Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2012) 13, 141—144
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
DROIT ET DOULEUR
Le refus de soins est-il opposable au médecin et par le médecin ? Nathalie Lelièvre Lyon, France Disponible sur Internet le 11 mai 2012
MOTS CLÉS Refus de traitement ; Risque vital ; Procédure collégiale ; Trac ¸abilité de la décision
Résumé Le refus de soins émanant du patient est un principe énoncé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des usagers et réitérée par la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Toutefois, ce droit connaît une réciprocité. En effet, le professionnel de santé a la possibilité également d’opposer au patient un refus de soins, soit dans l’intérêt de celui-ci (disproportion entre les bénéfices et risque de la thérapeutique), soit en opposant sa clause de conscience, soit du fait d’une perte de confiance envers son patient ou du fait du comportement de celui-ci (agression physique et ou verbale). La légitimité du refus sera analysé eu égard aux mobiles de la décision. La licéité du refus dépend parfois de critères légaux mais aussi d’un choix propre au professionnel. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Le refus de soins émanant du patient est un principe énoncé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des usagers. Le patient dispose-t-il pour autant d’un droit absolu de décider, voire imposer des traitements à mettre en place ou de ne pas entreprendre ? Le professionnel de santé a-t-il la possibilité d’opposer un refus de traitement au patient ? Quels sont les motifs pouvant conduire un professionnel de santé à refuser de prodiguer des soins à un patient ? La présente étude a pour objet, dans un premier temps, de rappeler le principe du libre choix du patient et donc de la possibilité de s’opposer à des soins. Dans un second temps, le droit pour le professionnel de santé de refuser de dispenser des soins sera explicité.
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N. Lelièvre
Le refus de soins opposable au professionnel de santé Le consentement du patient est un élément fondamental de la relation de soin. Pour autant, cette liberté de dire « non » aux soins est-elle absolue ? Pour consentir ou refuser (et donc pour valider la légitimité d’un choix), il faut : • que le malade comprenne et intègre les informations ; • et qu’il comprenne les conséquences de son choix. Consentir suppose donc en pratique une double compétence : celle de pouvoir comprendre et celle de pouvoir se déterminer librement. Le patient présentant des troubles cognitifs est donc exclu de la présente hypothèse. Toutefois, il convient de rappeler que l’âge avancé d’un patient n’a rien de pathologique. Une personne âgée de 90 ans peut tout à fait se prononcer librement et refuser des traitements. Dans ce cas, le médecin doit discuter avec le patient et non traité avec la famille pour imposer des traitements à la personne. La loi précise que le médecin face à un refus de soins doit informer le patient des conséquences de son choix et tenter de le convaincre. Si le patient maintient sa décision celle-ci doit, sauf exceptions, être respectée. La mission du médecin est-t-elle d’informer le patient ou de le convaincre ? L’information doit être honnête c’est-à-dire ne pas chercher à faire changer d’avis en effrayant le patient. L’attitude du patient va dépendre de la fac ¸on que l’information ait donnée. Il y a, en effet, une intention derrière l’information, et selon que l’équipe médicale ou le médecin accepte ou non le principe d’un arrêt de soins, la nature et la finalité de l’information seront différentes.
L’attitude du médecin, les mots utilisés, l’usage de la compassion ou de la peur seront autant d’éléments qui feront de l’information soit un acte de relation et de partage soit un acte de pression sur le patient. La démarche d’information ne peut se faire sur des contraintes ou de peurs, mais sur un exposé objectif du fait médical tenant compte de la situation psychologique et du vécu du patient. Régulièrement la question se pose de savoir si ce droit au refus de soins est absolu et dans quelles circonstances le médecin doit intervenir ? Il convient de distinguer deux hypothèses : la situation où le patient ne se met pas en danger de la situation relevant du risque vital.
Absence de risque vital S’il n’existe pas de risque vital et que le patient maintient son choix de refuser le traitement proposé. Le procédé suivant est conseillé : • trac ¸abilité des échanges entre le patient et l’équipe médicale ; • consultations datées et résumées ; • courrier au médecin traitant et/ou spécialiste ; • délais de réflexion ; • consultation éventuelle avec un autre médecin ; • refus écrit, signé, daté du patient mais qui ne suffit pas à lui seul. Le patient doit être informé qu’il peut revenir sur
sa décision à tout moment. Il ne signe pas une décharge de responsabilité mais un document sur lequel il est précisé que le patient s’oppose aux traitements, investigations proposées en connaissance de cause.
Existence d’un risque vital Dans des situations exceptionnelles, il peut être possible de passer outre un refus de traitement. Quand des contraintes de temps mettent en cause la vie ou la santé de la personne (notion de risque vital), il est permis de transgresser cette liberté de dire « non » aux traitements.
