Annales Me´dico-Psychologiques 170 (2012) 306–311
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Me´moire
Les diffe´rentes « voix » de l’ESPT. Du de´sert langagier a` la psychothe´rapie The different ‘‘voices’’ of PTSD. From linguistic desert to psychotherapy Y. Auxe´me´ry Service de psychiatrie et de psychologie clinique, hoˆpital d’instruction des arme´es Legouest, 27, avenue de Plantie`res, BP 90001, 57077 Metz cedex 3, France
I N F O A R T I C L E
R E´ S U M E´
Historique de l’article : Rec¸u le 13 de´cembre 2010 Accepte´ le 7 mars 2011
Si d’ordinaire et par essence le traumatisme psychique reste du domaine de l’indicible, de l’innommable, ˆ rement par d’autres « voix ». Bien que pathognomonique de comme un de´sert de langage, il se traduit su l’e´tat de stress post-traumatique, le symptoˆme de re´pe´tition est rarement mis en avant par le patient psychotraumatise´ lui-meˆme. Les conduites addictives et suicidaires, de meˆme que les douleurs physiques, sont des modes de contact plus classiques avec le syste`me de soins. Les recherches re´centes ont mis en lumie`re d’autres pre´sentations psychotraumatiques comme les phe´nome`nes dissociatifs re´pe´te´s et les re´actions psychotiques plus ou moins durables. La voix des proches prend de l’importance en venant se substituer transitoirement a` la parole du sujet psychotraumatise´. Le contenant social trouve e´galement un e´cho dans la reconnaissance pe´nale ou la re´paration du dommage connexe. Si la position de victime peut eˆtre utile a` la reconstruction psychique dans un premier temps, il convient e´galement d’en interroger le sens lors d’un accompagnement psychothe´rapique, ou` le sujet reconstruit sa trajectoire par sa parole propre. Au cours du temps, le sujet psychotraumatise´ s’exprime diffe´remment. Passant initialement par des voies de´tourne´es, sa parole e´merge soudain lorsque l’autre qui l’accompagne favorise cette renaissance. ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
Mots cle´s : Dissociation E´tat de stress post-traumatique Psychose Tentative de suicide Trauma Usage de substances psychoactives Victime
A B S T R A C T
Keywords: Dissociation Posttraumatic stress disorder Psychosis Psychotherapy Substance use disorders Suicide attempt Trauma Victim
If the psychic trauma usually and essentially remains within the field of the inexpressible, unspeakable, like a linguistic desert, it surely translates by other ‘‘voices’’. Even if it is pathognomonic of the state of posttraumatic stress, the repetition syndrome is rarely highlighted by the psycho-traumatised patient themselves. Addictive and suicidal behaviour, as well as the physical pain, are both more traditional methods of contact with the health care system. Recent research has brought to light other psychotraumatic presentations such as repeated dissociative phenomena and transitory or lasting psychotic reactions. The voice of family and friends gains in importance as it temporarily takes the place of the speech of the psycho-traumatised subject. The social vessel also finds an echo in legal recognition or compensation of related damage. If to start with the position of the victim can be useful in the psychic reconstruction, it is also fitting to question the sense of it during psychotherapeutic support, where the subject rebuilds their trajectory through their own words. Over time, the psycho-traumatised subject expresses themselves differently. Initially in indirect ways, then their words suddenly emerge when the other who is accompanying them encourages this revival. ß 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction Si par essence le traumatisme psychique reste du domaine de l’indicible, de l’innommable, comme un de´sert de langage, il se ˆ rement par d’autres « voix ». Le sujet reste accapare´ par ses traduit su re´pe´titions qui lui font de´tourner le verbe de ses proches et de ses
Adresse e-mail :
[email protected]. 0003-4487/$ – see front matter ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.amp.2011.03.017
