Léflunomide : inducteur de lupus cutané subaigu ?

Léflunomide : inducteur de lupus cutané subaigu ?

Revue du rhumatisme 83 (2016) 144–148 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Fait clinique Léflunomide : inducteur de lupus cu...

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Revue du rhumatisme 83 (2016) 144–148

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Fait clinique

Léflunomide : inducteur de lupus cutané subaigu ? Christopher Rein a , Aline Frazier-Mironer a,b , Amélie Osio b,c , Pierre-Antoine Juge a , Jean-David Bouaziz b,d , Frédéric Lioté a,∗,b a

Service de rhumatologie, pôle appareil locomoteur, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, AP–HP, 75010 Paris, France University Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, 75205 Paris, France Service d’anatomo-pathologie, hôpital Saint-Louis, AP–HP, 75010 Paris, France d Service de dermatologie, hôpital Saint-Louis, AP–HP, 75010 Paris, France b c

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Accepté le 9 octobre 2015 ´ Disponible sur Internet le 22 decembre 2015 Mots clés : Lupus cutané subaigu Léflunomide Polyarthrite rhumatoïde Lupus induit médicamenteux

r é s u m é Le léflunomide est essentiellement utilisé dans la polyarthrite rhumatoïde (PR) en tant qu’agent immunomodulateur. Ce traitement est assez bien toléré mais divers effets indésirables cutanés ou des phanères peuvent survenir dans environ 10 % des cas. Une forme particulière de lupus induit par les médicaments est le lupus cutané subaigu qui est identique sur le plan clinique, immunologique et histologique à sa forme primitive. Il s’agit d’une atteinte cutanée lupique spécifique photosensible qui existe sous deux formes, annulaire et papulosquameuse. Des anticorps anti-Ro/SSA sont fréquemment retrouvés et l’analyse histologique standard associée à une étude en immunofluorescence permet de confirmer le diagnostic d’éruption lupique. Plusieurs médicaments, particulièrement les diurétiques thiazidiques, peuvent être responsables d’un lupus cutané subaigu et leur arrêt permet généralement la résolution complète de l’éruption. Nous rapportons une observation d’induction de lupus cutané subaigu avec anticorps anti-Ro/SSA par le léflunomide survenue chez une femme, d’origine Haïtienne, atteinte de PR. L’étude de l’imputabilité intrinsèque et extrinsèque est compatible avec la responsabilité du léflunomide. Notre revue de la littérature fait état de 7 autres cas, photodistribuées, avec présence antérieure d’anticorps anti-Ro dans deux cas sur 7, survenant dans un délai de 6 semaines à 11 mois, tous résolutifs à l’arrêt du léflunomide ; la réintroduction a été positive plus rapidement dans un cas. Cet effet indésirable rare du léflunomide doit être connu des rhumatologues. © 2015 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société Française de Rhumatologie.

1. Introduction Le lupus cutané subaigu (LCS) est une atteinte cutanée spécifique lupique qui est fortement liée à la présence d’anticorps (Ac) anti-Ro/SSA. Il en existe deux formes, annulaire et papulosquameuse, voire l’association des deux. Le léflunomide (LEF), inhibiteur de la synthèse de novo des bases pyrimidiques et de la prolifération de lymphocytes T, est actuellement un traitement de fond synthétique immunomodulateur efficace dans la polyarthrite rhumatoïde (PR), le plus souvent en deuxième ligne après échec ou intolérance du méthotrexate (MTX). Ce traitement est assez bien toléré mais il existe environ une fréquence de 10 % d’effets indésirables cutanés. Nous rapportons un cas de LCS généralisé induit par le LEF, chez une patiente atteinte d’une PR. Cette manifestation, à notre

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Lioté).

connaissance, a déjà été décrite dans la littérature à 7 reprises et nous en détaillons les caractéristiques communes. 2. Observation Une femme de 34 ans, d’origine haïtienne, suivie pour une PR érosive évoluant depuis 1997 associée à une positivité du facteur rhumatoïde IgM (FR) et des Ac anti-peptides cycliques citrullinés, s’est présentée en février 2015 pour la 20e perfusion IV mensuelle d’abatacept. Il s’agit d’une PR sévère corticodépendante initialement traitée par synthetic disease modifying anti-rheumatic drugs (DMARDs) jusqu’en 2008 (MTX per os [PO] ou sous-cutané, hydroxychloroquine [HCQ] et sulfasalazine [SLZ]), puis par biothérapies successives (infliximab, tocilizumab). La patiente est sous abatacept IV depuis mai 2013 avec une bonne réponse au traitement et une maladie rhumatoïde faiblement active. Compte tenu d’une asthénie persistante sous MTX malgré une baisse de la posologie jusqu’à 10 mg/semaine PO, ce traitement est remplacé par du LEF 10 mg par jour en août 2014. Le reste du traitement de la PR

http://dx.doi.org/10.1016/j.rhum.2015.10.003 1169-8330/© 2015 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société Française de Rhumatologie.

