revue neurologique 171 (2015) 876–881
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Me´moire
Le test Brumory, une taˆche de me´moire a` long terme incidente pour une population immigre´e non francophone et peu scolarise´e The Brumory test, an incidental long-term memory task designed for foreign, non-French-speaking people with low educational level V. Vanderaspoilden a,*,b, D. Nury c, J. Frisque a, P. Peigneux a a
Unite´ de recherches en neuropsychologie et imagerie fonctionnelle (UR2NF), universite´ libre de Bruxelles, 50, avenue Franklin Roosevelt, 1050 Bruxelles, Belgique b Service de revalidation neurologique, CHU Brugmann Horta, 4, place VanGehuchten, 1020 Bruxelles, Belgique c Service de ge´riatrie, CHU Brugmann Brien, 36, rue du Foyer Schaerbeekois, 1030 Bruxelles, Belgique
info article
r e´ s u m e´
Historique de l’article :
Les e´valuations cognitives de patients issus de l’immigration, de cultures diffe´rentes ou ne
Rec¸u le 1er de´cembre 2014
maıˆtrisant pas ou peu la langue du centre dans lequel ils consultent, repre´sentent une
Rec¸u sous la forme re´vise´e le
ne´cessite´ croissante. Or les outils disponibles ne sont ge´ne´ralement pas adapte´s a` ces
7 aouˆt 2015
populations. Pour cette raison, nous avons de´veloppe´ une e´preuve d’e´valuation de la
Accepte´ le 24 aouˆt 2015
me´moire a` long terme non verbale, le test Brumory, base´ sur un encodage incident et
Disponible sur Internet le
sur une re´cupe´ration par reconnaissance. Nous comparons la performance de participants
14 novembre 2015
autochtones a` celle de participants issus de l’immigration (du Maroc essentiellement), ne maıˆtrisant pas ou tre`s peu le franc¸ais et peu ou pas scolarise´s. Les re´sultats indiquent une
Mots cle´s :
absence de diffe´rences significatives de performances mne´siques entre ces deux groupes.
Neuropsychologie
De plus, les consignes e´taient facilement comprises malgre´ le tre`s faible niveau en franc¸ais
Me´moire
du groupe allochtone. Nous en concluons que le test Brumory est une e´preuve ade´quate pour
Comparaison interculturelle
l’e´valuation mne´sique d’individus issus de l’immigration, d’une autre culture et langue et peu scolarise´s.
Keywords:
# 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
Neuropsychology Memory Cross-cultural comparison
abstract Cognitive assessment among foreign patients is a growing need for several reasons: foreign patients have a different culture, they have an insufficient command of the language of the consulting center, and the available cognitive tools are largely unsuitable. For these reasons, we developed a non-verbal test of long-term memory called the Brumory test. This test is based on incident encoding of 48 colored images followed by retrieval by recognition. We
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (V. Vanderaspoilden). http://dx.doi.org/10.1016/j.neurol.2015.08.003 0035-3787/# 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
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compared the performance of indigenous participants with that of immigrant participants (mainly from Morocco). Immigrant participants did not speak French properly and had a low educational level. The results indicate no significant difference in memory performance between the two groups of participants. Moreover, the instructions were easily understood by immigrant participants, despite the fact they do not master French. We conclude that the Brumory test is an appropriate test to assess memory among foreign non-French-speaking patients people with low educational level. # 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1.
