Les enfants de la salle d’attente en CMP adulte

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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence xxx (2018) xxx–xxx

Cas clinique

Les enfants de la salle d’attente en CMP adulte Waiting room’s children in outpatient psychiatric care clinic C. Ducroix Pastori a,∗,c , A. Poirier b,c , A. Bonafos b,c a

Pôle 75G20/21, 17, rue d’Armaillé, 75017 Paris, France bCMP Armaillé, 17, rue d’Armaillé, 75017 Paris, France c EPS Maison Blanche, 15, avenue de la Porte de Choisy, 75013 Paris, France b

Résumé Les CMP adultes accueillent aussi des enfants. Le but de cette étude était de réfléchir à leur présence, leur accueil et de faire le point sur la législation les concernant. C’est pourquoi nous avons conc¸u une enquête interne permettant d’identifier les caractéristiques de ces enfants rec¸us. Notre méthode a consisté en un recueil de données pendant 3 mois sur les CMP du 17e arrondissement de Paris, permettant d’isoler les données pour 31 accueils. Nous avons également travaillé en collaboration avec le bureau de la loi du Groupe Hospitalier de Territoire parisien pour répondre aux interrogations concernant le cadre légal. Les résultats ont conforté notre vécu subjectif, les enfants accueillis ont toujours quelque chose à nous dire et font partie intégrante de notre travail. Enfin ces réflexions pluridisciplinaires associant infirmiers, psychiatres et pédopsychiatres ont permis de modifier nos pratiques. Pour conclure, nous avons surtout pensé à l’accueil des enfants pendant la consultation de son parent en renforc¸ant le regard soignant et sa qualité sur ceux que l’on regardait peu. © 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es. Mots clés : Parentalité ; Soins ; CMP ; Responsabilité ; Enfant ; Prévention

Abstract The present study explored the presence of children coming with their parents at the adult outpatient psychiatric care clinic. Our objectives were to describe how their presence was acknowledged by the team, to describe their characteristics, and the context of visit. We also summarized the legal framework (e.g., who take responsibility in case of injury). Method. – During 3 months, school and holidays, we noted the presence of every child in 3 outpatient care center in the 17th arrondissement of Paris, coming with an adult for a psychiatric care, medications, therapy. Results. – We founded 31 situations, two-thirds when it was holidays or after school. Most of the children were under the age of 3, two-thirds under the age of 6. Most of them were supervised by a nurse or a secretary and they were invited to stay with them in a separate place. As an outcome of this study, we adapted our practice, after conducting multidisciplinary debriefing. In particular, the medical and paramedical staff now takes account of this component in their clinical examination. © 2018 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Parenting; Outpatient care; Responsibility; Children; Prevention

Nos CMP sont des lieux de consultations pour les adultes souffrant le plus souvent de pathologies psychiatriques sévères, des « grands » qui sont parfois accompagnés d’enfants venant eux aussi nous rencontrer. Plutôt que de les laisser en salle ∗

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Ducroix Pastori).

d’attente, nous avons décidé de réfléchir à leur venue, leur accueil, la signification de leur présence. Notre démarche s’est appuyée sur les compétences pluridisciplinaires des personnels présents : secrétaire, infirmier, psychiatre, cadre de soin. En mettant en lumière ce centre d’intérêt, nous avons identifié plusieurs points méritant notre attention : la loi bien sûr, mais aussi ce que nous sommes capables d’observer et de comprendre.

https://doi.org/10.1016/j.neurenf.2018.10.002 0222-9617/© 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es.

Pour citer cet article : Ducroix Pastori C, et al. Les enfants de la salle d’attente en CMP adulte. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2018), https://doi.org/10.1016/j.neurenf.2018.10.002

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Une enquête de terrain a été un préalable à notre réflexion : un questionnaire a été adressé par courrier sur les modalités d’accueil des enfants à nos différents collègues des CMP adultes Parisiens. Les réponses sont unanimes pour confirmer l’absence de réflexion autour de ce sujet, mais aussi la bienveillance et le souci de trouver des solutions pour accueillir au mieux les enfants qui viennent avec leur parent dans un cadre souvent inadapté. La première préoccupation a été la crainte de mal agir et de ne pas savoir protéger un enfant qu’on verrait en danger. Il a fallu interroger la loi, transmettre et affiner nos procédures pour que ces peurs n’entravent plus la rencontre avec l’enfant.