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Fig. 2. La biopsie cutanée (HES × 200) montre une couche cornée orthokératosique (1), surmontant un épiderme épaissi (2). Le derme superficiel renferme un infiltrat lymphocytaire (3), venant dissocier les kératinocytes de la basale épidermique, qui sont vacuolisés (étoiles). L’incontinence pigmentaire (fuite de mélanine dans le derme) (4) témoigne de l’agression des kératinocytes de la basale par les lymphocytes. L’image histologique est donc lichénoïde, compatible avec le diagnostic de lupus.

Fig. 1. Lésions érythématopapuleuses avec aspect numulaire, confluentes d’un bras.

comportait de la prednisone 4 mg/j. Les autres traitements étaient du paracétamol-tramadol, du clorazépate et de la zopiclone que la patiente prenait depuis des années. Elle a décrit l’apparition rapidement progressive d’une éruption cutanée prurigineuse du membre supérieur gauche à partir de février 2015 qui s’est étendue au membre supérieur droit, au visage et aux membres inférieurs. Il n’y avait pas d’autres signes fonctionnels et l’état général était conservé. Il n’y a pas eu d’autre introduction médicamenteuse. Il n’y avait pas d’exposition solaire. La patiente n’avait pas d’antécédent dermatologique, notamment sous SLZ et Ac anti-TNF-␣. À l’examen physique, la patiente était apyrétique et il existait des lésions cutanées, érythémato violacées maculopapuleuses, squameuses, parfois annulaires photodistribuées de la partie supérieure du tronc, des membres supérieurs (Fig. 1) et du visage en vespertilio. Il n’y avait pas d’atteintes muqueuses ou des phanères et le tronc était respecté. On notait également l’absence de signes évocateurs de toxidermie grave. L’examen général était normal et il n’y avait ni hépatosplénomégalie ni adénopathie périphérique. La numération formule sanguine comportait une anémie normocytaire arégénérative (Hb : 11,2 g/dL), un taux de plaquettes (152 000/mm), une leuconeutropénie ancienne et connue (leucocytes 2800/mm3 , polynucléaires neutrophiles 800/mm3 ), l’absence de lymphopénie et une éosinophilie normale. La CRP était < 4 mg/L et la VS à 19 mm/1re h. La fonction rénale était préservée (DFG estimé selon, MDRD = 105 mL/mn), sans protéinurie. Les fractions du complément C3 et C4 étaient normales (C3 = 0,96 g/L, C4 = 0,15 g/L). Le titre d’Ac antinucléaires (AAN) s’était fortement positivé par rapport à un ancien dosage (AAN = 1/1600 d’aspect homogène et moucheté en IF versus 1/160 en 2014) avec une spécificité déjà connue Ac anti-SSA/Ro. La recherche des autres ENA était négative (dont les Ac anti-Sm et anti-SSB). Il n’y avait pas d’Ac anti-ADN natifs et d’Ac antihistones. La recherche d’un syndrome

