Les cancers broncho-pulmonaires professionnels

Les cancers broncho-pulmonaires professionnels

REV. PNEUMOL. CLIN., 2004, 60, 5-3S7-3S10 © Masson, Paris, 2004 Les cancers broncho-pulmonaires professionnels J. AMEILLE (1, 2) (1) Unité de Pathol...

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REV. PNEUMOL. CLIN., 2004, 60, 5-3S7-3S10

© Masson, Paris, 2004

Les cancers broncho-pulmonaires professionnels J. AMEILLE (1, 2) (1) Unité de Pathologie professionnelle et de Santé au travail, Hôpital Raymond-Poincaré, 104, boulevard Raymond-Poincaré, AP-HP, 92380 Garches. (2) Institut Inter-universitaire de Médecine du Travail de Paris - Ile-de-France, 45, rue des Saints-Pères, 75006 Paris.

RÉSUMÉ Les cancers broncho-pulmonaires sont les cancers professionnels les plus fréquents. De nombreux agents cancérogènes professionnels sont identifiés, au premier rang l’amiante. Ces cancers n’ont aucune spécificité clinique, radiologique ou histologique. Seul un interrogatoire professionnel standardisé systématique chez tous les patients atteints de cancer broncho-pulmonaire permet de ne pas méconnaître une éventuelle exposition professionnelle. Douze tableaux de maladies professionnelles dans le régime général de la Sécurité sociale permettent la déclaration de maladie professionnelle et la réparation pour les victimes et les ayants droit. Les patients atteints de cancers broncho-pulmonaires liés à l’inhalation d’amiante reconnus en maladie professionnelle bénéficient de dispositions particulières.

Mots-clés : Cancer broncho-pulmonaire. Exposition professionnelle. Déclaration de maladie professionnelle.

SUMMARY Occupational lung cancers Bronchopulmonary cancers are the most prevalent of all occupational cancers. Many work-involved cancerous agents have been identified, the first in line being asbestos. These cancers have no clinical, radiological or histological specificity. Only a standardised, systematic enquiry in all the patients suffering from lung cancers will reveal an eventual occupational exposure. Twelve tables of occupational diseases in the general regime of the national health scheme permit the declaration of an occupational disease and the compensation of patients and entitled persons. Patients exhibiting lung cancers related to the inhalation of asbestos, recognized as an occupational disease, benefit from particular dispositions.

Key-words: Lung cancer. Work-related exposure. Declaration of an occupational disease.

elon des données épidémiologiques récentes, les facteurs de risques professionnels seraient responsables de 3 800 à 7 000 cas de cancers, toutes localisations confondues, chaque année en France.

S

population française, l’Institut de Veille Sanitaire a évalué le nombre de cas incidents de cancers broncho-pulmonaires d’origine professionnelle entre 2 813 et 6 051 et le nombre de décès entre 2 433 et 5 427 [1].

Les cancers broncho-pulmonaires sont les cancers professionnels de loin les plus fréquents. S’appuyant sur les fractions de risque de cancer broncho-pulmonaire attribuables à des facteurs professionnels publiées dans la littérature internationale et en les appliquant au nombre de cas incidents et de décès observés dans la

LES AGENTS CANCÉROGÈNES PROFESSIONNELS

Correspondance : [email protected]

Le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) procède régulièrement à l’évaluation qualitative du pouvoir cancérogène de substances, mélanges de substances ou situations d’exposition à partir des données épidémiologiques et expérimentales publiées [2].

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Il procède à leur classement en fonction de leur cancérogénicité :

L’AMIANTE

1 : cancérogène pour l’homme ; 2A : probablement cancérogène pour l’homme ; 2B : peut-être cancérogène pour l’homme, 3 : inclassable ; 4 : probablement non cancérogène.

L’amiante est le principal facteur étiologique des cancers broncho-pulmonaires professionnels et serait responsable à lui seul de plus de 2 000 décès chaque année [1].

Le tableau I rassemble les agents, mélanges d’agents ou groupes professionnels, classés 1 ou 2 A par le CIRC, pour lesquels il existe des données épidémiologiques prouvant ou faisant suspecter un excès de risque de cancer broncho-pulmonaire [2]. L’Union européenne a également élaboré un classement des substances cancérogènes. Les substances classées en catégorie 1 et 2 doivent comporter la mention explicite de leur danger cancérogène et leur utilisation fait l’objet de restrictions plus ou moins sévères. Tableau I. — Étiologies professionnelles des cancers bronchopulmonaires. Agent ou mélange d’agent

