Les fractures isthmiques du pancréas

Les fractures isthmiques du pancréas

Ann Chir 2001 ; 126 : 421-6 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003394401005272/FLA Article original Les...

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Ann Chir 2001 ; 126 : 421-6 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003394401005272/FLA

Article original

Les fractures isthmiques du pancréas P. Zerbib*, A. Brams, J.P. Chambon Service de chirurgie adultes ouest, hôpital Claude-Huriez, CHRU, 59037 Lille cedex, France

RE´SUME´ But de l’étude : Cette étude rétrospective avait pour but de rapporter sept observations de fracture isthmique du pancréas et de souligner la difficulté de leur diagnostic et de leur traitement ainsi que leur gravité. Patients et méthode : D’octobre 1995 à mars 2000, sept cas de rupture isthmique du pancréas ont été observés. Le diagnostic a été porté d’emblée dans deux cas grâce à la tomodensitométrie (TDM) abdominale réalisée en urgence et chez les cinq autres patients il a été porté avec un retard de quatre à 12 jours surtout à cause de la fréquence et de la gravité des lésions associées présentes cinq fois sur sept. Une splénopancréatectomie gauche a été réalisée chez quatre patients ; une nécrosectomie avec drainage externe chez deux patients opérés tardivement et un patient n’a pas été opéré. Résultats : Il y a eu un décès postopératoire lié à des lésions cérébrales associées. Après splénopancréatectomie gauche, il y a eu une fistule pancréatique minime tarie en moins d’une semaine chez deux patients. Après nécrosectomie et drainage, l’opération a été compliquée dans les deux cas par des abcès à répétition et par une fistule pancréatique abondante et prolongée. Conclusion : Les fractures isthmiques du pancréas sont des lésions rares et graves. Le diagnostic est souvent fait lors d’une laparotomie en urgence pour hémopéritoine ou péritonite. L’existence d’une rupture canalaire confirmée par wirsungographie transpapillaire ou mieux par wirsungo-IRM est un argument majeur en faveur d’une pancréatectomie gauche lorsque l’état du patient le permet. Le simple drainage externe n’est justifié que lorsque la splénopancréatectomie gauche n’est pas possible. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

ABSTRACT Blunt pancreatic fractures. Study aim: The aim of this retrospective study was to report on seven blunt fractures of the pancreas and to emphasize the difficulties of their diagnosis and treatment as well as their severity. Patients and method: From October 1995 to March 2000, seven cases of blunt fracture of the pancreas were observed. The diagnosis was immediate in two cases, due to an emergency abdominal CTscan, and for the five other patients it was postponed by 4 to 12 days because of the frequency and severity of the associated lesions present in five cases out of seven. A left splenopancreatectomy was performed in four patients; a late necrosectomy with external drainage in two patients; and one patient was not operated on. Results: There was one postoperative death due to associated cerebral lesions. After left splenopancreatectomy a pancreatic fistula dried up in less than a week in two patients. After necrosectomy and drainage, the operation was complicated in the two cases because of repetitive abscesses and a large and long-lasting pancreatic fistula. Conclusion: Blunt fractures of the pancreas are rare and serious lesions. The diagnosis is often made during an emergency laparotomy for hemoperitoneum or peritonitis. The existence of a canal rupture confirmed by transpapillary wirsungography, or better by wirsungo-MRI, is a strong arguing point for a left splenopancreatectomy when the patient’s state allows it. Simple external drainage is only justified when the left splenopancreatectomy isn’t possible. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

rupture pancréatique / gauche / tomodensitométrie

CTscan / left splenopancreatectomy / pancreatic fracture

splénopancréatectomie

Reçu le 17 octobre 2000 ; accepté le 12 mars 2001. *Correspondance et tirés à part.