Premier cas Un patient, témoin de Jéhovah, a une transfusion sanguine malgré son refus oral et écrit. La transfusion est considérée par l’équipe médicale comme indispensable à la survie du patient. Les tribunaux sont saisis sur les motifs suivants : atteinte grave et manifestement illégal aux libertés fondamentales que sont le principe du consentement aux soins et la liberté de conscience et de religion. Le Tribunal enjoint au médecin de ne pas pratiquer d’autres transfusions mais précise que cette injonction prend fin si « la patiente venait à se trouver dans une situation extrême mettant en jeu un pronostic vital ». La requérante a fait appel de l’ordonnance des juges du tribunal administratif de Lyon. Le conseil d’État a jugé que : « les médecins ne portaient pas une atteinte grave et manifestement illégal lorsque après avoir tout mis en œuvre pour convaincre un patient d’accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de la sauver, un acte indispensable à la survie et proportionné à son état »1 .
Second cas Hospitalisée en service de réanimation, un patient fait connaître son refus d’être transfusé en raison de ses convictions religieuses. Les médecins ont passé outre alors même que sa vie n’était pas en danger. Le tribunal enjoint au centre hospitalier de ne plus procéder à des transfusions contre l’avis du patient. Le tribunal administratif de Lille, par ordonnance du 25 août 2002, a jugé que « Considérant que les dispositions de l’article L. 1111-4 du CSP réglementent le principe de l’inviolabilité du corps humain qui se rattache au principe constitutionnel de la sauvegarde de la personne humaine et de la liberté individuelle, l’accomplissement d’un acte médical exige le consentement libre et éclairé du patient. ». L’intervention pour prévenir un risque vital est un critère justifiant la mise en place des soins contre l’avis du patient. Mais, ces situations demeurent exceptionnelles et la volonté du patient doit être respectée dans la mesure du possible. Côté professionnel de santé, quelles sont les pratiques des professionnels qui peuvent s’analyser en tant que refus de soins ?
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Conseil d’État, 16 août 2002.
Le refus de soins est-il opposable au médecin et par le médecin ?
Le refus de soins opposable au patient par le professionnel de santé Le médecin se voit reconnaître la possibilité de refuser de dispenser ses soins comme le mentionne l’article R. 412747 alinéa 2 du CSP : « Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles [. . .] ». Cependant, une autre obligation pèse sur chaque médecin, celle de porter secours à toute personne en situation de détresse. Toutefois, la présente étude n’a pas pour objet d’analyser les comportements qui ont pour objet et/ou pour effet d’exclure certaines personnes de l’accès aux soins pour des motifs économiques, sociaux etc. Sur ce point se reporter au rapport de la conférence nationale de santé2 . Tous les refus de soins ne sont pas illicites. Certaines décisions du Conseil national de l’ordre des médecins illustrent des cas de refus de soins légitimes, tels que la réorientation vers un confrère ou l’arrêt d’un traitement initial de patients ayant refusé certains soins ou manifestant un comportement agressif3 . Dès lors que le médecin demeure dans les limites du refus de soins licite, et respecte les obligations qui pèsent sur lui, comme rediriger le patient vers un professionnel compétent, il ne peut être sanctionné. Tout médecin peut également, en application des articles L. 2123-1, L. 2212-8, et R. 4127-18 du Code de la santé publique, invoquer sa clause de conscience pour refuser de pratiquer une interruption volontaire de grossesse ou une stérilisation à visée contraceptive. Dans les deux cas, il a alors l’obligation d’informer sans délai l’intéressé(e) de sa décision4 et de réorienter la patiente (ou le patient) vers d’autres praticiens. La clause de conscience peut être invoquée par tout médecin quelles que soient les modalités de son exercice professionnel. L’article R. 4127-95 alinéa 2 du Code de la santé publique précise à cet égard qu’« en aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part du médecin, de l’entreprise ou de l’organisme qui l’emploie ».
Dans certaines hypothèses, le médecin se doit de ne pas intervenir, notamment lorsque les soins nécessaires excèdent ses compétences. Le non-respect de cette disposition peut engager la responsabilité du médecin pour faute. Le médecin est donc tenu à cette obligation d’abstention. L’obligation de ne pas soigner peut aussi résulter du respect du principe de proportionnalité qui est imposé au médecin par l’article 16-3 du Code civil, lequel précise qu’il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’« en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui [. . .] ». Cela rejoint l’interdiction 2 Conférence nationale de santé, résoudre les refus de soins, septembre 2010. 3 CNOM ; 16 mai 2002 ; 19 février 2003, 6 septembre 2007. 4 Dès la première consultation précise même l’article L. 2123-1 concernant la stérilisation contraceptive.