Classement CIRC

Amiante

1

Arsenic

1

Béryllium

1

Bischlorométhyl éther et chlorométhyl méthyl éther 1 Cadmium

1

Chrome hexavalent

1

Hydrocarbures aromatiques polycycliques

1

Certains composés de nickel

1

Radon et produits de filiation

1

Silice cristalline

1

Gaz d’échappement des moteurs diesel

2A

Groupe professionnel Industrie du caoutchouc

1

Fonderies de fonte et d’acier

1

Industrie de production de métaux durs

2A

Peintures

1

Coiffeurs

2A

Les effets cancérogènes de l’amiante sont démontrés depuis plusieurs décennies. Le CIRC a classé l’amiante en catégorie 1, en 1977, sous toutes ses formes, chrysotile et amphiboles. C’est dans les cohortes de travailleurs fortement exposés, ouvriers du textile amiante, isolateurs et calorifugeurs, ouvriers de fabrication d’amianteciment que l’excès de risque de cancer broncho-pulmonaire a été d’abord démontré. À l’heure actuelle, c’est chez les travailleurs du bâtiment et de la maintenance que l’on observe en France le plus grand nombre de cancers respiratoires reconnus en maladie professionnelle. Le nombre important des cancers imputables à l’amiante tient à la large diffusion de cet agent et à ses très nombreuses utilisations dans le passé. Il est estimé que 25 % des hommes actuellement retraités ont été à un moment quelconque de leur carrière professionnellement exposés à l’amiante [3] . Le risque de développer un cancer broncho-pulmonaire est positivement corrélé à l’exposition cumulée à l’amiante. À exposition cumulée identique, les risques diffèrent toutefois d’un groupe professionnel à l’autre. Ils sont ainsi plus importants chez les ouvriers du textile amiante, que chez les ouvriers de fabrication d’amianteciment et chez les mineurs d’amiante. La longueur et la finesse des fibres, plus importantes dans le textile, rendent sans doute compte de ces différences. En l’absence de données épidémiologiques fiables, on s’interroge sur les risques de cancer broncho-pulmonaire liés aux très faibles doses, telles que celles qui résultent habituellement des expositions passives à l’intérieur de bâtiments floqués et sur l’existence d’un seuil d’innocuité. Une étude environnementale n’a pas montré de surmortalité par cancer broncho-pulmonaire chez les femmes résidant à proximité des mines de chrysotile du Québec [4]. Les relations entre l’asbestose – fibrose pulmonaire induite par l’inhalation d’amiante – et le risque de survenue de cancer broncho-pulmonaire ont fait l’objet de controverses. Selon une thèse longtemps soutenue, l’excès de risque de cancer broncho-pulmonaire ne concernerait que les sujets porteurs d’une asbestose. Les données épidémiologiques recueillies au cours des dix dernières années montrent cependant qu’un excès de

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LES CANCERS BRONCHO-PULMONAIRES PROFESSIONNELS

risque de cancer broncho-pulmonaire est observé également chez les sujets ne présentant pas de signes radiologiques de fibrose pulmonaire. Mais, à exposition cumulée identique à l’amiante, l’existence d’une asbestose, surtout lorsqu’elle est évolutive, majore le risque de cancer [5]. L’amiante est un cancérogène complet qui augmente le risque de cancer broncho-pulmonaire, chez les fumeurs comme chez les non-fumeurs, mais il existe une interaction amiante-tabac qui suit un modèle approximativement multiplicatif. Les cancers broncho-pulmonaires dus à l’amiante n’ont aucune spécificité clinique, radiologique ou histologique. L’imputation d’un cas de cancer broncho-pulmonaire à une exposition professionnelle ne peut donc reposer sur des certitudes. Les éléments déterminants dans l’évaluation de la plausibilité d’une relation causale sont l’existence même d’une exposition à l’amiante, sa durée et son intensité [6]. La présence de pathologies asbestosiques bénignes associées – plaques pleurales ou asbestose – est un élément d’orientation indirect. La survenue du cancer moins de dix ans après le début de l’exposition à l’amiante doit en revanche faire douter de son origine professionnelle, car le temps de latence des cancers broncho-pulmonaires dus à l’amiante est en moyenne supérieure à 20 ans. L’existence d’un intoxication tabagique ne permet pas d’exclure la responsabilité de l’amiante, mais son absence renforce la plausibilité d’une relation causale. Dans les cas difficiles, l’analyse minéralogique d’échantillons biologiques – liquide de lavage broncho-alvéolaire ou fragment de parenchyme pulmonaire – permet une évaluation objective de l’exposition à l’amiante [7].

AUTRES ÉTIOLOGIES PROFESSIONNELLES DES CANCERS BRONCHO-PULMONAIRES Plusieurs études épidémiologiques récentes ont conduit le CIRC à classer la silice cristalline comme agent cancérogène certain pour l’homme et le législateur à permettre l’indemnisation du cancer broncho-pulmonaire lorsqu’il complique une silicose (hors pneumoconiose du houilleur). Une étude épidémiologique française récente a montré une augmentation significative du risque de cancer broncho-pulmonaire chez les ouvriers de fabrication de métaux durs [8]. Ces résultats sont à l’origine de la création en 2000 d’un tableau de maladie professionnelle (tableau 70 ter du régime général de la Sécurité sociale).