Les lésions post-traumatiques du pancréas (LP) sont rares, observées dans 12 % de l’ensemble des traumatismes abdominaux. Les patients sont essentiel-

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lement des hommes jeunes. Le diagnostic de LP peut être fait lors d’une tomodensitométrie (TDM) abdominale ou lors d’une laparotomie d’urgence motivée par un tableau d’hémopéritoine ou de péritonite. Le diagnostic de LP peut n’être reconnu que tardivement au stade des complications. La mise en œuvre d’examens complémentaires invasifs à la recherche d’une lésion wirsungienne est largement débattue. La meilleure attitude est celle qui permettra d’améliorer le pronostic vital, de limiter le taux de morbidité et le temps d’hospitalisation, en préservant au mieux la fonction endocrine de la glande. Le but de ce travail était de rapporter une série de sept cas et de discuter la prise en charge diagnostique et thérapeutique des fractures isthmiques du pancréas. PATIENTS ET MÉTHODES D’octobre 1995 à mars 2000, une fracture isthmique du pancréas a été observée chez sept patients. Il s’agissait de cinq hommes et deux femmes (âge moyen : 29 ans ; extrêmes : 17–50 ans) hospitalisés à la suite d’un traumatisme fermé de l’abdomen par décélération brutale (n = 4) ou par contusion épigastrique appuyée (n = 3). Le diagnostic a été porté immédiatement dans deux cas sur la TDM abdominale réalisée d’urgence dans notre centre. Chez les cinq autres patients, le diagnostic a été porté avec un retard ayant varié de quatre à 12 jours. Deux patients avaient été pris en charge initialement pour des fractures multiples dans un autre centre et n’avaient pas eu de TDM abdominale en urgence. Leur transfert a été décidé dans notre centre, le premier en raison d’une instabilité hémodynamique et d’une insuffisance rénale au 12e jour, le second en raison d’une hémiplégie gauche d’installation brutale au 5e jour. La TDM abdominale réalisée au moment de leur admission a trouvé une fracture de l’isthme du pancréas. Un patient avait sur la TDM abdominale (réalisée dans un autre centre) un épanchement minime périsplénique sans lésion viscérale associée. Le transfert dans notre centre a été motivé par une douleur abdominale importante associée à une dyspnée survenue au 7e jour après l’accident initial. La TDM réalisée à l’admission a révélé une fracture isthmique du pancréas.

Tableau I. Lésions associées à la fracture pancréatique. Patient

Lésions associées

1 2 3 4 5

0 Fracture bassin, coude gauche 0 Fractures côtes gauches Hémopneumothorax, fractures de côtes gauches, cubitus droit, contusion pulmonaire bilatérale, contusion rénale gauche, dissection carotidienne bilatérale Fracture hépatique droite, rupture bassinet gauche, fracture bimalléolaire droite Rupture artère rénale gauche, fractures cotyle gauche, pertrochantérienne droite, vertébrales : D4, D6, D9, D12, hémothorax gauche, pneumothorax droit

6 7

Un patient n’a consulté qu’au 4e jour après le traumatisme initial. La TDM abdominale à l’admission a montré un aspect hétérogène de la tête du pancréas. Le trait de fracture isthmique n’était visible que sur la TDM abdominale réalisée 72 heures plus tard, soit au 7e jour du traumatisme initial. Chez le dernier patient, la TDM initiale avait évoqué la possibilité d’une fracture isthmique du pancréas mais la laparotomie décidée en urgence pour hémopéritoine et ischémie rénale n’a pas confirmé la fracture pancréatique. C’est seulement lors du contrôle tomodensitométrique de la revascularisation rénale au 7e jour que la fracture pancréatique était évidente. Cinq patients sur sept avaient des fractures associées (tableau I), trois patients sur sept avait des lésions multiples et graves incluant des lésions rénales gauches. Cinq patients ont eu un dosage d’amylasémie à l’admission et il existait dans deux cas seulement une hyperamylasémie initiale de huit et dix fois la normale. Le stade de la fracture pancréatique a été défini selon la classification de l’AAST (tableau II). Les patients inclus dans cette étude étaient supposés atteints d’une fracture de type IV d’après les données de la TDM abdominale. TRAITEMENT ET RÉSULTATS Un patient de la série n’a pas été opéré, malgré la suspicion tomodensitométrique de fracture isthmique pancréatique. La normalité de l’examen clinique et la rapide amélioration des lésions sur les différentes TDM de contrôle a poussé à l’abstention