1. Que dit la loi ? Quelle est la responsabilité du CMP en cas d’accident ou d’agression d’un enfant dans un CMP ? Que faire face à une réaction parentale inappropriée et grave ? À quel moment penser à une information préoccupante ou un signalement ? Y a-t-il une différence ? Comment procéder ? Que faire pour un enfant dont le parent doit être hospitalisé ? Que faire si le détenteur d’autorité parentale n’est pas joignable ? En cas de famille monoparentale, peut-on confier un enfant à un tiers (famille ou ami) ? C’est ainsi que nous avons rencontré nos responsables juridiques qui ont précisé pour nous, soignants, le cadre et les responsabilités de chacun. Un établissement ne peut interdire les visites d’enfants. Cependant, il ne revient pas aux structures de soins de garder des enfants dès lors que les parents sont en consultation. Les adultes viennent souvent seuls, on conseille aux parents de trouver un mode de garde ; cela n’est pas toujours possible ou souhaitable, les enfants sont alors accueillis. Dans la salle d’attente, ils se retrouvent alors au milieu de tous, autres patients, soignants, voisins, parents de copains de classe, calmes ou agités. Leur simple présence modifie bien souvent l’ambiance du lieu et provoque des échanges tout à fait intéressants à repérer, facilitant bien souvent l’alliance thérapeutique. Mais à côté de ce point clinique plutôt positif, répondons à quelques-unes de nos interrogations. Un enfant est sous la responsabilité du titulaire de l’autorité parentale, le plus souvent ses deux parents (et pas seulement celui qui consulte). Il est possible que celle-ci ait été confiée à un autre adulte, personne physique (grand-mère, oncle. . .) ou morale (ASE). Si le parent qui consulte est en danger immédiat et nécessite une hospitalisation urgente, il faut donc trouver un responsable légal pour venir au CMP chercher l’enfant. En aucun cas il ne peut retourner seul à son domicile. En l’absence d’un titulaire de l’autorité parentale, l’enfant est confié à la police qui se charge d’organiser la mise à l’abri de l’enfant. Dès lors que son parent confie l’enfant à un soignant ou un membre du personnel, l’établissement engage sa responsabilité. Ce n’est ni celle de la personne, ni celle de la structure. De la même fac¸on, si un enfant venait à se blesser dans un bureau,

Fig. 1. Mode de surveillance.

tombant d’une chaise, se cognant la tête au coin d’un bureau, ce serait de la responsabilité de l’établissement [1]. Nous pouvons être témoins de violences, verbales ou physiques, anciennes ou récentes. Elles ne sont jamais à banaliser et doivent au minimum déclencher une alerte de tous les acteurs du soin du parent. Il faudra souvent envisager une saisine de la CRIP par une Information Préoccupante, voire rédiger un signalement en urgence. En fonction du degré de gravité de nos observations, ce signalement peut être adressé directement au Procureur. Pour mémoire, la violence faite aux mineurs est une dérogation au secret médical [2]. Après ces questions/réponses concernant le cadre juridique, nous avons souhaité faire une photographie de ces enfants rec¸us. Pour cela, nous avons recueilli sur 3 mois des informations concernant l’accueil de tout parent avec enfant dans la salle d’attente des 3 CMP du 17e arrondissement, avec l’accord de chacun et de fac¸on anonyme. 2. Les résultats de notre étude Pour commencer, voici une brève présentation de notre arrondissement parisien. Il accueille aussi bien des familles très aisées que des populations en grande précarité, avec un gradient social d’ouest vers le nord qui part des plus riches immeubles haussmanniens vers les hôtels et logements sociaux. Une moitié environ des habitants a un statut de cadre ou exerce une profession intellectuelle supérieure, et pourtant le revenu moyen d’un ménage est de3315 D (chiffres de 2012) par mois, niveau inférieur à la moyenne parisienne [3]. Il n’est pas représentatif de la population parisienne, encore moins franc¸aise. 2.1. Les caractéristiques des enfants accueillis Sur une période de trois mois incluant des vacances scolaires, nous avons procédé au recueil des informations sur l’âge, la raison de la présence de l’enfant, le professionnel consulté, la fac¸on dont nous l’avons pris en charge. Nous avons ainsi recensé 31 accueils. 2.1.1. Le mode de surveillance Les enfants sont à part égale confiés aux secrétaires ou aux infirmiers (Fig. 1). Il arrive que les parents anticipent le besoin de surveillance de leur enfant en étant accompagnés ; nous avons eu

