Les différents profils patients et leurs pathologies

Les différents profils patients et leurs pathologies

Podologie Chapitre IX Ann Dermatol Venereol 2005;132:816-8 Les différents profils patients et leurs pathologies Synthèse G. LE GRAND Le patient nor...

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Podologie Chapitre IX

Ann Dermatol Venereol 2005;132:816-8

Les différents profils patients et leurs pathologies Synthèse G. LE GRAND

Le patient normal Ne fréquente que très peu les cabinets sauf accident. Son pied de type « grec » avec le deuxième orteil plus long que le premier trouve mieux sa place dans les chaussures car il correspond aux gabarits utilisés dans la fabrication standardisée. Ne souffre que d’un cor pour avoir voulu insister à porter une nouvelle paire de chaussures qu’il ne remettra plus jamais une fois le cor traité, moyennant quoi, il n’y aura pas de récidive. Sa fiche encombrera votre tiroir jusqu’à la fin de votre activité professionnelle sans mention supplémentaire sauf nouvel accident. Vient consulter préventivement, faisant confiance à son médecin traitant qui s’inquiète d’une usure des talons de chaussures lui paraissant anormale. L’examen clinique réalisé ne montre aucune limitation articulaire, un testing musculaire normal et un léger genu valgum sans conséquence qui nous confirme qu’il existe deux normalités, celle des livres et celle des patients qui ne se plaignent de rien. Les empreintes plantaires sont symétriques et les arrières pieds ne basculent pas en dehors selon l’usure des talons de chaussures. Il apparaît que le matériau du talon est de mauvaise qualité, s’use prématurément puisque la chaussure n’a que deux mois et qu’elle aurait pu se trouver à l’origine d’un problème de pied, de cheville ou de genou. Elle sera immédiatement remplacée. Ce patient possède au moins quatre paires de chaussures, de préférence à lacets : une paire polyvalente pour la détente et le sport, une paire pour la marche en terrain difficile et deux, trois ou quatre paires pour la ville selon son activité professionnelle qu’il portera en fonction du temps et de la saison. Ces paires ne sont pas conservées dans leurs boîtes d’origine, sauf les vernies de son mariage, car il les porte toutes régulièrement et aucune ne lui fait mal aux pieds, ayant écarté lors du choix en magasin, celles susceptibles de le gêner. Il aime bien pouvoir sentir bouger ses orteils ; alors inutile de lui dire que la chaussure se fera au pied. N’étant pas attaché (comme son épouse) à un modèle précis ni à une couleur assortie au tailleur, il préfère simplement changer de modèle, voire de magasin. Il se coupe régulièrement les ongles dans la salle de bains et, après la douche, car l’ongle est moins Pédicure Podologue, Cadre DE, 148, boulevard Voltaire, 13821 La Penne-sur-Huveaune. Tirés à part : G. LE GRAND, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected]

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cassant. Il se sera méticuleusement séché les pieds au préalable pour éviter les risques d’odeur et de macérations interdigitales. Il utilise un taille-ongle pour couper toute la partie antérieure jugée trop longue sans aller dans les coins. Il arrondi les angles avec une lime en carton, ce qui lui évite de se blesser et d’accrocher ses chaussettes. Il se demande toujours comment les pédicures podologues arrivent à gagner leur vie sauf quand les pieds de son épouse répondent à la question.

L’adolescent torturé Le rendez-vous est demandé en urgence et placé en général en fin de journée. Il, car il s’agit dans 90 p 100 des cas d’un garçon, est toujours accompagné par sa mère, parfois son père ou ses deux parents et exceptionnellement de son frère cadet. Peu souriant parce que très soucieux de son avenir au moins immédiat, lui serrer la main vous renseigne sur ses angoisses et vous oblige à relaver les vôtres. Il s’installe sur le fauteuil de soins pendant que vous sortez une boîte d’instruments et que vous sentez qu’il vient de se déchausser. Je vous avais averti, en fin de journée l’odeur est toujours plus forte ! Les baskets donnent l’impression d’avoir été trempées par un orage, mais elles n’ont pas servi à marcher dans l’eau puisqu’elles ne sont trempées que de l’intérieur. La lumière du scialytique est dirigée vers le pied. Pari gagné ! Il s’agit bien d’un ongle incarné infecté. L’aspect effeuillé de la partie antérieure de l’ongle se poursuivant jusqu’au bourrelet dans lequel elle disparaît vous fait deviner que l’ongle n’a pas été coupé à la pince mais arraché. L’esquille restante ayant déjà fait l’objet d’un essai d’extraction à la pointe d’un compas ou à la lame d’un cutter malheureusement sans succès. La maman, devant le changement de couleur de son fils, saura trouver les paroles rassurantes alors que le papa tentera d’exacerber l’extraordinaire résistance physique masculine à la douleur, qui montre déjà toute sa limite à la simple vue d’une pince. Entre les deux discours, vous tentez d’expliquer sereinement ce qui a été fait et ce qui va devoir être fait en trichant le moins possible sur la réalité pendant que le frère cadet sourit et se délecte déjà des souffrances à venir de son aîné. Vous jouez du bistouri, des pinces et des différents autres instruments, excavateurs, curettes, spatules sur l’ongle et aux alentours du bourrelet en faisant croire que vous y travaillez mais sans vraiment y travailler.

