Les éponymes des CAC ©John Libbey Eurotext
Pour citer cet article : le Bouëdec G. . Bull Cancer 2013 ; 100 : 1343-55. doi : 10.1684/bdc.2013.1862.
Guillaume le Bouëdec
doi : 10.1684/bdc.2013.1862
Service de chirurgie du Pr Jacques Dauplat, CRLCC Jean-Perrin, 58, rue Montalembert, 63011 Clermont-Ferrand Cedex, France
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uite des portraits des éponymes des CAC à l’occasion de l’anniversaire du 100e volume de Bulletin du cancer. Dans ce numéro, nous rendons hommage à Paul Papin (Angers), René Gauducheau (Nantes), René Huguenin (Saint-Cloud), Bull Cancer vol. 100 • N◦ 12 • décembre 2013
Paul Lamarque (Montpellier), Jean Paoli-Irène Calmette (Marseille), Jean Perrin (ClermontFerrand). Guillaume le Bouëdec
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Paul Papin (1870-1942)
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Étudiant à l’École préparatoire de médecine et de pharmacie d’Angers, Paul Papin obtient en 1897 le diplôme de Docteur en médecine à la faculté de Paris en soutenant sa thèse sur « Les fractures du maxillaire supérieur », sujet n’ayant rien à voir avec la suite des évènements honorables qui allaient conduire un bactériologiste corvéable à la direction concomitante de trois établissements, dont le CAC régional qui portera son nom.
Directeur du laboratoire de bactériologie Suite à la transformation de la Chaire de thérapeutique et d’hygiène en Chaire d’histologie, le Pr Bahuaud se retrouve responsable en 1894 du laboratoire municipal et départemental de bactériologie. En l’absence de candidat motivé pour sa succession inopinée, au prétexte d’une rémunération estimée trop modeste, le Docteur Paul Papin (installé comme médecin de campagne à Châteauneuf-de-Sarthe) est contacté, mais il lui faut auparavant se perfectionner fissa : formation accélérée à l’Institut Pasteur, en neuropathologie à la Salpêtrière chez le Pr Albert Gombault, et au Comité consultatif d’hygiène publique de Paris où il est briefé sur l’analyse des eaux par le Pr Anne-Gabriel Pouchet. À son retour de la capitale en 1898, Paul Papin est nommé, à l’âge de 28 ans, Directeur du laboratoire de bactériologie et chef de travaux d’histologie. Il assure une débordante activité de microbiologiste, de pathologiste, mais aussi des cours et des publications dans les archives médicales d’Angers (sur la peste, le tétanos, la tuberculose, la syphilis, la fièvre typhoïde, sur l’insalubrité des eaux d’alimentation. . .) et devient professeur titulaire de la Chaire d’histologie en 1906, à l’âge de 36 ans.
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Directeur du Dispensaire antivénérien Médecin des hôpitaux d’Angers, le Pr Paul Papin est également chef du service des contagieux situé dans le sinistre pavillon Saint-Roch, ce qui lui apporte son lot perpétuel d’urgences (ponction lombaire en cas de suspicion de méningite cérébro-spinale, tubage trachéal en cas de croup compliquant une diphtérie. . .). C’est sur ce site rénové que s’organisera en 1918, à la demande expresse du préfet, le dispensaire municipal antivénérien d’Angers pour faire face à la recrudescence après-guerre de la syphilis. Et c’est à nouveau Paul Papin, malgré un emploi du temps surbooké, qui est chargé de le diriger, bientôt secondé par le Pr Gaugain. Ses ambitions limitées sont affichées : n’ayant ni les moyens ni la prétention de faire avancer la science, il veut se consacrer avec rigueur à l’analyse des échantillons et prélèvements qui lui sont confiés en provenance de tout l’Anjou et s’occuper au mieux de ses élèves en se tenant à l’affût des progrès des disciplines micrographiques, incessants depuis 1882-1883, dates respectives de l’isolement du Mycobacterium tuberculosis et du Vibrio Cholerae par Robert Koch. En 1922, la bactériologie est reconnue comme une spécialité à part entière.
