EMC-Médecine 1 (2004) 178–186
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Lecture critique d’un article médical : à la recherche des innovations réellement utiles Critical reading of a medical article: searching for truly useful innovations L.-R. Salmi (Professeur des Universités, praticien hospitalier) Institut de Santé publique, d’épidémiologie et de développement, Université Victor Segalen Bordeaux 2, et Centre hospitalier universitaire de Bordeaux, 146, rue Léo-Saignat, 33076 Bordeaux cedex, France.
MOTS CLÉS Lecture critique ; Publications ; Périodiques ; Diffusion de l’innovation ; Études d’évaluation
KEYWORDS Critical reading; Publications; Periodicals; Diffusion of innovation; Evaluation studies
Résumé Chaque mois, près de 4 000 revues biomédicales paraissent dans le monde et nous proposent de l’information sur les progrès des sciences médicales. Comment juger de l’utilité réelle et de la validité de cette information ? © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract About 4 000 biomedical journals are published every month worldwide, reporting information on recent improvements among medical sciences. How should we appraise the actual usefulness and validity of this information ? © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Introduction Chaque mois, près de 4 000 revues médicales paraissent dans le monde. Malgré cette abondance, le médecin doit tenir à jour ses connaissances des développement récents en thérapeutique, diagnostic, pronostic et prévention.5 Par ailleurs, les médias, toujours à l’affût d’informations concernant la santé, sont souvent à l’origine de questions posées par les patients. Le médecin se doit donc de savoir trier l’information, en analyser les éléments forts et les faiblesses pour mieux l’expliquer à ses patients. La nécessité d’une lecture critique des revues médicales et des médias généralistes découle des Adresse e-mail :
[email protected] (L.-R. Salmi). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcmed.2004.02.005
questions que le praticien se pose au quotidien. Quand les réponses ne sont pas disponibles, le praticien doit acquérir de nouvelles connaissances ou, plus habituellement, choisir parmi les nombreuses informations qui lui parviennent. Les techniques de lecture critique permettent de ne retenir alors que l’information qui sera réellement utile dans la pratique.8
Raisons d’être de la lecture critique Quelles questions se pose-t-on en pratique médicale quotidienne ? De manière schématique, les questions que se pose un praticien sont de deux ordres. Elles concernent
Lecture critique d’un article médical : à la recherche des innovations réellement utiles Tableau 1
Types et exemples de questions posées en pratique médicale quotidienne.
Type de question Mesurer ou diagnostiquer Pronostiquer Prescrire Suivre
Informer sur le risque Prévenir Dépister
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Exemple Comment mesurer le niveau de stress chez cette personne préretraitée déprimée ? Cette femme jeune ayant une lombalgie aiguë non traumatique sans aucun antécédent aura-t-elle récupéré au bout de 1 semaine ? Peut-on se contenter d’un traitement antibiotique de 5 jours chez cet adulte fumeur ayant une pneumonie aiguë communautaire ? Cette élévation de la concentration sanguine de prostate-specific antigen (PSA) doitelle faire suspecter une récidive du cancer de la prostate chez cet homme de 85 ans par ailleurs en pleine forme ? Cette femme dont deux tantes maternelles sont décédées d’un cancer du sein a-t-elle un risque accru d’avoir un cancer du sein ? Faut-il vacciner tous les contacts scolaires d’un cas de méningite à méningocoque de type B ? Le dépistage des troubles visuels chez l’adolescent diminue-t-il la fréquence des problèmes scolaires ?
la prise en charge d’un problème de santé d’un patient donné ou correspondent à la nécessité de comprendre et d’informer un patient sur des problèmes collectifs (Tableau 1). Les questions concernant la prise en charge du problème de santé d’un patient donné découlent de la demande du patient lui-même : qu’est-ce que j’ai, docteur (question diagnostique) ? Est-ce grave (question pronostique) ? Quel est le meilleur traitement (question thérapeutique) ? Où en suis-je (question de suivi) ? Les questions sur des problèmes collectifs correspondent soit à une demande du patient, habituellement à propos d’une information médicale véhiculée par les médias généralistes (par exemple, que faut-il penser du téléphone cellulaire ?), soit à une initiative du praticien. Dans cette dernière situation, le praticien profite d’un contact avec un individu pour proposer ou informer sur l’intérêt d’une action préventive (avez-vous envisagé de vous arrêter de fumer ?), d’une détection précoce ou d’un dépistage (avez-vous eu une mammographie pendant ces 3 dernières années ?). Plusieurs éléments sont communs à toutes ces questions : premièrement, la réponse dépend essentiellement de la capacité du praticien à faire le choix a priori le plus favorable pour l’individu concerné (choix du meilleur test diagnostique ou du meilleur traitement, choix du meilleur indicateur pronostique ou de suivi) ; deuxièmement, ce choix dépend de la capacité du praticien à se tenir informé de toutes les options possibles ; troisièmement, la réponse à la question posée doit être expliquée, en termes d’avantages et d’inconvénients potentiels pour cet individu donné.