Pour citer cet article : Ducroix Pastori C, et al. Les enfants de la salle d’attente en CMP adulte. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2018), https://doi.org/10.1016/j.neurenf.2018.10.002

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Fig. 2. Période de l’année.

Fig. 3. Âge de l’enfant.

la surprise de découvrir à 2 reprises des enfants laissés seul, sans qu’aucun membre de l’équipe ne soit informé de leur présence ni par le parent, ni par le thérapeute. 2.1.2. Les rendez-vous Les parents rec¸us venaient pour une consultation de psychiatrie (17/31), en entretien infirmier ou pour une prise de traitement (5/31), pour une consultation de psychologue (5/31) et plus rarement en psychomotricité (2/31) ou rencontrer une assistante sociale (2/31). 2.1.3. La saisonnalité des accueils Si les 2/3 des enfants viennent sur des périodes attendues, vacances ou mercredi, 1/3 est présent sur d’autres jours de la semaine ou période de l’année où un mode de garde est traditionnellement plus facile à trouver (Fig. 2). 2.1.4. Les enfants Les enfants rec¸us sont majoritairement des tout petits (Fig. 3). Viennent ensuite les enfants scolarisés en maternelle, peu en primaire et très rarement les adolescents. Enfin, nous avons noté une vraie disparité en fonction du secteur de résidence : comme nous l’avons dit, le 17e arrondissement est à la fois riche et pauvre, haussmannien et délabré. Le secteur en charge de la partie la plus aisée n’a vu que peu d’enfants tout au long du recueil de données, contrairement au reste du 17e . 2.1.4.1. Deux vignettes pour illustrer nos accueils. 2.1.4.1.1. Mme B. Mme B consulte au CMP après une 1e hospitalisation pour des idées suicidaires, elle est sortie contre avis médical. Sur le plan diagnostique, un vécu abandonnique complique la dépression pour laquelle elle est adressée. Elle viendra systématiquement accompagner d’une petite fille à ses consultations, aussi bien pour voir l’assistante sociale, la psychologue ou le psychiatre. On sait peu de choses d’elle : mère de 2 filles de 8 et 3 ans (il s’agit de grossesses non désirées), elle a fui sa région natale en