Directeur du centre anticancéreux d’Angers Au début des années 1920, l’obsession naissante à l’égard du fléau cancéreux, matérialisée par la création des CAC sur l’ensemble du territoire franc¸ais, vint motiver en Maine et Loire le projet d’installation au sein des Hospices civils du centre régional de lutte contre le cancer. Approbation de la Société de médecine d’Angers, avis favorable du Ministère en 1924 (la ville d’Angers a prévu de débloquer 300 000 Francs) et c’est encore vers Paul Papin qu’on s’est tourné quand il a fallu choisir un directeur. Paul Papin n’imaginait pas se contenter de sa prestation d’anatomo-pathologiste du centre. Ayant exigé la constitution d’un dossier pour chacun des patients « qui permettrait de juger des résultats éloignés si les intéressés consentaient à se présenter ultérieurement aux consultations et aux examens de contrôle », il s’est attaché à rapporter régulièrement les taux de survie des malades traités dans son établissement par chirurgie et/ou par méthodes physiques ; (il avait su négocier le paiement à crédit d’une fourniture de radium auprès de l’Union minière du Haut-Katanga). Homme discret, calme, réservé, d’une grande simplicité envers son entourage, d’une grande serviabilité dans le travail, irréductible besogneux, le contraire d’un m’as-tu-vu, hyper-sollicité en permanence sur le terrain, distancié des sociétés savantes huppées, le Pr Paul Papin était aussi médecin adjoint de la prison et médecin de l’École normale d’instituteurs d’Angers.
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Paul Papin aimait enseigner, transmettre ; il était un vrai donneur de lec¸ons – au sens noble du terme – de lec¸ons extatiques magistrales ou confidentielles comme lors de ses ateliers de lecture au microscope destinés à de petits groupes d’étudiants où il pouvait décrire et commenter ex professo ses
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préparations bactériologiques et histo-cytologiques. Paul Papin prit sa retraite en 1937. Le CRLCC d’Angers, dénommé Centre Paul-Papin sur proposition du Pr Naulleau en 1958, correspond depuis janvier 2011 à l’Institut de cancérologie de l’Ouest ICO Paul-Papin.
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René-Maurice-Auguste Gauducheau (1881-1968)
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Fils d’un médecin d’origine vendéenne, apparenté à Georges Clémenceau, René Gauducheau entame ses études de médecine à Nantes (Loire-Atlantique), sa ville natale, et les poursuit à Paris où, interne des hôpitaux de 1907 à 1912, il passe sa thèse (L’exploration radiologique du thorax et le diagnostic de la tuberculose pulmonaire) et se spécialise en électroradiologie. Nommé médecin radiologiste des hôpitaux de Nantes en juin 1914, il est mobilisé en août, instruit au repérage radioscopique des corps étrangers métalliques au Val-de-Grâce et affecté sur le front dans l’Infanterie et l’Artillerie en qualité de médecin-chef de voitures radiologiques (4e région) ; il rejoint ensuite l’armée d’Orient (Salonique) et termine la guerre comme chef du service radiologique de l’armée franc¸aise d’Italie. De retour dans la cité des Ducs, il œuvre pour la création d’un centre spécialisé dans les traitements anticancéreux, légalement rattaché aux Hospices civils de Nantes, à l’Hôtel-Dieu. Le Docteur René Gauducheau en devient le premier directeur par arrêté du 29 mars 1924.