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C’est un moyen de faire penser que le geste est très supportable, ce qui détend l’atmosphère toujours aussi saturée par l’odeur des baskets. Jusqu’au moment où après préparation, d’un geste sûr, rapide et précis, vous libérez le bourrelet de son contenu solide et liquide. Le saignement est toujours important et permet une décongestion rapide du botriomycome turgescent. Le cadet est déçu par ce temps de souffrance si court et redoute maintenant la vengeance de son aîné qui ne pourra cependant pas lui donner de coups de pieds au « … » avant une quinzaine de jours. Le temps de la finition du soin et de la pose d’un pansement antibiotique est mis à profit pour discuter des occupations de ce jeune patient et tenter de regagner son estime. Difficile, quand vous êtes tenu professionnellement de donner quelques conseils sur l’utilité d’une pince à ongle, d’un bon chaussage et d’une bonne hygiène, c’est-à-dire de parler de ce qui fâche. Dans son raisonnement, à quoi sert de se doucher tous les jours puisqu’il ne transpire pas. Sauf des pieds, mais la douche n’a jamais empêché la transpiration… Vous apprenez qu’il s’agit d’un grand sportif, 14 ans, 1m80, chaussant du 44, habillé de la casquette aux chaussettes d’une tenue à trois bandes, adepte intensif de l’avachissement sur canapé. Pas vraiment plus souriant en vous quittant qu’à son arrivée mais la main moins moite, il n’oubliera pas de vous demander une dispense de sport. Vous jugez que trois semaines suffiront à une cicatrisation totale tandis qu’il tentera toujours de jouer la prolongation. L’avantage de ce type de soin placé en fin de journée est de pouvoir rentrer chez vous jusqu’au lendemain en laissant les fenêtres ouvertes. Il ne sera pas rare de revoir ce jeune patient deux mois plus tard pour le même problème, preuve qu’à cet âge là, les conseils… La pose d’une agrafe pourra dans ces cas être envisagée comme un moyen pour limiter les interventions intempestives et s’avérer comme un traitement contre de mauvaises habitudes.

Le patient sportif Très intéressant car il consulte pour des problèmes que vous n’avez jamais rencontré et qui ne sont, pour la plupart, pas recensés dans les encyclopédies médicales. Il rompt vos habitudes intellectuelles et vous oblige à vous réentraîner à d’intenses exercices de réflexion. Sachant les dégâts que peuvent causer les exercices « à froid », il sera bon d’être prévenu d’avance pour avoir le temps de l’échauffement et de la mise en condition. Ses connaissances anatomiques, physiologiques et biomécaniques glanées ça et là font qu’il puisse répondre lui-même à ses propres questions. Très à l’écoute de son corps, ses explications sont riches en détails. Il n’hésitera pas à vous proposer sa ou ses solutions. Potentiellement dangereux pour lui-même car il doute des correctifs que vous apporterez à ses connaissances et de la proposition d’un traitement qu’il n’aurait pas envisagé, il risque d’être entretenu dans son état par des praticiens peu entraînés qui se contenteraient d’aller dans son sens sans réels efforts de compréhension de sa demande. Peut être plus fragile psychologiquement que phy-

siquement, il se trouve toujours un petit quelque chose qui entravera ses capacités à la performance. Il admettra difficilement de diminuer la fréquence et le niveau de son entraînement quand il n’est pas de haut niveau. Le sportif professionnel aura conscience de risquer la perte de sa saison et saura facilement s’adapter à un repos forcé… payé. Plus attentif au choix de ses chaussures qu’au calcul de sa VO2 Max, il est persuadé qu’il fait du sport pour entretenir sa santé, mais son entraînement qui ne connaît ni le dosage ni la progression le conduit plus souvent chez les médecins que sur le podium. Plus difficile encore, le sportif occasionnel qui relève le défi du Marseille-Cassis sans entraînement et qui vous demande un rendez-vous urgent, soit la veille de la compétition, pour obtenir un traitement miraculeux de son ongle incarné. Ou celui qui portera pour ce grand jour ses chaussures neuves et que vous reverrez le lendemain de la compétition, toujours en urgence, pour le traitement d’ampoules et d’hématomes sousunguéaux… il ne s’était même pas coupé les ongles !