Introduction
Un nombre croissant de patients issus de l’immigration consultent des services spe´cialise´s en vue d’une mise au point de troubles cognitifs. Par exemple, 19 % des patients accueillis en Consultation de me´moire au CHU-Brugmann (Bruxelles, Belgique) sont des immigre´s de premie`re ge´ne´ration, parmi lesquels 45 % pre´sentent un niveau de scolarite´ infe´rieur a` l’e´cole primaire [1]. La plupart des outils utilise´s dans le contexte d’une e´valuation cognitive ne sont toutefois pas adapte´s a` des personnes peu scolarise´es et/ou d’une autre langue et culture, et ont de`s lors tendance a` surestimer le de´ficit de ces patients. En effet, la re´ussite a` ces e´preuves ne´cessite la maıˆtrise d’un vocabulaire parfois complexe, ceci afin d’e´viter les effets plafonds dans la population autochtone [2,3]. Par exemple, beaucoup de patients peu scolarise´s ou non francophones se montrent incapables de lire les mots a` me´moriser, ou n’en saisissent pas le sens, lors de la passation du RL/RI16 [4] qui est un des tests de me´moire e´pisodique les plus fre´quemment utilise´s dans le cadre des e´valuations pour le diagnostic pre´coce de la maladie d’Alzheimer. Deux autres e´preuves, le TNI93 et le TMA93 [5], ne´cessitent de pouvoir de´nommer des images et encoder les mots produits, bien qu’elles aient e´te´ plus spe´cifiquement de´veloppe´es pour des patients illettre´s. Le recours a` des taˆches de reconnaissance non verbale peut sembler a priori plus ade´quat pour e´valuer la me´moire de ces patients, mais ces taˆches ne sont pas non plus exemptes de critiques. Ainsi, le Doors And People Test [6] est base´ sur du mate´riel culturellement impre´gne´ (c’est-a`-dire, des photos de portes anglaises), ne controˆle pas les strate´gies cognitives susceptibles d’eˆtre mises en œuvre lors de l’encodage et n’exige pas de de´lai entre l’encodage et la reconnaissance, ce qui in fine ne garantit pas que la performance repose syste´matiquement sur la me´moire a` long terme. Pour ce qui est du test DMS48 [7], bien qu’il soit susceptible d’eˆtre utilise´ chez des patients d’origine e´trange`re selon ses auteurs [8], aucune donne´e n’est encore disponible a` ce sujet. De plus et malgre´ son inte´reˆt dans la pratique clinique, l’encodage incident (de´terminer s’il y a plus ou moins de trois couleurs) est parfois difficilement compre´hensible chez ces patients qui peuvent longuement s’interroger sur la nature des couleurs, les de´grade´s, etc. Ce test peut en outre manquer de sensibilite´, surtout pour certains items, e´tant donne´ que les scores plafonnent chez les sujets te´moins et meˆme dans certains groupes pathologiques, par exemple les patients parkinsoniens [7]. Pour toutes ces raisons, nous proposons ici une nouvelle taˆche de me´moire e´pisodique non verbale, le Test Brumory (pour Brussels
memory), dont les consignes et le mate´riel ont e´te´ pense´s pour eˆtre plus accessibles a` des individus de cultures diffe´rentes, non francophones et peu scolarise´s. Afin de le ve´rifier, ce nouveau test a e´te´ administre´ a` un groupe de participants autochtones et a` un groupe de participants immigre´s peu scolarise´s.
2.
Me´thode
2.1.
