Gastroentérologie Clinique et Biologique (2009) 33, e1—e9
MISE AU POINT
Les altérations génétiques dans les lésions précancéreuses pancréatiques et leurs implications en clinique Genetic alterations in precancerous pancreatic lesions and their clinical implications O. Turrini a,b, C. Cano a, A. Legoffic a, J.-R. Delpero b, J.-C. Dagorn a, J. Iovanna a,∗ a
Inserm U624, stress cellulaire, parc scientifique et technologique de Luminy, 163, avenue de Luminy, CP 915, 13288 Marseille cedex 9, France b Département de chirurgie oncologique, institut Paoli-Calmettes, Marseille, France Disponible sur Internet le 11 septembre 2009
Résumé Le cancer pancréatique, pour lequel le rapport incidence/décès est de 0,99, est à ce jour le cancer dont le pronostic est le plus sombre. Les facteurs de risque associés à la forme sporadique de l’adénocarcinome pancréatique sont très mal connus et seuls 5 à 10 % des patients atteints sont en mesure de recevoir un traitement curatif (chirurgie associée à la radiothérapie ou chimiothérapie périopératoire) avec un taux de survie faible à cinq ans (10 à 20 % selon les séries). En effet, plus de 90 % des patients présentent au moment du diagnostic une tumeur inextirpable ou des métastases. Il est donc impératif de mieux comprendre l’étiologie du cancer pancréatique afin d’identifier de nouveaux marqueurs de pronostic et de nouvelles cibles thérapeutiques. De nombreuses équipes se sont intéressées à l’identification des altérations génétiques associées au cancer pancréatique et au rôle de ces altérations dans son développement. Cette revue fait le point des connaissances actuelles sur les anomalies génétiques associées aux deux lésions pancréatiques à potentiel malin que sont les néoplasies intraépithéliales pancréatiques (PanIN) et les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP). La plupart des anomalies génétiques détectées sont communes à ces deux situations précancéreuses et diffèrent peu de celles observées dans les adénocarcinomes pancréatiques. Certaines d’entre elles pourraient être la base de cibles thérapeutiques permettant d’éviter la transformation maligne. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Pancreatic adenocarcinoma, with an incidence/death ratio of 0.99, has the worst prognosis of all cancers. Risk factors associated with the sporadic form of pancreatic ∗
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J. Iovanna).
0399-8320/$ – see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gcb.2009.02.046
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adenocarcinoma are unknown and curative treatment (surgery associated with radiotherapy or chemotherapy) is possible in less than 10% with a low 5-year survival rate (10—20%). The tumor discovered at diagnosis is not resectable or has already produced metastases in more than 90% of patients. Thus, a better understanding of the etiology of pancreatic cancer is paramount to identify new prognostic markers and new therapeutic targets. There are numerous data on the identification of genetic alterations associated with pancreatic cancer and their role in the development of cancer. This review focuses on existing knowledge of genetic alterations associated with two pancreatic lesions that can potentially evolve into pancreatic adenocarcinoma, Pancreatic Intraepithelial Neoplasias (PanIN) and Intraductal Papillary Mucinous Neoplasms (IPMN). They share most of their typical genetic alterations, whose panel is close to that found in pancreatic adenocarcinoma. Some of these alterations could lead to therapeutic targets that would prevent degeneration of PanIN and IPMN towards cancer. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Le cancer pancréatique est la quatrième cause de mortalité par cancer dans les pays occidentaux. Chaque année, 7200 personnes meurent en France de cette maladie ; elles sont environ 30 000 aux États-Unis [1]. Ce cancer, avec un rapport incidence/décès de 0,99, est donc très préoccupant en termes de santé publique [2]. La chimiothérapie et la radiothérapie périopératoire ne procurent qu’un très léger avantage en termes de survie sans aucun effet prouvé sur le pronostic [3]. Le seul traitement curatif reste la chirurgie avec résection en marges saines de la tumeur. Cependant, seuls 10—15 % des patients ont une maladie localisée et résécable au moment du diagnostic [4] et la majorité des patients opérés évolue rapidement par récidive