Revue française d’allergologie et d’immunologie clinique 43 (2003) 397–400 www.elsevier.com/locate/revcli
Article à 4 mains
Les conjonctivites allergiques chroniques : quelques notions sur le diagnostic et le traitement Chronic allergic conjunctivitis: a few notions about diagnosis and treatment J.-L. Fauquert a,*, L. Helleboid b,c a
Consultation d’Ophtalmologie et allergologie de l’enfant, CHU Hôtel-Dieu, 63058 Clermont-Ferrand cedex, France b 61, rue Bannier, 45000 Orléans, France c Hôpital Tenon, 4, rue de Chine, 75020 Paris, France Reçu le 27 janvier 2003 ; accepté le 30 janvier 2003
Résumé Le diagnostic des conjonctivites allergiques chroniques impose de différencier les formes bénignes (conjonctivite chronique) des formes graves (kératoconjonctivite vernale et kératoconjonctivite atopique). Pour ce faire, le retournement de la paupière supérieure est un préalable utile et l’examen ophtalmologique une nécessité impérative. L’interrogatoire permet d’orienter vers l’allergologue qui peut mettre en évidence une sensibilisation à un ou plusieurs allergènes. Les critères de sensibilisation sont discutés. La pertinence des tests n’est pas toujours optimale : dans les cas douteux, la pratique d’un test de provocation conjonctival en milieu hospitalier est donc nécessaire, prémices à la pratique d’une immunothérapie spécifique. Le traitement préventif des conjonctivites allergiques chroniques associe l’éviction allergénique à la suppression de facteurs irritants, voire des lentilles de contact. Le traitement médicamenteux est dominé par les antidégranulants mastocytaires et les antihistaminiques. Les topiques sans conservateur limitent le risque de réaction adverse. © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Abstract A diagnosis of chronic allergic conjunctivitis requires that mild forms (i.e. chronic conjunctivitis) be distinguished from severe forms (i.e. kerato-conjunctivitis and atopic kerato-conjunctivitis). To this end, examination of the inner surface of the upper lid is an important preliminary step. A thorough ophthalmologic examination is absolutely necessary. A full medical history will give the clinician clues to possible allergic sensitisation. We discuss the criteria used for the assessment of specific allergies. Skin and serologic tests are not necessary in all cases, but conjunctival allergen challenge is useful in doubtful cases or when immunotherapy is planned. Preventive treatment of chronic allergic conjunctivitis includes allergen avoidance, elimination of irritation factors and, on some cases, discontinued use of contact lenses. Drug therapy includes mast cell degranulating agents and antihistamines. The use of preservative-free eye drops reduces the risk of an adverse reaction. © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Mots clés : Conjonctivite allergique ; Test de provocation conjonctival ; Topiques ; Immunothérapie spécifique Keywords: Allergic conjunctivitis; Conjunctival allergen challenge; Topics; Specific immunotherapy
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.-L. Fauquert). © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. doi:10.1016/S0335-7457(03)00199-0
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La prise en charge d’une conjonctivite allergique chronique nécessite rigueur et confrontation avec l’ophtalmologiste. La terminologie utilisée par les deux spécialités prête souvent à confusion : ainsi toutes les « conjonctivites allergiques » ne relèvent pas toujours d’une réaction IgE dépendante à un allergène. Si l’adjectif « vernal » oriente vers le printemps, la kératoconjonctivite vernale n’est pas particulièrement liée à celui-ci sauf en tant que vecteur de luminosité.
1. Les formes cliniques La classification reconnue [1] des conjonctivites allergiques chroniques est reprise dans le Tableau 1. Bien moins fréquentes que les conjonctivites aiguës et saisonnières, les conjonctivites chroniques (CC) présentent le même aspect de conjonctivite bénigne persistante plus de 6 semaines. Leurs signes sont ceux de l’hyperréactivité conjonctivale en particulier chez l’adulte : rougeur conjonctivale, prurit voire douleur oculaire, sensation de sable dans les yeux, larmoiement, œil sec. Elles justifient la recherche ambulatoire d’une sensibilisation de type IgE dépendante : des prick-tests, un dosage orienté des IgE spécifiques permettent d’extraire un allergène responsable. À l’inverse, les formes graves méritent des investigations plus poussées éventuellement en milieu hospitalier, du fait de leur évolution capricieuse et de la pertinence imparfaite des tests allergéniques [2]. Ces formes graves sont dominées par la kératoconjonctivite vernale (KCV), véritable modèle expérimental de conjonctivite allergique. Parmi les autres formes sévères, la kératoconjonctivite grave de la dermatite atopique (KCA) est encore plus rare et la conjonctivite gigantopapillaire (CGP) concerne surtout les porteurs de lentilles souples. En pratique, le patient qui se présente à l’allergologue pour une conjonctivite chronique a déjà bénéficié de consultations ophtalmologiques : une typologie précise est donc déjà proposée. Si ce n’est pas le cas, quelques gestes simples doivent permettre de distinguer le patient qui nécessite un bilan ophtalmologique préalable à l’enquête allergénique. Le retournement de la paupière supérieure (Tableau 2) peut découvrir des papilles géantes qui orientent vers une kérato-
Fig. 1. Papilles sur la conjonctive tarsale.
