REVUE FRANCAISE D'ALLERGOLOGIE ET D'IMMUNOLOGIECUNIQUE
Les dermatoses allergiques profession nel les S. BELAICH, Y. MARCK
Y. M A R C K
Les dermatoses allergiques occupent une place essentielle au sein des maladies professionnelles et peuvent, ~ ce titre, 4tre responsables de lourdes consdquences, tant sur le plan personnel, avec le risque de licenciement que cela implique, que sur le plan 6conomique, avec le cofit important que cela peut repr6senter pour le pays. L'6valuation exacte d e l'incidence de ces dermatoses allergiques professionnelles est cependant difficile. Si l'on s'en r6fhre aux derniers chiffres communiquds par la CNAM, qui correspondent ~ l'annde 1994, sur les 7 500 cas de maladies professionnelles recensdes p e n d a n t cette ann6e, les dermatoses chimiques occupent la seconde position apr6s les affections pdri-articulaires en totalisant 1 100 cas regroupant une trentaine de tableaux. Sur ces trente tableaux, 7 sont i m p o r t a n t s et regroupent h eux seuls les trois quarts. Parmi eux, les tableaux 65 (Dermites ecz6matiformes) et 8 (affections causdes par le ciment) regroupent plus de la moiti6 des dermatoses professionnelles chimiques. Cela 6tant, ces chiffres de la CNAM sous-estiment tr6s largement la r6alit6 pour diff6rentes raisons. I1 existe tout d'abord une certaine banalisation de la dermite d'irritation qui n'incite pas l'employ6 ~ consulter pour des 16sions consid6r6es comme habituelles dans la profession. Ensuite, et c'est fort 16gitime, il y a la crainte du risque de licenciement, consdquence malheureusement fr6q u e m m e n t observ6e apr6s une d6claration de maladie professionnelle. Enfin, il faut aussi reconnaitre qu'il existe une sous-ddclaration de la part des m6decins concernant aussi bien les maladies
Service de Dermat0logie, H6pital Bichat, 46, me Henri-Huchard, 75018 PARIS.
professionnelles que les maladies fi caract6re professionnelles (dont les ddclarations permettraient d'actualiser les tableaux). Une 6tude trbs int6ressante a permis d'approcher r6ellement l'incidence des dermatoses allergiques professionnelles en France. Elle a dtd rdalis6e par l'6quipe du Professeur GOraut de Nantes et rapportde en 1992 aux 22 °s Journ6es de mddecine du travail. Elle a port6e sur deux regions de l'Ouest de la France/~ partir desquelles on a pu, par extrapolation, obtenir une 6valuation de l'incidence des dermatoses chimiques professionnelles 15 000 cas annuels dans notre pays. L'6tude avait port6 sur l'ensemble des mddecins dermatologues, allergologues et mddecins du travail des deux r6gions auxquels avait 6t6 adress6 un questionnaire concernant le nombre de cas observ6s, le diagnostic pos6 et la nuisance incrimin6e. 1 050 cas ont 6t6 observ6s sur ces deux seules r6gions, dont 98 p. cent correspondaient/~ une dermite d'irritation ou g un ecz6ma. Grfice g cette 6tude, on a pu aussi apprdcier le r61e des diffdrentes nuisances responsables (tableau I). Ce sont les mdtaux qui ont dt6 retrouv6s le plus souvent (24 %), puis suivent les produits de la coiffure (14 %), les ddtergents ( 13 %), le ciment (10 %), les mati6res plastiques (8 %) et le caoutchouc (7 %), les autres allerg6nes regroupant les 24 p. cent restants. On a pu aussi pr6ciser les principales cat6gories socio-professionnelles touchdes : secteurs du nettoyage, de la cuisine et de la restauration (18 %), du bfitiment et de l'industrie (16 %), de la coiffure (14 %), de la mdtallurgie et de la mdcanique (10 %), de la sant6 (8 %), de l'horticulture et de l'agriculture (5 %) (tableau II).
BELAICH S., MARCK Y. - Les dermatoses allergiques professionnelles. Rev. fr. Allergol., 1997, 37 (7 bis), 943-946.
© Expansion S¢ientifique Publications, 1997
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TABLEAUIII
TABLEAUII
TABLEAUIV
Les manifestations cliniques d'une dermatose allergique professionnelle sont variables (tableaux III et IV). Comme nous l'avons vu, il s'agit le plus souvent d'une dermite d'irritation ou d'un ecz6ma de contact, dont l'aspect peut parfois 6tre typNue. C'est le cas en particulier des dermites de contact type d'dryth6me p o l y m o r p h e (bois tropicaux, plantes, cobalt), des dermites lichdno~des (r6v61ateurs, photographiques), des dermatoses pseudolymphomato~des (v4g6taux, lactones sesquiterpdniques, ald6hydes) et des dermites de contact puriques nombreux alliages. La pertinence d'un test positif pour le palladium doit donc 6tre interprdter avec vigilance en tenant compte du test au nickel.