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Président du Comité départemental de la Ligue nationale contre le cancer, Président du Syndicat national des électroradiologistes, Président national de la Société franc¸aise de radiologie dans sa phase charnière d’ouverture clinique où la dualité ancestrale entre la Société d’électroradiologie médicale de France et son aînée – la Société franc¸aise d’électrothérapie et de radiologie – s’estompe en fusionnant pour devenir la Société franc¸aise d’électroradiologie médicale (Société mère parisienne et Filiales provinciales), René Gauducheau assume par deux fois consécutives la présidence de la Filiale de l’Ouest à partir de 1936. Le Docteur René Gauducheau a été chargé de cours de clinique annexe de radiologie et de cancérologie à l’École de médecine de 1934 à 1952. Il a publié sur le traitement radioactif des cancer du rectum (notamment sur la curiethérapie des formes inopérables par la méthode de Neumann et Coryn), sur la curiepuncture des épithéliomas vulvaires et des épithéliomas du plancher buccal (décrivant un procédé original de fixation des aiguilles dans les cavités naturelles), sur la radiothérapie de la douleur (névralgies cervicobrachiales, sciatiques). Pas d’ouvrage monumental à son actif, mais une multitude d’articles discrètement parus dans la Gazette Médicale de Nantes, aux oubliettes des archives. Citons pêle-mêle : faux cancer post-traumatique de l’estomac, brûlures graves par diathermie, méningite associée à méningocoque et au bacille de Koch, diagnostic clinique et radiologique de la tuberculose médiastine et péri-hilaire, curiethérapie des fibromyomes utérins, traitement radiothérapique de l’hypertrophie de la prostate. . . En 1939 et 1940, il est mobilisé comme chef du service radiologique de la place de Nantes. Le 16 septembre 1943, l’Hôtel-Dieu est détruit par les bombardements aériens stratégiques américains... erreurs de cibles des forteresses B17 de la huitième Air Force volant à 5 000 mètres d’altitude qui visaient les installations portuaires. Les dégâts collatéraux firent 1 500 morts et rendirent l’hôpital inutilisable (jusqu’en 1964). René Gauducheau s’est efforcé de protéger son personnel et son matériel dans les décombres ; il fit disparaître et transporter clandestinement en lieu sûr le précieux gramme de radium détenu par le centre que le gouvernement de Vichy avait obligé à déclarer aux autorités allemandes. Le service moribond, temporairement relogé de bric et de broc dans l’unité de psychiatrie de l’Hôpital Saint-Jacques, n’a recouvré qu’en mai 1947, grâce à l’énergique détermination de son directeur, le statut officiel de CRLCC autonome. Le Docteur René Gauducheau, atteint par la limite d’âge, prend sa retraite en janvier 1952, remplacé par le Professeur Joseph Tardiveau, lui-aussi radiologue ; il conserve le titre de Directeur honoraire ; le 10 juillet 1952, par arrêté ministériel, l’établissement est habilité à porter son nom (de son vivant). Bull Cancer vol. 100 • N◦ 12 • décembre 2013
Son goût des voyages et des congrès, son horreur des paroles inutiles et des agitations stériles, son égalité d’humeur légendaire et son sens éprouvé des relations amicales et des accointances mondaines confortées au Rotary club, expliquent une grande audience acquise dans les instances nationales et internationales. Parmi ses distinctions, nous mentionnerons la rosette d’Officier de la Légion d’honneur à titre militaire, le grade d’Officier de la santé publique, le rôle d’élu Correspondant national de l’Académie de médecine IVe division (Sciences biologiques, physiques, chimiques
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et naturelles) en 1956 et la Médaille d’honneur du Centre Antoine-Béclère (il fut un lointain disciple du père de la radiologie franc¸aise) qui récompense chaque année un des maîtres de la radiologie mondiale remise en 1963 par le Pr Coliez pour sa brillante carrière. En 1991, le centre René-Gauducheau s’est implanté sur le site hospitalier nord de Nantes-Saint-Herblain. En 2011, sa fusion avec le centre Paul Papin d’Angers a formé l’Institut de cancérologie de l’ouest (Région des Pays de la Loire).
