Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale (2011) 128, 107—109
CAS CLINIQUE
Leishmaniose érysipéloïde : forme inhabituelle de leishmaniose cutanée夽 M. Mnejja a, B. Hammami a, Am Chakroun a, I. Achour a, I. Charfeddine a, A. Chakroun a, H. Turki b, A. Ghorbel a,∗ a b
Service ORL et chirurgie cervico-faciale, CHU Habib Bourguiba, 3029 Sfax, Tunisie Service de dermatologie, CHU Hedi Chaker, Sfax, Tunisie
MOTS CLÉS Leishmaniose ; Cutanée ; Érysipéloïde
Résumé Objectif. — Rapporter les caractéristiques épidémiologiques et cliniques de la forme érysipéloïde de leishmaniose cutanée ainsi que ses difficultés diagnostiques et thérapeutiques. Présentation du cas. — Une patiente de 63 ans, sans antécédents, a consulté pour une tuméfaction nasale inflammatoire évoluant depuis un mois apparue suite à un traumatisme nasal. L’examen clinique a révélé un placard érythémateux, infiltré centrofacial recouvert par endroits de croûtes. Une antibiothérapie avec des soins locaux quotidiens n’ont pas entraîné une amélioration. La biopsie cutanée n’a pas montré de signes de malignité et le frottis cutané a confirmé le diagnostic. Un traitement par méglumine antimoniale par voie intramusculaire a été instauré à la dose de 10 mg/kg par jour avec une régression partielle. Conclusion. — La forme érysipéloïde de leishmaniose cutanée constitue une entité rare et inhabituelle entraînant souvent un retard diagnostique. Le diagnostic repose sur l’examen parasitologique direct, la recherche de l’ADN des leishmanies par PCR et sur l’examen histologique. Il existe plusieurs options thérapeutiques. L’évolution est généralement favorable. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Introduction La leishmaniose cutanée (LC) est une maladie parasitaire largement répandue dans le monde due à une piqûre infestante d’un insecte vecteur, le phlébotome. En Tunisie, elle est devenue très fréquente depuis quelques années,
DOI de l’article original : 10.1016/j.anorl.2010.09.008. Ne pas utiliser pour citation la référence franc ¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European annals of otorhinolaryngology head and neck diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Ghorbel). 夽
évoluant sur un mode endémo-épidémique. Le Leishmania major est de loin le parasite le plus fréquent et sévit au centre et au sud du pays [1]. La LC se caractérise par un polymorphisme clinique. La forme érysipéloïde constitue une entité rare et inhabituelle. Nous rapportons un cas de LC érysipéloïde faciale afin d’étayer les particularités épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques de cette forme.
Observation Il s’agit d’une patiente âgée de 63 ans sans antécédents pathologiques particuliers qui a consulté pour une
1879-7261/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.aforl.2010.12.006
108
M. Mnejja et al. tée et elle a été confirmée par un frottis cutané nasal qui a montré des formes amastigotes de leishmanies. Un traitement par méglumine antimoniale (Glucantime® ) par voie intramusculaire a été instauré pendant 15 jours à la dose de 10 mg/kg par jour. L’évolution a été marquée par la régression incomplète avec des séquelles mineures au bout de trois mois de recul.
Discussion
Figure 1 Placard érythémateux, infiltré couvrant de fac ¸on symétrique la région centrofaciale.
tuméfaction nasale inflammatoire évoluant depuis un mois apparue suite à un traumatisme nasal. La patiente a été mise sous pristinamycine par voie orale pendant sept jours sans amélioration clinique. L’examen clinique a révélé un placard érythémateux, infiltré couvrant de fac ¸on grossièrement symétrique la région centrofaciale (nez et les joues), mesurant 5 cm recouverte par endroits de croûtes (Fig. 1). L’examen endonasal n’a pas objectivé de lésion muqueuse et le reste de l’examen était sans anomalies. La patiente était apyrétique et tout le bilan biologique et inflammatoire était normal. La patiente a été hospitalisée et mise sous antibiothérapie à large spectre avec des soins locaux quotidiens par crainte d’une cellulite post-traumatique. L’évolution a été marquée par l’absence d’amélioration clinique avec tendance à l’extension de l’érythème (Fig. 2). Une biopsie de la lésion n’a pas montré de signes de malignité. À ce moment une LC a été suspec-
Figure 2 Leishmaniose érysipéloïde de la face : extension des lésions après traitement antibiotique.
