Les internes en anesthésie : une population vulnérable ?

Les internes en anesthésie : une population vulnérable ?

Le Praticien en anesthésie réanimation (2011) 15, 149—151 ÉDITORIAL Les internes en anesthésie : une population vulnérable ? Residents in anaesthesi...

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Le Praticien en anesthésie réanimation (2011) 15, 149—151

ÉDITORIAL

Les internes en anesthésie : une population vulnérable ? Residents in anaesthesiology: A vulnerable population?

MOTS CLÉS Internes ; Internat ; Stages ; Burn out ; Apprentissage

KEYWORDS Residents; Residency; Burn out; Training

Introduction Ce jeune interne de premier semestre avait choisi l’anesthésie-réanimation. Il effectuait son premier stage. Il avait rec ¸u, comme ses co-internes le jour de son arrivée dans le service, un certain nombre d’informations sur l’enseignement et la pratique de la spécialité. Il avait bénéficié d’encouragements et d’un accueil chaleureux. Il avait participé à la réunion d’accueil organisée pour l’ensemble de la promotion à l’institut d’anesthésiologie. Pourtant, après trois semaines d’exercice, il demande un rendez-vous urgent avec son chef de service et lors de l’entretien exprime instamment son souhait d’interrompre son cursus en anesthésie-réanimation. Le motif est très clair : « je ne supporte pas bien l’ambiance angoissante du bloc opératoire, j’ai un peu peur, je sens que je ne pourrai pas m’épanouir en anesthésie ». Quels que soient le choix de départ et ses motivations, force était d’entendre cette demande et de réorienter immédiatement ce jeune médecin vers une discipline « plus calme » ou répondant mieux à ses attentes, ce qui fut fait. Ce genre de situation n’est pas si rare et il est du rôle des enseignants de l’anesthésieréanimation de savoir les gérer pour éviter que quelques années plus tard, des jeunes médecins qui n’étaient pas faits pour cette spécialité, dérivent vers des processus psychologiques de dépression, de dépréciation pouvant conduire au pire jusqu’à la tentative d’autolyse.

1279-7960/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pratan.2011.03.003

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La responsabilité du coordinateur Tout en étant emblématique, ce poste représente une lourde responsabilité. Pour un universitaire, c’est pourtant le « cœur du réacteur » : il s’agit d’organiser l’enseignement et l’évaluation des internes, mais aussi d’assurer leur accueil dans les stages pratiques et de les aider à accomplir leur cursus. En Île-de-France, cette période de cinq ans de formation est très complète : elle comporte notamment dix stages pratiques (internat) de six mois généralement très bien encadrés, 25 modules d’enseignement dispensés par l’institut d’anesthésiologie avec une auto-évaluation sur Internet, trois examens oraux, et enfin, une présentation publique d’un mémoire. Les étudiants sont donc très suivis pour l’enseignement et la formation pratique. De plus, l’apprentissage par simulation sur mannequin prend depuis 2010—2011 une place croissante dans le cursus avec une session par an pour chaque promotion qui vient de démarrer. Le rôle du coordinateur est donc fondamental pour harmoniser les enseignements et gérer l’ensemble des problèmes inhérents à ce cursus : demande de poste interCHU, arrêt temporaire, demande de disponibilité, année recherche, année à l’étranger, conflits locaux, absences répétées, grossesse, maladie. . .

Les internes L’augmentation récente du numerus clausus a conduit à une majoration importante du nombre d’internes par promotion. Ainsi, toujours en Île-de-France, les promotions sont-elles passées progressivement de 35 à 47, puis à 56, puis enfin 76 étudiants par année. L’effectif global des internes dans cette région, initialement de 175 va donc dépasser 375 internes en 2014. Aux internes ayant réussi aux épreuves de l’Examen classant national, il convient d’ajouter environ 200 médecins étrangers en formation initiale ou approfondie (DFMS et DFMSA). Les problèmes rencontrés lors des cinq années du cursus vont donc se multiplier et le rôle du coordinateur n’en sera que plus complexe. Il est impossible, avec un tel nombre d’étudiants, de connaître chaque interne personnellement et le repérage de personnalités fragiles voire pathologiques devient de plus en plus difficile. Conscient de ces difficultés, l’institut d’anesthésiologie a mis en place un entretien systématique avec tous les internes, programmé pour chacun d’entre eux, lors du premier semestre au mois de février. L’objectif de cet entretien se déroulant dans une atmosphère bienveillante avec un enseignant chevronné est, lors d’une conversation libre orientée sur le ressenti concernant les premiers mois d’apprentissage, d’évaluer les difficultés que les internes ont pu rencontrer et de proposer des solutions, de donner une réponse à leurs attentes et parfois de réexaminer l’intérêt de poursuivre leur cursus dans la spécialité. Ces entretiens ont ainsi permis ces trois dernières années de réorienter deux ou trois étudiants dans d’autres filières. Certains étudiants se réorientent d’eux-mêmes en demandant un droit au remord qui est possible jusqu’à la fin du quatrième trimestre. Cette situation est souvent vécue

