EDITORIAL
M 4 d Mal Infect. 1 9 9 6 ; 26 : 7 4 0 - 4 1
Les infections ndonatales et quinolones* G. BEAUCAIRE** et. O. LEROY**
L ' u s a g e des quinolones chez l'enfant de moins de 15 ans n'est pas pr6vu par les diverses AMM, en raison principalement des risques potentiels suivants (1) : - acidose m6tabolique chez le nourrisson, li6e ?~une posologie excessive ou ~ un m6tabolisme h6patique diminu4 par immaturit6 enzymatique. Ce risque para~t tout h fait r6el lorsque la quinolone poss6de un m6tabolisme h6patique, ce qui est le cas de la ciprofloxacine ou de la p6floxacine, par exemple; - hypertension intracr~nienne cons4cutive ~t un surdosage r6el ou ~ une perturbation du passage neurom6ning4 de 1' antibiotique; anomalies ost6oarticulaires avec, en particulier, 16sions cartilagineuses. Malgr4 cela, les propri4t6s fondamentales des quinolones et en particulier des fluoroquinolones n'ont pu laisser les p6diatres indiff6rents. Sur le plan pharmacocin6tique, ces antibiotiques se caract6risent par une tr6s large diffusion tissulaire touchant notamment le tissu osseux, le tractus bronchopulmonaire et l'appareil neurom6ning6, et par une telle biodisponibilit6 qu'une utilisation par voie orale est le plus souvent possible. De plus, une p4n6tration intracellulaire a 6t6 d6crite pour bon nombre des fluoroquinolones. Par ailleurs, leur spectre antibact4rien englobe de nombreux cocci a6robies qu'ils soient h Gram positif (exception faite des certains streptocoques) ou h Gram n6gatif, de nombreux bacilles ~iGram n6gatif (la plupart des ent6robact6ries a6robies, Haemophilus sp, M. catarrhalis, Legionella sp, Pseudomonas sp, voire Acinetobacter sp), des germes h tropisme intracellulaire comme Chlamydia sp, Mycoplasma pneumoniae ou les rickettsies et enfin certaines mycobact6ries atypiques. Au vu de ces propri4t6s, il a 6t6 impossible aux p6diatres de rejeter totalement cette classe d'antibiotiques pour des contre-indications parfois discutables, et c'est tout naturellement qu'une utilisation, tout d'abord compassionnelle, est apparue. Depuis une utilisation plus rationnelle s'est d6gag6e et, ~tl'heure actuelle, il semble m~me exister des indications reconnues d'emploi des fluoroquinolones en p6diatrie. Ces indications concernent des pathologies graves engageant le pronostic vital pour lesquelles les alternatives th6rapeutiques n'existent pas ou apparaissent p6rilleuses. Ainsi l'utilisation de la ciprofloxacine dans les infections dues ~ Pseudomonas aeruginosa de la mucoviscidose est devenue courante. Lorsqu'une infection, nosocomiale notamment, survient en n4onatalogie, ou bien chez un enfant immunod6prim6 ou neutrop6nique, la multir6sistance du germe conduit parfois h employer les fluoroquinolones. De mOme, certaines localisations infectieuses comme les ost6ites, les m6ningites ou les abc6s c6r6braux voire les complications de la chirnrgie digestive imposent le recours aux fluoroquinolones pour des raisons de spectre antibact6rien et/ou de contrainte pharmacocin6tique. Ces diverses indications peu discutables ont cependant deux imp6ratifs communs : (a) aucune alternative thdrapeutique valable n'a pu ~tre propos6e pour le traitement de l'enfant et (b) l'isolement bactdrien avec donn6es d' antibiogramme est le pr6alable indispensable ~ la prescription des fluoroquinolones. Les publications sur l'usage des fluoroquinolones en p4diatrie, bien que peu nombreuses par rapport aux publications concernant l'adulte, ont permis de relativiser, a posteriori, les contre-indications des quinolones chez l'enfant. En effet les effets secondaires paraissent peu frdquents. I1 a 6t6 d4crit des troubles digestifs, des 6ryth6mes solaires par vraisemblable mdcanisme de photosensibilisation et de rares observations d'hypertension intracr~nienne (chez des enfants en insuffisance rdnale). Le probl6me majeur semble en fait constitu6 par les atteintes articulaires. Expdrimentalement, toutes les fluoroquinolones provoquent chez l'animal jeune des atteintes du cartilage articulaire au niveau de la majorit6 des articulations diarthro'idales. L'incidence exacte des atteintes articulaires chez l'enfant reste cependant difficile ~ pr6ciser, tant les variations sont grandes suivant l'~ge de l'enfant, la dose employ6e, la quinolone prescrite et la dur6e du traitement. * Requ le 6.6.96. Acceptation d6finitive le 17.6.96. ** Centre de R6animation m6dicale et Maladies infectieuses, Centre Hospitalier de Tourcoing, 135 rue du Pr6sident Coty, BP 619 - F-59208 Tourcoing Cedex. 740