La forme classique de LC en Tunisie est la forme nodulaire ulcéro-croûteuse. Elle se manifeste par un nodule infiltré creusé en son centre par une ulcération couverte par une croûte jaune brunâtre. La guérison spontanée se fait en quelques mois, par comblement de l’ulcère, laissant une cicatrice claire ou pigmentée ainsi qu’une immunité durable [1]. La LC dans sa forme érysipéloïde a été rapportée en Iran, au Pakistan, en Turquie et en Tunisie [1—4]. Elle diffère des autres formes par ses caractéristiques cliniques mais aussi par la population qu’elle touche préférentiellement [4]. La fréquence de la LC érysipéloïde varie dans la littérature entre 0,05 et 3,2 % [1,3]. Cette forme touche préférentiellement les femmes âgées [4]. Elle se manifeste cliniquement par un placard érythémateux, infiltré et diffus de la face couvrant le nez et les deux joues [1]. La cause de survenue de cette forme est inconnue. Un déficit de la réponse immunitaire de l’hôte lié à la sénilité, un type particulier de parasite, des perturbations hormonales à la période de la ménopause, une altération de la qualité de la peau due au vieillissement ont été évoqués pour expliquer cette forme particulière [1,2,4]. Les lésions cutanées post-traumatiques peuvent faciliter la survenue de cette forme particulière [5]. Notre patiente présente toutes les caractéristiques épidémiologiques caractérisant cette forme particulière. Elle est originaire d’une région endémique de leishmaniose, d’un âge avancé, ménopausée avec des antécédents de traumatisme nasal suite auquel est apparue la lésion nasale. En cas d’atteinte localisée, ces lésions peuvent faire évoquer une infection cutanée bactérienne ou fongique, la syphilis, l’anthrax, un eczéma, une tuberculose, une piqure d’insecte infectée ou une atteinte tumorale cutanée primitive ou métastatique. En cas d’atteinte faciale, le diagnostic différentiel se pose avec le lupus érythémateux disséminé ou discoïde, un lupus vulgaris, une sarcoïdose ou un érysipèle [4,6]. Le diagnostic de la LC en Tunisie repose sur l’examen parasitologique direct à la recherche de leishmanies, la recherche de l’ADN des leishmanies par PCR (technique récemment introduite en Tunisie) et sur l’examen histopathologique d’une biopsie cutanée [7]. Il existe plusieurs options thérapeutiques telles que la cryothérapie, le traitement par la chaleur grâce à la radiofréquence, un traitement topique, les traitements oraux tel que le fluconazole, le métronidazole [8]. Mais les dérivés pentavalents de l’antimoine (méglumine antimoniate) restent le traitement de référence en Tunisie [7]. Ce traitement est utilisé par voie parentérale à la dose de 10 mg/kg par jour en deux prises pendant 20 jours [6]. La voie parentérale est
Leishmaniose érysipéloïde : forme inhabituelle de leishmaniose cutanée indiquée en cas d’atteinte multiple ou sévère ou en cas de lésions engendrant des séquelles cosmétiques graves tel que le visage. La forme érysipéloïde touchant le visage impose un traitement injectable comme le cas de notre patiente. Un traitement topique à base d’extraits d’herbes « Z-HE » a été décrit par Zerehsaz et al. [9] pour le traitement de cette forme particulière avec un taux de guérison sans récidive de 92 % avec un recul de 12 mois. Un coût faible, une facilité de préparation et peu d’effets indésirables caractérisent ce topique mais d’autres études sont nécessaires pour confirmer son efficacité. L’évolution est habituellement inférieure à un an sans séquelles esthétiques majeures [1,4].
Conclusion La LC de la face peut se présenter sous différents aspects. Tout dermatologue et otorhinolaryngologiste doit y penser devant toute lésion faciale inhabituelle ressemblant à l’érysipèle surtout chez des sujets vivant ou ayant séjourné dans des zones d’endémie de LC.
Conflit d’intérêt Aucun.
109
Références [1] Masmoudi A, Ayadi N, Boudaya S, et al. Clinical polymorphysm of cutaneous leishmaniasis in centre and south of Tunisia. Bull Soc Pathol Exot 2007;100:36—40. [2] Salmanpour R, Handjani F, Zerehsaz F, et al. Erysipeloid leishmaniasis: an unusual clinical presentation. Eur J Dermatol 1999;9:458—9. [3] Raja KM, Khan AA, Hameed A, et al. Unusual clinical variants of cutaneous leishmaniasis in Pakistan. Br J Dermatol 1998;139:111—3. [4] Ceyhan AM, Yildirim M, Basak PY, et al. A case of erysipeloid cutaneous leishmaniasis: atypical and unusual clinical variant. Am J Trop Med Hyg 2008;78:406—8. [5] Özdemir M, Cimen K, Mevlitoglu I. Post-traumatic erysipeloid cutaneous leishmaniasis. Int J Dermatol 2007;46:1292—3. [6] Karincaoglu Y, Esrefoglu M, Ozcan H. Atypical clinical form of cutaneous leishmaniasis: erysipeloid form. Int J Dermatol 2004;43:827—9. [7] Belhadjali H, Elhani I, Youssef M, et al. Cutaneous leishmaniasis treatment by metronidazole: study of 30 cases. Presse Med 2009;38:325—6. [8] Solomona M, Traua H, Schwartz E. Old-world cutaneous leishmaniasis: an ancient disease in wait of new drugs. Ann Dermatol Venereol 2008;135:357—9. [9] Zerehsaz F, Beheshti S, Reza Rezaian G, et al. Erysipeloid cutaneous leishmaniasis: treatment with a new, topical, pure herbal extract. Eur J Dermatol 2003;13:145—8.