Le patient âgé L’homme âgé ne prend rendez-vous que pour des onychomycoses ou onychogriffoses qu’il n’arrive plus à travailler à la tenaille ou à la pince coupante. Cette pince a rendu de grands services et notamment pour tous les travaux électriques de la maison, parfois achetée en pharmacie, pour la majorité des cas il s’agit de celle faisant partie de la caisse à outils. Ce qui explique que les petites coupures accidentelles ont tendance à l’infection puisque, de surcroît, la taille quotidienne se faisait dans le garage et non dans la salle de bains. Et puis les hommes ont horreur de l’alcool quand il n’a pas un bon goût. Finalement, heureusement que l’outil est émoussé, car la vue et le geste manquent cruellement de précision. Il lui aura fallu un certain temps pour prendre la décision de se faire soigner car faire confiance aux autres n’est pas une mince affaire et il prétexte d’être chatouilleux pour essayer de retirer ses pieds de vos mains. Une fois sa confiance acquise et un terrain de discussion trouvé autour de ce qui l’intéresse, il devient un patient facile et charmant. La femme âgée regrette sa jeunesse et de ne pas avoir porté des chaussures plus larges et moins hautes. Elle fait tout pour informer ses filles et petites filles, mais en vain. Elle souffre physiquement et moralement à cause d’un tissu de plus en plus fragile et de déformations articulaires insidieusement évolutives. La crainte de la perte d’autonomie est une réalité pour cette veuve qui s’est toujours occupée de son mari et qui voudrait avoir la chance de finir ses jours chez elle et pas en maison de retraite. Aussi, le même conseil lui est régulièrement répété par tout son entourage : « il faut marcher !». Oui mais, sa volonté s’émousse, la motivation disparaît et il lui manque un but et son mari. Elle qui a connu la guerre, les privations et d’autres jours bien difficiles, accepte et supporte la douleur parfois même trop facilement. Elle nous donne un exemple de courage, des raisons d’espérer et des leçons de philosophie. Ses pieds peuvent concentrer plusieurs patholo817

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gies et mélanger l’articulaire, le vasculaire et le dermatologique. Moins bricoleuse qu’un homme et surtout plus confiante et moins craintive du « médical », elle a pris l’habitude depuis qu’elle y voit moins bien, de faire entretenir régulièrement l’état de ses pieds par un professionnel. Sur sa fiche de soins qui ne précisait il y a deux ans à peine qu’un cor et deux petits durillons, il faut ajouter aujourd’hui trois cors supplémentaires, un œil de perdrix, deux ongles épais douloureux et des durillons qui se sont fait plus larges. Il faudrait lui proposer une paire d’orthèses plantaires et trois orthoplasties mais cet encombrement n’est guère concevable. Nous avions bien proposé un traitement plus tôt mais elle n’en ressentait pas encore le besoin. Elle est raisonnable quant au choix de ses chaussures mais malgré tout, leur fabrication n’est pas unisexe et marque toujours la différence en ne laissant jamais un volume suffisant au pied de la femme. Qui a bien pu dire que le pied de la femme était deux fois plus étroit que celui d’un homme pour la même taille ? Nous ne pouvons lui proposer que de réduire le délai entre deux rendezvous, mais nos soins ne sont pas remboursés et sa retraite ne suit pas l’augmentation du coût de la vie. Dans son club, ses amies ont les mêmes problèmes et échangent tout naturellement leurs expériences en se fournissant mutuellement les bons de commandes soigneusement découpés au bas d’une page publicitaire d’un magazine pour retraités. C’est dans ces ventes par correspondance que tous les problèmes peuvent être réglés alors pourquoi ne m’a-t-on pas dit pendant mes études qu’il existait une cire d’abeille pour faire disparaître les cors, des orthèses plantaires qui redonnent de l’équilibre, de la mémoire et une meilleure circulation sanguine, ainsi que des talonnettes qui suppriment les douleurs de dos ? (si j’avais su !) Devant de si belles promesses de résultats d’ailleurs toujours prouvés par les témoignages enthousiastes de Madame X ou de Monsieur Y habitants de la charmante ville de Z, la commande est souvent passée. Ce n’est qu’après l’essai infructueux que cette patiente nous confiera ses sentiments amers. Parfois la chirurgie la guette et il reste très difficile de la lui faire accepter au bon moment même quand elle est convaincue de son utilité. La décision n’est prise qu’après plusieurs essais de traitements infructueux et souvent trop tardivement au goût du chirurgien qui voit sa tâche rendue plus complexe. Il faut aussi arriver à insérer le traitement du pied dans l’ensemble des traitements déjà en cours, les dents, les yeux, les oreilles, le cœur et le reste… en fonction de leurs priorités. Sa solitude qui la rend bavarde fait que vous connaissez bien les principaux évènements de sa vie comme elle finit par bien vous connaître aussi et c’est en l’accompagnant dans sa lutte contre les désagréments du vieillissement et pour la conservation de son autonomie, que la patiente âgée fait partie des plus attachantes et des plus fidèles.