MI~TIERS DE LA COIFFURE Ils constituent la premi6re cause de dermatose allergique professionnelle chez la femme. Diff4rentes enqu6tes effectu4es par le syndicat de la coiffflre ont montr6 que 12 fi 30 p. cent du personnel sont g6n6s par une dermatose des mains. I1 faut souligner l'apparition prdcoce des manifestations qui est lide/~ l'entr6e trbs jeune dans le mdtier. L'6tudiant ddbute par une p6riode de pr~apprentissage d6s l'fige de 14 ~ 16 ans, suivie d'une p4riode d'apprentissage. De n o m b r e u s e s 6tudes ont montr6 que 50 p. cent des sensibilisations surviennent dans la premihre annde d'dtude. Les winRev.fi ~. Allergol., 1997, 37, 7 bis.
/LES DERMATOSES ALLERG1QUES PROFESSIONNELLES •
cipaux agents responsables sont les colorants et d6colorants (aminoph6nols, rdsorcine, hydroquinone, persulfate d'ammonium...) ; les accessoires professionnels (nickel, caoutchouc...) ; les produits de permanente (thioglycolates surtout) ; les s h a m p o o i n g s (agent nettoyant, conservateur, additif th6rapeutique...) et les parfums. Sur le plan de la prdvention collective, la connaissance exacte des composants des produits est illusoire en raison du secret de fabrication. On peut parfois agir directement sur le produit de diff~rentes fa~ons. On peut le supprimer (cas de l'hydrazide qui 6tait utilisd dans les permanentes), modifier sa structure chimique (cas du tri6thanolamine libre qui entrait dans la c o m p o s i t i o n de certains shampooings), lui substituer un agent moins allergisant (cas de la paraphdnyl6nediamine rdintroduite avec un taux m a x i m u m de 6 %). I1 faut aussi insister sur l'importance de la propret6 des locaux de travail. Sur le plan individuel, le r61e des gants ne doit pas 6tre n6glig6 m~me s'il est souvent mal accept6 par le client et par le professionnel. Les gants 61astiques sont g 6viter car ils sont allergisants et ils laissent passer de nombreux allerg6nes c o m m e la paraph6nylbnediamine. I1 faut pr6fdrer les gants plastiques marne s'ils sont perm6ables aux thioglycolates. La protection apport6e par l'applicatiou de crbmes barribres peut aussi rendre bien des services. On 6vitera bien e n t e n d u les cr6mes hydrosolubles et on privil6giera les crbmes liposolubles et les cr6mes de silicone. L'hygi6ne des mains est fondamentale. On utilisera des savons neutres ou surgraissants (pas de savon alcalin). L'dducation enfin est essentielle et ce d~s la formation lors des premi6res anndes.
INDUSTRIE DES MATIERES PLASTIQUES
Les dermatoses allergiques lides aux matibres plastiques sont de plus en plus fr6quentes et repr6sentent actuellement pros de 8 p. cent de l'ensemble des d e r m a t o s e s allergiques professionnelles. Elles c o m m e n c e n t par une dermite d'irritation essentiellement li6e aux diff6rents solvants utilis6s (tolu6ne, xylbne ou acdtone), aux durcisseurs amin6s et aux monombres de rdsine. L'ecz6ma de contact apparait secondairement. I1 est dr5 aux compos6s de la r6sine et aux durcisseurs. Pour la r6sine, son r61e allergisant est d'autant plus important que son poids mol6culaire est faible. Sur le plan clinique, la dermite de contact aux mati~res plastiques se manifeste souvent par une dermite de contact a6roport6e avec une atteinte du visage (cedbme des paupibres) et un eczdma du dos des mains qui peuvent survenir par 6piddmie au sein de l'entreprise. Quatre familles de r6sine sont principalement responsables. D'abord et avant tout les r6sines 6poxyRev.fi'. Allergol., 1997, 37, 7 bis.