me´decins. Les sentiments de honte et de culpabilite´, essence meˆme du retentissement psychotraumatique, viennent isoler le sujet dans son silence. Bien que pathognomonique de l’e´tat de stress posttraumatique (ESPT), le syndrome de re´pe´tition est rarement mis en avant par le patient psychotraumatise´. L’adresse a` l’autre s’exprime par d’autres « voix » que nous de´taillerons. Les proble´matiques addictives et suicidaires de meˆme que les douleurs physiques sont les modes de contact classiques avec le syste`me de soins. Les recherches re´centes ont mis en lumie`re d’autres pre´sentations
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psychotraumatiques comme les phe´nome`nes dissociatifs re´pe´te´s et les re´actions psychotiques transitoires. Enfin, la voix des proches prend de l’importance comme contenant social pouvant e´galement trouver e´cho dans la re´paration judiciaire. Si la position de victime est souvent utile a` la reconstruction psychique, il convient e´galement d’en interroger le sens au cours de l’accompagnement psychothe´rapique, ou` le sujet reconstruit sa trajectoire par sa parole. Personne n’est psychotraumatise´ « par hasard ». Le de´passement du traumatisme psychique s’inscrit dans une queˆte de sens ou` le sujet est l’acteur. 2. Les « voix » habituelles 2.1. Le risque d’usage de substances psychoactives La co-occurrence entre ESPT et addictions est re´gulie`rement retrouve´e avec une fre´quence importante. La pre´sence d’un ESPT augmente le risque de polyconsommation de substances psychoactives parmi lesquelles figurent notablement le tabac, l’he´roı¨ne, le cannabis et la cocaı¨ne. L’alcoolode´pendance reste l’addiction la plus fre´quente, meˆme si les pharmacode´pendances sont tout aussi pre´occupantes. Dans la chronologie de l’installation des deux troubles, le syndrome de re´pe´tition traumatique est le plus souvent ante´rieur a` la consommation de substances psychoactives. Comparativement a` une personne non traumatise´e, la probabilite´ pour un sujet souffrant d’un ESPT de de´velopper une addiction est cinq fois supe´rieure chez l’homme et pre`s de une fois et demi supe´rieure chez la femme [20]. Mais le sujet psychotraumatise´ aura d’autant plus recours a` une substance dont il connaıˆt pre´alablement les effets et sera plus susceptible a` l’installation d’une de´pendance si sa consommation habituelle e´tait de´ja` le lieu de me´susage. L’ESPT aggrave plus souvent une consommation ante´rieure plutoˆt qu’il ne l’initie re´ellement [9]. Paralle`lement, du fait d’un mode de vie tumultueux, les sujets consommateurs de substances psychoactives sont plus a` meˆme de se confronter a` des e´ve´nements de vie potentiellement traumatiques. Les troubles addictifs et psychotraumatiques sont a` envisager conjointement : leur co-occurrence entraıˆne, voire aggrave la pre´sence de chacun en grevant ainsi le pronostic global [35]. Apre`s un incident psychotraumatique, la probabilite´ d’installation d’un ESPT est majore´e par la consommation pre´alable d’une substance psychoactive. Certains auteurs y voient la traduction d’une vulne´rabilite´ commune aux troubles anxieux et addictifs [22]. Les troubles comorbides, psychotraumatiques et addictifs doivent eˆtre appre´hende´s simultane´ment et non se´quentiellement. Comme l’addiction est fre´quemment au premier plan du tableau clinique, l’anamne`se pre´cisera syste´matiquement les ante´ce´dents psychotraumatiques des sujets me´suseurs. En outre, le clinicien devra eˆtre attentif a` ne pas induire ou pe´renniser la constitution d’une pharmacode´pendance somnife`re ou anxiolytique. 2.2. Les souffrances chroniques somatiques Certaines situations accidentelles associent fre´quemment l’atteinte des inte´grite´s psychiques et physiques, alors re´unies au sein d’un traumatisme mettant en danger le sujet dans son esprit et dans sa chair. Un accident de la voie publique ou une blessure de guerre peuvent venir briser l’unite´ de l’individu dans un fracas traumatique. Cette atteinte du soi peut eˆtre uniquement symbolique et ge´ne´ratrice de troubles conversifs, alors meˆme que l’inte´grite´ biologique du corps a e´te´ e´pargne´e. Les plaintes pourront se concentrer ou s’inscrire dans la chair en re´alisant un premier contact, voire une relation durable avec le syste`me de soins. Devant la complexite´ des tableaux cliniques associant des atteintes objectives et des plaintes moins syste´matise´es, l’e´clairage