locorégionale ou métastatique [5]. Le dépistage du cancer pancréatique, permettant un diagnostic précoce et donc augmentant les chances de traitement curatif, n’est pas d’actualité. Il n’existe en effet aucun test biologique ou clinique de criblage efficace et les facteurs de risque associés à la forme sporadique de cette maladie sont inconnus. Tout cela contribue au très mauvais pronostic de cette tumeur. Une meilleure compréhension des mécanismes de développement du cancer pancréatique aiderait sans doute à identifier de nouvelles cibles moléculaires permettant d’améliorer son diagnostic et son traitement. De nombreuses études ont été consacrées à l’identification des altérations génétiques et au rôle de ces altérations dans le développement du cancer pancréatique. Dans cette revue, nous nous focaliserons sur les anomalies génétiques associées aux deux lésions précancéreuses pancréatiques actuellement répertoriées, les néoplasies intraépithéliale pancréatique (PanIN) et les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP). On remarquera que ces anomalies intéressent principalement soit des oncogènes, soit des gènes suppresseurs de tumeurs. Les oncogènes sont des gènes dont l’expression favorise la transformation maligne. Ce sont soit des gènes mutés soit des gènes exempts de mutations mais anormalement surexprimés. Les gènes suppresseurs de tumeurs sont des gènes qui normalement protègent les cellules de la dégénérescence et dont la mutation ou leur inhibition favorise l’apparition de cellules cancéreuses.
Les néoplasies intraépithéliales pancréatiques (PanIN) Bien que des lésions précurseurs du cancer pancréatique aient été documentées il y a plus d’un siècle, une classification rigoureuse de ces lésions n’a été apportée qu’au cours de la dernière décennie. Les analyses morphologiques des cancers pancréatiques réséqués suggéraient que les adénocarcinomes pancréatiques ne se développaient pas de novo, mais résultaient d’une progression par étapes successives, dans laquelle une série de lésions intracanalaires évoluaient progressivement pour finir par engendrer des lésions invasives [6—8]. Vers la fin des années 1990, une pléthore de terminologies, souvent biologiquement imprécises, étaient utilisées pour décrire ces lésions. En 2001, un accord de nomenclature a été trouvé [9] répertoriant un éventail de lésions, s’étendant des lésions banales de bas-grade (PanIN-1) aux carcinomes in situ (PanIN-3), considérés comme l’étape précédant l’invasion du stroma voisin. La description détaillée des caractéristiques histologiques des PanIN n’est pas le sujet de cette revue. Il faut cependant noter que la progression histologique des lésions PanIN est accompagnée par l’accumulation progressive des mêmes anomalies moléculaires, à quelques exceptions près, que celles que l’on trouve dans le cancer invasif [10]. Ces altérations moléculaires ont aidé à démontrer que les PanIN étaient des précurseurs clonaux de l’adénocarcinome pancréatique. Bien que l’histoire naturelle exacte des PanIN soit difficile à établir, on présume que ces lésions existent bien avant l’apparition de l’adénocarcinome. Étant donné le pronostic très défavorable des cancers pancréatiques, il paraît important de vouloir caractériser génétiquement le tissu pancréatique qui héberge les lésions PanIN, et en particulier les lésions de type PanIN-3, avant qu’elles ne se transforment en lésions malignes. En effet, des anomalies moléculaires spécifiques des PanIN permettraient le dépistage précoce des processus de transformation pancréatique et pourraient fournir les éléments de nouvelles stratégies thérapeutiques ciblées. Alors que pour les lésions de type TIPMP aucun modèle animal n’a été jusqu’à présent développé, pour les lésions PanIN plusieurs modèles de souris génétiquement modifiées ont déjà été publiés. Ces modèles ont permis de démontrer que les lésions PanIN sont, chez la souris, à l’origine
Altérations génétiques dans les lésions précancéreuses pancréatiques des adénocarcinomes pancréatiques. Ils font tous intervenir l’expression pancréatique du gène KRAS muté [11—13]. L’expression de KRAS muté induit la formation des PanIN mais la transformation cancéreuse ne s’obtient qu’avec la perte de l’activité d’un gène suppresseur de tumeurs (CDKN2A/p16, SMAD4 ou d’autres molécules participant à la voie de signalisation du TGF bêta et TP53) [14—20] ou par la coexistence d’une inflammation pancréatique chronique [21].