Quelles sont les difficultés rencontrées pour répondre à ces questions ? Les difficultés potentielles peuvent être liées à des lacunes d’ordre technique ou dans les connaissan-
ces du praticien. Une difficulté technique apparaît quand le praticien ne sait pas comment appliquer la meilleure option diagnostique ou thérapeutique. Ainsi, certains syndromes rares ne relèvent pas de la compétence diagnostique d’un praticien généraliste et certaines situations compliquées ne relèvent que d’un traitement spécialisé. Le praticien a alors deux options : acquérir de nouvelles compétences techniques ou confier l’individu concerné à un praticien spécialiste du problème. L’acquisition de compétences techniques et l’organisation des relais de soins ne relèvent pas de la lecture critique et ne seront plus évoquées dans cet article. Un défaut d’information du praticien survient quand il ne sait pas, au moment où une question se pose, quelle est la meilleure réponse pour l’individu concerné. Cette ignorance peut résulter d’un défaut de formation initiale ; plus habituellement, elle est le fait de l’existence de plusieurs options possibles ou de l’apparition récente d’une innovation. Dans ces situations, le praticien doit répondre à deux questions fondamentales : en tant que praticien, doit-je incorporer de nouvelles informations dans ma pratique ? Cette incorporation m’aidera-telle à mieux prendre en charge l’individu concerné ou, ultérieurement, des individus similaires ? Les implications de ces questions sont le fondement de la lecture critique.9
Quelles implications pour la pratique quotidienne ? Idéalement, tout praticien devrait anticiper toutes les situations auxquelles il sera confronté dans sa pratique. Une telle stratégie d’acquisition de toutes les connaissances nécessaires est bien sûr vouée à l’échec, compte tenu de la multitude des situations cliniques et de l’abondance des nouvelles connaissances proposées dans la littérature médi-
180 Tableau 2
L.-R. Salmi Types de résultats informatifs selon la question posée.
Type de question Mesurer ou diagnostiquer
Résultats informatifs Mesures de prédiction Mesures de concordance
Pronostiquer
Mesures de prédiction
Prescrire
Mesures d’efficacité Mesures de tolérance
Suivre
Mesures de prédiction
Évaluer le risque
Mesures d’association
Prévenir
Mesures d’efficacité Mesures de tolérance
Dépister
Mesures d’acceptabilité Mesures de prédiction Mesures d’efficacité Mesures de tolérance Mesures d’acceptabilité
Exemples Une valeur élevée sur une échelle de dépression correspond-t-elle vraiment à une personne déprimée ? Un résultat positif un jour et négatif le lendemain correspond-il à une erreur ? L’absence de douleur à la pression des apophyses épineuses préditelle la guérison rapide ? Le traitement antibiotique long permet-il d’obtenir plus fréquemment une éradication bactérienne ? Le traitement antibiotique court est-il associé à une fréquence moindre d’effets indésirables ? Une concentration stable du PSA correspond-t-elle vraiment à une stabilité de la maladie ? Les femmes ayant des antécédents familiaux de cancer du sein ont-elles un risque plus élevé de cancer du sein ? La vaccination diminue-t-elle le risque de méningite chez des sujets en contact avec un cas ? La vaccination est-elle associée à un risque accru de maladie auto-immune ? Combien de personnes refusent-elles d’être vaccinées ? Parmi les personnes ayant un Hémoccult® positif, combien n’ont pas de cancer ou d’adénome colorectal ? Le dépistage systématique par Hémoccult® permet-il de diminuer la mortalité par cancer colorectal ? Quel est le risque de perforation colique lors d’une colonoscopie ? Combien de personnes ayant un Hémoccult® positif refusent-elles la colonoscopie ?