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du psychiatre de liaison sur une e´ventuelle dimension traumatique d’un trouble douloureux est essentiel. Plus de la moitie´ des ve´te´rans du Vietnam souffrent d’un proble`me me´dical somatique surajoute´ au trouble anxieux post-traumatique : il s’agit le plus fre´quemment d’une plainte algique [39]. Ces liens entre douleurs physiques et psychiques sont si intrique´s qu’il convient de ne pas eˆtre tente´ de de´doubler la douleur symptoˆme. Dans certaines e´tudes, pre`s de 80 % de sujets souffrant d’ESPT pre´sentent e´galement une algie chronique [7]. Paralle`lement, une douleur exprime´e comme physique mais re´sultant d’un trauma psychique concernerait pre`s de 10 % des patients douloureux chroniques [31]. Parmi les algies chroniques, certaines se constituent en une localisation unique qui cristallise la souffrance en un point symbolique alors que d’autres diffusent a` tout le corps. L’e´chappement the´rapeutique d’une douleur rebelle aux antalgiques doit faire e´voquer d’autres souffrances qui trouvent parfois refuge dans les limites du savoir me´dical. La fibromyalgie (ou syndrome polyalgique idiopathique diffus) est souvent associe´e a` des ante´ce´dents psychotraumatiques comme a` l’ESPT [36] : nombre de patients trouvent ici une expression socialement acceptable de leur mal-eˆtre. La co-occurrence des troubles douloureux et psychotraumatiques gre`ve le pronostic global [28]. Leur prise en charge sera conjointe, ide´alement dans l’unite´ d’un lieu de soins multidisciplinaires. La ne´cessaire progression des lignes the´rapeutiques antalgiques sera mise en paralle`le avec une possible construction intellectuelle, au minimum partielle, mais qui sera sensible a` l’accompagnement psychothe´rapique. 2.3. La pente suicidaire Le traumatisme psychique re´sulte de la confrontation au re´el de la mort [5,11]. Plutoˆt que de s’en e´loigner par la suite, le sujet psychotraumatise´ reste accapare´, presque envahi par la re´pe´tition de cette sce`ne de mort, parfois au point de vouloir la rejoindre. Dix ans apre`s la fin de la guerre du Vietnam, la presse ame´ricaine affirmait davantage de de´ce`s par suicide que du fait des combats. Dans une e´tude mene´e en 1987 sur 10 000 soldats, Polock retrouve une surmortalite´ des ve´te´rans du Vietnam par accident de la route, suicide et consommation de toxiques [33]. Les conduites suicidaires incluent par extension toutes les conduites a` risques addictives pre´ce´demment cite´es, mais auxquelles on peut associer la dimension d’un suicide social, de par la pre´carisation de certains sujets traumatise´s qui e´voluent vers une spirale de ruptures et d’e´checs. Le risque suicidaire double lorsqu’un sujet a e´te´ confronte´ a` un e´ve´nement potentiellement traumatique [19]. Le risque de passage a` l’acte autoagressif est multiplie´ par sept en cas d’ESPT complet. Comparativement a` la population ge´ne´rale, les sujets souffrant d’un ESPT actent quinze fois plus de tentatives de suicides dans le mois suivant le trauma [18]. Marshall e´voque une corre´lation line´aire entre le nombre de symptoˆmes psychotraumatiques, un trouble comorbide de´pressif et l’existence d’ide´es suicidaires [26]. Mais l’ESPT est pourvoyeur d’ide´es et de conduites suicidaires, inde´pendamment d’une de´pression e´ventuellement associe´e [17]. Cependant, il est superflu de scinder ces deux entite´s nosographiques lorsqu’elles sont associe´es par la meˆme souffrance subjective. La de´pression du traumatise´ psychique est souvent re´actionnelle aux insomnies, au sentiment d’inse´curite´ permanent et a` la faille narcissique qu’a e´te´ la confrontation au re´el de la mort. 3. Les « voix » modernes 3.1. Les e´tats dissociatifs paroxystiques Dimension e´le´mentaire des troubles dissociatifs, la dissociation est caracte´rise´e par l’alte´ration du lien entre diffe´rentes fonctions