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René Huguenin (1894-1955)
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La Première Guerre mondiale vient interrompre le cursus du jeune étudiant en médecine de 20 ans que l’inclination pour la littérature et la philosophie semblait destiner à l’École normale supérieure. Affectation dans l’Infanterie au troisième régiment de marche de Zouaves. Actes de bravoure individuelle. Croix de guerre (deux citations), décoration récompensant la valeur militaire des plus vaillants soldats au combat. Passage au Val-de-Grâce aux côtés du médecin principal Henri Rouvillois et reprise du parcours initiatique auprès de grands maîtres parisiens : Pierre Ameuille, Paul Lecène, Antonin Gosset, Henri Hartmann, Georges Guillain, Édouard Rist. Il aurait pu devenir chirurgien, neurologue ou pneumophtisiologue s’il n’avait été fasciné par l’anatomie pathologique au contact de Gustave Roussy (son mentor) et de Roger Leroux en travaillant notamment sur les pneumopathies infectieuses, sur les scléroses pulmonaires tuberculeuses et syphilitiques, et sur le cancer bronchique. Éparpillement obligé des élites caractérielles : Gustave Roussy avait trois élèves qu’il estimait beaucoup – Jacques Delarue, Charles Oberling, René Huguenin – qui devinrent trois agrégés qui ne s’entendirent pas du tout entre eux. À sa mort, le premier prit la chaire d’anatomopathologie de la faculté de Paris,
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le deuxième le laboratoire du CNRS, le troisième la direction de la section clinique de l’Institut du cancer (1947-1955) ; Huguenin créa deux services de cancérologie : un service d’oto-rhino-laryngologie, et un service de pédiatrie, le premier service en Europe spécialisé dans les cancers de l’enfant. Le Pr René Huguenin a développé les moyens de dépistage des tumeurs, particulièrement aux armées, aux chemins de fer (SNCF), à la sécurité sociale. Il s’est préoccupé des cancers professionnels, séparant les cancers d’origine physique (rayons X pénalisant les radiologues, peintures à base de radium, extraction des minerais radifères. . .) et les cancers d’origine chimique (accusant déjà le goudron, le mazout, l’amiante. . .). Il fut le premier titulaire de la Chaire de cancérologie médicale et sociale, en 1951. Il publia beaucoup et utilement. Comme Henri Mondor avait écrit En chirurgie abdominale et Georges Marion En urologie dans la collection Quelques vérités premières (ou soi-disant telles) chez Masson et Cie Éditeurs, René Huguenin fut l’auteur de Sur le cancer, subtil et singulier vade-mecum, synthèse des dogmes périssables regroupés par spécialisations approximatives, destiné aux étudiants, aux néophytes, mais aussi aux cliniciens avertis et aux médecins de bourgade. On ressent encore aujourd’hui, à la lecture d’un texte fluide, débridé, focalement iconoclaste, le désir de réfuter les allégations classiques mais souvent inexactes sur les sujets qui lui tenaient à cœur : les cancers primitifs du poumon et de la thyroïde, les cancers du sein (et les états précancéreux), les réticulosarcomes de l’os (ou tumeurs d’Ewing) les naevo-carcinomes cutanés (et la diathermo-coagulation), les syndromes métastatiques aigus et les énigmatiques affinités ou répulsions de certains organes vis-à-vis de « l’infestation » secondaire. Le raffinement de son langage et la clarté de ses exposés faisaient du Pr René Huguenin un enseignant très estimé. Tempérament affable, érudition abyssale, esprit critique à bon escient : René Huguenin, qui avait capté la sibylline sentence d’Héraclite « La multiplicité des connaissances la raison n’instruit pas », considérait que parler de guérison des maladies cancéreuses était une assertion scabreuse, s’accordait à lui-même une rationnelle utopie à mi-parcours du XXe siècle en pensant que le jour n’était pas éloigné où le terme « cancer », à l’instar de la « phtisie » d’antan, disparaîtra ou bien amenuisera sa signification. . . Convient-il d’ajouter ici qu’il descendait d’une riche famille bourgeoise, champenoise de souche, qu’il habitait dans le quartier chic d’Auteuil du 16e arrondissement de Paris, qu’il arborait volontiers avec élégance une écharpe blanche, ou que son fils écrivain Jean-René Huguenin (auteur du roman culte La Côte sauvage) qui s’est tué le 22 septembre 1962 au volant de sa Mercedes-Benz 300 SL, quelques jours avant Roger Nimier, est désormais plus célèbre que lui ? Bull Cancer vol. 100 • N◦ 12 • décembre 2013
Émanation de l’IGR envisagée dès 1954, efficiente en 1959, le Centre René-Huguenin qui fut construit sur les coteaux de la ville de Saint-Cloud (Seine et Oise recomposée en Hauts-de-Seine et 5 autres départements) a finalisé sa fusion avec l’Institut Curie le
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1er janvier 2010, escomptant que le renforcement mutuel des compétences soit un facteur déterminant d’amplification des capacités en recherche clinique et d’accélération d’innovation thérapeutique. Nous parlerons dorénavant de l’Hôpital René-Huguenin.