Éditorial comme un échec, au moins par les enseignants, et devrait donc pouvoir intervenir plus tôt.

Conditions d’exercice à l’hôpital Les conditions d’exercice à l’hôpital public de plus en plus difficiles fragilisent la motivation des internes et la qualité de l’enseignement clinique prodigué. La paupérisation des services, la multiplication des tâches et des contraintes auxquelles sont soumis les médecins, le grand nombre de sites d’intervention et des dysfonctionnements nombreux sont autant de facteurs décourageants pour des internes en formation qui risquent, leur cursus accompli, de trouver de moins en moins de motivations pour rester à l’hôpital public. Les réorganisations hospitalières en cours ou à prévoir sont également autant d’éléments qui contribuent à désorienter encore un peu plus les internes. Les gardes de nuit fréquentes, la séniorisation précoce de jeunes collègues, laissés parfois un peu seuls face aux patients, s’ajoutent encore à ce tableau. Les choix actuels de la politique de santé vont donner au secteur libéral la possibilité d’accueillir des internes pour des stages de six mois à compter de novembre 2011. Cette mesure pourra permettre à un certain nombre d’étudiants d’acquérir des nouvelles connaissances et de découvrir des techniques qu’ils n’auraient pas eu l’occasion de pratiquer à l’hôpital. La place des internes dans les structures libérales, leurs conditions d’apprentissage et d’exercice restent à définir. L’enseignement, comme la pratique clinique, ne se décrète pas et nécessite un investissement important. Il ne suffit pas de justifier d’une activité importante pour remplir les conditions d’un encadrement pédagogique qui implique des temps dédiés à l’enseignement, la réflexion sur la pratique et la discussion des cas, l’organisation de revues de morbi-mortalité, de séances de bibliographie, une présence de tous les instants auprès des débutants, etc.

Fragilité des internes Le choix de la discipline d’anesthésie-réanimation peut procéder de plusieurs motifs : un engouement pour la réanimation le plus souvent (80 % des internes interrogés lors des entretiens de février déclarent avoir choisi la spécialité pour faire de la réanimation, c’est seulement dans un second temps qu’ils viendront à l’anesthésie), un goût marqué pour l’efficacité et le résultat immédiat ou pour une présence importante à l’hôpital. Le contexte de l’urgence peut aussi être une motivation, mais il existe également un certain nombre d’autres motivations comme la possibilité d’organiser son temps de travail de fac ¸on différente des schémas classiques. Enfin, les perspectives de revenus élevés sont à considérer, même si cette motivation n’apparaît souvent que plus tard dans la carrière. L’anesthésie-réanimation est un métier difficile avec un stress permanent. En réanimation, le taux de décès moyen des patients d’une réanimation est de 20 %, la rencontre avec la mort est donc fréquente et elle est souvent prévisible. Toutefois la fréquence n’implique pas la facilité et les services de réanimation sont rarement complétés d’équipe de psychologues qui permettent aux équipes soignantes et