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de conscience normalement inte´gre´es (me´moire, identite´, perception de l’environnement. . .). Sont alors retrouve´s une sensation de de´tachement, un re´tre´cissement du champ de conscience et une distorsion des perceptions re´elles (de´re´alisation, de´personnalisation, amne´sie dissociative. . .). Si le syndrome de re´pe´tition traumatique a longtemps e´te´ conside´re´ comme le signe pathognomonique de l’ESPT (ou du traumatisme psychique), ce postulat the´orique fondamental me´rite d’eˆtre rediscute´. Il existe des formes de re´pe´titions traumatiques non de la sce`ne ve´cue, mais de moments dissociatifs qui e´vitent toute nouvelle confrontation re´pe´titive a` la me´morisation des perceptions sensorielles traumatiques. La forme dissociative de l’ESPT serait plus grave que la forme re´pe´titive [27]. En effet, le DSM-IV-TR diffe´rencie les e´tats de stress aigus et post-traumatiques par un crite`re arbitraire de dure´e et par l’absence de dissociation dans l’ESPT [10]. On doutera pourtant de l’absence totale de phe´nome`nes dissociatifs dans l’ESPT, d’autant plus que l’e´tat de stress aigu comme la dissociation pe´ritraumatique sont classiquement envisage´s comme les meilleurs signes cliniques pre´dictifs d’un ESPT ulte´rieur [32]. Si une dissociation de conscience est pre´sente en pe´ritraumatique, cette e´clipse dissociative initiale pourra se re´ite´rer par la suite. Une continuite´ symptomatique s’e´tablit entre la dissociation pe´ritraumatique et une dissociation plus tardive se manifestant par acce`s ou concre´tisant une tendance psychique basale aux phe´nome`nes dissociatifs. Il n’est pas rare que, confronte´ aux circonstances psychiques ou physiques rappelant le trauma, le sujet psychotraumatise´ ge´ne`re un e´tat dissociatif permettant d’e´chapper, semble-t-il un temps, aux sensations traumatiques. Prenons l’exemple des crises psychoge`nes non e´pileptiques (CPNE) dont on peut rapprocher certains e´pisodes dissociatifs re´currents. On nomme CPNE des crises paroxystiques dont l’analyse clinique e´voque a` tort des manifestations e´pileptiques, alors que l’enregistrement vide´o-e´lectroence´phalographique per critique re´cuse cette hypothe`se [2]. Ces pseudo-crises, qui miment tant la crise convulsive ge´ne´ralise´e tonico-clonique que des ruptures de contact bre`ves, sont hautement comorbides de troubles psychiatriques, notamment anxieux et de´pressifs. Les patients souffrant de CPNE pre´sentent un profil psychotraumatique avec ante´ce´dents psychotraumatiques, symptoˆmes dissociatifs et symptoˆmes d’ESPT. Si l’entite´ syndromique des CPNE recouvre plusieurs cadres e´tiopathoge´niques, certaines de ces crises entrent dans la filiation d’une re´action traumatique se manifestant par des e´tats dissociatifs re´pe´titifs [2].
davantage a` des situations potentiellement traumatisantes qui re´sonneront d’autant plus bruyamment a` cause de sa vulne´rabilite´ initiale. Paralle`lement, la pre´valence de l’ESPT chez les patients souffrant d’une affection mentale se´ve`re oscillerait entre 30 % et 40 % [30]. La prise en charge de ces patients ne´cessite parfois des hospitalisations sans consentement et des injonctions the´rapeutiques qui sont pourvoyeuses de retentissement psychotraumatique. La confrontation brutale aux angoisses archaı¨ques de morcellement, de de´voration et d’ane´antissement qui constituent les souffrances de la structure psychotique peut faire vaciller le sujet dans le de´lire ou la me´lancolie. L’hallucination, en particulier celle de l’injonction hallucinatoire de se tuer ou de tuer autrui confronte le sujet au re´el de la mort : le mode d’entre´e dans un moment psychotique est en lui-meˆme traumatique. La psychose favorise l’exposition au traumatisme psychique et son expression symptomatique. Cette ide´e est d’autant plus vraie qu’un traumatisme craˆnien est intrique´ au trauma, venant e´prouver l’interaction ge`ne/environnement d’un sujet