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Paul Lamarque (1894-1970)
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Naissance à Bazas (Gironde), en bordure du Sauternais et de la forêt landaise, en 1894. Inscription en 1913 à la faculté des sciences de Bordeaux et, en 1914, à la veille de la déclaration de la Grande Guerre, en première année de médecine. Sous les drapeaux dès juillet, appelé comme soldat de 2e classe, il est un des rares rescapés de la section d’assaut de la crête des Éparges près de Verdun (Meuse, février-avril 1915). Ces années de combat mortifère expliqueront en grande partie ses pensées, sa morale, et les devoirs sociopolitiques enseignés à sa descendance1 . Il rec¸ut la médaille interalliée de la victoire. En 1919, Paul Lamarque réintègre médecine et devient l’élève puis l’assistant du Professeur Jean-Alban Bergonié. Il prépare le certificat de mathématique et physique générale et l’agrégation de physique médicale : rec¸u premier en 1923, le Professeur Paul Lamarque choisit Montpellier (Hérault), la plus vieille faculté de médecine en activité du monde (1220, Cardinal Conrad d’Urach, légat apostolique du pape Honorius III). En 1924, il est nommé chef de service adjoint du centre anticancéreux ébauché en cinq lits dans l’hôpital suburbain Saint-Éloi, sous la responsabilité du Professeur Émile Forgue, chirurgien. Il faut attendre une décennie pour que soit inaugurée la clinique Curie. . . qui pren-
1 Texte grandement inspiré des notes du professeur Jean-Louis Lamarque, son fils, radiologue, que nous remercions vivement pour son aide.
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dra la dénomination Paul Lamarque deux ans après à sa mort, en 1972. Chercheur en radiobiologie, il étudie l’effet des radiations ionisantes sur l’éclosion des vers à soie, se passionne pour les mécanismes de la restauration cellulaire, invente l’historadiographie (analyses corrélatives tissus-cellules-rayons). Il conc¸oit et fabrique avec la compagnie générale de radiologie le tube Intrix de radiothérapie de contact, utilisé en irradiation intracavitaire, en particulier celle du cancer du rectum. Il calcule les courbes iso-doses pour la radiothérapie profonde et les hautes énergies. Il fait installer au pavillon Curie la première bombe au cobalt et le premier bêtatron. Enseignant universitaire et médecin de renommée internationale (citons, parmi ses ouvrages, Le Précis de radiodiagnostic de 1932 et Les Bases physiques et biologiques de la röntgenthérapie de 1942), il restait malgré tout ce qu’on appelait un « mi-temps » : le matin à l’hôpital, l’après-midi en clientèle privée « coupable industrie » cordialement partagée avec Pierre Bétoulières, dans le cabinet de la rue Boussairolles. Humilié par le mépris quotidien que portaient les grands cliniciens de l’époque à l’encontre de l’électroradiologie, « qui mène à tout à condition d’en sortir », il n’eut de vrai bonheur qu’en prenant les rênes du CRLC languedocien à partir de 1939. Il dirigera l’essor de l’établissement pendant 24 ans, propulsant la capacité d’hébergement de 50 à 160 lits, à peine cinq ans après son arrivée. Paul Lamarque s’impliqua pour la mutation libératoire des centres anticancéreux auxquels l’Ordonnance du 1er octobre 1945 signée du Général de Gaulle avait accordé l’autonomie en supprimant les attaches fonctionnelles administratives de l’université, mais aussi la dépendance gestionnaire des hôpitaux, chaque centre ayant son propre budget. Titulaire de la Chaire de radiologie, Paul Lamarque fut nommé professeur de cancérologie en 1955, Président de l’Association franc¸aise pour l’étude du cancer l’année suivante. Sa notoriété, sa didactique, et son dynamisme firent de l’école montpelliéraine une référence de formation des futurs radiologistes et radiothérapeutes qui s’installèrent en Europe entière, sur le pourtour méditerranéen, en Amérique du Nord, jusqu’au Québec. Sa consultation était célèbre : y participaient conjointement médecins, chirurgiens, radiothérapeutes, anatomopathologistes, isotopistes, internes, étudiants, assistantes sociales, cadres et infirmiers. C’était l’exemple assumé de la concertation et de la décision collégiale bien avant l’heure. Il ne put vivre le rêve, matérialisé après son départ à la retraite en 1963, de la création du nouveau cancéropôle qu’il avait imaginé dans un campus à l’Américaine sur les terrains achetés à la Zolad au Vald’Aurelle. Juste avant sa disparition, il eut la satisfaction de percevoir, accompagné par ses vrais amis, ceux Bull Cancer vol. 100 • N◦ 12 • décembre 2013
qu’il recevait dans sa maison au Mas du Rouel (Professeurs Jean Lachapelle, Hermann Fischgold, Charles Gros et Maurice Tubiana), les prémices des inéluctables réaménagements de sa discipline i.e. l’éclatement de l’électroradiologie et de l’ex-radiologie en radiodiagnostic spécialisé, imagerie médicale, médecine nucléaire, radiothérapie etc. lui qui avait fervemment
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défendu – foi de gascon – avec 30 ans d’avance, le statut de radioclinicien. Paul Lamarque fut un visionnaire, un créateur, un bâtisseur, une force intelligente dans l’action. Depuis janvier 2013, le CRLCC Val-d’Aurelle – Paul Lamarque se fait appeler ICM, Institut régional du cancer de Montpellier.