des antiphospholipides était négative. La radiographie de thorax était normale. À l’examen des deux biopsies cutanées l’épiderme était acanthosique avec une couche cornée essentiellement orthokératosique. Le derme superficiel était le siège d’un infiltrat dermique superficiel formé de petits lymphocytes, venant dissocier les kératinocytes de la basale avec une vacuolisation de ces derniers. Il s’y associait une incontinence pigmentaire. La coloration par le PAS n’a pas objectivé d’agent mycélien et celle par le bleu Alcian a montré quelques traînées de mucine dans le derme superficiel et moyen ainsi qu’autour des glandes sudorales. Il n’y avait pas de dépôts de C3, ni d’IgA ou IgG en immunofluorescence (lupus band test négatif). Au total, l’aspect histologique était celui d’une dermatose lichénoïde, compatible avec le diagnostic de lupus cutané (Fig. 2). La patiente a été traitée par des dermocorticoïdes. Le LEF a été arrêté et remplacé par du MTX SC à la posologie de 10 mg/semaine. L’HCQ a été réintroduit à la posologie de 400 mg/j. Un wash out du LEF a été effectué par du charbon activé pendant 2 semaines. L’abatacept, initialement interrompu, a été repris en mai 2015 devant la reprise de signes d’activité de la PR. Cette réintroduction de l’abatacept s’est faite sans incident et l’éruption cutanée s’est lentement atténuée. 3. Discussion Dans cette observation, le diagnostic de LCS dans sa forme essentiellement annulaire a été retenu et l’induction par le LEF est plausible en termes d’imputabilité. En effet, après analyse du degré d’imputabilité de notre observation selon la méthode franc¸aise réactualisée en 1985 par Bégaud et al., le score d’imputabilité intrinsèque est « I2 » c’est-à-dire « imputabilité plausible » et le score d’imputabilité extrinsèque est « B3 » c’est-à-dire « effet notoire » [1]. Le délai de survenue de l’effet indésirable (EI) est compatible avec les autres cas décrits dans la littérature (Tableau 1) (médiane de 3 [1–11] mois) et l’évolution s’est faite vers la régression de l’évènement après arrêt du LEF (Tableau 2). Nous n’avons pas réintroduit le LEF pour des raisons éthiques mais, dans la littérature il est fait état d’un cas de réintroduction positive dans un délai plus court [2]. L’imputabilité extrinsèque (critère sémiologique) est élevée en raison importante des cas revus après analyse bibliographique ; au Vidal il est inscrit

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Tableau 1 Caractéristiques démographiques, cliniques, immunologiques, histologiques et évolutives des cas de lupus cutané subaigu décrits dans la littérature. Article/Année/Lieu

Âge (ans) sexe/ethnie

Rhumatisme inflammatoire chronique

Posologie léflunomide

Délai d’apparition

Gensburger et al. 2004 Lyon

58/F/caucasoïde

SGS depuis 1992 FR+ AAN 1/250 SSA/SSB+ ADNn–inefficacité MTX

100 mg 3j puis 20 mg/j

1 mois

3 mois (8 jours après 20 mg/j) 6 semaines

Kerr et al. 2004 Edinburgh Goeb et al. 2005 Rouen Goeb et al. 2005 Rouen Elias et al. 2005 New York

59/H/caucasoïde

PR

Réintroduction 10 mg/j puis 20 mg/j NS

59/F/caucasoïde

PR érosive depuis 1987 Inefficacité MTX et IFX

100 mg 3j puis 20 mg/j

11 mois

56/F/NS

PR érosive depuis 1990 Réfractaire à plusieurs traitements de fond PR Sous étanercept 25 mg 2 ×/semaine et prednisone 5–7,5 mg/j PR depuis 1970 FR+ SSA+ ADNn+ Mauvaise tolérance pénicillamine/sels d’or/MTX/SLZ SA depuis 2005 Arrêt rofécoxib/MTX pour mauvaise tolérance Sous méthylprednisolone 16 mg/j PR CCP+ FR+ érosive depuis 1997 AAN 1/160 SSA + Intolérance et/ou inefficacité MTX/SLZ/HCQ IFX : allergie TCZ : neutropénie Sous prednisone 4 mg/j et abatacept IV

100 mg 3j puis 20 mg/j

10 mois

20 mg/j

3 mois

NS

2 mois

20 mg/j

4–6 semaines

10 mg/j

9 mois

64/F/caucasoïde

Chan et al. 2005 Cambridge

63/F/caucasoïde

Marzano et al. 2008 Milan

24/F/caucasoïde

Rein et al. 2015 Paris

34/F/afro-haïtienne

AAN : anticorps antinucléaires ; ADNn : anticorps anti-ADN natif ; CSP : ciclosporine ; DC : dermocorticoïdes ; F : femme ; FR : facteur rhumatoïde ; IF : immunofluorescence ; IFX : infliximab ; JDE : jonction dermo-épidermique ; LCS : lupus cutané subaigu ; H : homme ; MS : membres supérieurs ; MI : membres inférieurs ; MTX : méthotrexate ; NS : non statué ; HCQ : hydroxychloroquine ; PR : polyarthrite rhumatoïde ; SA : spondylarthrite ankylosante ; SC : sous-cutanée ; SGS : syndrome de Gougerot-Sjögren ; SLZ ; sulfasalazine ; TCZ ; tocilizumab.