vulne´rable. Ainsi, une personne souffrant d’une pre´disposition ge´ne´tique a` la schizophre´nie sera plus a` risque, meˆme au cours de la phase infraclinique, de pre´senter un traumatisme craˆnien dont les effets viendront eux-meˆmes favoriser un mode d’entre´e plus pre´coce dans la schizophre´nie [25]. Les facteurs de risque ge´ne´tiques et environnementaux sont alors e´troitement lie´s par leur implication re´ciproque et leur synergie. On doit conside´rer ici une approche dimensionnelle des de´lires et des symptoˆmes psychotiques en postulant qu’ils peuvent se manifester chez tout un chacun pour une dure´e bre`ve ou plus prolonge´e. Un quanta de stress viendra alors de´compenser une susceptibilite´ a` l’expression d’un symptoˆme psychotique dont la caracte´risation tant clinique que psychome´trique est parfois difficile. Lorsque la symptomatologie est bruyante, il peut eˆtre complexe de diffe´rencier une hallucination d’un flash-back, lesquels peuvent eˆtre associe´s par la meˆme the´matique. L’entite´ ame´ricaine de posttraumatic stress disorder secondary psychotic rend compte d’un ESPT se´ve`re marque´ par des perceptions pseudohallucinatoires, la de´personnalisation et la de´re´alisation [8]. Dans cette conception, les symptoˆmes dits « psychotiques » sont mesure´s graˆce a` des e´chelles psychome´triques qui montreront finalement leur peu de sensibilite´ : la dimension psychotique se trouve in fine non relie´e aux psychoses thymiques ou dissociatives. En fait « l’expe´rience psychotique » traduisait un ESPT bruyant.
3.2. Le retentissement psychotique
La souffrance traumatique est par essence indicible. Il est illusoire de penser que le patient s’engagera spontane´ment en psychothe´rapie avec « une demande » claire [24]. Si cette demande est pre´sente a` l’arrie`re-plan, encore faut-il pouvoir la conforter, la` ou` le trauma n’est jamais totalement verbalisable. Les proches du patient ont ici un roˆle pre´gnant ou` ils vont demander pour l’autre en l’amenant a` consulter, parce que « il (ou elle) fait des cauchemars toutes les nuits ». Cet inte´reˆt des proches pour le fait traumatique s’inscrit dans une mutation sociale ou` l’acce`s a` l’information me´dicale et psychologique est ge´ne´ralise´ par l’utilisation ubiquitaire de l’Internet. Le syndrome de re´pe´tition traumatique se de´clenche souvent a` l’arrie`re des combats, dans une zone de se´curite´ au retour dans la famille, lorsque les conditions sont propices a` son expression et que la vie n’est plus directement menace´e. Alors que les familles se reconstituent, l’incompre´hension prime alors sur la joie des retrouvailles. L’agressivite´ du sujet psychotraumatise´ le surprend souvent lui-meˆme sans qu’il puisse ne´cessairement en saisir le sens. Comme les re´pe´titions s’imposent a` lui, il en est de meˆme de l’agressivite´. A` l’inverse, des conduites de repli voire de retrait social et d’inhibition peuvent e´galement se manifester. Au sein
De nombreux auteurs ont e´voque´ l’entite´ de la psychose traumatique ou post-traumatique en retenant des de´finitions diverses, selon qu’un traumatisme craˆnien e´tait ou non intrique´ au traumatisme psychique. La psychose organique caracte´rise´e par des le´sions ce´re´brales documente´es a` la neuroimagerie se diffe´rencie classiquement de la schizophre´nie post-traumatique ou` l’IRM ce´re´brale est normale. A` mi-chemin entre ces deux entite´s a e´te´ de´crite une schizophrenia like psychosis e´voquant un tableau schizophre´niforme associe´ a` des le´sions ce´re´brales diffuses a` polarite´ frontale [3]. D’autres auteurs retiennent la possibilite´ d’une psychose traumatique survenue dans les suites d’un traumatisme psychique isole´. Si l’on parle classiquement de « ne´vrose traumatique », certains traumatismes psychiques sont suivis de re´actions psychotiques bre`ves, voire de psychoses durablement constitue´es. Dans la clinique psychanalytique, si une psychose se de´clare apre`s un traumatisme psychique, ce traumatisme n’a fait que re´ve´ler ou de´clencher une psychose latente par confrontation a` la pre´sentation d’une impasse symbolique. Le sujet psychotique s’expose