Altérations génétiques des PanIN Les altérations génomiques dans les PanIN ont été mieux caractérisées que celles qui sont présentes dans les TIPMP. Les oncogènes La protéine ERBB2 code pour un récepteur des facteurs de croissance de type tyrosine kinase et son activation induit la prolifération cellulaire. Elle est donc considérée comme un puissant oncogène. La surexpression de l’oncogène ERBB2 est l’un des événements les plus précoces du processus de cancérisation pancréatique. Elle est détectée dans 82 % des PanIN-1A et dans 100 % des PanIN-3 [22]. L’oncogène KRAS est activé par mutation dans environ 90 % des adénocarcinomes pancréatiques. Ces mutations affectent les codons 12 (le plus fréquemment), 13 et 61 [23]. La protéine KRAS mutée facilite la progression le long du cycle cellulaire via l’activation des MAP kinases et de la kinase AKT [24]. Les mutations du gène KRAS apparaissent également très précocement dans le cancer pancréatique. Elles sont trouvées dans 36 % des PanIN-1A, 44 % des PanIN1B et PanIN2 et 87 % des PanIN-3 [25]. Il est important de remarquer que des lésions PanIN portant des mutations différentes peuvent coexister dans le même organe ; elles ne proviennent donc pas du même clone [26]. Cependant, seule l’une d’entre elles évoluera vers une forme invasive, celle qui possède les mutations que l’on retrouve toujours dans les adénocarcinomes pancréatiques. Les gènes suppresseurs de tumeurs Un certain nombre de gènes suppresseurs de tumeurs sont inactivés dans les PanIN. Ils sont également inactivés dans les adénocarcinomes. Le gène CDKN2A/p16 code pour une protéine qui se lie aux kinases cycline-dépendantes Cdk4 et Cdk6 et inhibe ainsi leur liaison avec la cycline D1, entraînant l’arrêt du cycle cellulaire en G1/S [27]. La perte de cette activité, qui est observée dans plus de 90 % des adénocarcinomes pancréatiques, peut intervenir par au moins trois mécanismes : la délétion homozygote, la mutation sur un allèle plus la délétion sur le second ou l’hyperméthylation de son promoteur résultant en une répression quasi-totale de son expression [28—30]. La perte de l’expression de CDKN2A/p16 est aussi observée dans les lésions PanIN avec une incidence de 30 % dans les PanIN-1A et PanIN-1B, 55 % dans les PanIN-2 et plus de 70 % dans les PanIN-3 [31]. Le gène suppresseur de tumeurs TP53 est inactivé dans plus de la moitié des adénocarcinomes pancréatiques. Le mécanisme de cette inactivation associe souvent la perte d’un allèle et la mutation inactivatrice de l’autre [32]. L’inactivation de TP53 est rarement trouvée dans les lésions
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PanIN-1A et PanIN-1B indiquant que la perte de la fonction de TP53 survient plus tardivement dans la tumorigenèse [33]. Le gène suppresseur de tumeur SMAD4 est fréquemment inactivé dans les adénocarcinomes pancréatiques [34]. La protéine SMAD4 est impliquée dans la cascade de signalisation du TGF bêta et son inactivation empêche l’effet inhibiteur de la croissance cellulaire qu’exercent le TGF bêta et les autres membres de sa famille, permettant ainsi la croissance incontrôlée des cellules tumorales [35]. L’expression de SMAD4 est conservée dans les lésions PanIN-1 et PanIN-2, mais perdue dans 40 % des PanIN-3 [36]. Autres anomalies observées La perte de l’intégrité des télomères dans l’épithélium canalaire est probablement responsable de l’instabilité génomique observée dans les PanIN [37]. Les télomères sont des répétitions TTAGGG situées aux extrémités des chromosomes qui leur confèrent une certaine stabilité pendant la division cellulaire [38]. Le raccourcissement des télomères est l’une des premières aberrations génétiques détectées dans les lésions PanIN dans plus de 90 % des cas [37]. Les télomères intacts servent de « gardiens » du génome canalaire pancréatique et leur raccourcissement observé