la survenue avec une « fréquence indéterminée » de « lupus cutané érythémateux » après administration de LEF [3–7]. Le LEF a été commercialisé comme traitement dans la PR de l’adulte à partir de 1999 en Europe [8]. Il a démontré son équivalence dans la PR par rapport à la SLZ et au MTX en termes de réponse clinique, d’indices fonctionnels et d’évolution structurale [9]. Cette molécule est un dérivé isoxazolique dont le métabolite actif, l’A771726, inhibe la dihydrorotate-déhydrogénase, une enzyme clé de la synthèse de novo des bases pyrimidiques nécessaires à la prolifération des lymphocytes T présents essentiellement dans la membrane synoviale rhumatoïde [10]. Les EI les plus fréquemment rencontrés avec le LEF t sont par ordre de fréquence : des troubles digestifs, une cytolyse hépatique, une hypertension artérielle, des manifestations cutanées, une alopécie et la neuropathie axonale. Fait important, le LEF persiste environ deux ans dans l’organisme du fait d’un recyclage par le cycle entéro-hépatique. La fréquence de survenue des EI est similaire à celle de la SLZ mais plus importante qu’avec le MTX [9]. Le LCS induit médicamenteux est une éruption cutanée identique à celle du LCS primitif ; il a été décrit pour la première fois en 1985 [11]. Il s’agit de lésions survenant sur des zones photosensibles avec potentiel de généralisation secondaire, prenant initialement un aspect érythémateux maculopapuleux puis

évoluant, le plus souvent, vers une forme dite annulaire ou vers une forme papulosquameuse psoriasiforme. Les médicaments les plus inducteurs de LCS sont les thiazidiques, la terbinafine, les inhibiteurs calciques, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les agents anti-tumor necrosis factor-␣ (TNF-␣) [12–14]. Le délai médian survenu de cet LCS médicamenteux est de 28 semaines (3 jours à 11 ans) mais dépend généralement de la classe thérapeutique responsable [14]. Il guérit généralement spontanément sans séquelle avec un délai médian de 7 (1–32) semaines à l’arrêt du médicament [14]. L’hypothèse pathogénique principale est l’induction d’une certaine photosensibilité par le médicament qui, chez des sujets génétiquement prédisposés et exposés à des ultraviolets (UV), conduirait à une dérégulation du système immunitaire. Les UV seraient responsables d’une apoptose kératinocytaire, exposant des antigènes nucléaires stimulant l’immunité innée et adaptative qui serait responsable de la perpétuation des lésions au niveau de la jonction dermo-épidermique. Au surplus, les UV seraient responsables d’une production de cytokines, de chimiokines et de molécules d’adhésion qui entretiendraient cette inflammation [14,15]. Au plan démographique, la moyenne d’âge des cas de LCS induit par le LEF est de 54,7 ± 12,8 ans, âge beaucoup plus avancé que celui de notre patiente. Notre patiente était le seul sujet à peau noire, le

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Tableau 2 Caractéristiques cliniques, immunologiques, histologiques et évolutives des cas de lupus cutané subaigu décrits dans la littérature. Article/Année/Lieu

Examen cutané

Immunologie

Histologie

Évolution

Gensburger et al. 2004 Lyon

Rash malaire Photosensibilité NS

AAN 1/2560 SSA/SSB+ Antihistones– ADNn–C3/C4 normaux

Lupus discoïde érythémateux

Rash visage, nuque et MS Photosensibilité NS

AAN élevés SSA/SSB+ Antihistones–ADNn NS C3/C4 normaux AAN+ SSA > 100 ␮/mL SSB NS Antihistones+ ADNn− C3/C4 NS AAN 1/1000 homogène SSA+/SSB NS Antihistones NS ADNn– C3/C4 NS AAN– SSA/SSB NS ADNn− Antihistones− C3/C4 NS AAN 1/320 homogène SSA/SSB– ADNn– Antihistones– C3/C4 NS

Atrophie et infiltration de l’épiderme IF : dépôts IgM et C3

Pas de W/O Résolution spontanée en 4 semaines après arrêt, AAN 1/640 Pas de W/O Résolution spontanée en 4 semaines après arrêt