3.3. La parole des proches
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d’une socie´te´ communicante qui alerte l’opinion publique sur les effets des traumatismes psychiques, les proches comprendront rapidement la ne´cessite´ d’une consultation me´dicale. Plus rarement, la verbalisation spontane´e des e´ve´nements au sein du couple permettra un retour a` l’apaisement sans accompagnement me´dical. Dans les forces arme´es, l’invitation the´rapeutique vient souvent du me´decin ge´ne´raliste d’unite´, bien forme´ au de´pistage des troubles psychotraumatiques. L’e´tayage social de l’encadrement militaire joue ici pleinement son roˆle contenant, d’autant que le traumatisme psychique est le fait du service et que ces soldats craignent souvent d’eˆtre incompris par ceux qui n’appartiennent pas a` leur communaute´. Les militaires sont parfois re´ticents a` e´voquer les traumas ve´cus par peur de mettre en lumie`re un point de faiblesse qui viendrait re´duire leurs perspectives de carrie`re. Mais la leve´e des symptoˆmes est source d’e´panouissement professionnel chez ces sujets qui, graˆce a` leurs expe´riences, deviennent re´gulie`rement les confidents de camarades en difficulte´. La circulation de la parole e´loigne les de´terminants traumatiques. 4. Les voies the´rapeutiques 4.1. La reconnaissance sociale et la re´paration judiciaire L’instant traumatique est caracte´rise´ par une impression de faillite des valeurs sociales et culturelles. L’exclusion provisoire de la communaute´ des hommes peut eˆtre contrecarre´e graˆce a` une reconnaissance sociale qui trouve une voie dans le proce`s pe´nal. De meˆme, la re´paration du dommage psychique paraıˆt primordiale dans bien des situations ou` le pre´judice subi est important. Mais concilier re´alite´ psychique et re´alite´ judiciaire n’est pas une e´vidence [14]. Parfois, la sce`ne du proce`s sera de´le´te`re devant l’absence de reconnaissance du coupable par lui-meˆme ou par la caracte´risation judiciaire des faits qui peut s’e´loigner du ve´cu de la victime. L’inde´pendance du tiers judiciaire est quelquefois ressentie comme une nouvelle rupture. En outre, l’e´nonciation du de´roulement factuel peut tout aussi bien soulager le plaignant que l’enfermer dans la re´pe´tition. De la plainte au jugement en passant par les appels e´ventuels, il n’est pas rare que le plaignant sollicite une psychothe´rapie de soutien pour rechercher un e´tayage. Sans avoir ici une fonction de psychothe´rapeute, l’expert judiciaire peut e´tablir un trait d’union entre re´alite´ psychique subjective et re´el judiciaire factuel. La reconnaissance sociale de la blessure psychique peut se concre´tiser au cours d’une expertise psychiatrique ou psychologique qui comporte ne´cessairement une dimension the´rapeutique, meˆme indirecte. La rencontre expertale ne saurait eˆtre manque´e car elle pourrait alors faire courir le risque d’une re´surgence traumatique au titre de l’incompre´hension ou` viendrait se loger un abandon supple´mentaire. Le clinicien sollicite´ en tant qu’expert doit profiter de son statut inde´pendant pour nouer une relation de confiance me´dicale qui permettra e´galement d’aborder avec pe´dagogie la situation psychologique et judiciaire du sujet. D’un point de vue e´thique et the´orique, la reconnaissance de la souffrance ve´cue restera de l’ordre du subjectif. Pourtant, cette intersubjectivite´ qui fonde toute relation humaine devra eˆtre secondairement retranscrite, sur demande du juge, dans un langage codifie´ cense´ mesurer la souffrance par l’interme´diaire de « bare`mes » [38]. Plutoˆt que de proˆner l’apologie d’une pseudoobjectivite´, le de´cret de 1992 qui statue sur les troubles psychiques de guerre va dans le sens d’une reconnaissance de la subjectivite´ de la souffrance ve´cue et demeure particulie`rement bienveillant dans ses principes et ses applications, laissant une large place a` la subjectivite´ de l’expert [15]. Au long cours de la marche judiciaire, un temps d’e´coute et une re´paration symbolique viennent fre´quemment apaiser des symptoˆmes qui appelaient cette juste