Quoiqu'il en soit, la prescription des quinolones en prdiatrie, hors AMM, doit rester exceptionnelle et &re justifire au cas par cas. I1 importe de souligner que tout mrdecin n'est pas tenu de respecter I'AMM, mais qu'il engage alors sa responsabilit6 personnelle. C o m m e le soulignent cependant Gendrel et Aujard (2), limiter l'usage prdiatrique des fluoroquinolones t~ une prescription non contr616e, compassionnelle, serait contraire aux bonnes pratiques cliniques. Par contre, rapporter toutes les exprriences prdiatriques d'utilisation des quinolones, prescrites dans l'intrr& premier des enfants, est fondamental pour conna~tre au mieux, dans l'avenir, la tolrrance, l'efficacit6 et les indications privilOgires de ces antibiotiques. C'est ainsi que Lahbabi et coll. (3) rapportent leur exprrience du traitement des infections nosocomiales, en rranimation nronatale, par la ciprofloxacine. Sur une prriode d'un an, 15 nouveau-nrs prrsentant une infection nosocomiale dfiment d o c u m e n t r e ont 6t6 traitrs avec succ~s par la ciprofloxacine (20 mg/kg/j). Les germes responsables (K. pneumoniae n = 9, Enterobacter sp n = 4, Acinetobacter sp n = l, X. maltophila n = 1), isolrs par hrmoculture, 6taient tous rrsistants aux b&alactamines utilisables en n6onatalogie (10 souches &aient nranmoins sensibles h l'imiprnrme). Les hrmocultures ont 6t6 st&ilisres en 4 jours en moyenne et un seul drc~s, dfi h une pathologie associre, est ~ drplorer. Bien que seules 6 souches s'avrraient sensibles aux aminosides, ces derniers ont 6t6 employEs en association avec la ciprofloxacine h 12 reprises. Pour les 3 autres patients, une b&alactamine Etait associEe, vraisemblablement pour traiter une co-infection sensible ~t ces antibiotiques. La tolErance a EtE bonne avec un rash cutanE et une thrombop6nie en cours de traitement. La surveillance h distance avec un recul de 12 ~t 15 mois n ' a pas dEpistE d'anomalie de croissance ou d'EvEnement ostEo-articulaire anormal. Ce travail qui s'inscrit parfaitement dans les indications potentielles des quinolones en nEonatalogie et qui confirme l'efficacitE et la bonne tolrrance de ces antibiotiques, ne doit pas masquer cependant un fait essentiel qui est celui de l'rmergence d'une t o r e nosocomiale multirEsistante. Cette acquisition de resistance reprEsente le probl~me thErapeutique majeur auquel les cliniciens auront h faire face darts les annEes h venir et il est malheureusement probable que les quinolones ne reprEsentent pas, h long terme, le moyen privilrgi6 d ' y remrdier. En effet les donnEes accumulEes, au cours de la demi~re dEcennie, en pathologie infectieuse adulte, ont clairement drmontr6 que le spectre antibact&ien des fluoroquinolones actuel n'est plus celui qu'il Etait initialement du fait de l'Emergence de souches rrsistantes. Ainsi, un travail collaboratif europEen (4) a montr6 qu'entre 1983 et 1990 le pourcentage de souches rEsistantes h la ciprofloxacine de P aeruginosa on de S. aureus est passe respectivement de 0,7 % h 7,0 % et de 0 % h 6,8 %. En France les incidences moyennes de resistance h cette quinolone de P. aeruginosa, K. p n e u m o n i a e et S. aureus sont respectivement de 25,6 %, 9 , 1 % et 30,5 %. Par ailleurs, il a Et6 prouvE que parmi les facteurs favorisant l'Emergence des souches rEsistantes aux quinolones, on retrouvait l'usage m~me de ces antibiotiques (5). Les donnEes exp&imentales et cliniques ont enfin montrE que pour rEduire l'rmergence de rrsistance, le thrrapeute se devait d'utiliser les quinolones h une posologie adrquate pour avoir in situ des concentrations tissulaires drpassant largement la C M I du germe incriminE (8 fois pour P. aeruginosa), en association rEelle avec d'autres antibiotiques (m~me diffusion tissulaire au site infectE) et cela pendant la plus longue durEe possible du traitement. Ce n'est qu'h ce prix et avec un danger reel de toxicitE eu Egard aux contraintes posologiques que les pEdiatres pourront utiliser les quinolones pour traiter les infections nosocomiales dues h des germes rEsistants aux b6talactamines utilisables chez l'enfant. Si des tels impEratifs ne sont pas respectEs, il est probable que l'on assistera h la m r m e 6volution qu'en reanimation adulte o?J l'Emergence de souches rEsistantes a rendu moins frEquentes les indications des fluoroquinolones. Ces molrcules reprEsentant semble t-il la seule alternative thErapeutique pour un certain nombre d'enfants, il y donc un impEratif majeur h tout mettre en oeuvre pour maintenir la sensibilitE h leur Egard des germes hospitaliers, mais aussi h drvelopper conjointement les autres mesures de prevention de l'infection nosocomiale. Ces mesures permettront peut-&re aux pEdiatres d'Eviter les impasses thErapeutiques auxquelles sont confrontEs bon hombre de leur coll~gues. L'avenir nous dEmontrera peut-&re qu'un prdiatre averti en vaut bien deux...
REFERENCES 26 : 787-92. KRESKEN M. et coll. - Prevalence of fluoroquinolone resistance in Europe. Infection. 1994 ; 22 (suppl 2) : $90-8, 5. RICHARD P., DELANGLE M.H., MERRIEN D., BARILLt~ S., REYNAUD A., MINOZZI C., RICHET H. - Fluoroquinolone use and fluoroquinolone resistance : is there an association ? Clin Infect Dis. 1994 ; 19 : 54-9.
1. ADAMD. - Use of quinolones in pediatric patients. Rev Infect Dis. 1989 ; 11 (suppl 5) : $1113-6. 2. GENDRELD., AUJARD Y. - Les quinolones en prdiatrie. Arch P6diatr. 1995 ; 2 : 409-11. 3. LAHBABI M.S., BENOMAR S., SQALLI M. - Utilisation de la ciprofloxacine dans le traitement des infections nosocomiales en r~animation n6onatale. Mrd Mal Infect. 1996 ;
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