PSA : prostate-specific antigen.
cale mondiale. Cette stratégie est aussi peu rentable, car la rareté des situations les plus difficiles à gérer ferait que l’essentiel de l’information acquise ne serait jamais utilisée par la plupart des praticiens. L’acquisition de nouvelles connaissances doit donc reposer sur des stratégies plus rentables de lecture sélective et critique. L’acquisition de nouvelles informations peut être fondée sur une recherche active de l’information utile pour la prise en charge d’un individu particulier. Le praticien doit alors rechercher l’article de synthèse ou l’étude originale qui apporte l’information nécessaire à cette prise en charge. Ceci implique une maîtrise des outils de recherche de la littérature, notamment en utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication.2,7 Cette recherche ciblée ne doit cependant pas empêcher le praticien de suivre, au jour le jour, les innovations qui lui sont proposées par les revues médicales. Que la recherche d’information soit de routine ou provoquée par une situation spécifique, elle doit être fondée sur des techniques de lecture critique qui permettent : • de gagner du temps ; • de discerner les vraies innovations des promesses douteuses ;
• de ne retenir que l’information qui apportera un réel bénéfice aux individus pris en charge par le praticien concerné.
Principes de la lecture critique Les techniques de lecture critique reposent sur trois principes : • la compréhension de ce que sont des résultats informatifs, en fonction de la question clinique posée ; • une maîtrise minimale de quelques principes méthodologiques permettant de juger la crédibilité d’une étude ; • une analyse des modalités pratiques d’application des innovations proposées par l’article.
Qu’est-ce qu’un résultat informatif ? Un résultat est informatif s’il est fondé sur un paramètre statistique fournissant effectivement une réponse à la question donnée (Tableau 2).1 Par exemple, le résultat d’une étude diagnostique est informatif si l’étude fournit une estimation de la sensibilité et de la spécificité du test et s’il permet
Lecture critique d’un article médical : à la recherche des innovations réellement utiles Tableau 3
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Paramètres et schémas d’étude adaptés, selon le type de résultat informatif attendu.
Résultat informatif Mesure de prédiction
Mesure de concordance Mesure d’efficacité
Mesure de tolérance Mesure d’association Mesure d’acceptabilité
Paramètres adaptés* Sensibilité et spécificité du test, de l’outil ou du marqueur Valeurs prédictives d’un résultat positif et d’un résultat négatif Coefficient kappa ; coefficient de corrélation intraclasse** Réduction absolue du risque ; réduction relative du risque ; nombre de patients à traiter pour obtenir un succès Risque relatif ; différence de risque Risque relatif ; rapport de cotes ; coefficient de corrélation Proportion d’opinions positives ; proportion d’individus observants
Schémas d’étude adaptés* Étude cas-témoins ou étude de cohorte Calcul en fonction de la fréquence de la maladie à diagnostiquer chez les individus vus par le praticien Comparaison des résultats du test appliqué dans des conditions différentes*** mais contrôlées Essai randomisé contrôlé
Essai randomisé contrôlé ; étude de cohorte ; étude cas-témoins Étude de cohorte ; étude cas-témoins ; étude transversale Étude de cohorte ; sondage aléatoire
*
Listes non exhaustives ; seuls les paramètres et schémas d’études les plus adaptés sont indiqués. ** Attention, un coefficient de corrélation simple n’est pas une mesure de concordance. *** Par exemple par plusieurs observateurs ou par le même observateur à plusieurs reprises.