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reconnaissance. Mais quand l’e´tayage social se de´fait et que le sujet s’engage dans une bataille apparemment sans fin, la souffrance s’exprime de plus belle et s’organise parfois en de´lire de revendication. 4.2. Le risque de survictimisation Une tendance sociale actuelle tend a` conside´rer voire a` magnifier le statut de victime. Pourtant, si une re´paration sociale symbolique et pe´cuniaire est tout a` fait la bienvenue, il serait de´le´te`re d’enfermer le sujet dans une condition de victime passive qui de´valuerait la possibilite´ d’un travail psychothe´rapique. Eˆtre tente´ de « faire valoir ses droits » dans une socie´te´ de plus en plus judiciarise´e pourra diffe´rer un retour a` l’apaisement. Une condition de victime dont la ge´ne´alogie peut eˆtre appre´hende´e d’un point de vue anthropologique [34] envisage aujourd’hui le concept de victime latente comme une pre´disposition neurobiologique et/ou psychopathologique aux conse´quences d’un traumatisme. Cette ide´e est issue d’un certain de´terminisme concre´tisant un terrain fragile propice a` l’expression ou au surinvestissement traumatique d’une victime de´signe´e comme telle et qui prendrait le pas sur le sujet. Si des travaux neurobiologiques en re´fe´rence au stress et d’autres recherches psychopathologiques re´fe´rence´es au trauma sont en accord avec cette hypothe`se, le risque de ce point de vue he´te´rocentre´ est d’e´pargner a` ladite victime une re´flexion sur les coordonne´es traumatiques de son histoire, re´sume´e a` la fatalite´. On ne se retrouve jamais traumatise´ par hasard ou sans raison : une queˆte de sens s’ave`re ne´cessaire comme re´appropriation d’une trajectoire existentielle singulie`re. Quelle dimension a e´te´ interroge´e dans la confrontation traumatique au sein de laquelle le sujet s’est investi ? D’ailleurs, que faisait-il a` cet endroit pre´cis et quel e´tait alors le cours associatif de ses pense´es ? Quels e´le´ments de sa vie psychique ont e´te´ modifie´s par la rencontre traumatique ? Tenter de re´pondre a` ces questionnements permettra au sujet de se repositionner activement en s’e´loignant d’une passivite´ face aux re´pe´titions. 4.3. La voix de la psychothe´rapie Les notions de stress et de trauma ne sont nullement e´quivalentes [6,12]. Au cours de l’approche psychothe´rapique, il convient a` notre sens d’envisager le trauma dans sa dimension psychodynamique, meˆme si des symptoˆmes anxieux peuvent – et souvent doivent – eˆtre e´galement jugule´s par un traitement anxiolytique ou antide´presseur. Les recommandations officielles sont tre`s concises mais e´voquent l’approche conjointe psychothe´rapique et pharmacothe´rapique tant a` la phase pe´ritraumatique que plus tardivement [21]. Le de´choquage individuel ou en petits groupes propose´ dans les heures suivant l’e´ve´nement permet d’assurer une pre´sence humaine rassurante ayant pour but de raccorder ces sujets au « monde des vivants ». En postimme´diat, le recours a` la parole dans son lien a` l’e´ve´nement est plutoˆt descriptif dans les de´briefings collectifs anglo-saxons dont la figure de proue est le Critical Incident Stress Debriefing [29]. Cette technique propose d’aborder chronologiquement la description des faits traumatiques ou stressants, puis des cognitions qui ont e´merge´, et enfin des e´motions qui y sont relie´es. S’e´loignant de ces objectifs initiaux de favoriser les strate´gies de coping de sauveteur pre´alablement aux stress, les de´briefings anglo-saxons ont e´te´ critique´s dans plusieurs me´ta-analyses pour leur peu d’efficacite´ [37]. Diffe´remment, l’approche francophone du de´briefing favorise la verbalisation de l’expe´rience ve´cue, c’est-a`-dire de l’e´ve´nement subjectivement appre´hende´, en associant les faits, les e´motions et les pense´es [13]. L’e´valuation de cette dynamique est particulie`rement difficile car elle se heurte a` l’e´pineuse question de l’efficacite´ des psychothe´rapies : il conviendra de
