiques et intellectuelles. Une semaine encore plus tard, elle arrive affole´e a` l’entretien : elle a reˆve´ qu’elle faisait l’amour avec son fils. Enfin, encore une semaine plus tard, le reˆve suivant : elle a un revolver en main et une silhouette masculine apparaıˆt devant elle, elle tire et la silhouette s’effondre. Elle est un peu side´re´e d’avoir fait ce reˆve, comme le pre´ce´dent, et ne voit pas quel commentaire elle pourrait faire. Elle produit ne´anmoins une belle se´rie de de´ne´gations a` propos de cet homme : « Ce n’est pas mon mari. . . Ce n’est pas mon pe`re. . . Ce n’est pas mon fre`re. . . ». Apre`s un long silence, elle s’e´crie : « Enfin, maintenant, je ne me sens plus une victime.» 6.4. Brefs commentaires Dans le premier cas, le travail de la parole adresse´e a` l’Autre dans le transfert est facilement lisible. Il se de´roule sous les yeux du the´rapeute. Il faut dire qu’il est hospitalise´ et que nous le voyons quatre fois par semaine. Alors qu’il est en plein de´lire de perse´cution, il se preˆte aux entretiens et nous re´clame un me´dicament qui lui permettrait d’avoir confiance en nous. Le transfert s’est installe´ quasi imme´diatement, comme c’est ge´ne´ralement le cas lorsque le sujet est hospitalise´ dans le service ou` travaille son the´rapeute et que les entretiens ont commence´ peu de temps apre`s le traumatisme et sont tre`s rapproche´s. Pour un malade aussi grave, c’est finalement assez toˆt qu’il nous livre ce cauchemar qui e´tablit un pont entre la sce`ne traumatique et son histoire infantile (le voyage menotte´ en avion et son pe`re menotte´ sous ses yeux de petit garc¸on). Il a fallu que le transfert soit solide pour que la relation ne se brise pas avec cet homme capable de franchir toute limite, la mort comprise, pour habiter son fantasme he´roı¨que. A` partir de ce cauchemar, ce qu’on verra surtout c’est la violence du the`me de la faute dans des passages a` l’acte qui n’ont pas e´te´ de´taille´s ici : fugues de l’hoˆpital, vol de voiture avec exce`s de vitesse en pleine ville, menace de viol aupre`s d’une patiente d’un autre service, etc. La the´rapie se termine sur un cauchemar qui est une sorte de mise en sce`ne de la faute originelle sous ses apparences ge´nitalise´es. Le reˆve de tribunal de la nuit suivante montre comme toujours que le reˆveur ne sait pas de quoi il est coupable, mais il admet qu’il a sa place dans le box des accuse´s.

Dans le deuxie`me cas, nous avons affaire a` un sujet « ne´vroticonormal » qui a perc¸u au moment du trauma ce qui se passait. Il n’a pas eu beaucoup de mal a` refaire le chemin expe´rimente´ autrefois ˆ simplement haˆter le en direction du langage. Le pre´-transfert a du processus. De`s le premier entretien, il a pu pre´senter a` l’Autre la preuve de son retour a` la « castration ». Ce patient montre de fac¸on saisissante les effets du transfert : offrir la possibilite´ de mettre des mots la` ou` il n’y avait que la jouissance d’un objet de comple´tude, le trauma et permettre autant que possible d’accepter le manque de cet objet. A` noter : les reˆves de fin de psychothe´rapie des ne´vroses traumatiques, reˆves de punition, de castration et d’initiation. Dans ces derniers, le patient reˆve ite´rativement d’effectuer une taˆche dans laquelle il e´choue, comme de traverser une rivie`re infeste´e de crocodiles chez un patient africain. Dans le dernier reˆve, il atteint la ˆ r, la traverse´e œdipienne terre ferme sur l’autre bord. C’est, bien su qui est ici figure´e. Dans le troisie`me cas, la convocation dans les reˆves du triangle œdipien lui a permis de sortir de l’orbe du trauma. Elle tient ne´anmoins a` continuer sa psychothe´rapie, le temps pour elle d’organiser un repas entre elle, son mari dont elle est divorce´e et avec lequel les relations sont tre`s tendues, et son fils. Ce qu’il lui faut, c’est reconstituer une famille, elle qui se voulait, quand elle parlait de son adolescence, une pionnie`re des femmes libe´re´es. La psychothe´rapie se termine sur l’image d’une famille reconstitue´e : le pe`re, la me`re et le fils qui passent une journe´e heureuse. Cette image est celle qui vient a` la place de l’image traumatique. 7. En re´sume´ La premie`re phase est la phase d’installation du transfert, elle met le the´rapeute en position de sujet « suppose´ savoir ». Ce « suppose´ savoir » de´termine le transfert de parole qui est la « matie`re » de la psychothe´rapie [6,8]. Cette phase comprend les soins imme´diats et post-imme´diats s’ils ont eu lieu, le re´cit de l’e´volution de la ne´vrose traumatique si celle-ci est prise en charge tardivement. La deuxie`me phase consiste a` de´blayer autant que ne´cessaire le terrain ne´vrotique, mais peut aussi te´moigner de l’activite´ de liaison des cauchemars traumatiques. Dans ces derniers cas, les signifiants prennent en charge petit a` petit les images de l’e´ve´nement et les transforment. Une troisie`me phase te´moigne, elle, de la liquidation de certains points de re´sistance. Elle fait appel aux imagos de la constellation œdipienne. Le sujet a alors rejoint sa nouvelle identification signifiante inconsciente. ˆ ts De´claration de liens d’inte´re L’auteur de´clare ne pas avoir de liens d’inte´reˆts. Re´fe´rences [1] Andro JB. L’effroi des hommes » vide´ocassette. Time code Production; 1990. [2] Chemama R, Vandermersch B. Dictionnaire de la Psychanalyse. Paris: Larousse; 1998. [3] Freud S. (1920). Au dela` du principe de plaisir. Paris: Petite bibliothe`que Payot; 1981. [4] Freud S. (1938). Abre´ge´ de psychanalyse. Paris: PUF; 1950. [5] Lacan J. (1960-1961). Le Se´minaire, Livre VIII : le transfert. Paris: Seuil; 1991. [6] Lebigot F. L’effroi. In: Damiani C, Lebigot F, editors. Les mots du trauma. Vocabulaire de psychotraumatologie. Paris: P. Duval; 2011. [7] Lebigot F. Traiter le traumatisme psychique : e´tudes cliniques et prises en charge. Paris: Dunod; 2011. [8] Vallet D. Entre´e « Jouissance ». In: Damiani C, Lebigot F, editors. Les mots du trauma. Paris: Philippe Duval; 2011. p. 149.

Pour citer cet article : Lebigot F. Le traumatisme psychique au risque de la parole. Le roˆle du transfert dans les psychothe´rapies. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.08.007