Les internes en anesthésie : une population vulnérable ? aux jeunes internes d’accepter plus facilement le décès d’un patient sur lequel ils se sont investis durant des jours voire des semaines. En anesthésie, le décès est heureusement beaucoup plus rare mais imprévisible. Le praticien a pu discuter avec le patient avant l’anesthésie, ce dernier est parfois même en bonne santé et l’intervention prévue pour un geste fonctionnel, or une complication inattendue ou un accident anaphylactique peuvent malheureusement aboutir à des séquelles graves, voire au décès et induire un stress majeur et durable. Ce stress devient encore plus insoutenable dans le contexte de l’anesthésie pédiatrique ou de l’obstétrique. Il est difficile de savoir si a priori la personnalité des internes qui ont choisi l’anesthésie-réanimation leur permet d’affronter ces situations. Le choix initial de la spécialité est en effet basé sur une appréciation subjective des enseignants et des médecins hospitaliers lors des stages hospitaliers puis sur les conditions de classement. . . La profession d’anesthésiste-réanimateur, bien que passionnante et très enrichissante, est stressante et il n’est pas possible d’en faire l’économie. Le déni de cette réalité reste néanmoins prégnant dans la population des médecins anesthésistes. L’idée d’un soutien psychologique permettant d’analyser certaines situations difficiles et de mieux les appréhender n’est pas encore très répandue ou acceptée. Pourtant, de très nombreuses enquêtes et études montrent que les conditions de développement d’un syndrome d’épuisement au travail (burn out) et le risque de conduite addictives pour faire face aux tensions inhérentes à l’exercice professionnel, peuvent facilement se développer dans le milieu de l’anesthésie-réanimation. De ce point de vue, les internes apparaissent comme particulièrement vulnérables et exposés à des risques plus sévères encore que les professionnels patentés. Les conditions de prévention du burn out sont par ailleurs bien connues ; elles passent par la définition d’objectifs professionnels clairs en accord avec les moyens alloués pour les atteindre ainsi que par une meilleure organisation du travail. Le travail en équipe est aussi une des réponses au risque de burn out, notamment en définissant les conditions de solidarité professionnelles qui permettent de mieux traiter les situations difficiles. Enfin l’apprentissage des situations à risque en conditions virtuelles permet de gagner en expérience sans risque de se consommer en stress. Il faut également enseigner que si le stress peut se gérer, les situations à risque ou difficiles font partie intégrale du métier et ne pouvant être évitées doivent être abordées avec un maximum de méthode. La gestion de ces situations fait non seulement appel à des connaissances médicales mais aussi à l’acquisition d’un comportement permettant par exemple de définir rapidement le rôle des différents acteurs de soins en situation d’urgence et d’orchestrer leurs efforts. Le débriefing des situations dangereuses tel qu’il est organisé dans les revues morbi-mortalité est également important. C’est une demande constante des internes confrontés à des

151 situations difficiles, qui n’est cependant pas toujours satisfaite comme ils le souhaiteraient. Un interne doit pouvoir savoir après avoir été confronté à une situation de crise, si son comportement était approprié et si la réponse de soins qu’il a fournie était adéquate, ce qui est un gage de progrès et une garantie de gain en expérience.

Conclusion Une généralisation du tutorat à tous les internes devrait pouvoir en partie répondre à ces objectifs. L’ensemble des enseignants d’anesthésie-réanimation doit être associé à ce tutorat de fac ¸on à pouvoir assurer de fac ¸on systématique et non aléatoire un compagnonnage. Enfin, il est souhaitable que les étudiants en difficulté puissent être identifiés et suivis en multipliant les entretiens avec leur tuteur ou leur référant qui doivent de ce fait assurer une certaine disponibilité. Il faut savoir écouter, expliquer, conseiller, rassurer et ré-humaniser. Il faut également que les équipes formatrices assument pleinement leur mission d’ensemble.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Pour en savoir plus De Oliveira GS Jr, Ahmad S, Stock MC, Harter RL, Almeida MD, Fitzgerald PC, McCarthy RJ. High incidence of burn out in academic chairpersons of anesthesiology: should we be taking better care of our leaders? Anesthesiology 2011;114:181—93.

Charles-Marc Samama 1,2,∗ Service d’anesthésie-réanimation, Hôtel-Dieu de Paris, Assistance Publique—Hôpitaux de Paris, 1, place du Parvis-de-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 04, France

Francis Bonnet 3 Département d’anesthésie-réanimation, hôpital Tenon, Assistance publique—Hôpitaux de Paris, université Pierre et Marie-Curie, 4, rue de la Chine, 75970 Paris cedex 20, France ∗ Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (C.-M. Samama), [email protected] (F. Bonnet) 1 Photo de l’auteur. 2 Coordonnateur du DES d’anesthésie-réanimation pour l’Île-de-France, université Paris-Descartes. 3 Chef de service.

Disponible sur Internet le 12 juillet 2011