Participants
Vingt et un sujets immigre´s de premie`re ge´ne´ration (12 femmes, 9 hommes) ont e´te´ recrute´s au sein d’associations d’alphabe´tisation. Plus de 50 % d’entre eux e´taient originaires du Maroc, les autres provenant de Turquie, de Roumanie, d’Egypte, du Togo et du Be´nin. Ces participants allochtones e´taient aˆge´s en moyenne de 37 ans (e´cart-type : 9 ans), tre`s peu ou pas scolarise´s (moyenne : 2,05 anne´es, e´cart-type : 2,65) et maıˆtrisaient tre`s peu ou pas du tout le franc¸ais, comme en te´moigne leur score aux dix premiers items du test de vocabulaire Mill-Hill [9] (score moyen : 0,05/10, e´cart-type : 0,22). Ces participants ont e´te´ apparie´s en termes d’aˆge a` 24 sujets autochtones (19 femmes, 5 hommes), belges francophones, aˆge´s en moyenne de 38 ans (e´cart-type : 9 ans), recrute´s au sein d’associations luttant contre la pauvrete´, et e´galement peu scolarise´s bien qu’un appariement des deux groupes sur base du nombre d’anne´es de scolarite´ ne soit pas possible, e´tant donne´ l’enseignement obligatoire en Belgique (scolarite´ moyenne du groupe belge : 10,96 anne´es, e´cart-type : 1,78). Le score des sujets autochtones plafonnait aux dix premiers items du test de Mill-Hill (score moyen : 9,17/ 10, e´cart-type : 1,09). Aucun participant ne pre´sentait de troubles visuels au test Ishihara (tous ont obtenu un score de 10/10) ni d’ante´ce´dents neurologiques ou psychiatriques sur base d’un questionnaire d’anamne`se comple´te´ avec interpre`te si ne´cessaire. Enfin, aucun participant ne prenait de traitement me´dicamenteux susceptible d’interfe´rer avec le fonctionnement cognitif. Tous les participants ont e´te´ teste´s individuellement et par le meˆme examinateur. Aucun n’a rec¸u de compensation financie`re.
2.2.
Mate´riel
Le test Brumory est compose´ de 48 images colore´es re´parties sur 2 planches de format A4, la premie`re comportant 24 dessins concrets et la seconde 24 dessins abstraits peu verbalisables. Chaque planche pre´sente les images sous la forme d’un tableau de 4 lignes et 6 colonnes (Fig. 1).
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Fig. 1 – Mate´riel d’encodage du Brumory : planches A4 avec cibles pre´sente´es une a` une au-dessus. Gauche : dessins concrets. Droite : dessins abstraits.
Le test Brumory comporte e´galement un ensemble de 48 cartes repre´sentant les images a` me´moriser ainsi que 48 feuilles au format A4 comportant chacune 2 images place´es coˆte a` coˆte horizontalement en vue d’un choix force´ : une image cible et un distracteur. Les distracteurs sont soit perceptivement similaires a` la cible (12 items concrets et 12 items abstraits), c’est-a`-dire partageant avec la cible des traits, tels que certaines couleurs/formes, ou sont perceptivement dissimilaires a` la cible (12 items concrets et 12 items
abstraits) (Fig. 2). Toutes les images du Brumory ont e´te´ se´lectionne´es et retravaille´es a` partir d’un site Internet professionnel (www.shutterstock.com).
2.3.
Proce´dure
Le groupe allochtone a be´ne´ficie´ de l’aide d’un interpre`te (ge´ne´ralement un responsable de l’association d’alphabe´tisation) afin d’e´voquer les grandes lignes de l’e´tude, recueillir les
Fig. 2 – Exemples de planches de reconnaissance. Gauche : items avec distracteurs similaires. Droite : items avec distracteurs dissimilaires.