Kerr et al. 2004 Edinburgh

Forme annulaire MS, tronc Photosensibilité–

Goeb et al. 2005 Rouen

Forme annulaire Visage, tronc Photosensibilité NS

Goeb et al. 2005 Rouen

Forme papulosquameuse Visage, tronc Photosensibilité NS

Elias et al. 2005 New York

Forme papulosquameuse MS, tronc supérieur Photosensibilité+

Chan et al. 2005 Cambridge

Forme annulaire Visage Photosensibilité+

AAN + 3N SSA+/SSB NS ADNn +Antihistones NS C3/C4 NS

Marzano et al. 2008 Milan

Forme annulaire Rash malaire Visage, tronc, MS Erythème polymorphe mains, pieds, conjonctives, muqueuse buccale Photosensibilité+ Forme annulaire Visage, MS, MI Photosensibilité NS

AAN 1/320 mouchetée SSA/SSB– ADNn– Antihistones–C3/C4 NS

Rein et al. 2015 Paris

AAN 1/1600 homogène, mouchetée SSA+/SSB− ADNn– Antihistones– C3/C4 normaux

Cellules couche basale de l’épiderme liquéfiées, infiltration derme modérée périvasculaire IF : dépôts IgG derme papillaire

Pas de W/O Résolution sous DC et après arrêt favorable en 5 mois

Dégénérescence vacuolaire et nécrose kératinocytaire, infiltration lymphocytaire derme superficiel IF : dépôt IgM et C3 JDE IF : lupus band test + JDE

Pas de W/O Résolution sous DC complète en 3 semaines après arrêt, SSA–

Dégénérescence vacuolaire et nécrose kératinocytaire, infiltration lymphocytaire derme superficiel et intermédiaire périvasculaire IF : dépôt IgG kératinocytes et C3 JDE Épiderme atrophique, cellules basales nécrosées et vacuolaires, infiltration lymphocytaire derme superficiel IF : – Infiltrat lymphocytaire derme superficiel périvasculaire, invasion JDE, nécrose kératinocytaire IF : –

Épiderme acanthosique, couche cornée orthokératosique, kératinocytes vacuolisés, infiltration derme superficiel par lymphocytes et invasion couche basale IF : –

Pas de W/O Résolution complète après arrêt

W/O : cholestyramine Arrêt et pas de résolution sous DC après 4 semaines, résolution complète en 8 semaines sous prednisone 60 mg puis retour posologie de base après 4 semaines Pas de W/O Résolution sous DC favorable en 6 mois persitance des AAN et SSA à 1 an

Pas de W/O Switch LEF par HCQ puis CSP Méthylprednisolone 60 mg IV puis relai PO jusqu’à 16 mg/j Résolution complète en 4 semaines, persistance AAN 1/160 à 1 an W/O charbon activé Switch LEF par MTX 10 mg/semaine SC Introduction HCQ 400 mg/j Sous DC Évolution lentement favorable

AAN : anticorps antinucléaires ; ADNn : anticorps anti-ADN natif ; CSP : ciclosporine ; DC : dermocorticoïdes ; F : femme ; FR : facteur rhumatoïde ; IF : immunofluorescence ; IFX : infliximab ; JDE : jonction dermo-épidermique ; LCS : lupus cutané subaigu ; LEF : léflunomide ; H : homme ; MS : membres supérieurs ; MI : membres inférieurs ; MTX : méthotrexate ; NS : non statué ; PQL : plaquénil ; PR : polyarthrite rhumatoïde ; SA : spondylarthrite ankylosante ; SC : sous-cutané ; SGS : syndrome de Gougerot-Sjögren ; SLZ : sulfasalazine ; TCZ : tocilizumab ; W/O : wash-out.

reste des sujets étant d’origine caucasoïde. Ces chiffres sont comparables à ceux rapportés dans une revue systématique : la majorité des 117 cas de LCS induits étaient des femmes (82/114 cas avec sexe rapporté) avec une moyenne d’âge de 58 ans, d’origine caucasoïde pour la plupart (34/40 cas avec ethnie rapportée) [14]. Six des 8 cas de LCS au LEF étaient atteints de PR ; un patient avait un syndrome de Gougerot-Sjögren primitif et un autre une spondyloarthrite. Mais surtout, trois cas avaient des Ac anti-SSA identifiés avant le lupus induit [2,6]. La présence de ces Ac avant le déclenchement du LCS peut être interprétée comme témoignant d’une prédisposition immunitaire [16]. Il est également remarquable que dans notre observation comme dans un autre cas [4], les patients avaient été préalablement sous infliximab, SLZ et D-pénicillamine,