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laissant une aînée alors âgée de trois ans à une famille qualifiée d’amicale et bienveillante. Ce n’est qu’après plusieurs mois de suivi que la patiente évoquera cette situation et l’absence de visite ou de liens avec cette enfant. Don ou abandon, cela ne sera éclairci qu’après un long travail d’accompagnement de Mme. Il faudra du temps pour qu’elle admette l’insécurité de son aînée, au centre d’un conflit entre cette famille « idéale » et celle qu’elle construisait à Paris. L’ouverture d’une enquête sociale, avec son accord, a mis en lumière l’absence de cadre pour cette enfant, à la merci du bon vouloir des adultes, que ce soit la famille qui s’occupait d’elle ou sa mère qui menac¸ait de l’enlever de ce foyer pour rejoindre le sien. La saisine du tribunal a rendu officiel non seulement la garde de cette enfant par la famille de province, mais aussi un droit de visite pour Mme, en dehors de toute rivalité ou négociation. Sa deuxième fille, 3 ans, vit avec elle et son mari dans un domicile insalubre et minuscule, pour lequel de nombreuses procédures ont été débutées par Mme B, mais jamais achevées. Demande de logement, recherche de travail, demande de secours financiers et de RSA, demande d’étalement de dettes de loyer, toutes ces procédures étaient abandonnées avant leur aboutissement. Nous remarquons très vite les difficultés de Mme à confier sa fille pour venir seule en consultation, mais aussi l’étrangeté de leur ressemblance, miroir parfois presque parfait dans leur coiffure. Par ailleurs, la pâleur de la peau de cette enfant nous questionne. Viendra alors l’annonce d’une 3e grossesse, non désirée elle aussi, qu’elle choisira de poursuivre. C’est dans ce contexte d’inquiétudes, flou autour de l’aînée, lien fusionnel, manque de différenciation avec sa fille de 3 ans, arrivée d’un troisième enfant dans des conditions précaires que nous avons proposé une consultation conjointe psychiatre adulte et pédopsychiatre ; une adresse simple en pédopsychiatrie est apparue trop peu contenante pour aboutir. Ce double regard soignant, menée en duo au cours d’un même entretien par un pédopsychiatre de notre territoire et un psychiatre adulte, permet une évaluation globale de la famille qui consulte, du fonctionnement psychique de chacun et des interactions. Tous, père, mère, enfants, sont invités à venir nous rencontrer, nous interroger, échanger et nous entendre comme des tiers bienveillants dans une situation complexe. Cette consultation mettra en évidence ce fonctionnement dans sa dynamique : le père est absent, la mère et sa fille dans des mouvements d’intrusion, projectifs, inversés, avec cette fusion quasi-complète de Mme et sa fille qui viendra se lover sur le ventre arrondi de sa mère, comme une deuxième enveloppe corporelle. Nous pouvons ainsi lui préciser les éléments qui nous alertent, expliciter certaines inadéquations dans leurs liens et leur proposons un prochain rendez-vous d’évaluation, avant la naissance du bébé, rendez-vous qui ne sera pas honoré. Le lien n’est pourtant pas rompu. Elle repoussera l’idée d’un suivi pour sa fille tout en continuant de venir chaque fois avec elle, acceptant que le lien qui les unit est particulier. Elle peut voir que ses préoccupations de mère sont parfois à la limite de la

Pour citer cet article : Ducroix Pastori C, et al. Les enfants de la salle d’attente en CMP adulte. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2018), https://doi.org/10.1016/j.neurenf.2018.10.002

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rationalisation, dans l’anxiété massive de la séparation : pour donner quelques exemples, l’entrée à l’école semblait impossible du fait de l’existence d’instituteurs « pédophiles », la halte-garderie et les sorties dans les jardins étaient annulées à la suite des attentats de janvier à Paris (on se souvient de la pâleur du visage de sa fille). Petit à petit, elle réussit à se séparer d’elle pour finalement lui permettre de faire sa rentrée en maternelle. Enfin, elle pourra confier son angoisse à l’idée de ne pas savoir être mère, levant alors un silence et un interdit dans lesquels elle était enfermée : ce petit garc¸on qui va naître, qu’elle disait vouloir garder tout à elle, lui permettra de nous dire qu’elle a en réalité confié aussi sa deuxième fille, de l’âge de 6 à 18 mois, cette fois-ci à sa belle-famille, au Maroc. On pourra alors parler sans crainte et sans culpabilité de continuité, de sécurité affective, de la nécessité d’être parfois accompagné dans sa parentalité. Elle viendra ensuite avec ses deux plus jeunes enfants. L’aînée en province a vu sa situation réglée par un tribunal compétent. La deuxième va à l’école, se montre fière d’en parler aux infirmières qu’elle a repérées et finalement ne viendra plus accompagner sa mère. Le petit garc¸on quant à lui sera très vite en surpoids, toujours porté, en hyperextension dans son porte-bébé, avec peu de verbiage et d’interactions visuelles et nous inquiétera à son tour. Elle acceptera alors de consulter un collègue pédopsychiatre, d’autant plus facilement qu’elle a déjà rencontré l’un d’eux lors de sa grossesse ici au CMP adulte lors d’une consultation conjointe. 2.1.4.1.2. Mme S. Nous rencontrons Mme S en 2016 quand elle emménage sur le 17e arrondissement. Elle vient très souvent avec son fils, faute de mode de garde selon elle. C’est un petit garc¸on né en 2010 d’une maman déjà suivie pour une schizophrénie et déjà hospitalisée. À sa naissance, la dyade est prise en charge en unité mère bébé ; le couple parental se sépare quand le garc¸onnet a 1 an et c’est à 2 ans que sont demandées par la PMI et le CMP adulte un suivi en pédopsychiatrie ainsi qu’une AEMO. Cette prise en charge a été indiquée en 2012, à la suite de sa dernière hospitalisation ; elle est depuis stabilisée sous traitement. Dans la salle d’attente, elle se montre à l’écoute des besoins de son fils, venant systématiquement avec les jeux qu’il aime pour qu’il puisse attendre dans de bonnes conditions. Il est toujours présent ici en dehors des heures habituelles de classe, soigné, vêtu de manière adaptée à la saison. Il peut se séparer sans crainte de sa mère et bien qu’un peu timide, il réussit petit à petit à discourir avec l’infirmière qui prend soin de lui. On apprend ainsi qu’il partage toujours le lit de sa mère. Il a pu en parler sans crainte, s’interroger et nous interroger sur ce qu’il sait inhabituel à son âge. C’est toute l’équipe qui sera alors en charge de penser et d’accompagner Mme et son fils pour trouver une solution afin que chacun réussisse à investir son espace dans leur nouvelle maison (et dans leur intimité). C’est alors qu’elle peut nous dire qu’elle n’emmène plus son fils consulter son thérapeute. Pour autant, elle continuera à mettre en avant des problèmes d’emploi du temps pour différer ses soins ; le seul espace qui reste à cet enfant est l’ « entretien » infirmier alors que sa mère est en consultation.