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Tableau II. Classification de l’AAST. Les grades I et II sont des lésions mineures, les grades III, IV et V sont des lésions complexes dont le mode de prise en charge est discuté par de nombreux auteurs. Grade

Lésions

I

Contusion mineure ou lacération sans lésion du Wirsung Contusion majeure ou lacération sans lésion du Wirsung Section distale ou blessure parenchymateuse avec lésion du Wirsung Section proximale ou blessure parenchymateuse avec lésion du Wirsung ou de l’ampoule de Vater Dilacération majeure de la tête du pancréas, fracas duodénopancréatique

II III IV V

opératoire. Rétrospectivement ce patient a été reclassé au stade II de l’American Association for the Surgery of Trauma (AAST) et doit donc être considéré comme un faux positif de la TDM. La TDM abdominale de contrôle à un mois a montré un pancréas normal parfaitement cicatrisé. Une splénopancréatectomie gauche (SPG) a été réalisée chez quatre patients hémodynamiquement stables. L’indication opératoire a été posée deux fois sur l’aspect typique en tomodensitométrie d’une fracture de l’isthme du pancréas, au 7e et au 8e jour de l’accident initial. Chez les deux autres patients, l’intervention a été décidée en raison d’un hémopéritoine dès l’admission chez l’un et 24 heures après l’accident initial chez l’autre. Les suites opératoires ont été compliquées dans deux cas par une fistule pancréatique externe à faible débit, tarie en moins d’une semaine. Un patient est décédé au 6e jour postopératoire de lésions cérébrales associées à la LP. Un patient a eu, au 10e jour postopératoire, un pseudokyste sur la tranche de section pancréatique traité par drainage percutané ; le contrôle tomodensitométrique au 20e jour a montré la disparition complète du pseudokyste. Une nécrosectomie a été réalisée chez deux patients avec drainage des collections par sac de Mickulicz, associée à une jéjunostomie pour alimentation. Dans un cas, l’indication opératoire a été posée devant l’apparition d’un syndrome péritonéal huit jours après l’accident initial. La SPG n’a pas pu être réalisée en raison de l’importance de la pancréatite et des phénomènes inflammatoires locaux probablement liés au délai de prise en charge (huit jours). Chez le second patient, l’intervention a été décidée en raison de la majoration de la distension

abdominale et de l’apparition d’une insuffisance rénale dans un contexte d’instabilité hémodynamique. Cette instabilité hémodynamique a interdit tout geste de résection pancréatique majeure. La rupture canalaire a été dans les deux cas affirmée lors de l’exploration chirurgicale. Chez ces deux patients, sont survenues des complications postopératoires graves avec abcès profonds ayant nécessité des laparotomies itératives pour drainage. Chez l’un des deux patients, la nécrose initialement stérile s’est infectée à la suite des drainages multiples. Dans les deux cas, les suites ont été compliquées par une fistule pancréatique majeure pendant quatre mois et demi pour le premier patient et trois mois pour le second, ayant progressivement diminué et guéri. DISCUSSION La situation anatomique rétropéritonéale du pancréas explique la violence du traumatisme nécessaire pour provoquer une LP et donc la fréquence des lésions associées. Cinq des sept patients étaient polytraumatisés. L’isthme pancréatique est le plus exposé aux chocs frontaux du fait de sa situation anatomique prévertébrale. Le pancréas est cisaillé sur le billot rachidien postérieur et se fracture en deux. Le choc peut être modéré, parfois même il peut passer inaperçu. Un de nos patients n’a eu qu’un traumatisme minime (chute de sa hauteur sur une barre métallique). Le traumatisme survient parfois sur un abdomen hypotonique, comme chez l’éthylique ou chez l’enfant ou encore par surprise comme chez un de nos patients (contusion épigastrique lors d’une rixe). Les lésions associées sont fréquentes, présentes dans 40 à 80 % des cas [1, 2]. Elles conditionnent pour une bonne part le pronostic vital immédiat, en particulier lorsqu’elles atteignent les gros vaisseaux (aorte, veine cave, pédicule hépatique). Dans une revue collective, Patton et al. ont trouvé 13 % de mortalité mais seulement 2 % ont été rattachés à la lésion pancréatique [3]. Ainsi, quatre facteurs assombrissent le pronostic de ces LP : – la présence de lésions intra-abdominales associées (le taux de mortalité est de 3 % en cas de LP isolée, et passe à 40 % si quatre organes intraabdominaux sont atteints [4]) ; – la rupture du canal de Wirsung [5-7] ; – les LP céphaliques (les traumatismes céphaliques nécessitent plus de transfusions, entraînent une morbidité accrue et nécessitent plus de réinterventions