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Jean-Baptiste Paoli (1899-1973), Irène Calmettes (1895-1967)
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Le Professeur Jean Paoli est le troisième chirurgiendirecteur du CAC de Marseille (1952-1970), devancé par le fondateur, le Professeur Henri Reynes (19251929) et le Professeur Léon Imbert (1930-1938), l’intervalle étant occupé par un éminent pathologiste élève de Gustave Roussy, le Professeur Lucien Cornil (1938-1952).
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Jean Paoli, externe des hôpitaux en 1920, interne des hôpitaux en 1921, chef de clinique chirurgicale adjoint à l’École de plein exercice (palais impérial du Pharo) de 1925 à 1929 puis chef de clinique chirurgicale à la faculté de médecine de Marseille en 1930-31, devient chirurgien adjoint puis chirurgien de centre en 1938. Il obtient l’agrégation en 1949. Avec patience et détermination, il a consacré son existence et canalisé sa carrière vers un objectif unique : doter la Cité phocéenne, tardivement labellisée « ville de fac », d’une structure thérapeutique performante, adaptée aux cruciales exigences de la cancérologie moderne. (La faculté mixte de médecine générale et coloniale et de pharmacie de Marseille n’a vu le jour qu’en 1930, et jusque-là, les étudiants s’en allaient passer leur thèse à Paris, Strasbourg. . . ou Montpellier, la rivale séculaire qui souhaitait mordicus garder le monopole.) Le rayonnement du CAC marseillais fut géographiquement amplifié par le déploiement des consultations dites « avancées » que Jean Paoli avait organisées sur la Côte d’azur (La Ciotat, Toulon, Hyères) dans l’arrièrepays varois (Draguignan) mais aussi en Corse dont il était originaire, le partenariat de l’IPC étant aujourd’hui encore en vigueur sur l’île de beauté avec le Centre hospitalier de Bastia, la Miséricorde et le Centre hospitalier de Castelluccio d’Ajaccio. Jean Paoli était une personnalité ardente, avisée, entreprenante ; une figure omniprésente du milieu médical provenc¸al, affublée d’une ribambelle d’obédiences volontairement sélectionnées ici : – Membre du Comité médical des Bouches du Rhône ; – Secrétaire de la Société de chirurgie de Marseille ; – Membre de l’Association franc¸aise de chirurgie ; – Secrétaire de la Société d’obstétrique et de gynécologie de Marseille ; – Membre titulaire (non-résident) de la Société de radiologie médicale de France ; – Secrétaire de la rédaction du « Marseille – Médical » ; – Président-fondateur de la Mutuelle chirurgicale des Bouches du Rhône ; – Président du Comité local de la Ligue contre le cancer ; – Médecin consultant départemental en cancérologie ; – Membre de la commission du cancer auprès du ministère de la Santé. Il s’est passablement intéressé au cancer glossoamygdalien (et au lympho-épithéliome de l’amygdale) avant de s’atteler à la sénologie et à l’onco-gynécologie, via les cancers de la vulve et du clitoris, les cancers de l’utérus (notamment les cancers du col sur prolapsus extériorisé et les cancers du col restant après hystérectomie subtotale) ainsi qu’à l’irradiation des fibromes saignants en cas de contre-indication opératoire (relevant de manière empirique l’avantage des rayons X sur les fibromes de petite taille et celui du radium sur les plus volumineux). À propos du cancer du sein, il s’offusquait des désastreuses interventions Bull Cancer vol. 100 • N◦ 12 • décembre 2013
inadéquates : « Enlever parcimonieusement une tumeur maligne du sein, attendre le résultat histologique ou la récidive pour pratiquer quelques semaines plus tard l’amputation nécessaire, c’est toujours une faute grave et qui risque de rendre incurables des malades qu’une opération complète faite d’emblée aurait pu guérir ». L’évocation de l’itinéraire de Jean Paoli est indissociable du parcours héroïque et pathétique d’Irène Calmettes (avec un « s » à la fin), fidèle collaboratrice de la première heure, infirmière à ses côtés dès 1927 à l’Hôtel-Dieu et à Sainte-Marguerite, où l’Institut pour l’étude du cancer et du radium (acté par décret gouvernemental en 1923) fonctionnait depuis 1925 en accord avec les Hospices civils de Marseille. Promue surveillante puis surveillante générale (1950-1957), elle supervisait à ce titre tous les services du centre, participait aux activités de soins – applications de curiethérapie incluses – dont les réels dangers perfides étaient insoupc¸onnés. Elle gérait le