3. Que voir ? Qui voir ? À côté de l’absence de mode garde, finalement peu représentée, il s’agit d’un acte volontaire et signifiant. Il s’agit de montrer que l’on est parent et pas seulement un patient, passant ainsi du statut de pris en charge par une équipe à celui de responsable d’un autre [4]. Certains viennent montrer que leur enfant va bien, s’en assurer auprès de nous ou au contraire interroger sur des comportements ou attitudes qui les inquiètent. D’autres mettront en acte des comportements inquiétants, parfois pour être aidé à prendre des décisions de protection des leurs qu’ils ne peuvent prendre seul. Mais venir avec un enfant au CMP c’est aussi le rassurer, lui montrer qu’on est suivi, lui montrer que le psychiatre est un docteur comme un autre. L’emmener lui permet de voir les autres adultes de la salle d’attente, ceux qui ressemblent à leur parent quand il va bien, mais aussi quand il va mal. C’est un outil, une aide, pour lui expliquer sa propre pathologie. Mais c’est aussi un outil de prévention [5]. Les équipes ont réappris à observer l’enfant, de la séparation aux retrouvailles : les mouvements émotionnels, la présence ou l’absence d’angoisse de séparation, les pleurs, les mouvements étranges, la capacité à entrer en contact, à s’occuper, à se montrer attentif. . . ce temps passé auprès de l’enfant est devenu un temps clinique et non plus un temps de garde. Ce mouvement d’intérêt est d’autant plus précieux que l’on sait qu’il s’agit d’enfants à risque [6] confrontés aux aléas émotionnels, aux ruptures de liens, parfois aux hospitalisations itératives de leur parent, sans même compter la part de transmission génétique [7]. Si l’on observe des dysharmonies du lien, une insécurité chez l’enfant, des réponses parentales inadéquates, nous pouvons aborder l’intérêt de l’investissement du soin pour l’adulte comme préalable indispensable à l’instauration d’une relation sécurisante pour son enfant, lui permettant de grandir avec un minimum de stress [8]. Cela peut même déboucher sur des propositions de consultation avec l’enfant, seul ou en présence de nos collègues pédopsychiatres dans le cadre d’une consultation conjointe. Enfin nous savons que certains ne seront jamais pris en charge, seul notre regard attentif et soignant pourra les inclure dans les préoccupations parentales et permettre le soutien nécessaire [9]. 4. Ce qui a changé pour nos équipes La réflexion entamée par les équipes des CMP autour des enfants a pointé les modifications nécessaires à leur accueil en sécurité : la salle d’attente n’est pas adaptée, nous n’avons pas de chaise d’enfant, pas de livre, juste quelques crayons de couleur achetés parfois par les soignants eux-mêmes. De la même fac¸on, il est apparu évident qu’on ne doit pas emmener l’enfant et le parent dans la pharmacie lors de la dispensation du traitement ou de l’administration d’un traitement, ce qui n’était pas toujours effectif. En dehors de ces considérations pratiques, déjà importantes, se pose la question du respect du secret médical : le petit ou