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donne´es anamnestiques (questionnaires) et expliquer certaines consignes. Pour le test Brumory toutefois, aucune traduction des consignes n’a e´te´ propose´e. L’examinateur s’exprimait en franc¸ais et par gestes (par exemple, pointage des items). Dans une premie`re phase, le test Brumory consiste en un apprentissage perceptif incident des 48 images colore´es (pour rappel, 24 dessins concrets et 24 dessins abstraits non ou peu verbalisables). Lors de l’encodage, le patient doit pointer du doigt l’image correspondant a` une cible sur une feuille A4 comportant les 24 images concre`tes, la cible e´tant pre´sente´e sur carte se´pare´e au-dessus de la feuille (Fig. 1). L’examinateur proce`de pour les 24 images concre`tes selon un ordre de´fini au hasard et chronome`tre le temps ne´cessaire a` l’appariement perceptif de l’ensemble des 24 images. La meˆme proce´dure est ensuite applique´e pour les 24 images abstraites. Cette proce´dure d’encodage incident implique que le sujet ne soit pas informe´ au pre´alable du fait qu’il s’agit d’une e´preuve mne´sique. Ce type d’encodage a e´te´ privile´gie´ afin d’e´viter au maximum le recours a` des strate´gies d’encodage non controˆlables, contrairement, par exemple, au Doors And People Test. Apre`s un de´lai de 20 minutes, le sujet est amene´ a` reconnaıˆtre les images pre´ce´demment vues dans une proce´dure de choix force´ entre l’image cible et un distracteur (Fig. 2). Les images concre`tes et abstraites sont pre´sente´es dans un ordre de´fini ale´atoirement. Durant l’intervalle de 20 minutes entre l’encodage et la reconnaissance des items du Brumory, les taˆches suivantes ont e´te´ propose´es aux sujets : le Barrage de Cloches [10], les figures identiques du Protocole d’e´valuation des gnosies visuelles (PEGV) [11], le Block Taping Test [12] et les dix premiers items du Mill-Hill [9]. E´tant donne´ la barrie`re linguistique dans le groupe allochtone, d’autres taˆches verbales n’ont pas e´te´ administre´es.
3.
Re´sultats
Les consignes d’encodage et de reconnaissance du Brumory ont e´te´ bien comprises par les deux groupes de participants et ce, malgre´ le tre`s faible niveau de maıˆtrise de la langue franc¸aise du groupe allochtone (pour rappel : niveau de vocabulaire en franc¸ais quasiment nul au test de Mill-Hill). Les analyses statistiques ont e´te´ re´alise´es avec le logiciel SPSS 13.0. Les scores de reconnaissance a` l’ensemble du test s’e´chelonnent, dans les deux groupes, entre 28 et 46 sur un total 48, ce qui sugge`re l’absence d’effets plafond ou plancher (24/48 e´tant conside´re´ comme le niveau du hasard). Par ailleurs, les sujets autochtones et allochtones (Tableau 1) n’obtiennent pas de scores significativement diffe´rents pour l’ensemble du test (t(43) = –1,29, p = 0,204). E´tant donne´ le faible nombre de sujets dans chacun des groupes, nous avons e´galement re´alise´ une analyse de puissance. Celle-ci indique que, pour obtenir une diffe´rence significative avec une puissance de 0,80, un e´chantillon de 107 sujets serait ne´cessaire, ce qui indique une absence de diffe´rence forte entre les deux groupes. De plus, aucune diffe´rence n’a e´te´ observe´e entre les deux groupes quel que soit le mate´riel utilise´ (Tableau 1) : items concrets, items abstraits,
Tableau 1 – Performances moyennes en reconnaissance (et e´cart-types). Sujets allochtones Score total (/48) Items concrets (/24) Items abstraits (/24) Distracteurs similaires (/24) Distracteurs dissimilaires (/24)
36,05 18,57 17,48 17,33 18,71
(4,63) (3,36) (2,02) (2,85) (2,92)
Sujets autochtones 38,17 19,58 18,58 18,29 19,88
(6,16) (2,98) (3,49) (3,14) (3,33)
Tableau 2 – Temps d’encodage moyen en secondes (et e´cart-types).
