Le Praticien en anesthésie réanimation (2016) 20, 59—60
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ÉDITORIAL
L’échographie permet-elle de faire un bloc chez un patient sous anesthésie générale ? Does ultrasonography make it possible performing a peripheral block in a patient under general anaesthesia?
Introduction L’échographie a changé la pratique des anesthésies loco-régionales et notamment celle des blocs périphériques (ALRp). Elle permet un meilleur confort pour les patients, une amélioration de l’efficacité et de la sécurité, un élargissement des possibilités de réalisation de différents blocs [1]. De ce fait, la question rémanente de la réalisation des blocs sous anesthésie générale ou sous sédation profonde se pose naturellement. Jusqu’à présent, la justification de la restriction de la réalisation d’une ALRp aux patients éveillés se basait sur : • l’absence de données scientifiques concluantes sur les risques relatifs des ALRp exécutées sur des patients anesthésiés ; les seules données disponibles provenant du cas particulier de l’enfant ou d’études rétrospectives et de données déclaratives ; • la perte d’éléments cliniques évocateurs de complication neurologique (paresthésie) ou de signes subjectifs de toxicité systémique chez le patient anesthésié. La littérature s’est enrichie récemment d’études observationnelles et prospectives réalisées chez l’enfant de 0 à 18 ans. Dans une première étude, un peu plus de 50 000 enfants ont bénéficié d’une ALRp sous anesthésie générale, et moins de 3000 ont eu une ALRp alors qu’ils étaient éveillés ou légèrement sédatés [2]. Les complications liées aux AL et notamment les complications neurologiques n’étaient pas plus fréquentes dans un groupe que dans l’autre. Dans un second travail, la pratique d’un bloc interscalénique réalisé chez des enfants anesthésiés (pratique non recommandée par certaines sociétés savantes) a été envisagée [3]. Au cours de 518 procédures, une seule injection intravasculaire a été détectée sans autre complication. L’interprétation des résultats obtenus chez l’enfant doit néanmoins se faire avec prudence. Dans le contexte de la pédiatrie, l’AG ou la sédation profonde est nécessaire afin d’éviter tout mouvement inopiné augmentant les risques de l’ALRp. L’extrapolation aux patients adultes ne peut être envisagée : l’absence de morbidité rapportée n’étant pas synonyme de morbidité nulle. La puissance des études chez l’adulte ne permet pas de conclure sur l’incidence des risques potentiels de l’ALRp sous AG, mais elles suggèrent un accroissement de la sécurité de l’ALRp sous échographie.
http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2016.02.003 1279-7960/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
60 Dans le travail de Barrington et al., sur 8189 procédures réalisées, 23 % étaient effectuées sous AG ou anesthésie neuraxiale [4]. La plupart des complications neurologiques rapportées n’étaient pas en lien avec la réalisation de l’ALR et l’association à une AG n’était pas un facteur de risque d’atteinte neurologique. D’autre part, un travail récent de Ecoffey et al. suggère une plus grande sécurité de l’ALR pratiquée sous échographie avec une incidence très faible des atteintes neurologiques après bloc axillaire : 0,37 pour 10 000 [5]. L’échographie qui est susceptible de sécuriser la pratique de l’ALR pourrait donc laisser envisager la réalisation des blocs sous anesthésie générale. La visualisation précise de la progression de l’aiguille et de sa position par rapport aux différentes structures anatomiques pourrait donner une bien meilleure garantie de prévention de la survenue de complications que les signes cliniques observés chez les patients éveillés qu’il s’agisse de paresthésie ou des premiers signes témoignant du passage intravasculaire des anesthésiques locaux. Le contrôle permanent et précis de l’extrémité de l’aiguille (qualité de l’image échographique, suivi électromagnétique de l’aiguille, aiguille échogène) et la détection précoce d’injection