dans les PanIN est responsable de l’accumulation progressive des anomalies chromosomiques qui aboutit à la transformation maligne. Par ailleurs, d’autres protéines sont surexprimées lors de la progression le long de ces stades de PanIN et peuvent donc être des marqueurs intéressants de la carcinogenèse pancréatique. En effet, l’expression de la protéine Ki-67 est associée à la prolifération cellulaire. Ki-67 est exprimée plus fréquemment dans les noyaux des cellules des PanIN de haut-grade (22 % dans les PanIN-3) que dans les formes précoces (0,7 % dans les PanIN-1A) [33]. Dans les adénocarcinomes, cet index est de 35—40 % [39]. L’expression de la topoisomérase II, qui est nécessaire à la relaxation de l’ADN avant sa réplication, suit celle de la protéine Ki-67 [33]. La cycline D1, qui est un élément clef du cycle cellulaire, est surexprimée dans 80 % des adénocarcinomes pancréatiques, 50 % des PanIN-3 et 30 % des PanIN-2 [40]. L’expression de ces marqueurs n’est pas due à un événement génomique ou épigénétique. Elle est simplement la conséquence d’une prolifération cellulaire accélérée due à la transformation maligne dont l’intensité est directement liée à la transformation. PanIN et accumulation d’anomalies génétiques L’évolution du stade PanIN-1A jusqu’au stade PanIN-3 puis vers l’adénocarcinome pancréatique est associée à l’accumulation progressive d’altérations génomiques. Ce modèle de progression a été décrit par plusieurs laboratoires [33,41,42], semble bien établi et s’enrichit au fil des années grâce à la caractérisation de nouvelles anomalies dans ces lésions précancéreuses. Les altérations génétiques les plus précoces (présentes au stade PanIN-1A) sont l’activation de l’oncogène KRAS et l’amplification d’ERBB2. C’est aussi à un stade précoce que l’on constate un raccourcissement des télomères. La perte d’activité de CDKN2A/p16 est observée légèrement plus tard aux stades PanIN-1B et PanIN-2, et la surexpression de la cycline D1 au stade PanIN-2. Les évènements les plus tardifs, au stade PanIN-3, sont
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Figure 1
Anomalies génétiques associées aux lésions précancéreuses, PanIN, TIPMP et pancréatite chronique.
l’inactivation de TP53 et de SMAD4, ainsi que l’expression de Ki-67 (Fig. 1).
Les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses (TIPMP) Les TIPMP sont des lésions relativement rares qui se présentent macroscopiquement comme des canaux pancréatiques dilatés, remplis de mucus, à potentiel dégénératif [43]. Les TIPMP peuvent se présenter comme un petit kyste dans la lumière d’un canal pancréatique secondaire ou comme de grandes lésions multikystiques impliquant le canal principal et plusieurs canaux secondaires du pancréas. C’est le second type qui se transforme le plus souvent [44]. Les TIPMP se développent chez l’homme âgé plus fréquemment que chez la femme [45]. Leur découverte est le plus souvent fortuite ou intervient à la suite d’une poussée de pancréatite aiguë due à l’obstruction du ou des canaux pancréatiques par du mucus [43]. D’un point de vue microscopique, les TIPMP sont composées d’un épithélium de type canalaire, producteur de mucine. Elles sont classées selon leur architecture en quatre types : le type gastrique, le type intestinal, le type pancréatico-biliaire et le type oncocytique [46]. Par ailleurs, les cellules canalaires montrent divers degrés d’atypie qui vont du bas-grade au
haut-grade, ce dernier correspondant au carcinome in situ. L’Organisation mondiale de la santé a établi en 1996 une classification des TIPMP en quatre groupes selon le degré d’atypies cellulaires : les adénomes, les tumeurs borderline, les carcinomes in situ, et les tumeurs invasives. Le pronostic de cette maladie dépend de la présence au diagnostic d’un carcinome invasif, qui évolue malheureusement comme un adénocarcinome classique.