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diques dont le principal allerg6ne est le diglycidy16ther du bisph6nol A, qui est o b t e n u par la rdunion de l'6pichlorydrine et du bisph6nol A, qui peuvent, eux-m6mes, 4tre allergisants. I1 faut savoir que plusieurs heures apr6s polym6risation, il peut persister 5 ~ 20 p. cent de monom6res, de bisph6nol A et d'6pichlorydrine. Parmi les autres r6sines 6poxydiques responsables d'allergie de contact ont 6t6 incrimin4s les 6poxys novolaques, qui se caractdrisent par leur r6sistance ~ la chaleur ; les 6poxys cycloaliphatiques, qui r6sistent bien aux UV ; les 6poxys hydantoines, adh6rents aux fibres de verre (fibres de kevlar) et les Epoxyacrylates. Les r6sines acryliques constituent la seconde grande farnille des mati6res plastiques responsables d'allergie. Elles sont tr6s utilis4es dans la dentisterie, l'imprimerie, la peinture et l e s vernis. Le principal allerg6ne responsable est le mdthacrylate de m6thyle qui peut 4tre utilis6 comme monomhre ou comme solvant. Les rdsines ph4noliques ou rdsines ph6nol-formol, obtenues par polycondensation de ph6nol avec du formald4hyde ou du furfurald6hyde entrent dans la composition de n o m b r e u s e s colles. L'agent responsable est le formalddhyde, le furfuralddhyde, le monom6re (parater butylph6nol surtout) ou 6ventuellement la rdsine. Enfin les r6sines aminoplastes, ou r6sines ur6e formol, obtenues par polycondensation d'ur6e (ou de thiour6e) avec le formald6hyde, sont aussi souvent utilis4es dans de n o m b r e u s e s colles. I1 faut c e p e n d a n t souligner leur emploi de plus en plus frequent dans les appr4ts tissus et dans les bois agglom4r6s. L'agent responsable est soit le formald6hyde, soit la r6sine elle-m4me. L'ur6e n'est pas allergisante contrairement au thiourde. Dermites de contact aux caoutchoucs
Seuls 5 p. cent des dermites au caoutchouc se rencontrent dans les professions du caoutchouc. Les 95 autres pour cent se rencontrent hors industrie du caoutchouc par l'intermddiaire des v6tements de protection, essentiellement les gants (80 %), les sous-v4tements et les bottes de protection. Les allergies ne sont pas dus h l'41astomhre mais aux agents additifs, en particulier agents de vulcanisation et de protection. Les 5 principales farnilles sont les thiazol6s, les thiurames, les dithiocarbamates, les d4rivds de la paraph4nylhnediamine et les thiourdes. La dermatite de contact aux prot6ines
Elle a 6t~ d6crite p o u r la premibre lois par Peterson en 1976 dans l'industrie de la restauration chez des professionnels qui confectionnaient des sandwichs fourrds [1]. Elle fait intervenir principalement une allergie de type I, mais aussi
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de type IV. Trois facteurs etiopathogeniques sont incrimines : l'irritation (degradation des keratines epidermiques par les proteines), une reaction de type I et la presence d'un terrain atopique (non indispensable) Sur le plan clinique, il existe un eczema chronique des mains subissant des periodes d'exacerbation urticariennes immediatement aprOs le contact avec l'agent responsable. Les metiers touchds sont nombreux : restauration et maraichers (fruits), bouchers, poissonniers, veterinaires (proteines animales), boulangers (farines), industrie pharmaceutique (enzymes). Le diagnostic repose sur la pratique de tests immddiats, erl particulier le prick test, rdalises sur peau saine ou, plus volontiers sur peau ldsee avec si possible l'allergene natif prepare. Si elles sont disponibles, on peut eventuellement rechercher la presence d'IgE specifiques. Urticaire de contact au latex
Elle touche les professions exposees regulierement ~ l'allergene, en particulier le secteur medi-
cal et paramedical (3/t 7 % selon les etudes). Elle serait responsable d'au moins 10 p. cent des anaphylaxies peroperatoires et p r o b a b l e m e n t 20 5 25 p. cent des anaphylaxies postoperatoires. L'urticaire est IgE dependante ; l'allergene est une proteine hydrosoluble (gravit6 des accidents peroperatoires et au cours d'examens gyndcologiques). I1 peut exister une allergie croisee alimentaire (ananas, banane, avocat, chataigne...). La presence d'une allergie medicamenteuse associee n'est pas rare. Cliniquement, il s'agit d'un prurit apparaissant dans les minutes suivant le contact avec le latex associ6/~ des lesions urticariennes. D'autres manifestations peuvent ~tre presentes : conjonctivite, rhinite, b r o n c h o s p a s m e voir accident anaphylactique. Le diagnostic repose sur le prick test avec l'allerg6ne commercialise, plus volontiers qne sur le prick test/~ travers le gant humide. En cas de negativite et de forte suspicion, on effectue le test avec un doigtier, voire le test d'utilisation avec precaution (risque d'accident anaphylactique). On pourra confirmer le diagnostic par le dosage des IgE specifiques pour le latex.
Rt~Ft~RENCE l. Hjorth N., Petertsen J.Roed. - Occupational protein contact dermatitis in food handlers. Contac[ Dermatitis, 1976, 2, 28-42.
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Rev.fr. Allergol., 1997, 37, 7 bis.