L’impatiente coquette Entre 30 et 40 ans, dynamique, ambitieuse et pressée, l’un de ses plus grands souhaits serait de mesurer 1m80, mais chaus818

ser du 38. Faut-il voir là le dilemme du choix entre l’enfant pressée de grandir qui chausse les talons hauts de la maman et l’adulte qui regrettera éternellement son enfance ou l’influence culturelle de Berthe au grand pied et du pied de la chinoise ? Elle chausse du 39 et demi, prononcer la taille 40 devient déjà vexant. Autant lui demander son âge et tendre la joue. Les Italiens sont, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, plus flatteurs que les Allemands. Leurs chausseurs marquent la taille 38 sous une chaussure fabriquée en pointure 40. Elle se veut équilibrée mais cultive l’instabilité, c’est l’adoration du talon haut auquel elle voue un véritable culte sans jamais avouer en souffrir une minute. Ses couleurs préférées sont le rouge et le noir, couleurs diaboliquement irrésistibles. Le choix de la chaussure se fait en vitrine pour peu que celle-ci ait une couleur assortie au tailleur en se persuadant qu’elle se fera au pied. En fait c’est le pied qui est obligé de s’y faire et il s’y fait… mal. Certaines têtes couronnées montrent l’exemple en assortissant la couleur à l’ensemble de la tenue vestimentaire, y compris leurs accessoires, sac à main et chapeau, mais le « sur mesure » demande d’autres moyens. Une étude épidémiologique sur le mal aux pieds révèle que 80 p 100 des femmes souffrent des pieds contre seulement 10 p 100 d’hommes, essentiellement formés des quelques rockers qui portent encore des « santiags » et des sportifs qui n’ont que l’obligation de porter des chaussures adaptées à leur sport et pas forcément adaptées à leurs pieds [1]. Les femmes elles-mêmes rajoutent une confirmation de la statistique, en révélant avec une pointe de jalousie que leurs maris ont de véritables pieds de bébé. On notera qu’avec l’âge vient la raison, ce qui se remarque en faisant un savant calcul du rapport volumique chaussure/sac à main. La coquette porte des chaussures étroites mais de grands sacs à mains dans lesquels elle plonge régulièrement à la recherche de ses clés, du portable, du chéquier, de la brosse à cheveux etc. Les femmes d’un certain âge ont des chaussures larges mais de petits sacs à main dans lesquels sont soigneusement rangés, le paquet de kleenex, le porte monnaie, le chéquier avec la carte d’identité et les clés de la maison. C’est l’âge de l’utile, de l’indispensable et du strict nécessaire. La coquette a réponse à tout. Ne lui demandez pas de porter des charentaises pour épargner son pied, elle vous répondra que son pied risque de s’élargir s’il n’est pas maintenu et que de toute façon, marcher à plat lui donne d’horribles douleurs dans les mollets. Par contre elle sera tout à fait d’accord pour le port à la maison de magnifiques et séduisantes petites mules à talon. Dans la dernière partie de sa vie, lorsqu’en soins intensifs chez son pédicure podologue, il lui faudra renoncer à la forme et quand les douleurs auront eu raison de la coquetterie, elle connaîtra un passage difficile. L’obligation de chaussures fonctionnelles sera durement ressentie comme l’abandon définitif d’une partie de sa féminité.

Référence 1. François C. Pieds et chaussures, confort, beauté, érotisme. Ed. Josette Lyon, 1999, Paris.