Altérations génétiques des TIPMP L’implication de trois oncogènes (KRAS, ERBB2 et AKT) et cinq suppresseurs de tumeurs (CDKN2A/p16, TP53, SMAD4, LKB1 et DUSP6) a été rapportée dans ces lésions. Les oncogènes L’oncogène KRAS est activé par mutation dans environ 72 % des lésions de TIPMP [47]. Cette mutation a été identifiée aussi bien dans les lésions de bas-grade que celles de haut-grade. Bien que peu spécifique cette mutation semble être nécessaire au développement des TIPMP. Il est intéressant de remarquer que différentes mutations activatrices de KRAS ont parfois été observées chez un même patient, dans différents foci de TIPMP. Plusieurs explications sont possibles, dont celle d’un développement polyclonal des TIPMP et celle d’une mutation de KRAS secondaire à l’apparition
Altérations génétiques dans les lésions précancéreuses pancréatiques des lésions. Yoshizawa et al. pensent que les formes de basgrade sont d’origine polyclonale alors que les formes de haut-grade se développent à partir des lésions de bas grade de fac ¸on clonale [48]. La surexpression d’ERBB2, qui est un événement fréquent et précoce dans le cancer du pancréas comme nous l’avons noté plus haut, a été observée dans 63 % des lésions TIPMP [49]. AKT est une protéine kinase impliquée dans la signalisation de KRAS et joue un rôle essentiel dans la croissance cellulaire et la survie. Dans une étude récente, il a été montré que la forme phosphorylée (activée) de cette kinase était induite dans 63 % des lésions (contre 70 % dans les adénocarcinomes). Il est aussi intéressant de noter que l’activation d’AKT est légèrement plus fréquente dans les formes de haut-grade que dans celles de bas-grade [50].
Les gènes suppresseurs de tumeurs Comme nous l’avons dit, CDKN2A/p16 joue un rôle majeur dans l’arrêt du cycle cellulaire. L’expression de CDKN2A/p16 est perdue dans plus de la moitié des lésions TIPMP [51] et cette diminution semble être due dans la majorité des cas à l’hyperméthylation de son promoteur [52]. Le gène suppresseur de tumeurs TP53 est un facteur de transcription qui induit l’expression de nombreux gènes impliqués dans l’arrêt du cycle cellulaire, la réparation de l’ADN et l’apoptose induite par les lésions de l’ADN. L’activité de TP53 est perdue dans la moitié des tumeurs humaines, soit par la délétion ou la mutation de son gène, soit par une hyperdégradation protéosomale. La perte de l’activité de TP53 est observée dans la moitié des TIPMP avec une fréquence plus importante dans les lésions de haut grade [46,47,49]. L’hypothèse actuellement avancée serait que la perte de l’activité de TP53 dans ce type de lésions induit la perte de l’intégrité du génome qui sera à l’origine de la transformation maligne. La région chromosomique 18q21.1 est fréquemment délétée sur ses deux allèles dans les adénocarcinomes pancréatiques [53—55]. Le gène suppresseur de tumeurs SMAD4 se trouve localisé dans cette région. Pourtant, les mutations homozygotes de SMAD4 sont plutôt rares dans les lésions de TIPMP. De plus, l’expression de la protéine SMAD4 est généralement bien conservée dans les lésions, indépendamment de son degré d’atypie [56]. La perte de fonction de SMAD4 semble donc être un phénomène très tardif dans la transformation des TIPMP, à moins que cette transformation ne passe jamais par la voie SMAD4. LKB1 est le gène responsable du syndrome de Peutz-Jeghers (syndrome à transmission autosomique dominante associant une lentiginose périorificielle et une polypose intestinale, dont l’évolution peut être marquée par l’apparition de plusieurs types de cancers dont le cancer du pancréas). Son rôle semble associé au maintien de la polarité cellulaire [57]. Une mutation de LKB1 a été identifiée dans 25 % des lésions de TIPMP chez les patients n’étant pas atteints par ailleurs du syndrome de Peutz-Jeghers, ainsi que dans quelques cas d’adénocarcinome pancréatique [58]. LKB1 pourrait donc jouer un rôle dans l’apparition des TIPMP chez quelques patients. Enfin, l’expression de DUSP6, une phosphatase qui interagit avec la kinase MAPK1 et qui régule son activité, semble être perdue ou fortement diminuée dans un petit nombre de TIPMP [52].