Des données plus anciennes apportent des arguments en faveur de la responsabilité d’autres métaux : arsenic, béryllium, cadmium, dérivés de chrome et du nickel [9]. Plusieurs hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) résultant de la combustion incomplète de matières organiques ont été classés cancérogènes certains ou probables par le CIRC. Deux méta-analyses récentes ont conclu à un excès modéré, mais significatif de risque de cancer broncho-pulmonaire pour les travailleurs exposés aux gaz d’échappement des moteurs diesel dont la phase particulaire est riche en HAP. Un excès de risque de cancer broncho-pulmonaire a été observé dans des cohortes de peintres et de travailleurs de l’industrie du caoutchouc. Les agents responsables de cet excès n’ont pas été clairement identifiés.

ASPECTS MÉDICO-LÉGAUX Douze tableaux de maladie professionnelle dans le régime général de la Sécurité sociale permettent la réparation de cancers broncho-pulmonaires (tableau II). Ces tableaux recoupent largement les évaluations du CIRC, à l’exception du cadmium et du béryllium. Lorsque la réglementation le permet, il est important pour la victime et ses ayants droit de faire reconnaître le caractère professionnel d’un cancer. Ils peuvent en effet bénéficier d’une prise en charge à 100 % des soins médicaux, d’indemnités journalières supérieures à celles du régime d’assurance maladie en cas d’arrêt de travail, et de l’attribution d’une rente après consolidation de la maladie (rente reversée aux ayants droit en cas de décès imputable à la maladie professionnelle). La déclaration en maladie professionnelle est également utile pour la collectivité car elle contribue à la prise de conscience des risques professionnels et à leur prévention. Les patients atteints de cancers broncho-pulmonaires consécutifs à l’inhalation d’amiante reconnus en maladie professionnelle bénéficient de dispositions particulières. Ils ont en effet droit à une allocation de cessation anticipée d’activité dès l’âge de 50 ans et peuvent en outre obtenir du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) une indemnisation complémentaire, basée sur le principe de la réparation intégrale. Fait important, le bénéfice de la réparation accordée par le FIVA est également étendu aux artisans [10].

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J. AMEILLE

Tableau II. — Tableaux de maladies professionnelles permettant la réparation des cancers broncho-pulmonaires (régime général de la Sécurité sociale). Agents

Numéro du tableau

Rayonnements ionisants “par inhalation”

Listes de travaux Délai de prise en charge (durée minimale d’exposition)

6

Indicative

30 ans

Certains dérivés du chrome

10 ter

Limitative

30 ans

Hydrocarbures aromatiques polycycliques “goudrons de houille, huiles de houille, brais de houille, suies de combustion du charbon”

16 bis

Limitative (10 ans)

30 ans

Arsenic “inhalation de poussières et vapeurs arsenicales”

20 bis

Limitative

40 ans

Arsenic “inhalation de poussières et vapeurs renfermant des arsenopyrites aurifères”

20 ter

Limitative

40 ans

Silice. CBP + silicose

25

Indicative (5 ans)

35 ans

Amiante. CBP + lésions pleurales bénignes ou asbestose

30

Indicative (5 ans)

35 ans

Amiante. CBP isolé

30 bis

Limitative (10 ans)

40 ans

Certains dérivés du nickel “grillage des mattes de nickel”

37 ter

Limitative

40 ans

Poussières ou fumées d’oxyde de fer, si sidérose associée

44 bis

Limitative (10 ans)

40 ans

Poussières de cobalt associées au carbure de tungstène avant frittage

70 ter

Limitative (5 ans)

35 ans

81

Limitative

40 ans

Bis (chlorométhyl) éther

RÉFÉRENCES 1. Imbernon E. Estimation du nombre de cas de certains cancers attribuables à des facteurs professionnels en France. Institut de Veille sanitaire, Saint-Maurice. 2003, 28 p. 2. http: //www.iarc.fr 3. Goldberg M, Banais A, Goldberg S, et al. Past occupational exposure to asbestos among men in France. Scand J Work Environ Health 2000;26:52-61. 4. Camus M, Siemyaticki J, Meek B. Non occupational exposure to chrysotile asbestos and the risk of lung cancer. N Engl J Med 1998;338:1565-71. 5. Ameille J, Letourneux M. Les pathologies asbestosiques non tumorales. Rev Mal Respir 1998;15:479-87.

6. INSERM. Effets sur la santé des principaux types d’exposition à l’amiante. Rapport d’expertise collective. Editions INSERM, Paris. 1997, 434 p. 7. Pairon JC, Dumortier P. Place des analyses biométrologiques dans l’évaluation rétrospective des expositions à l’amiante. Arch Mal Prof 1999;60:218-34. 8. Moulin JJ, Wild P, Romazini S, et al. Lung cancer risk in hard metal workers. Am J Epidemiol 1998;148:241-8. 9. Ameille J, Monnet I, Pairon JC. Cancers bronchopulmonaires in : Pairon JC, Brochard P, Le Bourgeois JP, Ruffié P. Les cancers professionnels. Editions Margaux Orange. Paris. 2000-1:379-401. 10. http: // www.fiva.fr