au lecteur d’estimer quelles seraient les valeurs prédictives des résultats du test dans sa pratique (Tableau 3) ; il peut aussi être informatif si l’étude fournit une mesure de la reproductibilité des résultats dans le temps ou de leur concordance entre divers observateurs. Pour chaque question clinique que le lecteur se pose, l’article devrait exprimer les résultats par des paramètres adéquats. Des exemples d’erreurs sont :9 • l’utilisation d’un coefficient de corrélation simple dans une étude de fiabilité d’un test diagnostique ; • la présentation de risques relatifs comme seuls résultats d’une étude pronostique ; • l’omission de fournir des résultats (ou au moins une discussion) sur l’efficacité et l’acceptabilité dans une étude sur le dépistage. Pour être informatif, un résultat doit aussi signer un avantage réel pour la prise en charge des individus concernés. Par exemple, il ne suffit pas de rapporter une réduction du risque de complication, dans un essai randomisé, pour que le résultat soit informatif. Cette réduction de risque, si elle est synonyme d’efficacité du traitement évalué, ne signe pas obligatoirement un avantage suffisamment important pour justifier un changement de pratique de la part du lecteur. Pour que les résultats justifient ce changement de pratique, il faut en effet qu’ils soient cliniquement significatifs. La notion de signification clinique correspond à l’importance que peut avoir le résultat pour la pratique clinique. Un lecteur dira qu’un résultat est cliniquement significatif si ce résultat le pousse à changer sa pratique pour y intégrer l’innovation
proposée par l’article. En pratique, cependant, la signification clinique est difficile à définir parce que son jugement dépend beaucoup de la question posée et du paramètre utilisé. Par exemple, pour un même type de question, thérapeutique, et un même paramètre, le nombre de sujets qu’il faut traiter pour éviter un événement, le jugement de signification clinique sera différent si l’événement évité est la mort ou s’il s’agit d’une récidive d’une rhinopharyngite. Dans la première étude, même un nombre important de sujets à traiter, par exemple 1000, peut être considéré cliniquement significatif ; dans la deuxième, il faut que le nombre de sujet à traiter soit petit (par exemple 20) pour juger qu’un changement de pratique « vaille la peine ». De même, le jugement sur la signification clinique des résultats concernant la performance d’un test diagnostique ou d’un marqueur pronostique ou de suivi dépend de l’utilisation que le praticien compte faire de ce test (cf. encadré).
Qu’est-ce qu’une étude crédible ? Une étude crédible, c’est d’une part une étude dont le schéma peut fournir une réponse pertinente à la question que le lecteur se pose, exprimée par des résultats informatifs, et, d’autre part, une étude fondée sur une démarche libre d’erreurs. Le schéma d’étude est une description de la structure générale de l’étude. Cette description indique notamment si l’étude était expérimentale (le chercheur a contrôlé certains aspects de l’étude) ou a consisté à observer des individus. La description du schéma d’étude indique aussi si
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Signification clinique des mesures de performance diagnostique ou pronostique. Le jugement des résultats d’une étude de la performance d’un test diagnostique, d’un outil ou d’un marqueur dépend essentiellement des objectifs de ce test : • un défaut de sensibilité (le test n’identifie pas tous les vrais malades) est plus gênant pour exclure la maladie (diagnostic différentiel) que pour la confirmer (diagnostic positif) ; il est plus gênant si la maladie est grave et d’évolution rapide que si elle est bénigne et d’évolution lente ; • un défaut de spécificité (le test entraîne de nombreux faux positifs parmi les non-malades) est d’autant plus gênant que la maladie est rare (contexte du dépistage) plutôt que fréquente dans la population à laquelle le test est appliqué (diagnostic dans un contexte spécialisé) ; • une même instabilité des résultats (défaut de reproductibilité ou de concordance entre observateurs) est gênante si les conséquences d’un résultat sont graves (suivi d’un patient pour détecter la récidive d’un cancer) mais acceptable s’il existe un test de confirmation anodin. Le jugement de la performance d’un test ne doit pas seulement porter sur les valeurs de la sensibilité et de la spécificité, mais aussi sur la nature et les conséquences potentielles des erreurs de prédiction. l’étude était comparative (elle comportait plusieurs groupes) ou descriptive. Enfin, cette description peut indiquer si le recueil de données concernait des individus et des données déjà disponibles au moment où l’étude a commencé (étude dite historique ou rétrospective) ou s’il concernait des individus recrutés après le début de l’étude (étude dite prospective). Tous les schémas d’étude ne peuvent pas fournir des résultats informatifs pour toutes les questions (Tableau 3). Ainsi, seules les études expérimentales peuvent fournir des résultats informatifs sur la fiabilité (reproductibilité et concordance entre observateurs). Les études expérimentales sont aussi Tableau 4
le schéma le plus crédible pour fournir des résultats informatifs sur l’efficacité des actions de santé. Les mesures de prédiction, de concordance, d’efficacité et d’association ne peuvent être estimées qu’à partir d’études comparatives. L’étude, pour être crédible, doit aussi être fondée sur une démarche libre d’erreurs. Les erreurs possibles sont soit communes à tous les types d’études, soit spécifiques d’une question ou d’un schéma d’étude (Tableau 4). Pour un praticien, il ne s’agit pas de maîtriser les aspects méthodologiques de toutes les erreurs possibles, mais d’en comprendre les principes généraux. Les erreurs peuvent survenir au moment de la sélection des individus, au
Erreurs pouvant remettre en cause la crédibilité d’un article médical.