Items concrets Items abstraits
Sujets allochtones
Sujets autochtones
46,67 (6,21) 56,81 (10,55)
37,08 (4,52) 42,17 (6,13)
reconnaissance avec distracteurs similaires ou avec distracteurs dissimilaires ( ps > 0,20). Une analyse de variance a` mesures re´pe´te´es a e´te´ re´alise´e afin d’e´valuer les effets de la nature du mate´riel en fonction des groupes de sujets. Les items concrets sont mieux reconnus que les items abstraits (F(1,43) = 7,56, p = 0,009) et ce, de manie`re identique dans les deux groupes (interaction groupe mate´riel non significative : F(1,43) = 0,016, p = 0,901). Par ailleurs, les distracteurs similaires perturbent davantage la reconnaissance que les distracteurs dissimilaires (F(1,43) = 12,87, p = 0,001) et ce, e´galement de manie`re identique dans les deux groupes (interaction groupe distracteurs non significative : F(1,43) = 0,060, p = 0,808). La dure´e de l’encodage, c’est-a`-dire des appariements perceptifs (Tableau 2) a e´galement fait l’objet d’une analyse de variance a` mesures re´pe´te´es. Lors de l’encodage, le traitement des items abstraits prend plus de temps que le traitement des items concrets (F(1,43) = 59,503, p < 0,001), et les sujets autochtones se sont montre´s plus rapides que les sujets allochtones (F(1,43) = 41,654, p < 0,001), cette diffe´rence e´tant davantage marque´e pour les items abstraits (F(1,43) = 6,570, p =0,014). Ces diffe´rences de temps de traitement sont e´galement observe´es pour les taˆches interme´diaires propose´es (Tableau 3), a` savoir le Test de Barrage de Cloches (t(43) = 2,33, p = 0,025) et les appariements des figures identiques-PEGV (t(43) = 4,65, p < 0,001), ou` les participants autochtones se sont montre´s plus rapides. Les scores de re´ussite, en revanche, ne diffe`rent que pour la taˆche des figures identiques-PEGV (t(43) = 4,42,
Tableau 3 – Performances moyennes dans les taˆches interme´diaires (et e´cart-type). Sujets allochtones Barrages des cloches : temps (s) Barrages des cloches : score AP-PEGV : temps (s) AP-PEGV : score BTT
109,29 29,48 97,95 7,10 5,00
(32,77) (2,58) (36,24) (2,23) (0,89)
Sujets autochtones 91,96 29,63 60,21 9,25 5,13
(15,08) (1,88) (15,32) (0,79) (0,99)
AP-PEGV : appariements des figures identiques de la batterie PEGV ; BTT : Block Tapping Test.
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p < 0,001) (pour le Barrage de Cloches et pour le Block Tapping Test : p > 0,60). Toutefois, les scores a` la taˆche de la PEGV impliquent e´galement une dimension temporelle, les re´ponses devant eˆtre fournies dans le temps alloue´ pour eˆtre valide´es.
4.
Discussion
L’influence de la culture (valeurs, croyances, habitudes, expe´riences) sur la performance cognitive est bien connue. De´ja` en 1932, Nadel montrait dans une population nige´riane que les performances en rappel d’histoires variaient selon le groupe religieux de re´fe´rence [13]. Ardila et Keating insistent e´galement sur le fait que les strate´gies mne´siques sont influence´es par les expe´riences ve´cues, donc par la culture [14]. Par exemple, les Indiens de la jungle amazonienne, qui sont capables de me´moriser de longs poe`mes e´piques, sont incapables de retenir des listes de mots ou de chiffres. Les taˆches sous contrainte temporelle, de meˆme que de nombreuses taˆches non verbales, telles que copier des dessins ou re´agir a` certains sons, sont e´galement sous l’influence de facteurs culturels [15]. Par ailleurs, la culture influencerait directement l’organisation ce´re´brale et les apprentissages. Ainsi, des diffe´rences de traitement ce´re´bral au niveau des re´gions occipitales late´rales et du gyrus temporal pourraient expliquer que les occidentaux soient meilleurs que les asiatiques pour me´moriser des items inde´pendamment de leur contexte, tandis que ces derniers sont meilleurs pour me´moriser les informations contextuelles [16]. Dans le contexte d’un monde de plus en plus cosmopolite et de migrations voulues ou force´es, et de la ne´cessite´ de pouvoir e´valuer cognitivement