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pour le médecin de faire courir des risques injustifiés à son patient5 , et celle de ne pas faire preuve d’une obstination déraisonnable6 . Le médecin est tenu de dispenser des soins de qualité, consciencieux, conformes aux données acquises de la science. Il existe en effet un droit pour les patients de recevoir les soins les plus appropriés. De plus, en vertu du dernier alinéa de l’article L. 1110-5 alinéa 1 du Code de la santé publique « les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, faire courir (au patient) de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ». Ainsi le médecin ne doit pas, dans les investigations et interventions qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, faire courir au patient un risque injustifié. À titre d’exemple, le Conseil national de l’ordre des médecins a considéré comme légitime et justifié par un intérêt thérapeutique, le refus d’un médecin de pratiquer une anesthésie sur un enfant ayant déjà rec ¸u une première anesthésie 72 heures plus tôt7 . Ainsi une thérapeutique risquée et dont les chances de réussite sont faibles ne doit pas être entreprise par un médecin. En ne pratiquant pas une telle intervention, il respecte ses obligations légales, et n’est pas coupable d’un refus de soins illicite. Le médecin conserve sa liberté d’appréciation quant à l’opportunité ou pas de recourir à un traitement. Il se doit dans, le présent cas, informer le patient des raisons pour lesquelles il ne pratique pas le geste (disproportion entre le bénéfice escompté et les risques de l’intervention). Il est vivement recommandé de conserver une trace écrite des échanges avec le patient et d’en informer également le médecin traitant. Cette limite à la dispense de soins ressort également de l’obligation qu’a le médecin de ne pas faire preuve d’une obstination déraisonnable dans ses actes. Cette obligation est précisée par l’article L. 1110-5 alinéa 2 du Code de la santé publique « inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris ». La loi du 4 mars 2002, complétée par la loi du 27 avril 2005, fixe des droits : • le droit pour la personne malade de refuser un traitement dont elle estime qu’il est devenu « déraisonnable » au regard des bénéfices qu’elle peut en attendre. Ce choix doit toujours être respecté par le médecin ; • le droit pour le médecin d’interrompre ou de ne pas entreprendre des traitements qu’il estime inutiles ou disproportionnés par rapport à leurs bénéfices pour le patient, ou qui n’ont pour seul but que le maintien artificiel de la vie. L’ensemble de la procédure doit être inscrite dans le dossier médical avec ses motivations. Cela permet un contrôle a posteriori par le juge non pas sur la justesse de la décision mais du respect de la procédure légale (principe de collégialité). Contrairement aux idées rec ¸ues, la décision
5 Articles L. 1110-5 alinéa 1 et R.4127-8 du Code de la santé publique. 6 Articles L. 1110-5 alinéa 2 et R.4127-37 du Code de la santé publique. 7 CNOM, 10 janvier 2007.
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d’arrêter un traitement curatif à un patient en fin de vie ne fait pas courir un risque judiciaire à l’équipe médicale. Il ne peut pas être reproché « la non-assistance à personne en danger » lorsqu’une équipe médicale décide d’arrêter les traitements curatifs dans l’intérêt du patient. Pour que la qualification de non-assistance à personne en danger soit retenue la personne doit être dans une situation de « péril imminent ». Où est le péril imminent ? Existe-t-il vraiment ce péril imminent ? Absolument pas8 .
Il est recommandé aux professionnels de « ne pas s’enfermer dans une logique médicale exclusive en fondant la décision exclusivement ou de fac ¸on prédominante sur des critères médicaux et techniques » (Hubert P, Canoui P, Cremer R, Leclerc F. Limitations et arrêts de traitement actifs en réanimation pédiatrique : recommandations du GFRUP. Arch Pediatr 2005;1505).
En conclusion Il convient de ne pas céder à l’obsession médicolégale du concept de « non-assistance à personne en péril » qui ne doit pas occulter une relation médecin/malade fondée avant tout, sur la confiance. En revanche, chercher à vouloir mettre à tout prix un traitement qui présente davantage d’effets délétères pour le patient peut être qualifié « d’obstination déraisonnable » (disproportions des soins eu égard à l’état de santé du patient). Sur ce point, l’observatoire nationale de la fin de vie9 a rappelé : si la personne est inconsciente, ou si sa capacité à décider pour elle-même est altérée (démence, déficience intellectuelle, etc.), le médecin a le droit d’interrompre ou de ne pas entreprendre des traitements qui sont devenus inutiles ou disproportionnés par rapport à leurs bénéfices pour le patient, ou qui n’ont pour seul but que le maintien artificiel de la vie. Cette décision ne peut pas être prise par le médecin seul : il a l’obligation de consulter la famille et les proches, d’une part, et de demander l’avis de plusieurs collègues (médecins et paramédicaux), d’autre part.
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Articles 223-5 à 223-7 du Code pénal ; section 3 : de l’entrave aux mesures d’assistance et de l’omission de porter secours. 9 Observatoire national de la fin de vie. Fin de vie, un premier état des lieux. Rapport 2011.
Le refus de prendre en charge un patient est, sous respect de certaines conditions, un droit pour les professionnels. La légitimité du refus sera analysé eu égard aux mobiles de la décision. La licéité du refus dépend parfois de critères légaux mais aussi d’un choix propre au professionnel. L’interdiction des discriminations est une application de cette recherche des mobiles. En revanche, l’existence d’une urgence fait naître un droit aux soins au profit du malade. Le droit affirme la nécessité d’assurer une solution médicale au patient. En raison de cet objectif, les établissements assurant l’exécution d’un service public comme les professionnels qui ont l’obligation d’assurer la continuité des soins, sont tenus de chercher une alternative pour le malade quand ils ne sont pas à même de la prendre en charge. La décision de s’engager dans une relation de soins ou de la poursuivre n’appartient pas au seul malade.
Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.