Type d’étude Tous types
Étude de fiabilité
Étude de validité
Étude d’efficacité
Erreur Définition inacceptable de la maladie étudiée Population source non définie Refus de participation non indiqués Procédures de sélection différentes d’un groupe à l’autre Taille d’échantillon trop petite Retraits en cours d’étude nombreux ou non décrits Outils de mesures manquant de validité ou de fiabilité Absence de procédure d’insu Absence de prise en compte des variables de confusion Données manquantes nombreuses ou variables d’une analyse à l’autre Manque de pertinence des sources de variation considérées Population non représentative des conditions d’utilisation du test évalué Population trop homogène Tirage au sort non décrit ou inadéquat Test de référence inacceptable Manque d’indépendance du test évalué et du test de référence Populations de malades et de non-malades trop contrastées Définition inacceptable des valeurs normales Action de référence inacceptable Tirage au sort non décrit ou inadéquat Analyse faite en excluant certains individus Défaut de sélection lié à certaines caractéristiques des individus Défaut de mesure des variables lié à certaines caractéristiques des individus
Lecture critique d’un article médical : à la recherche des innovations réellement utiles moment des observations prises sur ces individus ou au moment de l’analyse des données. Un défaut de sélection est d’autant plus problématique qu’il survient de manière différente dans les groupes comparés ou s’il entraîne l’observation d’individus qui ne représentent pas la réalité de la population dans laquelle la question se pose. Par exemple, si une étude diagnostique compare des malades d’un service spécialisé à des personnes sélectionnées dans le personnel, ses résultats représentent mal les situations cliniques ; la sensibilité et la spécificité du test seront alors probablement artificiellement élevées. Un défaut d’observation est aussi d’autant plus problématique que la performance des outils de mesure n’est pas la même dans les groupes comparés. Par exemple dans les études d’efficacité, l’absence de procédure d’insu peut augmenter la sensibilité du diagnostic de complications dans un groupe et la spécificité dans l’autre groupe. Au niveau de la l’analyse de l’étude, les problèmes sont de trois types : • résultats fournis seulement en termes de signification statistique (valeur P), empêchant tout jugement de la signification clinique ; • absence de prise en compte des défauts de comparabilité des groupes vis-à-vis des variables de confusion ou pronostiques principales ; • données manquantes ou sujets exclus de l’analyse, sans explication et sans possibilité de reconnaître la population à laquelle les résultats s’appliquent réellement.
Qu’est-ce qu’une bonne description des modalités pratiques ? Une étude, aussi crédible soit-elle d’un point de vue méthodologique, dont les résultats informatifs signent un avantage potentiel pour la pratique du lecteur, peut cependant perdre tout intérêt si certaines modalités pratiques ne sont pas décrites. Ces modalités pratiques concernent l’application de l’innovation proposée et doivent être suffisamment détaillées pour permettre au lecteur d’intégrer cette innovation dans sa pratique. Par exemple, l’article rapportant un essai randomisé doit comporter une description complète de l’innovation évaluée. Quelle que soit l’action évaluée, les auteurs doivent décrire qui a fait quoi, à qui, avec quel produit ou quel matériel, à quelle dose, dans quelles circonstances et pour quelle durée. La description de la prise en charge doit aussi préciser la conduite à tenir en cas d’effet inattendu ou toxique ou d’échec. Tous ces élé-
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ments doivent être suffisamment précis et clairs pour convaincre que l’action sera applicable en dehors du contexte expérimental dans lequel l’étude a été faite et plus particulièrement dans la pratique du lecteur. De la même manière, une étude d’évaluation d’un test diagnostique ou d’un marqueur pronostique ou de suivi doit comporter une description des modalités pratiques d’application du test. Cette description doit couvrir les aspects de préparation des patients (exigences alimentaires ou de repos, médicaments d’accompagnement...) et les étapes de l’application du test (précautions à prendre avant et après le test, les aspects de manipulation des échantillons biologiques...) et d’interprétation des résultats. Cette description doit aussi préciser les éléments qui ont dû être maîtrisés lors de l’étude et dont l’absence en situation d’usage courant pourrait altérer la fiabilité ou la validité du test. De tels éléments peuvent être le manque de familiarisation avec l’outil, l’expérience de l’observateur, le contexte (urgence, soins ambulatoires...) ou les conditions d’application (confort du patient...).