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stock de radium. Pendant la Seconde Guerre mondiale elle subtilisa les sources du précieux minerai aux réquisitions de l’ennemi allemand et les cacha dans sa cave familiale. Irène Calmettes fut victime d’une radiodermite des mains dont les premiers symptômes apparurent juste avant son départ en retraite. L’aggravation du mal imposa l’amputation des deux pouces. L’évolution défavorable liée à la dégénérescence néoplasique entraîna son décès. Médaille de bronze de l’Assistance publique en 1928, Chevalier de la santé publique en1949, Irène Calmettes rec¸ut pre mortem la Croix de Chevalier dans l’Ordre national du Mérite, distinction épinglée sur son cercueil le 22 septembre 1967 par Jean Paoli, directeur du centre, accablé de tristesse et d’émotion. Par décision du conseil d’administration formulée le 13 février 1974, le CRLCC de Marseille a salué la mémoire d’un duo synergique en se proclamant Institut Paoli-Calmettes.
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Jean Perrin (1870-1942)
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Agrégé de physique en 1894, admis à l’École normale supérieure en 1891 à l’issue d’une préparation en classe de mathématiques spéciales au Lycée Jansonde-Sailly, Jean Perrin fit une entrée étincelante dans l’univers de la recherche en découvrant en 1895 la nature corpusculaire des rayons cathodiques. Les trajectoires de particules porteuses de charge négative qu’il observa sur un cylindre de Faraday lié aux feuilles d’or d’un électroscope apportaient la première preuve directe de l’existence des électrons, qu’il appela primitivement « atomes d’électricité ». Il rec¸ut, pour ces expériences reprises par J.J. Thompson, le prix Joule de la Société Royale de Londres. Il montra ensuite l’ionisation des gaz par les rayons X sur tubes de Crookes, la production de champs magnétiques intenses au moyen de bobines sans fer, l’équilibre de sédimentation des substances colloïdales. . . il énoncera les règles de l’électrisation par contact, il mettra en évidence la fluorescence sensibilisée, épatant phénomène d’induction par résonance au cours duquel une molé-
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cule se désactive en excitant sa voisine qui dégage de la lumière. Sa renommée précoce lui permit la titularisation sur mesure à la Chaire de chimie-physique de la Sorbonne (1898-1939), il était en concurrence frontale sur ce poste avec un certain Pierre Curie, mais sa jeunesse, son statut de normalien et la solidité de son rapporteur en la personne d’Henri Poincaré firent pencher la balance en sa faveur. Il parvint à déterminer une même valeur du nombre d’Avogadro, qui fixe les grandeurs moléculaires, en utilisant des méthodes expérimentales différentes (émulsion de gomme-gutte et de mastic, compressibilité osmotique, mouvement brownien de translation et mouvement brownien de rotation vérifiant la loi d’Einstein). Le « miracle de concordances » se situait entre 60.1022 et 68.1022 , donnant une moyenne brute de 64.1022 . Et Albert Einstein dut revoir sa copie. Il avait estimé en premier jet, par formules théoriques, le nombre d’Avogadro à 40.1022 et se rendit compte qu’une erreur numérique s’était glissée dans ses calculs. Après correction, il obtint 65.1022 , en parfait accord avec Jean-Perrin. Jean Perrin eut l’intuition magnifique d’imaginer le modèle planétaire de l’atome (1901) où les électrons chargés négativement