conjonctivite vernale (Fig. 1). Ailleurs, la présence de lésions majeures de dermatite atopique incitera à la prudence, car il peut alors s’agir d’une kératoconjonctivite atopique. Dans tous les cas douteux et lorsque les signes fonctionnels sont intenses (avec photophobie, baisse d’acuité visuelle, douleur, voire blépharospasme), l’ophtalmologiste apportera des précisions sur l’affection en cause. Il éliminera les autres causes de conjonctivites chroniques, non allergiques (Tableau 3). Il éliminera aussi une complication cornéenne, éventuellement préjudiciable pour la vision. 2. Quel bilan allergénique devant une conjonctivite allergique chronique ? L’allergologue recherche une sensibilisation aux allergènes domestiques, pneumallergènes et trophallergènes. Certains allergènes seront testés à la suite d’un interrogatoire policier qui peut orienter vers un allergène itératif (phanères animaux) ou un aliment (dégoût alimentaire, syndrome oropharyngé, éruption). Mais, le plus souvent, c’est la pratique d’une large batterie de tests allergéniques qui est contributive. En allergologie oculaire, les critères de positivité des tests doivent être souples : nous considérons comme positif tout prick-test supérieur à la moitié du témoin positif et tout dosage d’IgE spécifiques sériques supérieur à 0,35 UI/ml. Les allergènes incriminés sont variés, tant pour les pneumal-
Tableau 1 Les formes cliniques des conjonctivites allergiques chroniques (d’après D. Hannouche et T. Hoang-Xuan [1]) Fréquence Type d’allergie * Contexte Signes cliniques Signes d’accompagnement Paupières Conjonctives Atteinte Cornéenne
CC ++ I Allergie Modérés : œil rouge/Prurit Rhinite/Œdème des paupières/Chémosis 0 Papilles KPS
KCV + I/IV Enfant Allergie ± Photophobie Blépharospasme ± Atteinte limbique 0 Papilles géantes Nodules de Trantas
KCA – I/IV Adulte D.A. Photophobie Eczéma des paupières Eczéma Papilles Fibrose KPS Ulcère Plaque vernale
CGP +/– I/IV Lentilles Œil sec Port de lentilles souples 0 Papilles géantes Rare
* Selon Gell et Coombs CC, conjonctivite chronique ; KCV, kératoconjonctivite vernale ; KCA, kératoconjonctivite atopique ; CGP, conjonctivite gigantopapillaire ; D.A., dermatite atopique ; KPS, kératite ponctuée superficielle
J.-L. Fauquert, L. Helleboid / Revue française d’allergologie et d’immunologie clinique 43 (2003) 397–400 Tableau 2 Comment retourner la paupière supérieure • Le patient regarde vers le bas • Tirer doucement les cils vers l’avant : on tend et décolle la paupière • Puis utiliser un trombone ou un capuchon de stylo comme axe autour duquel on retourne le cartilage tarsal vers le haut • Utiliser un otoscope pour analyser la qualité de la conjonctivite tarsale Tableau 3 Diagnostic différentiel des conjonctivites allergiques chroniques Devant Une douleur oculaire Une atteinte des bords libres des paupières Des lésions dermatologiques du visage Des sécrétions filamenteuses et membraneuses Une atteinte limbique supérieure Un contexte particulier chez un adulte Un contexte d’auto-immunité chez sujet âgé Un œil sec
Penser à : une uvéite, un herpès, un glaucome aigu une rosacée oculaire
une conjonctivite ligneuse une kératoconjonctivite limbique supérieure une conjonctivite infectieuse (chlamydiae, herpès, adénovirus) une conjonctivite auto-immune
lergènes que pour les trophallergènes : la batterie de tests doit donc être étendue. Des tests multi-allergéniques de dépistage (Trophatop®) peuvent orienter lorsque l’interrogatoire n’est pas contributif. L’interprétation du bilan doit être rigoureuse, car la pertinence des tests est parfois imparfaite. Dans les cas douteux, on aura recours au test de provocation conjonctivale [3]. Pratiqué en milieu ophtalmologique, sa positivité permet d’impliquer formellement l’allergène [4]. Il constitue pour certains un critère impératif pour l’indication d’une désensibilisation spécifique. La recherche d’une allergie de contact s’impose lorsque l’aspect local (persistance de lésions de blépharite ou d’eczéma des paupières) et l’application régulière de topiques orientent vers une allergie de contact. Dans ces cas, les patch-tests utiliseront la batterie standard européenne, auxquels on ajoute le Thiomersal et le Benzalkonium ainsi que les cosmétiques et collyres utilisés par le patient [5]. 2.1. Traitement des conjonctivites allergiques chroniques Les moyens thérapeutiques sont multiples, et l’on peut bien souvent se contenter dans un premier temps de l’association suivante : • diminution du contact antigénique : éviction allergénique guidée par le bilan allergologique (mesures antiacariens, éloigner du patient les animaux ou plantes responsables, reclassement professionnel), lavages de la surface oculaire au sérum physiologique ; • lutte contre les facteurs aggravants associés à l’allergie : C suppression des facteurs irritants « extrinsèques » (arrêt du tabac, protection anti-ultraviolets, substitution de collyres contenant des conservateurs, etc.) ;