des patients d’une autre culture et d’une autre langue, il est donc indispensable de re´fle´chir a` la pertinence des outils choisis, tant au niveau de la nature du mate´riel, de l’accessibilite´ des consignes, de la proce´dure que des normes disponibles. Parce qu’il existe actuellement un manque de tests neuropsychologiques construits dans cette perspective, nous avons de´veloppe´ le test Brumory, une taˆche de reconnaissance entie`rement non verbale et susceptible d’eˆtre propose´e a` des patients tre`s peu scolarise´s, de culture et de langue diffe´rentes. Les re´sultats de cette e´tude montrent une absence de diffe´rences significatives entre les performances d’un groupe de sujets autochtones et un groupe de sujets immigre´s sains, ne parlant pas ou tre`s peu franc¸ais et tre`s peu scolarise´s, sans effet plancher ni plafond dans les deux groupes, et sans diffe´rence notable d’effet entre les deux groupes quant a` la nature du mate´riel (items abstrait ou concret, distracteurs similaires ou dissimilaires). De plus, la taˆche s’est montre´e aise´e a` comprendre, de meˆme que la consigne, aise´e a` appliquer. Cette taˆche peut donc eˆtre propose´e afin d’e´valuer le fonctionnement mne´sique de telles populations sans devoir recourir a` un interpre`te. Des e´tudes ulte´rieures sont maintenant ne´cessaires pour de´montrer la sensibilite´ de cette e´preuve pour la de´tection de proble`mes mne´siques chez par exemple le patient ce´re´brole´se´ ou atteint d’une pathologie ce´re´brale de´ge´ne´rative. La seule diffe´rence significative observe´e entre les deux groupes de sujets sur le test Brumory concerne les temps d’encodage, les sujets autochtones se montrant plus rapides
que les sujets allochtones. Cette observation rejoint les donne´es de la litte´rature. Par exemple, Mulenga et al. ont montre´ que les enfants Zambiens re´alisent plus lentement un test non verbal de barrage, par rapport aux normes d’enfants ame´ricains, et ce malgre´ la consigne d’aller le plus vite possible [17]. Ainsi, dans certaines cultures, la rapidite´ et la qualite´ sont des variables antagonistes : un travail bien fait sera vu comme le fruit d’un traitement lent et soigne´. Dans ce cadre, la rapidite´ constituerait une valeur essentiellement encourage´e dans notre culture dite occidentale. Par ailleurs, Brucki et Nitrini montrent un effet de la scolarite´ (sujets lettre´s vs illettre´s) sur le temps de re´alisation dans une taˆche de barrage de cibles [18]. Les auteurs sugge`rent que l’apprentissage de la lecture favorise le de´veloppement de strate´gies plus efficaces meˆme dans des taˆches visuelles non verbales. Rappelons ici que la plupart des sujets allochtones de notre e´tude n’e´taient pas ou tre`s peu scolarise´s, et qu’ils pre´sentent e´galement une plus grande lenteur aux taˆches de barrage de cibles et d’appariement de figures identiques (PEGV). Toutefois, les diffe´rences de temps d’encodage au Brumory n’ont pas affecte´ les performances en reconnaissance. Nous avons donc montre´ que le test Brumory, taˆche non verbale de me´moire a` long terme, peut eˆtre propose´ a` des sujets d’une culture diffe´rente, ne maıˆtrisant pas la langue de l’examinateur et tre`s peu scolarise´s. L’efficacite´ de cette taˆche repose probablement sur plusieurs raisons, parmi lesquelles le caracte`re entie`rement non verbal de la taˆche, la simplicite´ de compre´hension des consignes, le caracte`re incident de l’encodage et l’absence de contrainte temporelle sur sa re´alisation. E´tant donne´ l’inte´reˆt de l’outil ici de´montre´ aupre`s de sujets immigre´s, non francophones et peu scolarise´s, il reste maintenant a` le valider et a` le normer aupre`s de populations de sujets d’aˆge moyen et plus aˆge´s, sains et pathologiques, afin de pouvoir pleinement y recourir dans nos Consultations de me´moire. Ce travail est actuellement en cours.
De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.
r e´ f e´ r e n c e s
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