Pratique de la lecture critique En pratique, une démarche de lecture doit intégrer, dans une série d’étapes logiques, les éléments développés ci-dessus, pour aboutir à n’adopter que les innovations réellement utiles. Cette démarche, qui doit être personnalisée en fonction de sa propre pratique, débute en amont par le choix des revues qui méritent d’être lues (Fig.1).
Comment choisir une revue médicale ? Une revue mérite d’être lue si elle apporte régulièrement de l’information utile à ses lecteurs. L’information n’est utile que si elle est fondée sur des méthodes libres d’erreurs, aboutissant à des résultats informatifs ayant une forte signification clinique pour le praticien concerné. Bien évidemment, la définition d’une revue utile varie beaucoup d’un lecteur à l’autre, en fonction de sa spécialité et de la nature de sa pratique. Certains éléments constituent cependant le fondement d’une revue médicale de qualité. Une revue de qualité est avant tout une revue qui soumet tous les manuscrits qu’elle reçoit à une lecture critique par les pairs des auteurs.4 La première exigence est l’existence d’un comité de lec-
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L.-R. Salmi La revue dont provient l'article soumet-elle tous les articles à une lecture par des pairs ?
Non Ne perdez pas de temps à lire cette revue
Oui Cette revue vous apporte-t-elle habituellement de l'information utile pour votre pratique ?
Non
Oui ou nouvelle revue L'article rapporte-t-il une étude originale ou une synthèse critique de la littérature ?
Non
Oui ou ne sait pas Le titre reflète-t-il une étude intéressante ou potentiellement utile pour votre pratique ?
Non
Ne perdez pas de temps à lire cet article
Oui Le résumé fournit-il des résultats informatifs potentiellement utiles pour votre pratique ?
Non
Oui L'objectif de l'étude reflète-t-il une question que vous vous posez dans votre pratique ?
Non
Oui Le schéma d'étude est-il adéquat pour fournir une réponse à la question posée ?
Non Ne continuez pas la lecture de cet article
Oui Les modalités d'utilisation de l'innovation sontelles décrites et applicables à votre pratique ?
Non
Oui Les méthodes de l'étude sont-elles libres d'erreurs remettant en cause les résultats ?
Non
Oui La signification clinique est-elle suffisante pour justifier de modifier votre pratique ?
Non
Oui Incorporez l'innovation dans votre pratique clinique
N'incorporez pas l'innovation dans votre pratique clinique
Figure 1 Étapes d’une démarche pratique de lecture critique.
ture, groupe limité de scientifiques, formellement identifiés auprès du comité de rédaction. Dans de nombreuses revues, le comité de rédaction fait appel à un groupe plus important de lecteurs, extérieurs à la revue. Les bonnes revues indiquent, dans leurs instructions aux auteurs, les modalités du processus de lecture par les pairs, notamment le nombre et la qualité des lecteurs. Un manuscrit qui est publié après avoir été critiqué par deux, voire trois lecteurs indépendants, a plus de garanties de qualité et de pertinence qu’un manuscrit soumis à la critique d’un seul lecteur. Une garantie supplémentaire de qualité est la mention que la revue souscrit aux « Normes de
présentation des manuscrits soumis aux revues biomédicales ».6 Ces normes, connues sous le nom de « Convention de Vancouver », recouvrent notamment des règles déontologiques que les revues s’engagent à respecter. Un des engagements importants est celui de l’indépendance de la rédaction, qui implique que les personnes qui prennent la décision finale de refuser ou de publier un manuscrit ne doivent avoir d’autres critères que scientifiques et médicaux. La publicité doit être facilement différenciable du contenu scientifique de la revue. La revue doit aussi éviter la juxtaposition, dans un même numéro, de publicité et d’articles traitant du même produit. La revue ne doit pas
Lecture critique d’un article médical : à la recherche des innovations réellement utiles limiter sa vente de publicité à un ou deux annonceurs et doit clairement indiquer si les suppléments peuvent être achetés par des entreprises commerciales.