ce qui aurait également pu favoriser l’apparition d’AAN, voire d’une biologie lupique. Une forme annulaire de LCS a été retrouvée chez 5 patients (63 %), une forme papulosquameuse chez deux patients (25 %), et chez la dernière patiente, il était question d’un rash lupus-like. Dans un cas, il y avait également des lésions d’érythème polymorphe également rencontrées dans le LCS [7,15]. Les localisations préférentielles étaient par ordre décroissant le visage (6/8 cas), le tronc (5/8 cas), les membres supérieurs (5/8 cas) et les membres inférieurs (1/8 cas), donc essentiellement des zones photodistribuées. Une photosensibilité a été décrite chez trois patients, tandis que chez un autre il n’y en avait pas ; dans les autres cas ce facteur déclenchant n’a pas été décrit.

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C. Rein et al. / Revue du rhumatisme 83 (2016) 144–148

Sur le plan immunologique après exposition médicamenteuse, 7 des 8 patients (88 %) présentaient des AAN positifs avec augmentation significative du titre chez les 2 patients avec AAN préalablement positifs. Également remarquable était la positivité des Ac anti-Ro chez 5/7 patients testés (71 %). Les Ac antihistones n’étaient présents que chez un seul des 6 patients (17 %) tout comme les Ac anti-ADN natifs qui n’étaient positifs que chez un seul des 8 patients testés (12 %). Ces résultats sont comparables à ceux retrouvés dans la littérature dans laquelle il est décrit que la majorité des patients qui présentent un LCS induit ont des AAN de type Ro [14,17,18]. Par ailleurs, les Ac antihistones sont le plus souvent retrouvés chez des patients atteints d’un lupus érythémateux systémique induit par les médicaments [12,14,17,18]. Il en est de même pour les Ac anti-ADN natifs [17,18]. Finalement, un statut d’Ac anti-SSA positif serait lié à une plus grande photosensibilité pouvant expliquer la survenue du LCS après photo exposition [18]. L’aspect histologique observé dans le LCS est celui d’un infiltrat dermique superficiel périvasculaire et/ou périannexiel de cellules inflammatoires mononucléées associé à une hyperkératose, une dégénérescence vacuolaire et focale des cellules de la membrane basale et une invasion inflammatoire de la jonction dermo-épidermique responsables d’une dermatite d’interface et d’un aspect lichénoïde en histologie standard. L’analyse en immunofluorescence met en évidence dans 60 % des cas un lupus band test positif, c’est-à-dire des dépôts d’IgG et de certaines fractions du complément au niveau de la jonction dermo-épidermique [15]. La comparaison de ces données de la littérature avec les cas décrits de LCS au LEF montre des résultats similaires surtout en ce qui concerne l’immunofluorescence qui était positive dans 5/8 cas (62 %). Généralement, il existe une résolution complète sans séquelle de l’éruption après arrêt du médicament, favorisée par l’usage de dermocorticoïdes ou généraux, d’HCQ ou de traitements immunosuppresseurs locaux voire généraux en 1–3 mois [13,14,17,19]. Après exposition au LEF, les lésions régressent complètement après un délai médian de 6 (3–42) semaines. Au moment de l’écriture de cet article, les lésions cutanées de notre patiente évoluent favorablement mais incomplètement (4 mois d’arrêt). Cette durée d’évolution peut être expliquée par l’origine ethnique et par la demi-vie du LEF (15–18 jours) mais le métabolite actif peut être retrouvé 2 ans après l’arrêt du médicament dans le sérum des patients. Pour accélérer la clairance du LEF, nous avons eu recours à un wash out avec du charbon activé pendant 2 semaines et un autre cas avec de la cholestyramine [7]. La plupart des patients ont été traités par dermocorticoïdes et nous avons aussi proposé un traitement par HCQ. Sur le plan de l’auto-immunité, on observe une évolution favorable avec diminution du titre d’AAN dans deux cas et une persistance d’AAN et d’Ac anti-SSA dans un autre cas. À ce sujet, la tendance générale est en faveur d’une persistance des AAN (Ac anti-SSA), pendant un suivi immunologique allant de 6 semaines à 3 ans après la résolution complète des symptômes [14,19]. Dans une autre étude, on décrivait une baisse du titre d’Ac anti-SSA chez environ 40 % des patients pendant un suivi de 8 mois [18]. Cette évolution pourrait être expliquée par une préexistence, jusqu’à 10 ans avant le diagnostic de lupus, d’AAN dans le sang d’individus, qui