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rechercher des indicateurs d’efficacite´ dans des e´tudes prospectives pour asseoir sa le´gitimite´. A` distance de la phase aigue¨, la psychothe´rapie individuelle est particulie`rement ope´rante [23]. Ce qui a fait traumatisme, ce n’est pas l’e´ve´nement stressant en tant que tel mais sa rencontre avec l’homme qui se trouvait la`, peut-eˆtre meˆme « par hasard », mais qui s’est implique´ subjectivement dans la sce`ne dont il ne se de´tache plus. L’accompagnement psychothe´rapique interrogera le sujet sur les de´terminants de son histoire en re´e´crivant son existence par une inscription du trauma dans son destin biographique. Au sein d’une parole re´e´mergente, le sujet donnera un sens aux e´ve´nements qui ont contribue´ a` son histoire, qui se poursuit, et dont il reste l’auteur. Le sujet traumatise´ psychique favorise initialement l’e´conomie psychique qui se manifeste dans les re´pe´titions. Nous avons de´crit la varie´te´ des signes cliniques qui masquent les symptoˆmes traumatiques. Le recours a` la dissociation est e´conomique mais ne permet nullement l’inscription du ve´cu traumatique qui se ˆ rement plus tardivement. Ainsi, les CPNE sont manifestera su diagnostique´es au bout de sept ans en moyenne, dure´e pendant laquelle un anticonvulsivant a e´te´ prescrit, venant faire courir le risque d’effets secondaires importants tout en diffe´rant une prise en charge psychothe´rapique [1]. De meˆme, les conduites a` risques vont souvent au-devant d’une souffrance traumatique. Les re´pe´titions de passage a` l’acte suicidaire peuvent faire entrevoir de nouveau une certaine impression de mort. Identiquement, les anesthe´sies ge´ne´rales re´pe´te´es dans le cas de dole´ances d’explorations somatiques du corps portent atteinte a` l’inte´grite´ physique en faisant une nouvelle fois effraction dans l’enveloppe protectrice pour s’insinuer dans le re´el [4]. Le sujet psychotraumatise´ reste incline´ vers la sce`ne traumatique et vers la mort dont il ne peut se de´tacher. Le passage a` l’acte vient en lieu et place d’une souffrance qui ne s’est pas dite. La psychothe´rapie viendra e´tablir ici un lien de parole, la` ou` se sont succe´de´es des ruptures de verbes et de sens. Devant tous ces indices cliniques caracte´rise´s par les conduites a` risque et les troubles dissociatifs, le clinicien devra rechercher activement la pre´sence d’un syndrome de re´pe´tition dont la verbalisation spontane´e est si rare. C’est pourtant cette production du sujet qui lui permettra de sortir de la re´pe´tition. 5. Conclusions Une recherche active du syndrome de re´pe´tition doit eˆtre re´alise´e par le clinicien devant les indices cliniques que nous avons de´taille´s et qui masquent une souffrance initialement indicible. L’anamne`se pre´cisera les facteurs de risques parmi lesquels l’exposition psychotraumatique est l’e´le´ment cardinal [16]. Si la re´action psychotraumatique prend parfois d’autres « voix » que celles de la plainte psychique, la parole du sujet traumatise´ peut seule re´inscrire l’e´ve´nement au sein d’une trajectoire unique. Cette parole est a` rechercher et a` favoriser, parole e´mergeante derrie`re des conduites addictives et suicidaires, ou en paralle`le de douleurs chroniques. Une re´action psychotique et des troubles dissociatifs paroxystiques peuvent e´galement venir faire e´cran a` la verbalisation des e´ve´nements traumatiques. A contrario, cette dynamique du verbe sera favorise´e par la voix des proches qui se substitue temporairement a` celle de la victime. La position de victime peut trouver un e´cho dans la reconnaissance pe´nale et la re´paration du dommage. Toutefois, s’enfermer dans un statut passif nuira a` la psychothe´rapie, au cours de laquelle le sujet re´inscrit subjectivement le trauma au cœur de son histoire. Au cours du temps, le sujet psychotraumatise´ s’exprime diffe´remment. Passant initialement par des voies de´tourne´es, sa parole e´merge soudain, lorsque l’autre, qui l’accompagne, favorise cette renaissance.
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