gravitent autour d’un noyau chargé positivement par analogie aux planètes autour du soleil, modèle révisé, immortalisé par Rutherford (1912) et Bohr (1913) grâce à la mécanique quantique. Passionné de cosmologie et d’astronomie, il établit en 1920 que le flux d’énergie solaire rayonnée provient de la transmutation d’hydrogène en hélium par une réaction de fusion. Élu membre de l’Académie des sciences en 1923 après avoir été trois fois lauréat de l’Institut (prix Gaston Planté 1910, prix Henri de Parville 1913, prix La Caze 1914) il deviendra président en 1938. Jean Perrin, membre de l’Académie de Stockholm en 1922, rec¸ut le prix Nobel de physique en 1926 pour ses travaux sur la structure discontinue de la matière. Le poids de son autorité scientifique, sa ténacité et sa persévérance, son carnet d’adresses politiques ont stimulé la genèse du CNRS et la construction de sites emblématiques : l’Institut de biologie physico-chimique, l’Institut d’astrophysique de Paris, le Grand Observatoire de Haute-Provence, le Palais de la découverte à l’occasion de l’Exposition universelle de 1937. Plongé dans l’astronomique et l’atomistique, Jean Perrin côtoyait l’incommensurable et l’infinitésimal, escorté d’éminents chercheurs contemporains (Paul Langevin, Louis de Broglie, Nina Choucroune), ami de romanciers et de poètes tels qu’André Gide, André Maurois, Paul Valéry, et d’auteurs de science-fiction comme J. H. Rosny ou H. G. Wells. À l’aise dans les laboratoires et dans les salons, il appartenait à
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un cercle dreyfusard, droit-de-l’hommiste, comprenant (Pierre et) Marie Curie, Paul Painlevé, Émile Borel, Charles Peguy. . . il fut hôte habituel puis propriétaire à l’Arcouest, villégiature bretonne de Ploubazlanec, phalanstère branché de laïcs, d’agnostiques ou d’athées rassemblés autour de l’historien Charles Seignobos, fief du Comité de Vigilance des Intellectuels antifascistes, alternativement surnommée par les journalistes « Sorbonne-Plage » ou « Fort-la-Science ». Selon Léon Blum (qui le recruta comme sous-secrétaire d’État à la recherche) nul savant n’a été plus attentif que Jean Perrin à la signification sociale de la science. Socialiste par le sentiment, par la conviction et par l’action, il voulait mettre la science au service de la justice sociale, briser le capitalisme qui détournerait les progrès des pouvoirs bienfaisants, procurer des conditions d’existence où la vie serait, pour tous, de plus en plus libre et heureuse en perspective de l’Éden futur. Il pensait que la découverte scientifique, créatrice de richesses était « notre chance », que sans elle « l’humanité végéterait lamentablement », d’où son appréciation jubilatoire des deux succès symboliques du gouvernement du Front populaire : la semaine de 40 heures et les congés payés.
Sa fin de parcours fut précipitée par la débâcle de juin 1940 : fuite à Casablanca par le paquebot Massilia, exil volontaire aux États-Unis d’Amérique, ultimes discours ou conférences pour l’École libre des Hautes Études et l’Université franc¸aise de New York – où il décède le 17 avril 1942 – retour de ses cendres par le croiseur Jeanne d’Arc, funérailles nationales et inhumation au Panthéon le 18 novembre 1948. C’est probablement Michel Langevin (petit-fils de Paul Langevin, marié à une petite-fille de Pierre et Marie curie) qui suggéra le parachutage éponymique du CRLCC auvergnat, lors de sa fondation en 1963 par Gaston Meyniel, physicien, professeur de médecine nucléaire, ami de la famille. Le dernier CAC installé sur le sol franc¸ais, inauguré en 1969 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), a strictement conservé sa dénomination de Centre Jean-Perrin.
DR
Professeur Gaston Meyniel (1923-2005), physicien, professeur de médecine nucléaire, fondateur du Centre Jean-Perrin
Jean Perrin en compagnie de Marie Curie et de Claudius Regaud
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