par ailleurs, serait compatible avec un terrain immunitaire prédisposant au déclenchement de la maladie [16]. Un LCS peut donc être induit par le LEF mais cela reste un EI rare qui régresse complètement après arrêt du médicament. Il est également à rappeler que certaines études cliniques ont démontré une efficacité du LEF dans le lupus érythémateux systémique, ce qui prouve que le lien entre ce traitement et l’induction d’un LCS n’est donc pas très simple à expliquer [20]. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Cet effet indésirable a été déclaré au Centre de pharmacovigilance régional de l’hôpital Fernand-Widal. Remerciements Nous remercions Camille Daste pour avoir participé au suivi notre patiente. Références [1] Bégaud B, Evreux JC, Jouglard J, et al. Imputation of the unexpected or toxic effects of drugs. Actualization of the method used in France. Therapie 1985;40:111–8. [2] Gensburger D, Kawashima M, Marotte H, et al. Lupus erythematosus with leflunomide: induction or reactivation? Ann Rheum Dis 2005;64:153–5. [3] Kerr OA, Murray S, Tidman MJ. Subacute cutaneaous lupus erythematosus associated with léflunomide. Clin Exp Dermatol 2004;29:319–20. [4] Goeb V, Berthelot M, Joly P, et al. Leflunomide-induced subacute cutaneous lupus erythematosus. Rheumatology 2005;44:823–4. [5] Elias AR, Tam CC, David-Bajar KM. Subacute cutaneous lupus erythematosus associated with léflunomide. Cutis 2005;76:189–92. [6] Chan SK, Hazleman BL, Burrows NP. Subacute cutaneous lupus erythematosus precipitated by léflunomide. Clin Exp Dermatol 2005;30:724–5. [7] Marzano AV, Ramoni S, Del Papa N, et al. Leflunomide-induced subacute cutaneous lupus erythematosus with erythema multiforme-like lesions. Lupus 2008;17:329–31. [8] Kaplan MJ. Leflunomide Aventis Pharma. Curr Opin Investig Drugs 2001;2:222–30. [9] Osiri M, Shea B, Robinson V, et al. Leflunomide for the treatment of rheumatoid arthritis: a systematic review and metaanalysis. J Rheumatol 2003;30:1182–90. [10] Fox R, Hermann ML, Frangou CG, et al. Mechanism of action for leflunomide in rheumatoid arthritis. Clin Immunol 1999;93:198–208. [11] Reed BR, Huff JC, Jones SK, et al. Subacute cutaneous lupus erythematosus associated with hydrochlorothiazide therapy. Ann Intern Med 1985;103:49–51. [12] Callen JP. Drug-induced subacute cutaneous lupus erythematosus. Lupus 2010;19:1107–11. [13] Grönhagen CM, Fored CM, Linder M, et al. Subacute cutaneous lupus erythematosus and its association with drugs: a population-based matched case-control study of 234 patients in Sweden. Br J Dermatol 2012;167:296–305. [14] Lowe G, Henderson CL, Grau RH, et al. A systematic review of drug-induced subacute cutaneous lupus erythematosus. Br J Dermatol 2011;164:465–72. [15] Stavropoulos PG, Goules AV, Avgerinou G, et al. Pathogenesis of subacute cutaneous lupus erythematosus. J Eur Acad Dermatol Venereol 2008;22:1281–9. [16] Arbuckle MR, Mc Clain MT, Rubertone MV, et al. Development of autoantibodies before the clinical onset of systemic lupus erythematosus. N Engl J Med 2003;349:1526–33. [17] Borchers AT, Keen CL, Gershwin ME. Drug-induced lupus. Ann N Y Acad Sci 2007;1108:166–82. [18] Srivastava M, Rencic A, Diglio G, et al. Drug-induced Ro/SSA-positive cutaneous lupus erythematosus. Arch Dermatol 2003;139:45–9. [19] Sontheimer RD, Henderson CL, Grau RH. Drug-induced subacute cutaneous lupus erythematosus: a paradigm for bedside-to-bench patient-oriented translational clinical investigation. Arch Dermatol Res 2009;301:65–70. [20] Wu GC, Xu XD, Huang Q, et al. Leflunomide: friend or foe for systemic lupus erythematosus? Rheumatol Int 2013;33:273–6.