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avec une durée d’hospitalisation plus longue, en raison de la proximité du confluent wirsungocholédocien, du duodénum et des vaisseaux mésentériques supérieurs [7, 8]) ; – le retard du diagnostic : le taux de morbidité passe de 40 à 60 % en cas de retard diagnostique supérieur à quatre jours [3]. Les errances diagnostiques Le diagnostic doit donc être porté sans délai. Cependant, la discrétion de la symptomatologie initiale et la grande variété des aspects cliniques ont retardé le diagnostic chez six de nos sept patients. On a rapporté des fractures pancréatiques complètes parfaitement asymptomatiques pendant les cinq jours qui suivent le traumatisme [9, 10]. Dans 60 à 80 % des cas, la LP est reconnue en urgence lors de laparotomies motivées par un tableau d’hémopéritoine ou de péritonite [3, 11]. En cas d’exploration abdominale incomplète, la LP peut être méconnue [12] ; chez un patient de notre série, la fracture n’a été vue que sur la TDM de contrôle d’une revascularisation rénale au 7e jour postopératoire. Dans une série, le diagnostic a été retardé de cinq à 72 heures pour sept contusions abdominales sur 11 [8]. Dans notre série, le délai moyen du diagnostic était de cinq jours. Les examens biologiques sont peu spécifiques. L’amylasémie était normale dans 30 % des LP [13]. On a décrit une sidération temporaire des secrétions enzymatiques dans les suites immédiates d’un traumatisme du pancréas, ce qui expliquerait la normalité de l’amylasémie [8]. De la même façon, l’élévation de l’amylase dans le liquide de ponction–lavage péritonéal (PLP) n’est pas fiable et seulement 8 % des patients ayant une élévation de l’amylase dans le liquide de PLP avaient une LP [14]. Le scanner hélicoïdal s’est imposé dans l’exploration des traumatismes de l’abdomen chez des patients hémodynamiquement stables ; il représente le meilleur examen complémentaire pour parvenir au diagnostic préopératoire de LP [11, 13, 15, 16]. Malgré ces notions connues, deux patients de la série n’ont pas eu de TDM abdominale en urgence. L’étude scanographique du pancréas doit être systématique, qu’il existe ou non des signes d’orientation clinique. Du fait de l’orientation du trait, les fractures isthmiques et caudales sectionnant complètement le parenchyme sont faciles à diagnostiquer. En revanche, les fractures céphaliques et les ruptures