intravasculaire ou intraneurale (qualité de l’image échographique, moniteur de pression et d’impédance. . .) seraient plus pertinents que la simple surveillance clinique. L’ALRp sous anesthésie générale s’envisagerait alors simplement dans des mains expertes en utilisant un matériel dédié et de qualité. Cette éventualité amène à formuler la question autrement : quelles raisons justifient la réalisation d’une ALR sous AG ? Les promoteurs de l’ALR sous AG mettent en avant la meilleure acceptation pour le patient (anxiété, phobie des aiguilles. . .), les meilleures conditions d’enseignement, la solution de facilité face aux problèmes d’organisation, l’amélioration du confort du praticien en cours d’apprentissage. Cependant, aucun de ces arguments ne semble justifier, même dans des mains expertes, une prise de risque supplémentaire si elle est avérée. L’utilisation de l’échographie est, en elle-même, une réponse à toutes ces problématiques. L’écran de l’échographe offre un support de distraction et/ou d’information pour le patient, responsable en partie de l’amélioration du confort de l’ALRp. La phase d’apprentissage, plus simple et plus rapide sous échographie, nécessite de prendre en compte tous les signes cliniques et paracliniques afin de mieux les appréhender et de sécuriser au maximum la technique. L’organisation reste de mise lors de la pratique des blocs sous échographie. L’évolution technologique que représente l’échographie rend l’ALRp plus sure et nous permet de répondre plutôt favorablement à la question « ALRp échoguidée est-elle possible sous AG ? » Une seconde question se pose alors « l’ALRp échoguidée sous anesthésie générale apporte-t-elle
Éditorial un bénéfice supplémentaire au patient ? » La réponse à cette dernière réduit largement notre champ d’action. Les recommandations formalisées d’experts de la SFAR vont dans ce sens, en offrant la possibilité de proposer et de réaliser, dans les situations ou le rapport bénéfice—risque est favorable et justifié, une ALRp sous échographie ; la réalisation d’un bloc échoguidé chez un patient éveillé, calme et coopérant, devant rester la règle [6].
Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts.
Références [1] Neal JM. Ultrasound-guided regional anesthesia and patient safety: update of an evidence-based analysis. Reg Anesth Pain Med 2016;41 [00-00]. [2] Taenzer AH, Walker BJ, Bosenberg AT, Martin L, Suresh S, Polaner DM, Wolf C, Krane EJ. Asleep versus awake: does it matter? Pediatric regional block complications by patient state: a report from the Pediatric Regional Anesthesia Network. Reg Anesth Pain Med 2014;39:279—83. [3] Taenzer A, Walker BJ, Bosenberg AT, Krane EJ, Martin LD, Polaner DM, Wolf C, Suresh S. Interscalene brachial plexus blocks under general anesthesia in children: is this safe practice? A report from the Pediatric Regional Anesthesia Network (PRAN). Reg Anesth Pain Med 2014;39(6):502—5. [4] Barrington MJ, Watts SA, Gledhill SR, Thomas RD, Said SA, Snyder GL, Tay VS, Jamrozik K. Preliminary results of the Australasian Regional Anaesthesia Collaboration: a prospective audit of more than 7000 peripheral nerve and plexus blocks for neurologic and other complications. Reg Anesth Pain Med 2009;34: 534—41. [5] Ecoffey C, Oger E, Marchand-Maillet F, Cimino Y, Rannou JJ, Beloeil H. SOS French Regional Anaesthesia Hotline. Complications associated with 27031 ultrasound-guided axillary brachial plexus blocks: a web-based survey of 36 French centres. Eur J Anaesthesiol 2014;31:606—10. [6] Bouaziz H, Aubrun F, Belbachir A, Cuvillon P, Eisenberg E, Jochum D, et al. Ultrasound-guided regional anesthesia. Ann Fr Anesth Reanim 2013;32:e119—20.
Sébastien Bloc a,∗ , Laurent Delaunay b a
HP Claude-Galien, 20, route de Boussy, 91480 Quincy-Sous-Sénart, France b Clinique générale, 4, chemin de la Tour-de-la-Reine, 74000 Annecy, France ∗ Auteur
correspondant.
Adresse e-mail :
[email protected] (S. Bloc) Rec ¸u le 15 janvier 2016 ; accepté le 10 f´ evrier 2016 Disponible sur Internet le 10 mars 2016