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Prise en charge et traitement des TIPMP La véritable avancée clinique de ces dernières années dans la prise en charge des cancers du pancréas est la possibilité de mettre en évidence ces lésions par échoendoscopie, scanner ou wirsungo-IRM et de proposer une résection pancréatique dite prophylactique avant qu’elles ne dégénèrent en carcinome invasif. Des critères permettant de poser formellement une indication de résection quand le risque de dégénérescence est élevé à court terme ont été établis (TIPMP symptomatique, atteinte du canal principal, kyste de plus de 20 mm, présence de nodule intramural au niveau du ou des kystes ou du canal principal). En revanche, la nature des examens que doivent subir les patients porteurs de TIPMP à faible risque de dégénérescence et leur fréquence ne sont pas définis. Comme il existe des cas de TIPMP, apparemment bénignes qui ont dégénéré rapidement, certaines équipes opèrent systématiquement dès le diagnostic posé. La chirurgie des TIPMP est très variable puisqu’elle dépend de l’atteinte (limitée ou étendue) et peut aller de la simple énucléation à la pancréatectomie totale génératrice d’un diabète très difficile à équilibrer. La morbidité et la mortalité de ces interventions prophylactiques ne sont pas nulles et c’est là un défi majeur de cette pathologie : convaincre un patient asymptomatique de subir une intervention parfois lourde et mutilante. Évidemment, le risque opératoire est à mettre en balance avec le risque de dégénérescence et donc d’apparition d’un cancer du pancréas à l’issue fatale. De nombreuses équipes ont essayé de définir des facteurs prédictifs de malignité chez les patients porteurs de TIPMP. L’analyse cytologique et immunohistochimique des cytoponctions sous échoendoscopie [59—61] de même que l’analyse biochimique ou le dosage de marqueurs tumoraux dans le liquide recueilli lors de ponctions sous échoendoscopie [62], ou du suc pancréatique [63] pourrait aider à mieux discriminer les TIPMP bénignes des TIPMP dégénérées, mais reste encore insuffisante. Les progrès de la recherche sur les TIPMP devraient faire progresser la prise en charge des patients. De nouveaux critères prédictifs, basés sur l’analyse génomique ou protéomique réalisée à partir de prélèvements faits sous échoendoscopie, et non plus simplement sur l’imagerie, devraient permettre de n’opérer que les patients dont les TIPMP vont certainement évoluer vers le cancer.
Les différences entre PanIN et TIPMP Les PanIN et les TIPMP, bien qu’étant toutes deux intracanalaires et pouvant dégénérer en cancer, sont des lésions très différentes. La plus importante différence concerne leur taille. Les PanIN sont microscopiques alors que les TIPMP sont macroscopiques. À l’heure actuelle, les PanIN ne peuvent donc pas être détectées par les méthodes d’investigations habituelles, radiologiques ou endoscopiques. Leur découverte, à la suite d’analyses histologiques de pièces opératoires, reste fortuite. Les deux types de lésions se distinguent également par l’immunoréactivité de MUC2, observée dans la majorité des TIPMP mais jamais dans les PanIN, l’expression de SMAD4, souvent perdue dans les PanIN-3 mais quasi systématiquement conservée dans les TIPMP dégénérées ou non [56], l’expression de DUSP6 qui est
e6 Tableau 1
O. Turrini et al. Récapitulatif des altérations trouvées dans les lésions précancéreuses pancréatiques. PanIN
TIPMP
Taille de la lésion Oncogènes
Microscopique ERBB2 KRAS
Gènes suppresseurs de tumeurs
CDKN2A/p16 TP53 SMAD4
Autres
Raccourcissement des télomères Ki67 Cycline D1
Macroscopique KRAS ERBB2 AKT CDKN2A/p16 TP53 SMAD4 (tardif) LKB1 DUSP6 MUC2
bien préservée dans les PanIN mais fortement réduite dans la majorité des TIPMP [46]. De telles différences suggèrent des mécanismes moléculaires distincts dans le développement de ces deux lésions précancéreuses (Tableau 1).