canalaires proximales sont de diagnostic plus difficile [15]. Les LP sont plus difficiles à diagnostiquer dans les 24 premières heures car la fracture parenchymateuse peut contenir du sang isodense au pancréas, masquant ainsi les lésions. Une contusion localisée du parenchyme pancréatique a pu simuler une fracture car le parenchyme contus, non réhaussé par l’injection, reste hypodense [15]. Mais cette hypodensité est large, à bords flous, contrairement aux fractures. Ainsi, il ne faut retenir comme fracture qu’une solution de continuité, à bords nets, hypodenses. Les plages hypodenses mal limitées du pancréas après réhaussement de contraste, correspondent probablement à un parenchyme contus ou nécrosé, comme ce fût le cas chez un patient de notre série. Après 24 heures, alors que se sont développées des lésions de pancréatite posttraumatique, les images de nécrose parenchymateuse et d’épanchement péripancréatique sont plus facilement décelables et exposent moins aux erreurs d’interprétation, d’où l’intérêt de répéter l’examen scanographique au bout de 24 et 48 heures en cas de difficulté d’interprétation [11]. Évaluation du statut canalaire Diagnostic préopératoire Deux séries ont montré l’intérêt de la cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE) pour déterminer l’existence d’une lésion wirsungienne [17, 18]. Cependant, la CPRE apporte un risque septique et peut aggraver les lésions de pancréatite sur des tissus déjà contus. D’autre part, cette CPRE a échoué par défaut de cathétérisation de la papille dans 4 à 10 % des cas et une série récente a montré plusieurs faux négatifs de la CPRE en urgence [19, 20]. La question se pose donc pour les patients qui ont une LP de bas grade en TDM chez lesquels on opte pour une simple surveillance. On risque alors de faire le diagnostic de rupture canalaire tardivement au stade de complications. La wirsungo-IRM pourrait alors remplacer avantageusement la CPRE dans l’évaluation des lésions canalaires traumatiques du pancréas [19, 20-22]. Diagnostic peropératoire La situation la plus fréquente est celle où le diagnostic de LP est porté en peropératoire, lors de l’exploration systématique de l’espace rétropéritonéal. Trois

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méthodes peuvent parvenir au diagnostic de lésion wirsungienne : – la CPRE peropératoire ; seules certaines équipes peuvent en disposer et pour des raisons d’ordre logistique, ses possibilités d’utilisation en urgence sont limitées [23] ; – la wirsungographie peropératoire peut être réalisée par ponction directe du canal de Wirsung (difficile lorsque le canal de Wirsung n’est pas dilaté) ou par voie transpapillaire après duodénotomie. Le risque de fistule duodénale a parfois fait préférer la wirsungographie par l’intermédiaire d’une cholangiographie réalisée par la vésicule biliaire, le canal cystique ou par le cholédoque [13] ; – l’utilisation des cinq critères de Heitsch et al. [7] : visualisation directe de la blessure du canal de Wirsung ; section complète du pancréas ; section de plus de la moitié du diamètre du pancréas ; perforation centrale ; zone d’attrition sévère. En fait, la seule observation peropératoire suffit pour reconnaître une rupture canalaire dans la majorité des cas. Cette exploration minutieuse qui doit rechercher précisément les critères de Heitsch est aussi performante que la wirsungographie [6]. Si un doute persiste, la wirsungographie peropératoire par voie transpapillaire reste indiquée lorsque l’existence d’une lésion canalaire est susceptible de modifier le geste opératoire. Chez un de nos sept patients, la fracture isthmique n’a été découverte que sur le contrôle tomodensitométrique au 7e jour de la laparotomie initiale alors que l’exploration pancréatique peropératoire initiale n’avait rien montré d’anormal. Dans un rapport récent, les LP ont été sous-estimées ou non diagnostiquées dans 42 % des cas lors de la laparotomie initiale [20]. Ainsi, un bon nombre de fractures du pancréas devrait être diagnostiqué plus tôt grâce à l’étude peropératoire minutieuse de la glande. Attitude chirurgicale Trois attitudes chirurgicales semblent admises par tous : – la duodénopancréatectomie céphalique (DPC) ne doit être réalisée que « la main forcée » par l’existence de lésions majeures de la tête du pancréas avec dévascularisation complète ou rupture cholédocienne, c’est-à-dire les grades V de l’AAST. Le taux de mortalité était de 38 à 46 % dans les DPC faites en urgence [24, 25] ;