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C lutte contre la sécheresse (partenaire quasi obligatoire d’une inflammation conjonctivale chronique) par des substituts lacrymaux sous forme de gels sans conservateur, dont il existe maintenant de nombreuses préparations commerciales dont la consistance varie. En pratique, faire essayer différentes spécialités au patient qui choisira celle qui lui « réussit » le mieux ; C traitement de toute affection oculaire associée : blépharite (soins locaux), anomalie même latente de réfraction (lunettes) ou de convergence (orthoptie) ; C citons également le problème des lentilles de contact : en général, elles ne sont plus supportées en cas d’inflammation chronique ; la seule solution acceptable par le patient et le médecin en attendant la disparition de l’inflammation est le port occasionnel et de courte durée de lentilles souples à usage unique (confort satisfaisant, pas d’aggravation du risque allergique car pas de produit d’entretien ni de dépôt sur la lentille) ; • traitements médicamenteux : le traitement prolongé imposé par la chronicité de cette affection nous incite à éviter autant que possible trois types de molécules [6] : les corticoïdes (risques d’automédication, de glaucome et donc de cécité, d’herpès cornéen), les conservateurs des collyres et notamment le chlorure de benzalkonium (toxicité épithéliale, sécheresse, hypersensibilités immédiate et retardée, pseudopemphigoïde conjonctivale), et les vasoconstricteurs (phénomènes de dépendance et de rebond, conjonctivites toxiques). Par ailleurs, en France, les anti-inflammatoires non stéroïdiens n’ont pas d’AMM pour les conjonctivites allergiques [7]. Il nous reste donc : C les antidégranulants mastocytaires : cromoglycate de sodium, lodoxamide, Naaga, nédocromil, avec une préférence pour les formes sans conservateur (unidoses ou système Abak) ; C les antihistaminiques en collyre : azélastine, lévocabastine, bromphéniramine (association avec phényléphrine), tous trois contenant du chlorure de benzalkonium; un peu à part se situe le kétotifène collyre, antihistaminique et antidégranulant, qui existe sous forme unidose ; C les antihistaminiques par voie générale, que nous ne détaillerons pas ici ; • l’immunothérapie spécifique (ITS) sera envisagée lorsque les mesures précédentes ne suffisent pas à juguler l’inflammation (par exemple nécessité de recours aux corticoïdes). Il faut comme toujours s’assurer de la pertinence de l’allergène employé et des possibilités de compréhension et d’adhésion au protocole prescrit. Dans cette indication, les voies sous-cutanée et sublinguale ont montré leur efficacité, mais n’ont pas été comparées à notre connaissance. Le débat sur les concentrations allergéniques à utiliser (« faibles doses », débutant l’ITS à 10–6 ou 10–5 IR, ou concentrations standards), n’a également pas été résolu. Signalons enfin
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qu’il sera peut-être possible d’utiliser à l’avenir des protocoles de désensibilisation locale (instillations oculaires à doses croissantes d’extrait allergénique), la dose de départ étant déterminée par le seuil du test de provocation conjonctival. En pratique, devant une conjonctivite chronique allergique, il convient d’effectuer préalablement à tout bilan allergénique un examen ophtalmologique, qui permet d’opposer deux situations. D’abord les formes bénignes, avec conjonctivite papillaire ou folliculaire, non compliquées, justifient un bilan allergénique ambulatoire puis un traitement local et éventuellement général. À l’opposé, les formes graves dominées par la conjonctivite dite vernale, justifient un bilan ophtalmo-allergologique spécialisé, prémices au traitement ophtalmologique et à une éventuelle prise en charge allergénique.
Références [1] [2]
[3]
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[5] [6] [7]
Hannouche D, Hoang Xuan T. Les conjonctivites allergiques. Bull Soc Ophtal Fr 1998;98:99–124. Dalens H, Fauquert JL, Chatron P, Beaujon G. Kératoconjonctivites vernales de l’enfant. Étude clinique et complémentaire à propos de 22 cas. J Fr Ophtalmol 1998;7:471–8. Abelson MB, Chambers WA, Smith LM. Conjunctival allergen challenge. A clinical approach to studying allergic conjunctivitis. Arch Ophtalmol 1990;108:84–8. Fauquert JL, Laporte B, Dalens H, Chatron P, Labbé A. Le test de provocation conjonctival en pathologie oculaire de l’enfant. Rev fr Allergol 1998;38:10, 998. Castelain M, Grob JJ. Ocular allergies for the dermatologist: conjunctivitis. Ann Dermatol Venereol 2002;129:923–7. Abelson MB, editor. Allergic diseases of the eye. Philadelphie: WB Saunders Ed; 2000. Helleboid L. Allergies oculaires. 4e Edition. In: Vervloet D, editor. Allergologie. Paris: Masson Ed.; 2003.