La pancréatite chronique : un état précancéreux Il est maintenant admis que les patients atteints de pancréatite chronique ont un risque accru de développer un adénocarcinome du pancréas [64], et cela plus particulièrement dans le cas des pancréatites chroniques héréditaires [65]. L’inflammation chronique pourrait être à l’origine de dommages causés à l’ADN, qui s’accumuleraient dans le temps, tout comme dans les PanIN. Plusieurs équipes ont d’ailleurs décrit des lésions de type PanIN dans les tissus de pancréatite chronique [66,67]. Cela semble donc très important car on connait bien le problème du diagnostic différentiel entre pancréatite chronique « pseudotumorale » et cancer : malgré l’apport de l’échoendoscopie, il est difficile d’obtenir un diagnostic de certitude d’adénocarcinome, et, par ailleurs, une ponction négative n’élimine pas formellement le diagnostic de cancer chez ces patients [68—70]. L’intérêt de rechercher des anomalies génétiques dans les prélèvements faits sur les patients atteints de pancréatite chronique a déjà été étudié : la recherche de la mutation de l’oncogène KRAS dans les tissus [71], le sérum [72], les cytoponctions sous échoendoscopie [73] semble être plus contributive que celle réalisée dans le suc pancréatique [74,75]. Cependant, rien n’est encore validé pour une stratégie de dépistage lors de la surveillance de ces patients atteints de pancréatite chronique, et on comprend que la meilleure connaissance des altérations génétiques et de la carcinogenèse pancréatique pourrait aider au diagnostic plus précoce du cancer du pancréas chez ces patients.
une constatation anatomopathologique sur pièce opératoire. C’est pourquoi il serait intéressant de disposer d’un ensemble de marqueurs géniques permettant un diagnostic simple, spécifique et précoce permettant d’envisager des interventions prophylactiques, en particulier dans le cadre des pancréatites familiales. Le diagnostic des TIPMP devient de plus en plus précoce et les indications opératoires restent difficiles à poser : comme pour les PanIN, des marqueurs génomiques ou protéomiques recherchés par exemple lors de cytoponctions sous échoendoscopie pourraient permettre de mieux identifier les patients à fort risque de dégénérescence afin de proposer de fac ¸on la plus pertinente possible une intervention préventive. On perc ¸oit donc que la meilleure connaissance des altérations géniques des PanIN serait intéressante dans le cadre d’un dépistage familial alors que celle des TIPMP permettrait de mieux cibler les patients à surveiller ou à opérer. Il faut également remarquer que la majorité des anomalies génétiques observées dans les lésions PanIN et TIPMP ne différent pas de celles observées dans les adénocarcinomes pancréatiques établis, à l’exception des grandes altérations chromosomiques (duplications, délétions, réarrangements) présentes uniquement dans les adénocarcinomes. Ces anomalies seraient dues aux anomalies de la mitose, avec une mauvaise redistribution du matériel génétique entre les deux cellules filles, qui apparaissent vraisemblablement dans les adénocarcinomes avancés. Cela suggère que les altérations génétiques, bien qu’indispensables à la transformation maligne des lésions précancéreuses, ne sont pas suffisantes à la progression vers le cancer et que d’autres facteurs sont nécessaires. La caractérisation de ces facteurs, qui devraient être proches des facteurs de prédisposition au cancer (inflammation chronique, cigarette, certains régimes alimentaires, etc.), permettrait une meilleure prophylaxie du cancer pancréatique.
Conclusions et perspectives Conflits d’intérêts PanIN et TIPMP sont des lésions précancéreuses bien distinctes. Le diagnostic de PanIN reste pour l’instant
Aucun.
Altérations génétiques dans les lésions précancéreuses pancréatiques
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