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– la pancréatectomie gauche en cas de rupture canalaire complète, doit être réalisée en emportant les lésions de gauche à droite. L’état hémodynamique et général du patient ainsi que la situation locale intra-abdominale dictent la possibilité de l’exérèse chirurgicale ; – une simple surveillance peut être justifiée dans les LP de grade I de l’AAST. En cas de découverte peropératoire, le drainage externe du foyer de contusion suffit. Dans les contusions céphaliques sévères associées à une rupture partielle du canal de Wirsung, les techniques d’exclusion pylorique gardent des indications. Le concept de dérivation duodénale introduit par Berne et al., consistait en une vagotomie tronculaire, une antrectomie, un drainage duodénal et biliaire externe et une gastrojéjunostomie [26]. Ce concept a été modifié par un principe plus simple d’exclusion pylorique qui associe la fermeture temporaire du pylore par l’application d’une rangée d’agrafes à une gastrojéjunostomie. Dans les autres cas, trois éléments plaident en faveur d’une résection pancréatique : – l’existence d’une rupture canalaire : dans un rapport récent, 14 patients ayant une rupture canalaire ont eu un drainage pancréatique externe sans résection ; sept patients ont nécessité un geste de résection secondaire ; parmi les sept autres, trois ont dû être réopérés pour drainage de pseudokyste pancréatique [20]. Notre expérience plaide en faveur de la résection d’emblée en cas de rupture canalaire ; – l’état hémodynamique et général du patient : les patients qui ont survécu à une résection pancréatique en urgence étaient stables sur le plan hémodynamique pendant l’intervention [27]. Les patients qui ont nécessité une intervention en situation d’instabilité hémodynamique, comme ce fut le cas pour un patient de notre série, n’ont eu que des gestes de sauvetage (contrôle d’une hémorragie ou d’une contamination digestive, drainage externe des LP) [27] ; – l’état local, lié au délai de l’intervention par rapport au traumatisme initial. Chez un patient de notre série, l’intervention a été réalisée au 8e jour du traumatisme abdominal. L’importance des remaniements inflammatoires locaux a rendu impossible la réalisation d’une pancréatectomie gauche dans des

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conditions suffisantes de sécurité. Un simple drainage externe des collections a été réalisé avec des suites opératoires longues émaillées d’abcès profonds nécessitant des réinterventions itératives et une fistule pancréatique externe pendant plus de quatre mois. Dans une étude multicentrique récente, les résections pancréatiques n’ont pas modifié l’incidence des complications mais celles-ci ont été moins graves et leur prise en charge plus facile [28]. Les drainages externes laissent en place les lésions pancréatiques et favorisent la survenue de pseudokystes, d’abcès profonds et de fistules dont la prise en charge reste difficile. Lorsque l’état hémodynamique du patient le permet, la laparotomie doit clarifier la situation sans délai et traiter définitivement les lésions par une résection pancréatique gauche lorsqu’il existe une rupture du canal de Wirsung ou lorsque celle-ci est fortement suspectée. Le risque d’induire un diabète est limité si les patients ont une glycémie normale et si la résection pancréatique emporte moins de 80 % du parenchyme pancréatique [28, 29]. CONCLUSION Les difficultés diagnostiques sont nombreuses. L’étude spécifique du statut du canal de Wirsung est déterminante pour la décision thérapeutique et le devenir des fractures isthmiques du pancréas. La wirsungo-IRM pourrait devenir une alternative à la cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique dans ces indications. Les résections pancréatiques gauches en cas de rupture canalaire doivent être réalisées précocement si l’état général du patient le permet. En cas d’instabilité hémodynamique, les drainages externes peuvent constituer une solution temporaire dans l’attente d’une chirurgie secondaire radicale. RE´ FE´ RENCES 1 Kudsk KA, Temizer D, Ellison EC, Cloutier CT, Buckley DC, Carey LC. Post traumatic pancreatic sequestrum : recognition and treatment. J Trauma 1986 ; 26 : 320-4. 2 Patel JC, Baux D. Les contusions duodénopancréatiques. Rev Prat 1985 ; 35 : 34-41. 3 Patton JH, Lyden SP, Croce MA, Pritchard FE, Minard G, Kudsk KA, et al. Pancreatic trauma : A simplified management guideline. J Trauma 1997 ; 43 : 234-41. 4 Northrup WF, Simmons RL. Pancreatic trauma : A review. Surgery 1972 ; 71 : 27-43.

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