Pour citer cet article : Ducroix Pastori C, et al. Les enfants de la salle d’attente en CMP adulte. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2018), https://doi.org/10.1016/j.neurenf.2018.10.002

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l’enfant dans la salle de soins va être au milieu des téléphones, des discussions, des informations qui touchent des inconnus, un parent d’un copain d’école ou des voisins de palier. Or il faut se soucier de son écoute et de sa présence, de ses réactions verbales et non verbales. Il a donc fallu (ré) apprendre à regarder, à accepter la présence des enfants, à modifier nos pratiques, à savoir quoi faire de nos inquiétudes. Cette sensibilisation et l’intérêt pour la clinique des interactions parents-enfants ont mobilisé beaucoup d’entre nous. Se former dans le développement d’un enfant et le repérage d’un mal être est devenu une priorité et un souhait partagé par nombre de personnels ; au-delà de la formation, les liens et l’appui sur les collègues pédopsychiatres se sont renforcés, le réseau devenant plus reconnu et mettant en place des personnes ressources, de la PMI à la pédopsychiatrie. Nous avons compris combien il est important d’écouter et de ne pas trop dire. 5. Maintenant, et dans l’avenir Cette étude a permis l’émergence de désirs de formation à la connaissance du développement de l’enfant, au repérage des troubles interactions précoces, de réflexion autour de la parentalité. L’envie de partages entre soignants et entre équipes issues de services différents, ayant des compétences différentes, a créé une dynamique qu’il faut accompagner et valoriser. Pour finir, nous devons toujours nous dire qu’un enfant n’est jamais là par hasard dans un CMP adulte. Remerciements Les auteurs tiennent à remercier tout particulièrement Mmes Nathalie Alamowitch, Justine Piggioli et Albane Bernat pour leur disponibilité, leurs recherches et leur expertise légale.

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Ce travail n’aurait pu exister sans le partenariat privilégié avec l’intersecteur de pédopsychiatrie du 17e arrondissement, Mme le Dr Le Loher sous la responsabilité du Dr Jean Chambry. Déclaration de liens d’intérêts C. Ducroix Pastori conférences : invitation en qualité d’intervenant pour Otsuka Pharmaceutical France. Les autres auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Conseil d’état, 27 février 1985, centre hospitalier de Tarbes, no 3906948793 In L’engagement de la responsabilité des hôpitaux publics, 2015, [Disponible sur : http://www.conseil-etat.fr/Decisions-AvisPublications/Etudes-Publications/Dossiers-thematiques/L-engagementde-la-responsabilite-des-hopitaux-publics]. [2] Ordre national des médecins. « Signalement et information préoccupante »; 2016 [Disponible sur : https://www.conseil- national.medecin. fr/sites/default/files/signalement et information preoccupante.pdf]. [3] Cante F, Kerami J. Portrait social d’arrondissement : le 17e . Études et Observatoire social. DASES 2012:28p. [4] Bayle B. « Enfants de mère schizophrène : quel devenir ? ». Dialogue 2012;195:45–53. [5] Dugnat M, Douzon M. Parents vulnérables, enfants séparés. Pour des soins préventifs. Enfance Psy 2007;37:9–21. [6] Hugill M, Fletcher I, Berry K. Investigation of associations between attachment, parenting and schizotypy during the postnatal period. J Affect Disord 2017;220:86–94. [7] Rivollier F, Lotersztajn L, Chaumette B, Krebs M-O, Kebir O. Hypothèse épigénétique de la schizophrénie : revue de la littérature. Encephale 2014;40:380–6, http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2014.06.005. [8] Giakoumaki SG, Roussos P, Zouraraki C, Spanoudakis E, Mavrikaki M, Tsapakis EM, et al. Sub-optimal parenting is associated with schizotypic and anxiety personality traits in adulthood. Eur Psychiatry 2013;28(4):254–60. [9] Haesevoets Y-H. Les enfants de parents fous. Éd. De Boeck supérieur; 2015 [ISBN : 9782804190965. 268 p.].

Pour citer cet article : Ducroix Pastori C, et al. Les enfants de la salle d’attente en CMP adulte. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2018), https://doi.org/10.1016/j.neurenf.2018.10.002