Comment choisir les articles à lire ? Toutes les informations dont un praticien a besoin ne sont pas forcément publiées dans les revues qu’il a identifiées comme habituellement les plus utiles. L’utilisation de l’information la plus pertinente implique parfois de savoir retrouver la littérature pertinente sur un sujet. Le praticien critique doit donc savoir utiliser les outils d’exploration des bases bibliographiques et d’acquisition de l’information, notamment ceux qui sont directement accessibles sur Internet.2,7 Certains choix doivent cependant être faits par le lecteur, essentiellement pour garantir un bon rendement dans la recherche de résultats informatifs pertinents. En effet, tous les types d’articles ne sont pas aussi informatifs. Un article apporte a priori plus d’information valide et pertinente s’il rapporte une étude originale. Un article qui fournit directement les résultats d’une étude permet en effet une recherche directe, par le lecteur, de l’information qui lui semble la plus pertinente. Dans un essai randomisé, par exemple, le lecteur peut recalculer des mesures d’efficacité qui lui sembleraient plus pertinentes que celles rapportées par les auteurs pour leur conclusion principale, à condition bien sûr que les données correspondantes soient suffisamment détaillées. Les formes courtes d’articles, notamment les lettres à la rédaction et les résumés publiés, sont trop courtes pour permettre une analyse critique d’une étude. Toutes les études originales n’étant pas accessibles à tous les lecteurs, il peut paraître légitime d’obtenir l’information dans des revues de la littérature. Ces articles de synthèse ont comme avantage d’être généralement écrits par des spécialistes de domaine, par exemple des chercheurs ou des enseignants. Les auteurs de ces synthèses suivent habituellement toute la littérature spécialisée, notamment celle publiée en anglais, à laquelle ils accèdent plus facilement que les praticiens généralistes. En choisissant de ne lire que des synthèses de la littérature, cependant, un praticien prend implicitement deux options : premièrement, il délègue la lecture des études originales à un confrère qui peut avoir sa propre vision de la pertinence des résultats ; deuxièmement, il se prive peut-être d’une lecture critique, pourtant essentielle pour retenir uniquement les résultats informatifs valides.
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Les lecteurs doivent donc attendre d’un auteur d’une revue de la littérature la même rigueur que pour tout autre type d’article. Le service que doivent rendre aux lecteurs les auteurs d’une bonne synthèse de la littérature est de leur faciliter l’accès à ces connaissances et de les leur présenter de telle manière qu’il soit possible de discerner les connaissances utiles des incertitudes. Une bonne revue de la littérature ne peut donc être qu’une synthèse critique des connaissances.3
Comment lire un article ? La lecture d’un article reprend les éléments discutés dans la section sur les principes de la lecture critique. Les premières étapes insistent sur le jugement de l’utilité potentielle des résultats à partir du titre et du résumé de l’article (Fig. 1). La première question concerne le titre de l’article : si l’article n’est pas potentiellement intéressant ou utile pour la pratique du lecteur, ce dernier peut rejeter l’article. La deuxième étape consiste à lire le résumé. La question n’est pas de savoir si les résultats sont vrais, ce que l’on peut rarement affirmer à partir du résumé, mais si ces résultats sont informatifs et cliniquement significatifs. Si le lecteur est satisfait du titre et du résumé, il faut qu’il investisse du temps pour lire l’objectif (théoriquement placé à la fin de l’introduction) et, si l’objectif confirme que l’étude pose une question pertinente pour sa pratique, certains éléments clés de la section « méthodes » de l’article. Les deux éléments les plus importants, évoqués ci-dessus, sont le schéma d’étude et la description des modalités d’utilisation de l’innovation. Ce n’est que si le schéma d’étude peut répondre à la question posée et si la description précise de l’innovation permet d’entrevoir une utilisation possible dans sa pratique que le lecteur doit investir dans la lecture détaillée de toutes les méthodes de l’article. La lecture d’un article est donc un processus logique, facile et rentable. Le praticien pressé doit suivre des étapes qui sont essentiellement fondées sur le bon sens. La majorité des articles est éliminée rapidement, car tout ne peut pas être pertinent pour tous. Les articles qui nécessitent une lecture complète, incorporant une recherche plus approfondie des erreurs méthodologiques, ne représentent donc qu’une fraction acceptable de la littérature rencontrée par le praticien. Enfin, seulement une minorité des articles passent toutes les étapes de la lecture critique, permettant ainsi au praticien de ne faire évoluer ses pratiques que pour de vraies innovations.5
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L.-R. Salmi
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